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Tout ce qui a été posté par Criterium
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Il se réveille lentement, sans sentir son corps. Seules les paupières s'étaient animées. Devant lui, l'entrée du petit chalet, tout en bois; les étagères à un côté, la porte en face, une ouverture vers la pièce attenante à l'autre côté, à sa droite. En haut de la porte, un petit rectangle de verre triple-vitré laisse apercevoir le jour naissant — encore sombre — en pleine tempête de neige. Quelques flocons s'accrochent à la vitre. Est-il donc encore vivant? Il tente de mouvoir ses membres: c'est difficile, il sent l'inertie fantastique qui enveloppe encore son corps. Le froid; les courbatures. Une partie de ses vêtements s'est gelée durant sa marche désespérée de la veille. Lorsqu'il se relève, il entend cette glace craquer; et là où il se tenait, les planches du sol sont encore humides à cause de la neige fondue qu'il a amenée sur lui. — Le froid à l'intérieur reste supportable; l'isolation thermique du chalet est très bonne - il lui doit certainement la vie. Il ressent cependant un nouveau vide — tout au fond de son être, une sorte de griffe qui lui enserrait les entrailles: la faim. Alors il fait quelques pas pour réveiller petit à petit tous ses muscles endoloris; et seulement maintenant débute l'exploration du refuge. L'entrée n'est qu'une petite pièce, pensée presque comme un sas. À côté, il entre dans une pièce oblongue; il y a des banquettes de bois affixées à deux murs, formant un L; sur celles-ci, des couvertures à carrés rouge, blanc, orange. En face, quelques coffres. Sur le mur le plus proche, une autre fenêtre triple-vitrée laisse voir au-dehors l'étendue blanche et désolée du désert de neige — jusqu'à l'horizon, que l'on ne peut maintenant que deviner: la tempête glaciale redouble... Il grelotte devant le spectacle. La table affixée devant la fenêtre devait être utilisée comme un bureau, ou un poste d'observation. Au milieu de la pièce, à côté des banquettes, une table basse. — L'homme avance jusqu'à une nouvelle ouverture, menant à une autre pièce, faisant office de bureau et de chambre. Celle-ci est plus petite, étroite; le mur du fond est pourvu de quelques poignées: il s'agit d'un lit mural, que l'on peut mettre en position simplement en le tirant fermement vers soi. Ouvert, il occupe presque toute la pièce; fermé, l'on obtient un bel espace. Dans le mur d'en face, une alcôve dans laquelle des étagères ont été installées; celles-ci contiennent draps et literie. Il y a également un bureau en bois, et c'est seulement sur celui-ci que l'on décèle enfin des objets moins impersonnels: une rangée de livres; des romans d'exploration. À côté, dépliée, une carte topographique de la région au 1/25 000. Sur celle-ci, un calque est disposé, sur lequel ont été tracées - par une main clairement expérimentée - les lignes de relief: crêtes et thalwegs, ainsi que quelques points correspondant à des sommets montagneux. Un dernier objet a été laissé là sur le bureau: une longue chaînette en argent, supportant une gemme — un œil-de-tigre taillé en pointe: un pendule... Tous les tiroirs du bureau sont fermés à clef. La dernière pièce s'ouvre dans un coin de la chambre: une salle de bains très étroite. Le sol est surélevé, toute la pièce du plancher au plafond a été doublée par du plastique, pour retenir l'eau. Il n'y a qu'une douche, un lavabo et une étagère; sur celle-ci, de petites corbeilles pour l'organisation. — Il fouille celles-ci, peut-être peut-on en deviner quelque chose à propos de l'occupant du chalet. Peigne. Gel douche. Shampooing. Conditionneur. Coupe-ongle. Ibuprofène. Aspirine. Lexomil. Mélatonine. Une quantité impressionnante de somnifères. Coton-tiges. Brosses à dent. Dentifrice. Vernis à ongles. Brume corporelle. Rasoir (féminin). — L'occupante, donc. Sa faim redouble... il revient dans les autres pièces et se met à fouiller partout, dans les coins, et au sol, à la recherche de n'importe quoi... Après quelques longues minutes, il aperçoit quelque chose sous le bureau. Qu'est-ce que cette pochette oubliée sous le meuble? Il glisse la main et l'attrape laborieusement. C'est un petit paquet de viande séchée communément appréciée par certains randonneurs. Il l'ouvre aussitôt, malgré la date de péremption expirée depuis quelques mois. Les morceaux ont un goût poussiéreux, qui lui semble pourtant fantastique — une telle faim rendrait même le caoutchouc délicieux. Il dévore ainsi tout le paquet en un instant. — C'est seulement alors qu'il sent ses pensées s'éclaircir quelque peu, son cerveau se réveiller. Avait-il rêvé? Il ne se souvenait que d'une abysse noire et froide.
