Aller au contenu

Circeenne

Membre
  • Compteur de contenus

    106
  • Inscription

  • Dernière visite

Tout ce qui a été posté par Circeenne

  1. Nous arrivâmes à Tchernobyl autour de 7 h 00. Une sombre végétation avait complètement recouvert la ville. Tout semblait si abandonné, si apocalyptique mais tellement paisible. Je devinais le fleuve Pripiat sous cette épaisse brume qui masquait aussi un sol gluant. Mes bottes s’empêtraient dans une boue épaisse et le froid mordait tendrement mes os. Petrov avait l’habitude, il soupira une longue condensation tout en se montrant résistant au froid. Il était comme taillé pour ça. Ses hommes l’imitaient mal. Sarah m’avait rejoint en faisant une moue qui exprimait le râle français en se recroquevillant dans une démarche hâtive. Les ordres étaient les suivants. Personne ne se séparerait du groupe. Il y eut deux groupes. Et comme je m’y attendais, Sarah n'était pas avec moi. Le premier groupe explorerait le flanc est de la ville quand le second irait à l’ouest. Petrov se montrait très pédagogue en même temps que directif. Il détaillait chacune de ses explications avec un geste mécanique sur la carte qu’il pointait du doigt. Nous prîmes alors les équipements, fîmes les quelques tests radio et démarrâmes l’opération. Je n’aimais pas ce silence glacial. L’ambiance rappelait la sobriété qu’ont les morts après avoir été apprêtés. Nous nous enfonçâmes au point de ne plus distinguer ce qu’il y avait derrière nous et devant nous. Notre repère dans cette vaste opacité était les colonnes de cheminées industrielles que l’on voyait au loin. Nous sentîmes bientôt le bitume sous nos pieds et c’est là que nous nous divisâmes. Petrov pris la route vers l’est où la forêt était plus dense. Nous continuâmes en ville. La route était cabossée, perforée par endroits. De ces imperfections sortait la vie. Il n’y a pas de mot pour décrire pareil endroit. Afin de bien nous distinguer dans ce brouillard nous avions des signaux clignotant sur nos sacs. Les nôtres étaient rouges. Les leurs bleus. On les remarquait qui s’éloignaient progressivement. Arrivés à Kirova Street nous fûmes rassurés, la brume s’était dissipée à cause des bâtiments. Nous la longeâmes pendant un temps qui me paraissait être trop long. Je prenais parfois des libertés en m’attardant sur des objets, des magazines, des choses en tout genre éparpillés ici et là, de part et d’autre de la rue. Je fus même pressée par Mikhaïl qui me reprochait de trop m’attarder sur ces détails. À un moment, il décida de prendre un raccourci par une petite rue adjacente où la végétation se montrait assez menaçante, jalonnée de maisons abandonnées. Il m’expliquait qu’après une vingtaine de minutes de marche on arriverait au « Monument of the third Angel » un endroit très prisé des adeptes de l’urbex car il y avait des souterrains construits pendant le milieu de la guerre froide afin de faire face à une invasion du camp occidental. Cet endroit me donnait le frisson. C’était désert. Une chaussure très ancienne trônait au milieu d’une ruine éventrée. Il y avait un immense trou donnant sur un tunnel. Mikhail m’expliquait que c’est ici que les touristes entraient et s’immergeaient dans l’aventure. Nous y entrâmes avec l’agilité qui me faisait défaut. Igor est entré en premier suivi de Fiodor qui examinait derrière lui les quelques outils assez récents de son point de vue. Il me l’indiqua après qu’Alexander m’a aidé à descendre. Mikhail testait la radio mais en vain. Des tags dans toutes les langues arpentaient le béton fracassé. Je les étudiais avec attention sans veiller où je mettais le pied. Fiodor qui veillait sur moi m’a ainsi empêché d’écraser un rat mort et en décomposition. Les vers s’agitaient tellement que j’en fus prise de panique. On continuait sous terre. L’écho des gouttes laissait paraître l’atmosphère tel qu’il était. Glauque. On arrivait à une intersection. Un sac à dos était par terre. Comme si quelqu’un l’avait fraîchement déposé là. Il me fut remis. Il n’y avait rien d’autre qu’un paquet de cigarette avec une clé un peu vieille. Je secouais le sac pour m’assurer que rien ne m’avait échappé. Un ruban noir en était tombé. Il était mentionné le prénom Romain avec des pentacles et autres gribouillis que personne ne comprenait. Nous débattions sur la signification quand nous entendîmes des coups de feu lointains. Assez saccadés. L’échange a été rapide mais intense. Nous revînmes sur nos pas précipitamment. La radio grésillait. On entendait des paroles entrecoupées et mêlées de cris comme si la peur s'était exprimée à travers elles. J’étais très inquiète. Nous remontâmes à la surface. Le silence surplombait l’atmosphère et la radio restait insensible malgré les appels incessants de Mikhaïl. _Alpha, ici bravo, on a entendu des tirs. Tout va bien ? Long crépitement _Alpha, vous me recevez ? Répondez ! Silence permanent _Alpha ici bravo ! Je réitère ! Si vous me recevez, utilisez le code morse. _… Fort râle d’animaux. Bruits inaudibles. Paroles ou incantations inaudibles. Langue étrangère ? Latin ? puis soudain : _ Fate is blood… J’étais avec les autres très perplexes sur la situation. Mikhail en fut tourmenté. Il ne savait pas trop comment réagir. Il réitéra la communication, cherchant à savoir qui, quoi, comment et pourquoi… mais sans succès.
  2. Circeenne

    Caligula

    Je vois mais ces conseils sont destinés à ceux qui veulent être de véritables écrivains. La référence à Tolstoï est juste vraie. Et tu as raison mais l'écriture est un parallèle pas ma finalité. Je ne suis qu'une "écrivant" dans la langue de Barthes. Je prends note pour le lâcher prise ! Merci Au plaisir de recroiser
  3. Circeenne

