Sous-sol XIII
Je sentais une crispation froide remonter le long de ma colonne vertébrale. Je n’osais pas parler, comme si ma voix, en s’élevant, allait matérialiser l’angoisse qui nous entourait. Mikhaïl gardait les yeux rivés sur la radio, comme si sa volonté seule pouvait la forcer à parler. Le voyant lumineux battait au rythme d'une tachycardie. Igor regardait autour de lui, agité, arme à la main, prêt… à quoi exactement ? Nous ne le savions pas.
Nous fîmes quelques pas prudents. Le sol craquait sous nos chaussures, brisant le silence comme un sacrilège. Les arbres nous observaient dans un silence horrible, complices d’un secret qui n’appartenait pas aux vivants. Je me surpris à murmurer :
— Ils sont peut-être blessés…
Personne ne répondit. Même pas le vide. C'était lourd.
Nous rejoignîmes la grande avenue qui menait autrefois au cœur de la ville. Là où les photos d’archives montraient des enfants courant, des couples riant, des files d’ouvriers disciplinés. J'entendais leur joie, étouffé par le présent. Aujourd’hui, les bâtiments nous dominaient comme des ruines antiques. Les fenêtres étaient pendues et crevées par endroit. Les façades ouvertes comme des plaies. Je voulais caresser ce béton acre et rongé par le temps. Mais une bourrasque passa. Elle emporta avec elle une odeur étrange. Un mélange de métal et d’humidité… et un je ne sais quoi d’animal. De vivant.
La radio grésilla alors brusquement.
…ph…ra…
Nous nous immobilisâmes instantanément.
Mikhaïl… ici…
La voix était déformée. Déshumanisée.
Petrov ?! Petrov c’est vous ?! Répondez ! hurla Mikhaïl.
Il n’y eut qu’un souffle. Long et profond. Puis une série de sons étouffés comme si on froissait de l'aluminium.
Puis une voix. Oui. Une voix. Mais elle ne ressemblait plus vraiment à la sienne.
... Sommes pas seuls… C'est quoi ? Ahhh !
Un silence.
Puis quelque chose frappa.
Pas la radio.
Autour de nous.
Un bruit sec. Puis un autre. Comme si quelque chose venait de tomber depuis les étages supérieurs d’un immeuble. Nous levâmes instinctivement la tête. Rien. Juste la brume qui s’élevait paresseusement, comme si l’air lui-même hésitait.
— On devrait rejoindre l’Est, dit Igor. Tout de suite.
Sa voix tremblait légèrement et sa main tremblait, comme s'il savait.
Mikhaïl acquiesça. Nous reprîmes la marche, plus rapide, moins organisée. La prudence avait laissé place à l’urgence. Je sentais mon cœur battre contre ma poitrine comme s’il voulait s’en échapper.
Nous atteignîmes enfin la zone industrielle. Là où le groupe de Petrov devait être. La brume semblait plus lourde ici, presque palpable. Des silhouettes d’usines dévorées par la rouille se dressaient comme des cathédrales profanes.
Puis nous les vîmes.
Ou plutôt… nous vîmes ce qu’il restait de leur présence.
Leurs sacs posés proprement. Tout était alignés. Comme s’ils avaient été déposés avec intention. Aucun corps. Aucun bruit.
Rien.
Juste…
Un symbole dessiné sur le sol. Tracé avec une précision troublante dans la poussière. Un cercle rouge, des lignes blanches, et au centre… un mot.
Pas du russe.
Un alphabet ancien. Mais je le reconnus pourtant.
C'était nabatéen.
Le même prénom que sur le ruban.
Je sentis mes jambes vaciller.
Alors, la radio grésilla une dernière fois.
Et cette fois, il n’y avait aucun doute.
La voix était claire.
Froide.
Tu n’aurais pas dû descendre avec eux.
Puis plus rien.
Mikhaïl me regarda livide. Il avait cessé d’être un chef charismatique. Et après tout, les faits d'armes ne valent qu'auprès des mortels. Car il avait compris que quelque chose ici dépassait la simple humanité.
Et dans ses yeux, je crois que moi aussi.
Pourtant… je savais que nous n’avions plus le choix. Nous devions les retrouver.
Même si quelque chose, dans les tréfonds de mon instinct, me murmurait que ce n’était plus eux… que nous cherchions.
Modifié par Circeenne

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