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Partie 1 - 2 - 3 - 4 - 5 - 6 Nos coups de fourchettes résonnaient dans la salle oblongue, et se mêlaient à ceux des tables voisines. De l'extérieur, il n'en avait rien paru, mais dans ce petit restaurant se donnaient manifestement rendez-vous un bon nombre des villageois. Ce lieu était lui aussi pittoresque. Ici, pas de carte; sur un tableau noir était écrit, à la craie en lettres d'écolier, les deux plats du jour, les deux entrées et l'unique dessert. Derrière le zinc, un autre tableau, celui-ci inchangé depuis longtemps - sans doute jamais effacé - recensait la carte des vins et spiritueux. L'on entendait les bruits de verres que le propriétaire était en train de laver, derrière le comptoir. Une femme brune, d'allure agréable, trentenaire, nous avait servi. Elle avait des mouvements dynamiques, cette vie contrastait avec le repos que l'on voyait autrement au village... Je remarquais bien, d'ailleurs, les regards des anciens s'éclairer lorsqu'elle s'approchait, comme si cette vie s'était en quelque sorte communiquée à eux et avait ravivée leur flamme. Je me dis que c'était sans doute tout à fait le cas, étant donné que les interactions sociales sont nécessaires à la vie, physiquement. Certainement, ce dynamisme leur redonnait de l'énergie. Et, d'une certaine façon, comme ces émotions sont transmissibles, nous nous sentions bien, nous aussi. — J'avais opté pour une salade de poulet grillé, au parmesan et aux noix. Nous dégustions un verre de vin rouge de la région, robe sombre, capiteux et long en bouche. C'était délicieux. Plusieurs fois j'avais senti les regards des autres se poser sur moi; je n'avais pas la sensation qu'ils étaient hostiles, mais surtout curieux de ma visite. Que faisais-je attablé avec le gendarme Jean? À une table, je vis l'artisan ferronnier que j'avais rencontré la veille, et nous nous saluâmes. Certainement ses comparses allaient lui poser un torrent de questions dès que nous finirions notre repas. — Une fois rassasiés et dehors, nous nous mîmes d'accord sur le reste de la journée. Jean était resté un instant à l'intérieur pour passer le mot à l'artisan-ferronnier quant au fait de se redonner rendez-vous ce soir à la mairie. Nous avions maintenant toute l'après-midi pour rencontrer quelques autres anciens. Quelques-uns étaient encore dans le restaurant, mais nous préférions leur parler un par un; c'est également plus aisé, de cette manière, de guider quelqu'un dans sa conversation avec quelques allusions, et il se confie plus volontiers. — Nous nous dirigeâmes vers une maison proche, au bout de la rue où nous étions. De la façade ne se dégageait pas la même impression d'un autre temps, comme ç'avait été le cas pour les bâtisses de la ruelle où habitait le maître d'école; là, les volets avaient été récemment repeints, la porte vernie... Le gendarme me dit qu'habitait là un ancien du village assez original. Il avait été chercheur — chimie, physique ou biologie, Jean n'était pas certain — et avait travaillé en ville, revenant les fins de semaine. Maintenant retraité, il restait au village et s'était découvert une nouvelle passion pour les papillons. On le voyait souvent çà et là, avec un appareil photo et un carnet de notes, à l'affût de nouvelles observations. — Nous avions tapoté à la porte mais aucune réponse ne se fit entendre. Nous attendîmes encore un moment; finalement, alors que nous nous apprêtions à partir, la porte s'ouvrit lentement et nous vîmes une femme sur le seuil. Elle nous regardait avec des yeux fatigués; de larges cernes y étaient creusées. Elle devait avoir 45 ans à peu près, l'on lui aurait donné moins si elle n'avait pas eu ce visage épuisé. Je ne savais pas s'il s'agissait là de son aspect normal ou si nous venions de la réveiller d'une sieste — j'hésitais: devais-je m'excuser? En reconnaissant Jean, elle esquissa un sourire. Même celui-ci était fin, n'avait mobilisé que peu de muscles; l'on sentait sa fatigue posée comme un masque sur son visage. Elle nous demanda si nous cherchions François. — Celui-ci était sorti avec ses appareils, sans doute avait-il profité du beau temps pour courir champs et collines à la recherche de nouveaux spécimens à observer. Nous la remerciâmes. — Nous nous étions alors dirigés à l'orée du village, peut-être pourrions-nous l'apercevoir. La forteresse montagneuse tout autour du village fonctionnait presque comme un amphithéâtre, il était possible d'observer dans toutes les directions à une belle distance, à part là où les bois et la forêt recouvraient les pentes. Et, effectivement, nous aperçûmes plus loin, à l'adret, la silhouette d'un homme en tee-shirt jaune - il était en train de prendre des photos, s'immobilisant, faisant deux pas de côtés, puis se penchant à nouveau sur son appareil. Nous nous approchâmes un peu, sans venir à sa rencontre - de peur qu'il fût occupé par un papillon que nous ne voulions pas faire fuir - mais suffisamment proche pour qu'il pût se rendre compte de notre présence. Un instant plus tard, il se releva et nous aperçut. Il nous salua et nous rejoignit. Il arrive. — "Bonjour messieurs!", fait-il d'une voix étonnamment grave, et un peu rauque.
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Super!
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Mystère :) (@Karbo: rien à voir avec la virée féline)
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Ses yeux brûlent. — La lumière reflétée par la neige est intense, aveuglante; l'œil croit déceler des couleurs douloureuses dans le champ blanc et bleu qui se confond de plus en plus. Alors l'homme baisse la tête et regarde le moins possible autour de lui, juste ce qu'il faut pour vérifier la direction de ses pas. Il sait également que la douleur optique est une illusion créée par le cerveau, lorsque chacun des deux yeux perçoit quelque chose d'éblouissant — fermez un œil, et la douleur disparaît. C'est pourquoi il s'aventurait comme un cyclope, alternant le côté par lequel il abaissait la paupière — un geste qui était devenu un réflexe; ses pensées, elle, sont lentes et faibles; il doit avoir la sensation que son crâne se congèle. — Chaque expir crée un petit nuage. Chaque pas, un crissement sur la neige. *crrr...* – *crrr...* – Partout, cette neige: — Les forêts de pins portent le fardeau blanc, disparaissent sous ce drap qui recouvre toute la région; les dunes ne laissent que deviner par leurs vastes courbes les marques du paysage enseveli. Il n'y a que là-bas, au loin vers le nord-ouest, que des falaises grises, trop abruptes pour accumuler les flocons, contrastent avec les alentours, immaculés. C'est le seul point de repère; alors il continue, continue, à traîner ses pas lourdement le long du chemin, la tête encore baissée. Il progresse lentement, la température est glaciale — et pourtant, le jour lui donnait déjà un coup de soleil sur le visage et les mains. C'est le grand contraste de ces déserts froids: le soleil ne réchauffe pas, mais il griffe les chairs... Il fallait faire avec: une fois la nuit tombée, il ne survivrait pas. Quelle heure est-il? Il ne le sait pas — Il ne peut pas s'arrêter maintenant, la seule option est de continuer sans relâche. Le silence est total, que seul les pas lents et réguliers emplissent — et semblent du même coup beaucoup plus bruyants, intenses. *crrr...* – Étaient-ce des heures ou des minutes qui se déroulèrent ainsi? Avait-ce été quelques instants? Le temps avait commencé à se confondre, passé, présent, il y a longtemps déjà, ou plutôt: tout à l'heure. Tout ça n'avait plus aucun sens. — Le ciel s'était assombri, et enfin la réverbération de la lumière sur la neige s'amenuisait. L'on discernait maintenant, en haut dans les cieux, le gris cendré duquel tombaient en voletant quelques nouveaux flocons, et, tout autour, les vastes étendues d'albâtre. — C'était simplement le temps d'une journée qui s'était écoulé; aucune autre mesure n'existait dans cette scène. Seule la Nuit s'y était invitée. Elle était venue sonner le glas. Toutefois... il s'approche enfin des parois sombres et nues. Là — le flanc de la montagne, à l'adret. À la limite de la plaine ensevelie, l'inespéré: un minuscule chalet partiellement enneigé. L'homme se rapproche, hagard et frissonnant. Une réserve d'énergie se réveille, et l'aide à continuer ses pas... malgré l'immense fatigue, et le nuage glaçant ses pensées. Vingt pas tout au plus... dix...; le voilà à la petite maison en bois. Les fenêtres sont en partie recouvertes de givre, tout autour des montants. Ses yeux brûlés discernent mal l'intérieur. Il arrive à la porte, sur une plateforme surélevée par rapport au sol, et alors seulement s'arrête et commence à déblayer la couche de neige qui en bloque encore l'entrée. Ce n'est pas très difficile étant donné qu'il s'agissait de poudreuse légère, mais ces quelques instants si près du but lui paraissent trop longs... Il met sa main sur la poignée... — Elle tourne! Les crissements ont cessé. L'homme n'a même pas détaillé du regard les pièces étroites; il a refermé la porte, s'est replié dans un coin du chalet, emmitouflé dans toutes les couvertures qu'il a trouvé sur les étagères disposées en face de l'entrée. Il laisse tomber à ses côtés le sac à dos, et, dans ce cocon agréable, laisse enfin son cerveau se brouiller et s'éteindre. — Il s'endort. — Allait-il La voir à nouveau dans ses rêves?