    Caligula

    Mais qui n'aimerait pas être présenté sous plus beau jour ? J'ai beaucoup de tristesse en moi. Beaucoup de caprices, il est vrai, mais je ne peux pas non plus me focaliser sur le négatif qui m'a longtemps habité. Alors je contraste toujours, d'où peut être cet orgueil apparent. J'aimerais que tu m'expliques davantage ce que tu veux dire par "lâcher prise". Merci !
  4. Hello, j'ai lu avec intérêt ta réponse et évidemment si la tristesse perdure, elle engendre des maladies. Mais en soi, elle est un sentiment inhérent à notre nature et c'est en cela qu'elle est radicalement différente d'un rhume car elle ne s'attrape pas. Elle nous permet d'avoir de la compassion. Cependant, il faut apprendre à travailler sur soi, à se connaitre, à développer des stratégies pour relativiser, pour apaiser, pour entendre aussi. Car la tristesse est une sorte d'alarme nous incitant à prendre le temps de la réflexion. Tout l'enjeu ne réside pas dans notre capacité à nous en libérer, au même titre qu'il serait vain de tenter de s'arracher un membre pour y calmer la douleur, mais à résoudre le problème source de tristesse. Certains y réussissent, d'autres non et c'est la dépression, une tristesse chronique parce que le problème perdure, se sclérose, couche après couche, année après année, calcifié avec le temps. Pour ma part, j'ai été longtemps au bord du suicide, aujourd'hui j'en parle avec aisance mais ce fut une période noire qui n'est d'ailleurs pas terminée. Mais j'essaie de trouver des moyens pour progresser, j'ai encore du chemin à faire.
  5. Circeenne

    Sous-sol XI

    Vi, c'est mon gros défaut. J'ai tendance à ne pas finir ce que je fais... Je mérite une fessée. Et merci pour l'intérêt portée
  6. Ah mince ! Pas grave, je tâcherai de faire mieux la prochaine fois.
  7. Une porte s'ouvre. Un monde glauque, empli de moribonds qui vagabondent, D'où les âmes vacillent, le coeur ralentit et les yeux blancs qui tourbillonnent. La couleur des morts suinte sur la chair comme une visqueuse fondue. Des cris ahuris s'élèvent d'entre les viscères, tréfonds du bonheur perdu. Il y a là des hommes et des femmes au sang mêlé que rien ne distingue, Parce que les torsions de douleur les ont façonnés androgynes et dingues. Agités, ils courent entre l'eau bouillante et les fruits amers que l'horizon, Promet avec mensonge et dont la distance n'est jamais atteinte par la raison. Un va-et-vient de grands chiens lugubres veillent à la valse des morts. Ils assurent le maintien de la folie et l'absence de répit, tel un sort. Je cours au milieu des âmes cueillant des fleurs au couleur de la cendre, Et je compte les pétales vénéneux en déclamant une élégie tendre. Au milieu du vacarme, je suis là avec mon bouquet de pivoine, Joyeuse dans ma robe rouge et blanche, faite dans le couaille, Je ris follement en voyant ce marasme osseux, cette pénitence Au milieu d'une broussaille en feu, ferrée et dure comme la rocaille. Et je saute à cloche pied, en belle demoiselle qui se conte fleurette, Frôlée par ces morts qui me supplient, tirent ma robe et me griffe, Victime de la sauvagerie qui n'a de frontière que celle de la vie, Bientôt, ils se repaîtront de ma chair, dans la violence de la haine. Les mains pleines de sang et les bouches pleines d'insultes.
  8. Pour la tristesse il n'y a pas de remède car ce n'est pas une maladie. En vérité, il ne faut pas l'éviter. Il faut apprendre à vivre avec lorsqu'elle s'impose à soi. Dans tous les cas, c'est un indicateur qui nous demande de réfléchir sur la situation. Trouver une solution à un problème. C'est cependant dangereux de l'entretenir car on finit en dépression. Si on ne trouve pas de solutions au problème qui nous cause la tristesse, il faut essayer de changer d'humeur. Ce que je fais, parce que je suis une mélancolique naît, j'écris, je cours beaucoup, parfois jusqu'à la blessure mais il ne faut pas m'imiter, et je me noie dans la musique et la consommation. C'est mon côté fifille. J'ai eu aussi ma période garçons. Toutes ces choses ne sont que des solutions éphémères qui n'ont jamais réglé mes problèmes. Elles les ont soulagés. Donc point de technique, à chacun ses stratégies de contournement. Ensuite vient le psy. Un regard extérieur c'est toujours utile.
  9. J'avoue, j'ai l'air d'être rude parfois, mais je suis une vraie biscotte.
  10. Circeenne