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Sous-sol VII
Criterium a commenté un(e) billet du blog de Circeenne dans Dans l'embrasure du trumeau,
Voilà qui répond ma question sur l'autre billet (si la victime était bien Romain...) :) Chère Agathe, tu n'aurais pas dû parler du document à Petrov. À mon avis il est bizarre! -
Sous-sol VI
Criterium a commenté un(e) billet du blog de Circeenne dans Dans l'embrasure du trumeau,
Et je me disais, qu'on peut même se demander s'il s'agissait réellement de Romain le youtubeur, le corps étant méconnaissable et la preuve formelle manquante... ...je fonce lire la partie 7. -
Sous-sol VI
Criterium a commenté un(e) billet du blog de Circeenne dans Dans l'embrasure du trumeau,
:o Le tueur de youtubeur nourrit de sombres desseins! -
Si! :) Tu peux changer l'ordre des billets, lorsque tu ouvres l'éditeur, à droite, il y a à côté du bouton "Publier immédiatement" une option pour changer l'heure et la date. Ça peut te permettre de les re-classer, ça sera plus facile à suivre effectivement! Sinon par défaut ça garde la date de la première fois où tu as ouvert le billet, et si c'était par exemple un brouillon débuté il y a un mois, la date d'apparition sera donc par défaut celle d'il y a un mois même si le billet de blog n'a été rendu "public" qu'aujourd'hui. Autre chose que tu peux essayer pour rendre ça plus aisé à suivre dans l'ordre, c'est de mettre le même nom et un numéro de partie, comme par exemple ce que l'on essaie de faire, moi & Circeenne. Par exemple: "Pascou et la Mouche. Partie 4", etc. — et tu pourras toujours changer les numéros plus tard si tu décides d'insérer des épisodes.
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Oh, ça y est, tu as ajouté un paragraphe et oui, il est suivi! Mystère :)
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Je me demande bien s'il sera suivi et par qui... (Est-ce que tu veux un mp comme l'autre fois pour les petits détails? Il y en a beaucoup moins, ça sera court) Ici notre machine à café est aussi bruyante, mais elle fait toutefois des cafés.
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Je rejoins Zelig, également sans suggérer une utilisation aucune de ces végétaux. Et effectivement, les amanites ne sont pas des plantes, mais des champignons, et elles ne sont — pour leur majorité — extrêmement pas recommandables pour une ingestion, car beaucoup d'entre elles sont bourrées de poisons mortels (différents types de peptides cycliques, en particulier l'alpha-amanitine, qui tue en quelques jours et à petite dose... tellement spécifique et efficace dans son action que l'on l'utilise en biologie moléculaire encore de nos jours). Même le fameux shaman sur Internet qui s'est fait connaître en gobant des amanites n'oserait pas le recommander pour des personnes normales. (Lien en mp) @Eldrid, c'est la première fois que je te vois détailler un peu plus tes croyances et pratiques et ça m'intéresse beaucoup. Peut-être que je devrais te mp moi aussi? :) — Dommage qu'il y ait tant d'interférences sur ce topic. @Logathore, je ne me considère pas comme appartenant au paganisme (ni au néo-paganisme), en particulier parce que je préfère la spiritualité individuelle à l'organisation religieuse — bien que je réalise que celle-ci soit une "chape" permettant la survivance de pensées, croyances, systèmes, techniques, et secrets ésotériques par-delà la perte des individus les ayant pénétrés, et donc une graine encore capable de germer et à la paroi bien résistante — et donc ça m'est difficile de "nommer" ce que je crois et ce que je vis. En revanche, je peux dire que je tourne autour de beaucoup de concepts et de personnes se rattachant plus au paganisme qu'à tout autre système. Le shamanisme est également fascinant — son étendue dépend de la définition pratique que tu en fais, toutefois. La définition la plus large serait que dans une société, le shamane est cet être possédant un secret lui permettant de communiquer avec autre chose (esprits, âmes, morts, Dieu, dieux) dans un état secondaire spécial induit par un outil et/ou un rituel, et que cette capacité/connaissance lui donne à la fois un pouvoir et le plus souvent également une prérogative en tant que responsabilité vis-à-vis de la société dans laquelle il opère. C'est par nature un praticien. — Comme pour moi tout cela dépasse l'utilisation de psychotropes, la frontière du shamanisme se brouille puissamment avec le domaine du mysticisme. — Et l'entrée vers l'Ailleurs comprend en potentiel le rituel religieux ou encore les sorties hors du corps. Voilà pour ma part. :)
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Chouette, la partie V est arrivée :) Tu fais durer le plaisir en nous faisant attendre la prochaine partie pour commencer les investigations! Je me demande ce que cache ce repaire satanique. Petrov avait-il commencé à examiner le périmètre dans la partie II pendant que nos héroïnes se faufilaient dans le manoir? J'imagine qu'il voudra bien les garder à l'œil... À part ça j'aime bien les non-dits du matin. Dirais-je - qu'ils habillent les soupirs.
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Partie 1 - 2 - 3 - 4 - 5 La porte de la maison était en bois massif, un bloc vieillissant qui avait dû être fixé là depuis des décennies. Nous étions dans une courte ruelle, approximativement parallèle à la rue de l'auberge, juste à côté; c'était là qu'habitait l'ancien maître d'école du village. Le sol était pavé irrégulièrement, de roches qui s'étaient arrondies avec le temps, au fil des pas. Pourtant, on aurait dit que personne ne devait jamais passer par ici. Nous tapotâmes à la porte; un bruit se distingua derrière la paroi et lentement s'approcha. Jusqu'ici la ruelle avait été tout à fait silencieuse, et j'avais l'impression qu'aucune de ces portes étriquées ne menait réellement quelque part tant le quartier paraissait pittoresque - les pas qui se rapprochaient indiquaient pourtant qu'il ne s'agissait pas de trompe-l'œil et de faux passages. La serrure cliqueta, et les gonds grincèrent légèrement. Dans l'encadrement se tenait un homme âgé, voûté, aux larges épaules. Sa stature restait impressionnante, malgré les années, d'autant plus qu'elle contrastait avec le fait que la porte fût relativement étroite. Le plus surprenant était surtout de voir ses mains massives; des mains de boucher. Il nous salua cordialement, serra la main de Jean, qui me présenta brièvement. Avec sourire, il me tendit alors la main: Michel, le maître d'école. Ce fut plaisant de voir qu'il n'avait pas hésité, et que cette fois je n'avais pas été dévisagé comme un étranger duquel l'on n'est jamais trop sûr... — L'homme était sociable. Il nous invita amicalement à l'intérieur. Nous entrâmes dans un petit salon encombré de vieux souvenirs. Sur une commode en bois, quelques bibelots, et quelques photos dans divers cadres. La pièce n'était pas très bien éclairée, les fenêtres étant petites et hautes. Les meubles étaient serrés entre eux: canapé, table, armoire à commode, fauteuils... — Je m'intéressai aux photos de la commode. J'y vis un portrait à l'ancienne de notre hôte, en buste, dans ses habits militaires; une photo de mariage, où l'on le voyait encore jeune, à côté d'une belle femme brune, se tenant devant le trumeau d'une église, tous deux entourés d'une douzaine de personnes en habits de dimanche; et une photo de famille, où l'on voyait trois petites filles qui devaient maintenant elles-mêmes être mères. Michel me vit observer les photographies et commença à m'expliquer chacune d'elles, avec cette joie de raconter les épisodes de sa vie que manifestent souvent les personnes âgées. C'est à la fois la solitude, et l'envie de lutter contre l'oubli, une sensation d'avoir quelque chose à transmettre, ou encore une envie de créer le lien; toutes ces raisons se confondent souvent avec l'âge — et entraînent ce sourire lent et sincère, typique, - ces envies de longues narrations autobiographiques. Il me dit que ses filles étaient grandes maintenant, qu'elles étaient toutes parties en ville — à dire vrai : à différents coins du pays; il ne les voyait plus très souvent, elles et leurs enfants. Il ajouta avec un grand sourire qu'il avait maintenant neuf petits-enfants. Son regret fut que sa femme ne soit plus là pour partager ce bonheur simple. Cela fait plus de dix ans, déjà... J'entendais comme des voix étouffées pendant tout ce temps; elles semblaient provenir de la pièce attenante. Au début j'avais pensé qu'il s'agissait de deux voisins discutant, mais le ton était monotone et continu, comme celui d'une radio laissée allumée. Remarquant que nous entendions, il nous invite à le suivre à côté, se proposant de lui-même de satisfaire notre curiosité. C'était une petite pièce, une sorte d'étude; là, sur un ancien bureau à caisson, en bois, surmonté de nombreuses étagères remplies de documents, un ordinateur était allumé, connecté par plusieurs câbles à quelques autres appareils. L'un des câbles menait jusqu'à un meuble disposé à côté du bureau — un scriban — comme pour le prolonger, et lui aussi enfoui sous de vieux dossiers, une rangée de disques vinyles... Je suivis du regard le câble; l'ordinateur était connecté à un appareil à cassettes audio. Celui-ci était allumé, et je pouvais voir la bande magnétique tourner à l'intérieur. Le signal audio allait directement à l'entrée-ligne de l'ordinateur, qui était en train d'enregistrer le son dans des fichiers audio; à côté des deux machines, une pile d'autres cassettes attendait leur tour. Je lis sur certaines "Chrome, 60minutes"; cela faisait longtemps que je n'avais plus vu de ces objets. Il y avait là des heures et des heures de conversations enregistrées. C'était difficile de suivre la conversation; on avait l'impression de deux personnes parlant de choses et d'autres, faisant référence à des endroits et des gens que je ne connaissais pas. Les voix parlaient lentement, ne se souciaient pas du temps. Il semblait qu'il s'agissait d'un échange sur l'histoire ancienne de la région et des quelques villages dans les montagnes. Le maître d'école nous expliqua qu'il avait enregistré beaucoup de vieilles conversations, des gens qui sont morts depuis; qu'il voulait les conserver, mais qu'il n'avait pas su pendant longtemps sur quel support les transférer, et gardait en attendant toutes ces cassettes audio. Récemment, son petit-fils était passé en visite au village, et lui avait installé un programme adéquat sur l'ordinateur, ainsi qu'il s'était occupé de toute la connectique. Depuis, Michel transférait petit à petit toutes ses archives sur des fichiers informatiques. Nous revînmes dans le salon. Je lui demandai combien de temps il avait été maître d'école. Il nous dit qu'il avait commencé jeune, à peine arrivé au village après ses études — il n'avait pas vingt ans... À l'époque, le programme était assez différent, il nous dit avec un sourire qu'il avait dû passer un oral de couture! L'on passait le brevet élémentaire, puis l'on étudiait pendant trois ans, à l'école normale primaire, les matières que devait maîtriser un instituteur: orthographe, histoire, arithmétique, mais aussi morale et pédagogie... Il nous montra dans un petit tableau le diplôme jaunissant: "Brevet de Capacité pour l'Enseignement Primaire", complété dans une cursive élégante, typique des anciens temps. — Malgré son jeune âge en arrivant ici, l'on était mûr à l'époque, fit-il. Il s'était donc rapidement fait sa place et attaché à cette région aux paysages si imposants. C'était également ici, à un bal, qu'il avait rencontré sa femme; ça avait été un mariage heureux, des années de vie simple à partager. — Ah çà, il se sentait bien seul depuis qu'elle était partie. La plupart de ses amis étaient eux aussi morts depuis. Connaissait-il Églantine, la fille du maire? — Il nous répondit que oui, c'était il y a vingt ans; il s'en souvenait très bien puisqu'elle faisait partie de ces derniers enfants auxquels il avait enseigné. C'était une enfant joueuse, agréable, une perle; un peu plus timide que les autres pour parler, mais toujours dynamique lorsqu'il s'agissait de gambader dans les champs ou de jouer à la marelle. Se penchant lentement vers une étagère d'un recoin de la pièce, il en prit de grands livres. C'étaient des albums photos avec de larges couvertures en cuir, un peu poussiéreuses. Il chercha, à l'intérieur, parmi les nombreuses photos de classe qui commençaient en noir et blanc... Et finalement il trouva, et nous en montra une en particulier. Une douzaine d'élèves étaient disposés en deux rangées, et Michel souriait au côté de la photo. Parmi la rangée de derrière, vers la droite, une petite fille se tenait debout et esquissait un demi-sourire. Elle avait de longs cheveux blonds, un gilet bleu sur une robe couleur crème. Je me surpris à penser que ses traits ne me rappelaient pas ceux de son père, M. Griboux; à vrai-dire, elle me faisait même plutôt penser à ce à quoi avait dû ressembler, petite fille... sa maîtresse. C'étaient sans doute les cheveux blonds. — Nous remerciâmes le maître d'école, et, remarquant sur l'horloge murale qu'il était temps pour nous d'y aller, prîmes congé de lui peu de temps après. Lorsque nous sortîmes de chez Michel, l'intense lumière du soleil me parut un grand réconfort... J'étais sorti de la petite maison avec cette émotion que l'on ressent après avoir regardé trop de photos anciennes: la nostalgie. Je sentais que Jean l'avait éprouvée aussi. — Au soleil... Je voulais vivre! Nos pas nous amenèrent hors de la ruelle, et alors seulement nous nous mîmes à parler à voix haute — — allons manger un repas chaud!