    Caligula

    Merci de tes commentaires instructifs et effectivement je corrige tout de suite !
  11. Shutter Island de Lehane et Meursault contre enquête de Daoud ! J'ai de quoi faire...
  12. J'ai trimé au boulot toute la journée à faire et à refaire ce que je faisais hier. J'en ai la tête lourde. L'ennui m'a tellement gagné que j'en ai aujourd'hui encore les paupières tombantes et les cernes aussi grasses qu'un sac de suif. Certains pensent que je travaille dur. Disons que je suis assez consciencieuse dans mon travail, mais d'aucuns ne s'est jamais dit qu'elle a une vie trop basique pour être épanouie. Et ca, je pense que ce serait déjà un début de vérité. J'avoue. Surtout lorsqu'en fin de journée, partie pour faire mes courses, car c'est le jour habituel, j'ai encore oublié la lessive. C'est pas embêtant dans la mesure où il m'en reste mais va falloir que j'y retourne. Faut décidément que je le note quelque part. C'est à croire que je me fais vieille. A regarder de plus près, j'ai effectivement la trentaine. C'est le début de la sénilité, alors qu'il y a quelques heures encore je jouais dans une cour avec d'autres enfants. Pleine de vie, turbulente, qui ne tient pas en place, "c'est une bavarde, elle fera de la politique cette gamine !". Tu parles, j'ai fini aux archives nationales dans un bureau que l'on envierait pas trop si ce n'est pour le salaire, et encore ! comme dirait ma mère. A mon âge les copines ont déjà deux enfants, certaines ont même un troisième en projet. Mais à les entendre, elles ont toutes un mari aimant, une vie animée de voyages, et de tant de péripéties qui occultent le temps et vous forgent à une organisation très méticuleuse, entre les moments où il faut manger et l'heure de la télé. Le genre de truc qui fait dire : "c'est une belle routine, on ne voit pas le temps qui passe et les cheveux qui tombent, blanchis". Ouais, j'ai récemment divorcée. Ca fait de moi une fille qui a réussi à moitié non ? Je ne sais pas, mais le regard des autres a véritablement changé. Je passe pour celle qui fait pitié. Et il ne me faut pas un long discours pour le comprendre, juste à lire les yeux de ceux qui me regardent quand je le leur dis. On y lirait " la pauvre, elle a du souffrir"; "Quoi déjà !?"; "ah ! Je le savais, ca m'étonne même pas, vu la femme que c'est...". Et des comme ca, je pourrais en faire un livre... Ma foi, je ne sais pas pourquoi j'ai divorcé mais je l'ai fait dans un esprit de justice, du moins c'est ce que je me suis dit. Je crois que le seigneur a créé des gens qui ne peuvent vivre avec les autres qu'accessoirement, juste un laps de temps trop court pour vivre longtemps mais assez pour être sociable. D'ailleurs, la solitude faut qu'on en parle. J'écoutais la radio dans les bouchons il y a peu :"10 millions de célibataires en France et la solitude tuerait autant que le tabac, voire même plus". C'est ahurissant. Et ce chiffre, c'est autant que le chômage ! Une âme scientifique, ici ? Parce qu'il pourrait y avoir un prix Nobel à gratter. Bizarrement ce sont les couples actifs qui divorcent de plus en plus, parce qu'un jour on se rend compte qu'on a réussi à vivre ensemble grâce à la différence de nos emplois du temps. Quelle drôle de société... Le mariage est devenu une sorte de Kodak. C'est jetable. Et le couple n'a plus de sens. Poussés par notre individualité, on est tous addictes à notre solitude. Des générations toxiques. Et ce matin je me suis levée dans un soupir avec une question existentielle : quel est donc le sens de la vie ? On naît, on apprend, on cotise, on rencontre, on s'aime puis on se sépare. Entre temps ca oscille un peu avant d'aller fertiliser la terre... Pour ma part, j'aimerais nourrir des tulipes pivoines, ne me demandez pas pourquoi. L'autre a dit le cœur a ses raisons... je dirais plutôt il n'y a de raison que dans l'absurdité de notre ennui. C'est elle qui fait que l'on se pose des questions, qu'on se cherche un sens. Parce que le ventre repu, on tombe malade de la tête et du coeur. On a tout et on pleure. Ca c'est de ma mère. Mais c'est pas faux. Il faut vivre avec ce qu'on a, se contenter de la routine, être résigné à cette réalité. C'est la condition du bonheur, n'est-ce pas ? Je vois mes copines. Elle sont rythmées par le travail, la maison, les enfants et le sommeil. Que demande le peuple ? Par contre, moi ce genre de vie, ca ne me suffira pas. Il me faut un leitmotiv qui m'arrache du silence de mon quotidien pour me mettre dans un monde où tout aurait un sens. L'amour. Le vrai. C'est aussi pour ca que Caligula a fini à l'histoire. Une question d'amour perdu et le voilà qui a fait des finances publiques, cette logique implacable des hommes, une vérité dont le sang en a payé le prix mais en vain. Il est mort floué. Bref. Je vais me coucher, parce que demain rebelote, le travail et les questions... En attendant :
  13. J'ai encore rêvé de lui et pourtant je suis sûre de ne plus l'aimer. Je l'ai bien jeté depuis la falaise de l'oubli. Je l'ai vu tomber en pluie, dévoré par des requins. Mais il y a des souvenirs qui plissent, qui froissent, qui déchirent les entrailles de votre mémoire comme un violent coup de poignard. Et pour être blessée si durement, il ne m'a fallu que d'une seule nuit, longue, tendre et tiède. Je sonde mon cœur. Il prétend qu'il est sec et hermétique à toutes les prochaines promesses que peut tenir l'amour. Rien ne pourra plus pousser sur cette terre devenue aride car il ne pleuvra plus jamais. J'ai gommé frénétiquement les nuages avec de la cendre. Du ciel, il ne reste que des oiseaux de proie et une lune maculée de sang après avoir tué le soleil pendant son sommeil. Je fais assez pour l'oublier, je déforme mon monde, brouille les mots, arrache les visages, aucune chance donc qu'on reconnaisse quoi que ce soit dans cette décomposition. Mais malgré ca, j'ai encore rêvé de lui. Il était là, droit dans son manteau beige à me regarder avec des yeux masculins, terriblement