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Existe-t-il des religions qui autorisent le fait de tuer?
Criterium a répondu à un(e) sujet de Criterium dans Religion et Culte
L'objet de mon post est d'apprendre de nouvelles choses sur de nouvelles religions, car je sais qu'il y en a énormément qui sont ignorées ou passées sous silence dans le monde occidental. Par exemple toutes les diverses sectes basées sur l'hindouïsme ou le bouddhisme et dérivant parfois vers le côté obscur, les religions africaines et polynésiennes aux mœurs qui nous paraissent si étranges, les anciens paganismes en pagaille, etc. Or je me suis souvent posé la question du problème du meurtre de ses connotations religieuses, ne serait-ce que par l'intermédiaire du sacrifice humain, dont j'ai cité quelques exemples: Voilà. — Je ne doute pas que l'intérêt de ce topic est nul pour beaucoup. Pour ma part je pensais m'instruire, j'aurais dû deviner que ça allait partir en pugilat entre chrétiens et musulmans. C'était même pour cela que je voulais tout d'abord exclure les trois monothéïsmes du sujet, car tout le monde est beaucoup trop familier avec ceux-ci, et aussi dans leur vision-même de ce qu'est une religion. — Ceci-dit il y a eu des interludes, par exemple reparler des premiers chrétiens ou voir un cabbaliste chrétien à l'œuvre... Sinon pourquoi tu mets "mon prophète" entre guillemets et avec une faute d'accent? -
Partie 1 Partie 2 J'étais assise à la fenêtre, grande ouverte pour que le vent circule dans mon appartement et que la chaleur ne s'y accumule pas trop, et je sentais mon cerveau encore affecté par la veille. Oui: le réveil avait été difficile – puis la marche, le retour au petit matin – et maintenant j'avais toujours la sensation que quelque chose me collait encore à la peau, une chape lourde et immatérielle; – alors je m'étais douchée deux fois, je frottais avec le savon jusqu'à m'écorcher la peau; et, surtout, je commençais à nettoyer tout l'appartement, je voulais que toutes les odeurs d'hier disparaissent. À genoux, j'avais frotté le sol, dépoussiéré les coins, rangé ce qui devait l'être. De l'encens brûlait dans la pièce, purifiait à nouveau mon espace. — Toute la matinée avait été consommée par cette remise en état. Et maintenant, je me tenais là, à la fenêtre, le regard un instant dans le vide, un instant à observer la rue et ses passants. À sa fenêtre d'en face, un étage en dessous, je voyais l'homme bodybuildé, torse nu, enchaîner d'ininterrompues séries de pompes, infatigable. Je commençais à m'absorber à nouveau dans mes rêveries. L'effort physique aide à retrouver ses esprits; ça m'avait revigorée quelques instants auparavant; peut-être que le voisin aussi avait besoin de cela. Il avait l'air d'y être accro, ce n'était pour sa part plus une question d'aide mais une question de survie... — Je repensai au chemin accompli depuis la rencontre avec B. Je méditais sur la meilleure manière de procéder. Cela me dégoûtait, mais il me faudrait recontacter A. pour parvenir à la mandragore. — En fin de compte, il ne fallait pas tergiverser plus longtemps: il fallait le voir et le faire parler de ses pires expériences psychotropes. Je récupérai de mon manteau le petit morceau de papier sur lequel se trouvaient et son numéro de téléphone et son sang. — "Voyons-nous ce soir. F." Peu de temps après, je reçus la réponse: "À votre service, maîtresse". — Ou il me faisait marcher, ou il se plaisait dans un rôle de soumis... ou il était sous l'effet de substances, depuis hier soir ou déjà tôt au matin. Je ne pouvais m'empêcher de ressentir le dégoût de l'imaginer, déférent et servile, se baisser et incliner l'échine devant moi. Il était plus grand que moi, mais dans mon imagination je le percevais encore comme petit, très petit. C'est étonnant comment l'image d'une personne peut se modifier entre l'instant où d'autres nous en parlent, chacun à sa manière personnelle - du fait qu'ils le fassent en fonction de la nature des interactions qu'ils ont pu avoir jusque là, ce qui est très subjectif - et l'instant où cette personne cesse d'être un inconnu, se matérialise finalement devant nous. À ce moment-là, c'est notre première impression qui entre en scène et nous affleure; parfois ce que l'on nous a dit semble ne plus revêtir aucun sens, et l'on en vient même à se demander si nos amis ont des yeux pour voir. Ou alors, l'on se demande si ce ne serait pas plutôt nous-mêmes qui n'arriveraient pas à véritablement saisir la personne en ce qu'elle est, et l'on se retrouve à ciller des yeux, ajuster son regard, dans nos tentatives de résoudre le contresens apparent... — C'était ce qui s'était passé avec A. À vrai-dire, je savais déjà depuis l'histoire que m'en avait raconté B. qu'il s'agirait vraisemblablement d'un drogué tout acquis par ses muses artificielles, un être qui s'était maudit; mais je m'en étais tout d'abord créé une représentation de psychonaute typique, le curieux explorateur des montagnes, perdu dans ses recherches de sensations fortes et inédites. Présenté comme cela, pourtant, l'on imaginerait une certaine noblesse à la quête, le regard tourné vers le ciel des poètes noirs; l'analogie présentait une certaine force, n'avez-vous pas imaginé l'homme avec un grand bâton de marche à la main? - C'était, plutôt que les faits, cette vignette mentale qui avait pâti de la rencontre effective. Immédiatement, la montagne était devenue une abysse, non pas celle, immense, absolue, qui nous fascine par sa beauté létale, mais celle qui menait vers une décharge à ciel ouvert. Le marcheur descendait la pente à quatre pattes, dans le trajet en zigzag d'un fou. Il se traînait, et son aide-marche était un sac-plastique. — Finalement, il ne devait pas être si étonnant qu'un tel être ait une propension à se jeter au sol et à ramper vers un mirage. Ça correspondait à mon image mentale de lui... S'il voulait me voir dominante, son vœu serait exaucé. Je lui donnais rendez-vous en début de nuit. En revenant depuis le brouillard de ces pensées, je vis à nouveau le monde extérieur depuis mon poste à la fenêtre. Sur le rebord, j'avais déposé un cabochon sombre, une obsidienne. La brise me caressait le visage. L'homme avait maintenant arrêté ses exercices, et se tenait en face, sueur sur peau tatouée, reprenant souffle. Il me fixait et j'eus à nouveau la sensation d'être un spectre. Nos regards ne se détachaient pas. Encore une fois. Pourquoi me regardait-il ainsi? * La nuit est tombée: l'heure de la rencontre avec A... Il existe dans une partie de la vieille ville un escalier, étroit et long, qui commence au bout d'une ruelle; il mène dans les hauteurs, ses parois irrégulières suivent un tracé anarchique, en zigzag — parfois s'élargissant un peu, parfois rétrécissant, prenant tantôt une courbe pour finir par un espace aux murs plus réguliers. Peu de gens s'y aventurent. De là-haut, l'on voit la vieille ville, tout semble à la fois proche du regard, et pourtant lointain et silencieux. C'est l'un des nombreux secrets de cette ville, l'une de mes premières découvertes en arrivant ici. Au-delà, dans les hauteurs, l'escalier rejoint plus loin les chemins menant chez Erwain. Plus l'on monte dans les collines, plus l'on découvre certains de ces passages labyrinthiques... — Tout en bas, la ruelle débouchait sur le quartier festif et on y entendait les échos des soirées; il ne fallait gravir que quelques dizaines de marches pour que ceux-ci ne deviennent plus qu'un bruissement, puis disparaissent en un silence ouaté. En bas, une ombre avait dû s'arracher des groupes de fêtards; elle avait dû gravir les marches, avec effort... Il était l'heure, j'imaginais l'ombre dans son périple petit à petit s'approcher du sommet — et enfin, elle passa de spectre à vision, se matérialisa en une silhouette qui grandissait au fur et à mesure : C'est A. Il progresse lentement, vérifiant de brefs coups d'œil la sûreté de ses pas sur les marches suivantes; de temps à autre, il regarde plus haut, découragé d'y voir à chaque fois une montée ininterrompue. C'est ainsi qu'il s'approche petit à petit du niveau où je me tiens, droite, immobile. — Il s'arrête brusquement. Il vient juste de me voir, en arrivant quelques marches en contre-bas. Il a l'air terrifié. Nous nous asseyons dans l'obscurité de l'étroit passage et commençons à parler. — Il parle beaucoup, et tout d'abord de peu de choses intéressantes. La conversation phatique n'a jamais été mon fort, je préfère alors hocher la tête et garder un relatif silence. Lui remue souvent les mains pendant qu'il me parle de choses et d'autres, d'autres fêtes, de son arrivée dans cette ville, d'amis. À l'occasion d'un geste, j'aperçois la zone de son cou que j'ai mordue hier: l'on distingue bien, rouge, la marque des dents... Il me révèle alors l'histoire de la mandragore. — C'était une amie qui lui avait offert un grand livre dédié aux toxiques de Dame Nature. Ce livre était à la fois un manuel, un poème, et un herbier; tout était mélangé en une sorte d'œuvre d'art assez hermétique, alternant mots de science et de poésie. Chaque chapitre abordait une plante psychoactive différente, avec quelques chapitres spéciaux pour les substances extraites de champignons et de grenouilles. Je connaissais plusieurs de ces bibles sur les enthéogènes, celle-ci pouvait correspondre à l'œuvre de Dale Pendell; mais il ne se souvenait plus de l'auteur ni des motifs de la couverture. En revanche, il avait noté consciencieusement les noms latins de toutes les espèces et s'était donné pour mission de toutes les essayer. C'était ainsi qu'il était arrivé à Mandragora officinarum. Il me raconte qu'il avait tout simplement perdu trois jours de sa vie, sans garder souvenir de ses visions - ce qui était sans doute une chance étant donné ce que son sitter, Xavier, lui avait fait part de ses expressions terrifiées. Même par la suite, pendant quelques jours supplémentaires, sa bouche était restée affreusement sèche, et il avait eu des palpitations; ses pupilles étaient restées dilatées et il n'avait pu sortir que la nuit pour faire quelques courses, car la lumière du soleil lui faisait trop mal aux yeux: tout compte fait, c'était finalement une semaine entière qu'il avait perdu. Je lui dis en souriant qu'il avait eu de la chance que ça n'eût pas été Datura stramonium ou Brugmansia versicolor... Il me répond qu'il avait décidé après son expérience de ne plus tester les solanées. Comment avait-il obtenu la plante? — Il avait un ami scientifique; celui-ci faisait de la recherche en physiologie végétale. Dans le cadre de son travail, celui-ci se concentrait surtout sur une espèce de la famille des moutardes, très utilisée en sciences, l'arabette. Mais comme il avait toujours voulu ne pas se retrouver hyper-spécialisé alors qu'il avait abordé ses études en pensant pouvoir s'occuper de beaucoup d'espèces différentes — et maintenant se retrouvait la plupart du temps dans un laboratoire plutôt que dans la nature — il avait décidé de pallier lui-même à ce manque en apprenant à toutes les reconnaître. De fil en aiguille, il s'était engagé dans plusieurs associations répertoriant la biodiversité de la région, organisant de nombreuses explorations en campagne, ou encore parmi les divers écosystèmes particuliers des montagnes; il était devenu un botaniste expert, et un spécialiste de la flore des environs. Un tel ami était donc un compagnon très intéressant pour identifier et obtenir des espèces rares! — C'était ainsi qu'il avait eu ouï-dire que dans un bois, proche de la ville, son ami avait trouvé quelques beaux plants de mandragore. Avec quelques questions à l'intonation choisie, j'obtiens une idée approximative de l'endroit - c'était derrière la colline au