virils. Et c'est comme si mon mépris y avait été envoûté pour se taire et tout accepter. Le temps d'un rêve, il avait ressuscité. La mauvaise herbe ! Il y a peu, j'avais reçu un sms, le soir d'un dimanche d'ennui et de mélancolie: "ton absence habite mon silence. Tu te montres envahissante depuis que tu as claqué la porte." Peut-être parce que je l'ai lu longuement. Peut-être parce que la sonnerie Nokia que j'avais paramétrée et oubliée de changer a eu l'effet d'un chien de Pavlov. Peut-être que c'est un hasard ? Non, je ne crois pas au hasard. Quoi qu'il en soit, depuis la semaine dernière je ne lui ai pas répondu. Et voilà qu'il y a deux jours, me vient ce songe. Au réveil, j'étais toute ébouriffée et mouillée avec une sensation vague et lourde d'un plaisir que j'aurais oublié, courbaturée comme si mon corps avait ployé sous le poids de la dominance. Je ne me souviens pourtant que d'un regard. Mais assurément je le hais. Sa présence, son odeur, sa force, ses mains. Je hais tout de lui jusqu'au son de sa voix. Je crois qu'il me tenait fermement les hanches pour apaiser ma colère et qu'il souriait comme s'il savait, comme s'il fallait appuyé juste sur un bouton pour éteindre ma mascarade, ma fuite sur place. Je sonde mon coeur, il dit peut être que... Je lui réponds que non ! et avec force. AV...EC FOR...CE. Je me réveille le lendemain ébouriffée, à ses côtés. Il sourit, me regarde du coin des yeux, la tête sous ses bras musclés, il a gagné. Je l'ai détesté le temps d'un rêve...
  14. Et si l'absurde était une forme de narcissisme ? Puisqu'il s'agit d'aller contre le sens commun, de passer outre la coutume et les habitudes établies pour affirmer un MOI. Je pense que parfois, et même souvent, on souhaite exister en se cherchant une différence qui attirera l'attention de tous. C'est la maladie de notre siècle. Et c'est ce que j'imagine être à l'origine de l'art contemporain qui me semble, pour certaines performances et pas toutes, très inintéressantes non parce qu'elles sont absurdes mais parce qu’elles trahissent l'envie de vouloir être singulier en n'allant à contresens, en s'en revendiquant. Ce sentiment peut alors nous rendre heureux puisqu'il nous fait être. Enfin je pense.
  15. J'avais prévu de me lever tôt ce matin-là, déterminée à aller courir aux aurores, cependant, la veille, je m'étais attardée au téléphone avec une amie pour ne parler qu'avec hypocrisie de rien si ce n'est de tout. Nous avions discuté deux heures et demi. Avant ca, j'avais erré sur le net, en quête d'une vidéo drôle ou de quelque chose dans le genre qui aurait pu me mettre hors de ma coutumière banalité, hors des carcans de ma monotonie, hors de ma tristesse. Ce soir là, il y avait du vent, je m'en souviens parce que le volet claquait sans que j'eus voulu agir pour y mettre un terme. Et je ne saurais vous dire pourquoi la flemme nous pousse tant à être idiot. Un philosophe a peut-être de quoi nous éclairer sur la question. Nous sommes si abrutis par nos habitudes après tout... Avant cela, je venais de rentrer du boulot, je m'étais affalée sur le divan. Il devait être 20 heures, je n'ai pas vérifié. J'étais si fatiguée que je n'ai avalé qu'un verre d'eau, un yaourt et quelques fruits secs; des abricots moelleux. Dans la cuisine, j'avais encore mon imper, et pourtant, j'avais abandonné mon sac et mes talons à l'entrée, comme pressée de me délester du poids de mes chaines, je ne m'en suis rendue compte que lorsque, la bouche pleine, mon téléphone se mit à vibrer, les doigts collants encore sur mes lèvres d'affamées, je cherchais à y répondre précipitamment tout en ne voulant pas empéguer mes vêtements d'un sucre mielleux. Mettre la main dans la poche, me répugnait. Il vibrait une seconde fois lorsque j'avais les mains sous l'eau et que je cherchais frénétiquement à me sécher, en jetant au sol quelques ustensiles de cuisines, dangereusement près de mes pieds emballés dans des collants noirs épais. C'était un parent qui avait cherché à me joindre depuis déjà quelques jours et que j'évitais pour une certaine raison. Furtivement, je me déplaçais de la cuisine au salon qui était plongé dans l'obscurité. Intuitivement, j'allais m'asseoir à l'endroit le plus tendre, sans bruits, si ce n'est mes soupirs et le froissé de ma veste qui bruissait après avoir perdu sa consistance. J'étais restée recroqueviller une bonne demi heure à ressasser ma journée toute seule, avant de me décider d'allumer l'ordinateur où je m'étais mise à errer affreusement sur le net dans une lueur bleuté. Après un temps, j'ai revêtu ma cape de justicière en contestant, dans les commentaires d'une vidéo, la violence et l'injustice d'une torture mise en scène au nom d'une légitime punition que deux racketteurs auraient mérité suite à une tentative de vol. Les auteurs de la vidéo demandait des centaines de milliers de "poces blos" Mais je fus critiquée violemment et me suis alors convaincue qu'internet était un tribunal sans justice, sorte de far west où la populace a droit de vie ou de mort de manière arbitraire. Qu'est-ce que j'espérais ? Qu'ils allaient m'écouter et dire "oui, c'est vrai, nous nous sommes leurrés, l'argent et la renommé nous ont aveuglé..." Bref. J'ai donc écouté une musique que j'ai fini par partager, en écrivant : " Alalala que de souvenirs, je me sens nostalgique ! " J'ai obtenu dans l'heure deux likes sur mes 150 amis. Entre temps je suis tombée sur une page de pub m'expliquant comment avoir une poitrine de rêve. J'ai cliqué par curiosité. Et j'ai complexé devant tant de poitrines fermes et jolies. Mes seins sont petits...D'un clique, je suis revenu à Google et j'ai voulu faire un tour sur Netflix, en me réjouissant sur la soirée que je me suis imaginée avec des bougies parfumées, un thé et du chocolat noir devant un bon film. J'ai perdu quarante minutes à chercher un film. Et lorsque je me suis décidée à en regarder un. Mon téléphone se mit à vibrer...Quelle vie de merde.
  16. Circeenne