Nord. Il me dit qu'il aimerait bien me montrer de nouvelles découvertes que son ami lui avait permis d'obtenir. Si je m'intéressais à la mandragore, celles-là devraient également me plaire; fit-il. Je n'avais pas confiance en lui mais malgré cela, je décide de le suivre. Autant la localisation approximative du bois pourrait me suffire, autant il avait pu mentir ou être volontairement imprécis; de telles cachotteries sont courantes dans le milieu des expérimentateurs de psychotropes. Idéalement je pourrais nouer contact avec l'ami chercheur. — Nous descendons l'escalier. De longues minutes de silence; seuls nos pas résonnent contre les murailles. Une fois presque en bas, un bruit de fond commence à se distinguer, jusqu'à ce que nous arrivons dans la ruelle menant au vieux quartier dans lequel les fêtards se promènent bruyamment. Nous nous frayons un chemin parmi eux, jusqu'à arriver, au bout de la vieille ville, pas très loin de chez Xavier, à son appartement. Nous entrons. Il habite au rez-de-chaussée et garde ses rideaux toujours tirés; le réflexe de celui qui veut éviter les regards inopportuns sur ses petites collections... L'appartement est de taille moyenne, le salon est assez spacieux, il y a à gauche deux petites pièces: cuisine et salle de bains. À droite, la chambre. Il y a une légère odeur, assez particulière; c'est un mélange de renfermé et de hashish. — Il s'excuse du désordre et me demande si je veux boire quelque chose; il a des bières, du whisky, des jus, de l'eau pétillante... J'opte pour cette dernière. Je n'avais pas envie que ça devienne une fête, ni de tester des substances, juste de parler un peu; je le lui dis, voulant être claire. Pendant qu'il va chercher les verres en cuisine, je parcours du regard l'ameublement. Une bonne partie vient de l'enseigne suédoise; je m'attarde devant l'étagère de salon sur laquelle repose un poste de télévision. Là, dans chaque compartiment aux formes irrégulières, étaient disposés quelques livres et DVDs. Ça ne m'étonnait pas d'y voir un bouquin de Terence McKenna; un peu plus d'y voir quelques documentaires animaliers. Quoique, derrière, les toiles d'araignée... — Il revient et nous nous asseyons sur le canapé en poursuivant notre conversation, moi toujours assez silencieuse, lui me racontant d'anciennes cuites avec des amis que je connais pas... Il s'est servi un double-whisky, on the rocks. Little rocks... je pensais aux autres cubes qu'il avait dû consommer. — Je souris en pensant que j'avais sur moi le cabochon d'obsidienne et je sentais que cette pierre devait avoir son effet; j'étais silencieuse et lui me révélant sa vie, me donnait quelques informations supplémentaires qui me seraient utiles en temps voulu. Ce ne sont que quelques indices, semés çà et là, sans doute loin d'être nécessaires; à vrai-dire, je m'ennuie de plus en plus. C'est comme si ma tête tourne. Il parle, il parle. Ma tête tourne. — Je regarde A... — Il sourit comme un gnome hideux. — Je réalise... - - - Salaud, tu essaies de me droguer. Ce qu'il ne sait pas, c'est que des rituels secrets m'ont endurci l'esprit, et ont augmenté la résistance de mon corps contre de telles substances; si la dose aurait sans doute affecté une autre fille jusqu'à la rendre inoffensive, soumise et prête à tout, elle ne m'affectait que marginalement. - Ma tête tournait cependant... J'avais préparé à l'avance un message, en m'apercevant qu'il habitait à proximité de plusieurs connaissances; sans doute avais-je senti la possibilité d'une telle embrouille — il me suffisait de l'envoyer. — "Viens chez A. S'il te plaît." Il s'agissait maintenant d'attendre en ne lui laissant pas voir que sa drogue commençait à agir. Il continuait à parler, cherchant sans doute à me noyer sous un déluge de conversation, d'anecdotes inintéressantes sur de précédents épisodes de sa vie peu reluisante. Il s'était rapproché de moi quelque peu, sans oser encore un quelconque geste. Manifestement il devait se dire qu'il n'avait pas préparé la bonne dose, ou alors qu'elle n'avait pas beaucoup d'effet sur moi; je le regardais avec des grands yeux sombres, et je savais qu'aussi, au fond de son être, il gardait une peur, la peur que se réveille à nouveau la vampire, celle qui hier l'avait dominé. C'était ça: il ne savait pas s'il était réellement maître de la situation. Tant que je le regardais d'un air impassible, il hésitait; si je le mordais du regard, il serait terrifié, dominé; si au contraire je relâchais ma garde, il avancerait ses mains hideuses... — De grands coups résonnent à la porte; A. s'immobilise, son expression de visage a changé et il paraît maintenant soucieux. Une visite inopportune... Il devait répondre toutefois. Cette vermine espérait sans doute juste que cela ne serait qu'un voisin égaré, un client en manque, ou telle autre visite aisément terminée. Lorsqu'il entrebâille la porte, je vois Xavier. Nos regards se croisent et c'est aussitôt comme si chacun de nous trois devient conscient de la situation immédiatement. A. tente de fermer la porte, en marmonnant qu'il n'avait rien ce soir, mais Xavier la bloque de son pied, la pousse grande ouverte, et lui crie dessus. — Je me dirige aussitôt vers lui, afin qu'il se tienne entre l'autre et moi. Le bruit me résonne dans la tête comme dans un tunnel, et le fait de m'être mise debout aussi vite contribue au grand tintamarre qui me déchire le cerveau. — "Ça va? F., dis-moi, ça va?", insiste-t-il. — "Oui. On part, s'il te plaît". Avant de partir, Xavier lui lance une dernière menace: "Si tu touches encore à un cheveu de ma copine..." — cela me fait bizarre. Se mêle maintenant au mal de tête cette sensation aigre-douce: à la fois je ne comprends pas qu'il se permette de me nommer ainsi, après un simple baiser; à la fois j'apprécie dans la circonstance qu'il se mette dans cette position du mâle protecteur, que je