    life.f90

    J'ai beau essayé, je n'ai pas compris, tu veux bien m'expliquer ? Je suis sotte !
  17. Minuit passé, je ne savais où j’allais mais je marchais en laissant derrière moi une ville illuminée par les artifices de la lumière ocre. Je continuais de m’enfoncer dans l’obscurité, seule dans le silence, sous une lune ronde et immaculée. Le ciel semblait poncé, lissé, épuré par la froideur d’un vent d’altitude, presque imperceptible. Entre quelques bourrasques, mes pas crépitaient sur ces rocailles et brindilles de la garrigue qui glissaient et craquelaient à mesure que j’avançais avec maladresse. Je n’étais pas bien chaussée. Je n’avais pas prévu d’être là. Tout autour le frimas hivernal embrumait les collines et étouffait l’étendue qui revêtait un air surréaliste, une atmosphère assez inquiétante. La nuit laisse place à autre chose que ce que le jour nous a habitués à voir, un autre monde. J’entendais des pas, je ressentais des présences, j’entrevoyais des formes plus ou moins vagues, toujours de loin, jamais ici, près de moi. Il pouvait s’agir d’entité pour qui le jour devait être ce que la nuit est pour nous, et sortait ici, se demandant ce que je pouvais bien faire là, perdue. Je voulais absolument atteindre le sommet de l’étoile, c’est ainsi qu’ils l’ont nommé. Je voulais voir la ville et la mer mais c’était encore loin. Peut-être cinq voire six kilomètres en ascension dans cette dimension lugubre. J’avais peur et en même temps j’étais très excitée d’être au milieu de nulle part sans que personne ne le sache, comme un esclave qui expérimente la liberté. Je sentais un kaléidoscope émotionnel qui se matérialisait dans des rires nerveux. La lune était pleine mais chaque fois que je la fixais, je trébuchais. Et cette fois-ci, ma main gauche saignait. Je distinguais un noirâtre liquide qui serpentait finement autour de l’auriculaire pour venir se concentrer en une épaisse goutte chargée de sucre avant de se détacher sous l’effet de la gravité. J’étais béate dans la douleur que je percevais légèrement tant le froid m’avait anesthésié. Je continuais encore mais plus j’avançais et plus la crainte s’emparait de moi, bientôt j’hésitais. Je remarquais déjà ma voiture, si petite, si sombre, si éloignée. Je réalisais que j’étais folle. Et une envie subite de courir agitait mes jambes devenues hystériques dans les déferlantes pentes rocheuses de la plaine où des arbustes, qui semblaient avoir des yeux horribles, dévoraient mon âme dont le cœur palpitait au rythme d’une peur irrationnelle. La frénésie me fit verser quelques larmes légères et froides dans ma fuite. En contrebas du chemin, un animal ou un Djinn sortit brusquement d’un buisson et me dévisagea du regard. J’étais pétrifiée, figée dans la terreur, plaquée dans la crispation. Il s’approchait de moi avec l’agilité d’un chien. La masse à quatre pattes, longue et affûtée, ne me regardait plus qu’avec des yeux jaunis par la nuit purifiée. Sa tête dodelinait et alternait l’éclat de ses yeux. C’était un renard dont la témérité m’avait choqué. Je relâchais alors mon souffle et j’exhalais une vapeur épaisse et profonde, comme si ma cloque d’énergie noire avait crevé, répandant toutes mes forces que je perdais dans des tremblements comparables à un séisme violent. Des fourmillements allèrent de mes chevilles jusqu’au cou et une lumière blanche me paralysa. Je pus enfin me ressaisir et je m’échappais comme un bandit détalerait après avoir échoué son effraction. Dans ma voiture, je revoyais ce renard en pensant à Saint Exupéry qui devait arpenter les lieux en quête de la rose sacrée, celle là même que je cherchais. Je vis une dernière fois le pic de l’étoile dans le rétroviseur et je regagnais le monde des morts vivants en ayant le sentiment d'avoir conjuré une sorcellerie. Je reviendrai.
  18. Au lever, le réveil fut difficile. Dans une blanchâtre obscurité, je contemplais depuis je ne sais quand le plafond, avec par endroits, des tâches capillaires d’infiltration que je devinais être d’un jaune paille. Là elles étaient sombres, ténébreuses et dessinaient des formes évoquant toutes la mort. Ou alors c’était ma tête qui interprétait mal ce que l’eau avait laissé dans son sillage passé. Ma pensée fut interrompue lorsque Sarah avait très délicatement posé sa main chaude sur mon épaule froide pour me suggérer qu’il faudrait sortir du lit. Au même moment elle rabattait le drap sur elle pour encore se blottir dans ce liquide amniotique du sommeil temporaire que l’on sait être trop court pour reposer mais trop lourd pour le combattre. Cette dualité vous pousse à l’absurde, repousser l’échéance à quelques minutes éphémères que l’on souhaite être éternelles. Là est notre vanité, l’espoir en l’impossible, l’espoir en la finitude. D’un grand soupir, je me redressais encore vêtue de mes dessous que j’avais négligés d’enlever. Elle ne m’en avait pas laissé le temps, à vrai dire. Et bien que j’eusse laissé faire, je n’avais pas osé franchir le pas de moins de pudeur. Je me suffisais du frôlement de ses cheveux lisses sur la peau de mon visage. Alors que chaque nuit j’étais là dans son lit, chaque matin, je ne comprenais pas et niais même notre relation que nous avons appris à ignorer le jour venu, comme si nous étions des schizophrènes. D’un pas las, hésitant, encore tiédi de sommeil, j’allais vers la douche à tâtons pour trouver la lumière synthétique d’une blancheur qui rappelle l’au-delà. J’en avais été crispée jusque dans ma chair profonde. Immobile, je pris alors un court instant à essayer de regarder mon visage dans le miroir, en vain. J’ouvris le robinet qui libérait une eau glaciale, quasiment électrique. Je la bus et me rinçais le visage aussi longtemps que je pus. Au miroir je distinguais une image plus précise à mesure que mes yeux s’habituaient à l’aigreur de la clarté. Elle m’évoquait mon enfance, j’avais ces cheveux bruns, relâchés. Ma mère veillait à ce que je les peigne chaque matin et les attachais pour être belle et propre. Ma mère me manquait tellement. Qu’il est difficile de vivre seule. Je ne sais pas ce qui me manquait le plus chez elle, peut-être un amour sincère. Une voix rauque, des yeux fatigués, un corps abîmé et gras mais un beau visage qui raconte sa beauté d’antan. Je n’étais pourtant pas confidente avec elle, car on se connaissait peu, on sortait très rarement ensemble et j’étais pleine de tabous à parler de garçons et autres choses que font les filles avec leur mère. Elle ne me parlait pas non plus, si ce n’est de son enfance ou simplement pour me dire ce qu’elle m’avait déjà dit l’année précédente lors d’une situation similaire. Un vrai disque. C’était frustrant, mais faut croire que l’on s’aimait sans se connaître. Par devoir peut-être, ou parce que nous étions l’une comme l’autre d’un sang commun. Aujourd’hui je ressens son absence. Sa mort me fait des pincements à chaque fois que je remarque un geste, un regard, un vêtement, une parole qui lui était propre. J’avais ses yeux verts et ses larmes sèches aussi au creux du miroir, j’entrevoyais une goutte se détacher de mon âme et répandre son sel sur ma joue. - Agathe tu fais quoi dans la douche, ça fait un quart d’heure que tu squattes là ! - Euh oui, oui, je me rinçais le visage, l’eau est très froide. - On doit se bouger, le départ est dans une heure à peu près, le temps de manger un truc… - Oui on doit être sur la place d’armes c’est ça ? - Il me semble, bref pousse ton corps, j’ai besoin d’une douche ! - Hey me pince pas ! - ...Agathe, est-ce que tu ne crois pas qu’on devrait prendre le temps pour en discuter plus sérieusement ? - Je ne vois pas de quoi tu parles... À ces mots, j’avais quitté la salle de bains et avais commencé à m’habiller. Elle comprit vite et n’insistait pas, pensant sûrement que ce n’était ni l’heure ni le lieu propice. Après avoir mangé, Petrov rassembla l’équipe composée d’une vingtaine d’hommes, nous y compris. Il nous avait remis nos armes de poing, prêté un gilet par balles et un casque tactique. Nous avons été répartis dans des groupes différents. Sarah était dans le groupe Beta, j’étais dans le Delta. Je n’avais pas envie de contester et je comprenais qu’il voulait aussi nous avoir à l’œil. Diviser pour mieux régner c’est une loi immuablement efficace. Des radios feront office de liaison permanente. Quelques tests plus tard et nous voilà dans trois véhicules et un blindé léger qui aura ouvert la route. On se croirait en guerre. C’était impressionnant. Le portail s’ouvrait en grinçant de toutes ses rouilles, la barrière fut promptement levée, pendant que le disque solaire au loin, se dressait doucement dans un mouvement parabolique. La journée était claire, belle mais d’un froid mortuaire. Dans la jeep, je discutais avec Mikhail le conducteur, les autres étaient silencieux dans leurs cagoules. Il parlait un anglais maladroit, mais je comprenais qu’il venait d’être promu brigadier après trois longues années de service et fier de sa section. Il n’avait pas de petite amie. « Quand on fait ce boulot à cet endroit c’est que l’on est soit célibataire à l’issue de l’école, soit on veut gagner un peu plus d’argent. » Dans son cas c’était les deux. « Les femmes, ça attendra » et il rit fort avant de reprendre « mais il y a vous. » J’en ris nerveusement et nous discutions encore assez longuement, secoués par les aléas d’une route abandonnée où bientôt le rythme musical apposait un silence nordique dans l'habitacle. La main ferme sur la poignée latérale, je nous regardais nous enfoncer dans une forêt sous une aurore bleue limpide teintée d'or orangé où les étoiles étaient encore là, gelées et suspendues, dans une nuit lointaine. Il y avait un je ne sais quoi de mystique, surnaturel et terriblement inquiétant dans cette beauté. Je ressentais nerveusement une profonde crainte en moi à mesure que mon regard se perdait dans le défilement furtif de ces arbres massifs. Quant à cette musique niaise, elle donnait à mon stress une dimension surréaliste, car depuis la fenêtre, le décors apparaissait saccadé, comme des spasmes névrotiques d'une transe démoniaque que des psychotropes auraient cadencée pour des yeux trop lourds. Mais il me semble... oui, il me semble... ou alors est-ce mon esprit qui manque de sommeil ? Avoir vu une ombre nous regarder depuis l'obscurité de ces bois. J'avais beau tourner la tête, la chercher brusquement, rien. Et c'est là que j'eus la certitude puisque dans le rétroviseur, je vis quelqu'un s'engouffrer lentement, avec un geste glaçant de croix, je pense, je n'arrive pas vraiment à me souvenir nous roulions trop vite.
  19. L’enquête menait nulle part, les vidéos étaient inexploitables, la moisissure en était pour quelque chose et le matériel limité dont disposait la section de police sur la base ne pouvait en soutirer une once d’éléments intéressants. Je me sentais véritablement coincée. L’unique piste sérieuse dont nous disposions, c’était le carnet de Romain. Sa dernière prise de notes mentionne Pripiat qu’il aurait visitée. Il raconte de manière assez intime et confuse ce qu’il y a vécu. Il évoque un Alexander Domovitch, fiévreux personnage si l’on en croit sa légende. Il y explique s’être mis à sa recherche après qu’un rêve « quasi réaliste » lui avait indiqué l’endroit où il vivrait au milieu de créatures mystiques. Il y détaille le songe, en se montrant assez précis sur l’homme. Il raconte sa discussion avec lui en des termes qui frise l’ironie. L’homme l’a nommé second disciple de la confrérie du silence, et s’est vu offrir des femmes avec qui il ne lésine pas sur la précision de ses ébats. Petrov m’en avait parlée, cet homme vivrait dans la ville abandonnée au milieu des radiations qu’il supporterait avec ses rites et ses démons à qui il rend des services et dont la réciprocité lui octroie un privilège, celui d’être exceptionnel, d’avoir des pouvoirs. En somme, il aurait vendu son âme pour quelques soi-disant miracles. Il en est ainsi, l’homme veut toujours une distinction supérieure, unique, la fameuse singularité. Un désir d’être Dieu ? Ma foi… Quoi qu’il en soit, Petrov avait décidé de sonder cette bourgade satellite de Tchernobyl. Et il ne cachait pas son inquiétude tant c’était extrêmement dangereux. Il redoutait davantage la menace que pouvait faire craindre des hommes sauvages, isolés dans le vide et réuni dans la fuite. On dit qu’il y aurait quelques centaines de personnes disséminées dans toute cette région, avec une propension inédite pour l’inhumanité. Une sorte de refuge d’aliénés. Sans me regarder au milieu de ce qui est devenu une cour végétale, sous ce toit crevé où le ciel était maquillé d’épais nuages gris et grumeleux, il regardait le sol en me lançant d’un ton grave et banal : « A vos risques et périls ». Sarah et moi, eûmes un air hypnotique, un flottement dans le temps avant de hocher la tête, comme si une énergie assez étrange, mystérieuse, quatrième dans notre conversation, nous poussait à dire un « oui » lourd, sans ressentir la menace des conséquences qu’une raison vous ferait admettre immédiatement. Nous étions anesthésiées, et l’ampleur des ténèbres qui nous attendaient, nous paraissait insignifiante. Petrov soupira et nous proposa de nous équiper, nous partirons demain matin à 5 h 00, afin d’éviter que la nuit puisse rogner le peu de jour qu’un automne voudrait bien laisser à notre investigation par ces latitudes. Je décelais un vrai désir de vengeance qui pouvait se lire dans les yeux du commandant. Il y avait assurément dans son regard un esprit sanguinaire, avide et dénué d’âme. Un regard forcé, figé sur la pierre lisse qui comme voulant le percer, se concentrait dans l’obscurité. L’homme tué lui appartenait, il semblait être ici question d’honneur. Et Petrov déteste avoir tort. On lui avait pris son droit de commandement sur un homme. On lui avait pris une part de son pouvoir. De sa force. C’était personnel à présent.
  20. J'ai toujours souhaité avoir une robe bleu porcelaine avec de sublimes motifs floraux, Évasée, dont la forme creuse des stries réguliers évoque pudiquement certaines rondeurs. Reluire son corps d'un charme parfumé n'est pas un caprice féminin c'est une condition d'être. Encore faut-il qu'être soit l'art du savoir vivre. Car une robe est le chant du silence que les contours entonnent, Voyez-vous ce froissé, ce pli ou cet élan qui agite les parcelles de soie, de coton, ou de lin au gré du vent ? Et bien, ce sont ceux là qui nous rendent belles, messieurs. Ajoutez-y le tintement d'un bracelet, une démarche gauche -Encore que pas vraiment- un sentiment d'innocence, une prairie riante sous un soleil ni brulant ni froid. Nous voici qui avons votre regard. Savez vous que nous ne vivons que pour le soin de votre piteuse admiration ? N'avez vous pas vu notre insolente indépendance ? Elle vous cache notre désir de votre considération. Ourdissez-vous alors des complots pour nous séduire, et voilà que glisse une main rêche le long de nos cheveux bouclés. Intentionnellement, le travail que nous produisons doit au pamplemousse non pas l'amertume mais l'odoriférante fleur. Rougissez de honte, puisque ce n'est pas le mâle que nous attendons, mais le désir assouvi nous anime. C'est un diable. Édictant en véritable décret que l'amour ne s'offrira à vous qu'avec votre soumission à Narcisse. Le pacte est scellé. Toujours rampant, vous venez à nous, tel un insecte attiré par le parfum d'une mort sucrée, douce et juteuse. Balbutiant devant nous, votre force s'essouffle, vous devenez faibles, comme un arbre à qui on a corrompu ses racines. Là, vous tombez à genou, là votre gorge est nôtre, là on boit à l'orée de vos cœur, le sang chaud de l'amour. Amour dont le pacte vous a négligé le récit du mensonge. Car une fois dans les mords à quoi bon nous êtes vous utiles ? Nous ne sommes que comme les chimères d'Euripide, accessibles aux inaccessibles. Eux ont une chair plaine et gorgée. Coeur d'homme, vient à nous, car nous avons froid. Enlace nous de tes bras sanguins, veineux, irrigués par le sang...
  21. Circeenne

    Tu(eries).

    Monsieur le tzigane blanc, s'essaierait-il à l'univers de Lovecraft avec un zeste de stéganographie ? En tout cas j'ai pensé à Penny Dreadful en voyant Des Esseintes, ce fameux Dorian Gray dont je suis amoureusement effrayée. Il faut dire que ce monde me fait écho malgré moi car après lecture, il ne reste plus qu'à se tirer un coup de revolver ou aller se jeter en repentir au pied de Dieu...
  22. Ce qui s’est passé cette nuit m’a forcé à écrire. Je ne sais pas comment pouvoir l’aborder ni encore l’interpréter, mais j’ai bien vu cette chose. Il devait être autour de dix heures, et comme à mon habitude, j’étais encore au bureau à passer mon temps seule dans une pièce que j’avais moi-même aménagé comme une chambre. Ainsi, deux fois par semaine je m’arrangeais pour rester dans ce petit cocon chaleureusement calme, doux, embaumé de parfums floraux. À cette époque j’étais célibataire, je n’avais qu’un chat à nourrir et si je passais autant de temps à travailler, c’était surtout pour fuir mon lugubre démon qui m’emplissait d’une morbide désolation. Si dans les premiers temps j’étais très heureuse avec cette charmante solitude, ce fut, au fur et à mesure de mes rituels cycliques, terriblement morne. L’ambiance dépressive que je m’étais créée avec cette musique mélancolique, pesait sur mes épaules comme un lourd sommeil. De même, les tâches très procédurières dont j’avais la mécanique responsabilité, m’écœuraient. Je me hâtais donc de finir sans me soucier de la qualité du travail. Après tout qui irait vérifier ? Parfois, il arrivait que je me distrayais avec le vent d’automne. Je frissonnais d’angoisse à l’idée de me mettre à la place d’un de ces chats qui semblait avoir froid. Ou lorsqu’il pleuvait, je me figeais à regarder bêtement l’eau s’écoulait sur les panneaux vitrés comme une ensorcelée. J’aimais ça, et il n’y a pas de métaphysique là-dedans. Allez savoir ce qu’un Freud aurait pu dire de moi. Quant à la lune du mois de mai, d’ordinaire si belle, je lui tournais le dos et lui affichais mon indifférence la plus sincère malgré mon amour. Seule l’ennuie m’incitait à la surveiller, comme si je n’avais pas assez de charge, que d’ailleurs j’accomplissais mal. Plus tardivement dans la nuit, la fatigue captivait mon attention béate vers la tiédeur diffuse de ma lampe bigarade qui flambait sombrement. Je ne distinguais plus qu’une lumière lactescente. Je perdais la notion du temps, je ne voyais plus de détails mais que des formes grossières et sentais mon corps alourdi par la pesanteur. Je trompais ma paresse en lui promettant une meilleure oisiveté en lorgnant de loin, le filet de bave à la bouche comme un assoiffé du désert, le moelleux d’un canapé-lit qu’il fallait cependant préparer. C'était toujours mieux qu'un cuir crispé, rêche et trop chaud. Je bondissais alors tout en me déchaussant sans me laver les dents ni faire ce que commande la civilisation, mettre un pyjama. Point d'initiation, j’entrais dans le monde onirique comme un sac jeter du haut d’un bâtiment. Mou, grave et lâche. Mais quand le café agissait, je descendais à la salle des archives au sous-sol du bâtiment après avoir longé un long couloir qui me rappelait curieusement celui d’un hôpital. Je prenais soin de me rendre d’abord à la cafétéria dont le bruissement du réfrigérateur résonnait bien plus fort que dans la journée. Je rencontrais parfois des noctambules névrosés, qui comme moi, étaient accros au café tout en étant désensibilisés de ses effets. On y venait pour un gâteau au chocolat noir qui avait été placé ici par un commis de cuisine, nous sachant être des gens étranges mais des gens tout de même avec leurs vices. Cette marque d’attention me faisait plaisir. Lorsque nous étions trois, nous discutions assez facilement et longuement en riant fort comme si le monde était à nous. Ça nous avait stimulés pour nous revoir. Mais avec le temps, on finissait par discuter de la même chose et finalement brièvement. On se donnait des airs impératifs, on s’aidait à se croire pressés, fatigués, occupés sur un dossier difficile. Mais il n’en était rien. La vérité, c’est qu’on essayait de s’impressionner les uns les autres avec des misères. Que voulez-vous, il faut bien donner au vide de la consistance pour s’inventer un sens. J’avais conscience de tout cela et probablement que M. Ehrlich s’en doutait tout autant, mais il persistait assez pour me convaincre et avec un génie qui me charmait. Sublimez votre manque d’affection en s’affairant et vous paraissez surhumain. C’est cela la vraie perdition. Et bien j’ai été ainsi pendant très longtemps. Psychorigide, froide, pressée, occupée, « je ne peux pas sortir avec vous ce soir », je dois… Mensonges, mensonges, mensonges… Et quand on est trop seul on ne sait plus vivre avec les autres alors on les fuit tout en gardant suffisamment de distance pour savoir qu’on continue d’exister dans leur regard unanime et leurs commentaires cinglants. Et cela motive. Si l’on m’avait ignorée je serais sûrement devenue « normale ». Étrange paradoxe que celui qui veut que l’on soit proche en étant éloigné. Mais ce soir-là, j’avais vu quelque chose…
  23. Circeenne

    Luna

    Les souvenirs câlins couleraient après tes pas Luna ? Car la douleur s'efface et ne cesse de me faire rire. OUAF OUAF !
  24. Les yeux clos, le cœur agité, le sang bouilli, l’esprit s’essouffle, enchevêtré dans un sommeil obscur et sinueux. Ronde, la chambre qui tournoie, comme un manège affreusement blanc, semble dresser une spirale de janthine. L’âme s’y enfièvre dans le silence. Un grabat jauni et mal cousu sur lequel un livre de Shakespeare est ouvert à une page que je ne parviens pas à déchiffrer, attire mon attention. De là, j’y observe un verre laiteux, embrumé par le temps, posé sur une table de bois ronde dont on devine la vétusté, griffée par endroits, brûlée par d’autres. Qui vit là ? Un piano à queue dont il manque quelques touches, comblées par la poussière; trahit un raffinement d’autre fois. Cette bibliothèque, comme vidée à la hâte, vomit des livres déchiquetés. Quelque pas et nous voilà assise sur une chaise d’un osier grossier. D’ici, on remarque tardivement qu’il n’y a pas de porte et la fenêtre ne donne sur aucun paysage mais sur un ciel éternel et infini. Des étoiles, passent d’un bout à l’autre ou c’est que je tourne ? C’est à n’en point finir… Je crie… Je crie et encore et jusqu’à me vider de ma voix et éreinter ma gorge. Mais il n’y a rien qui fasse écho. Comment sortir ? Épuisée, j'attends le sommeil et je rêve que je cours dans une prairie riante où un pigeonnier trône sous un soleil vermeil. J'y entre et je tourne jusqu'à faire s'élever ma robe qui flotte à la façon des derviches. Une odeur douce, mielleuse, caresse mon âme et la vivifie d'un sentiment bleu. Je lâche, fatiguée, tombant sur les planches où me vient une nuit écrasante. Je marche alors dans une ruelle longue et ombragée, Cordoue paraît être ici. On y sent du jasmin, de l'oranger et même de la myrrhe. Un vieil homme conte une poésie: c'est un amoureux qui affronte tous les dangers pour sa dulcinée. Des enfants l'écoutent autour d'un feu. Les étoiles nous regardent et nous l'écoutons chanter ses vers en une langue ancienne que je ne comprends que par les élans sentimentaux qui me viennent dans la rythmique mystique rauque et saccadée de ses mots univers. Je ressens mais n'entends pas. Je vibre sans bouger et je suis en étant morte. J'oublie ma présence lorsqu'un encensoir libère une fumée à l'odeur âcre. Un frisson puis un spasme puis une force m'arrache de l'humaine condition pour me jeter au sol où on raconte m'avoir vu dire des mots qui n'étaient pas les miens. Ce dont je me souviens, c'est d'avoir rêvé, rêvé de l'océan, de l'orage et d'un arbre vert en haut d'une falaise où le vent mugissait comme le tonnerre. J'étais là, droite, un turban rouge à la main dans une robe écrue. Mon regard éteint, comme suspendu dans le néant. Le son d'une cloche me réveilla, ce fut un jet d'eau glacé qui crispa ma frénésie. Mais je repris ma transe. Des hommes forts aux mains d'ouvrier, me serraient comme une vis pour m'inoculer le poison morphéen. Je voyais le diable rire dans le coin, comme chaque nuit, car elle fut la même. Chacune de mes veilles fut une répétition de la veille ou je ne sais plus s'il s'agissait d'un cauchemar où je crois d'abord rêver et puis ensuite me réveille dans lui ou si c'était lui qui rêvait dans moi. Cependant, je savais que cela commençait toujours par une piqure, puis un spasme froid de crampes, avant un goût terriblement amer où la gravité amollissait tous mes muscles. C'était à ce moment que je fermais les yeux. Puis le réveil douloureux qui m'arrachait des entrailles une peine dont ma voix ne put rendre l'ampleur du mal... Je les entends encore venir. Les chiens, ils arrivent encore. Leurs pas graves dans le couloir, ces tintements métalliques que font les clés. Les voilà encore, les voilà que j'entends devant cette porte capitonné, les voilà qui sont là avec leur diable, non, non, je ne veux pas encore dormir, non,...
×