ne lui connaissais pas, et qui à cet instant me convient plutôt, d'autant plus qu'elle pourrait éloigner A. par la suite. Je n'avais plus besoin de A. - Nous sortons. Pendant le trajet, chacun reste silencieux; il me soutient avec son bras, poursuivant son rôle comme un acteur consciencieux. Je me laisse faire, c'est agréable; l'air frais de la nuit réduit mes douleurs de crâne. Assez vite, nous arrivons chez lui. Comme moi ce matin, il avait dû passer la matinée à tout nettoyer, car son appartement était à nouveau immaculé, l'air était frais, et n'y restaient aucune des odeurs de la veille. Nous nous asseyons sur le canapé et il sert de grands verres d'eau que je bois l'un après l'autre. — "Tu veux un aspirine?" — "Non, je ne sais pas si ça va interagir." Il tient encore son bras autour de mes épaules et me caresse le bras d'un air soucieux, en silence, attendant que je dise quelque chose. Après un moment, il me demande à voix basse ce que je faisais chez A.; je décide de lui répondre franchement, que celui-là possédait une information que je voulais, et que je l'avais extraite. Que je ne veux plus jamais le voir, et que je ne pensais pas que ça allait terminer comme cela... Je lui dis que je sais bien, au fond de moi, que si je l'ai mordu hier, c'est parce que j'avais tout de suite compris que je le haïssais. Il me répond qu'il ne lui faisait lui-même pas confiance, et qu'après ce soir il ne veut plus le voir non plus. — Pour changer le sujet je lui demande de me parler de sa journée. Il est heureux de me raconter et j'entends plutôt sa voix que ses mots; je veux juste penser à autre chose, quelque chose qui bercerait ce mal de tête qui persistait. Il me parle doucement; je sens sa main me caresser l'épaule, les cheveux; la joue...; s'enhardissant sans doute en voyant que je ne le rejette pas, il s'approche et pose son autre main sur ma hanche... serre doucement... — Je repousse son bras et lui dis que ça n'est pas vraiment le moment, et que j'aimerais qu'un ami à moi vienne me chercher pour me raccompagner. — "Viens chez Xavier. S'il te plaît." Le message envoyé, je me tourne vers Xavier. Son visage s'est un peu refermé; il a l'air triste. C'est comme s'il avait imaginé jouer son rôle jusque au bout, et que l'audition si importante avait été interrompue avant la fin... C'est l'air d'un petit garçon, le regard plein de tristesse. Aussitôt je ressens une forme de pitié, une tendresse presque maternelle. Je n'ai pas envie qu'il termine la soirée en déprimant à cause d'un geste mal interprété... alors je lui demande en chuchotant si tout va bien. Que j'apprécie énormément ce qu'il a fait pour moi ce soir. Qu'un prince ne cueille pas une demoiselle en détresse encore sous le coup de la pomme empoisonnée! - À chaque plante son heure de cueillette. Les saisons! Que j'étais telle une mandragore... Je le réconforte et le remet petit à petit dans le rôle maintenant plus simple; le rôle si convoité, désormais innocent... Nous nous embrassons, lentement... — La sonnerie lointaine nous fait revenir à nos esprits. Xavier se lève et va ouvrir; à la porte se tient B. qui le salue, très courtois. Je suis contente de voir que le premier, encore frissonnant du moment passé, lui manifeste de la sympathie et l'invite à entrer. B., toujours prenant des précautions de langage, entre en disant qu'il ne voudrait certainement pas abuser de son temps et occasionner de gêne. Il me salue simplement, comme si ç'avait été tout naturel de venir me chercher. — "Est-ce que tu peux m'amener chez Erwain?" Je sors. B. et Xavier échangaient quelques mots au seuil de la porte; je crois que Xavier demandait qui était la personne chez laquelle il allait m'amener, à moitié par curiosité et par envie de mieux me connaître. B. lui répondit concisément que c'était "de la famille". * — Micro-sommeils... Des visions vaporeuses me guettent sur le seuil de la conscience, puis se dissipent comme des volutes de fumée lorsqu'un courant d'air leur parvient. En rouvrant les yeux, je vois la lumière tamisée de la pièce, dans les tons oranges. Je vois la lumière de l'écran d'ordinateur sur lequel Erwain travaille tard dans la nuit. Un instant, j'imagine qu'il s'agit encore d'un rêve, comment autrement expliquer que ce druide à la longue barbe se penche vers un tel appareil, scrutant sans doute des colonnes de chiffres? Comment imaginer l'immense celte occupé par la nouvelle technologie, plutôt qu'à couper le gui? Sans doute m'a-t-il entendu me redresser légèrement sous la couverture, et appuyer mon dos contre le coussin du mur; il se tourne vers moi et regarde mes yeux refléter les lueurs de la pièce. Je souris; nous nous comprenons. Je crois qu'il avait dû deviner ma journée et sa quête, les errements de la nuit; fallait-il alors utiliser des mots? Il y avait ce lien occulte. — Après un certain silence qui ne nous avait aucunement paru long, nous commençons à parler; ou plutôt, nous chuchotons, comme s'il fallait s'adapter avec respect à l'atmosphère nocturne. — Je lui raconte le récit des événements, mes avancées. Je lui dis que la mandragore se trouve dans un bois derrière les collines du Nord, et que par ailleurs il y a un scientifique, un chercheur, qui est devenu expert dans la flore de la région et qu'il le connaissait peut-être? Il me répond que plusieurs bois pourraient correspondre à cet emplacement; comme ils étaient situés par-delà l'autre côté de la ville, il n'était pas si familier avec ceux-là, et donc il était tout à fait possible qu'ils abritent la plante. Nous pourrons les explorer très bientôt. Puis il réfléchit un instant, et me dit qu'il a par le passé rencontré quelqu'un qui pouvait être ce chercheur; ça n'était pas sûr du tout, étant donné que ç'avait été à une occasion étrange: une rencontre, décidée sur Internet, entre plusieurs personnes intéressées par l'occulte. Personne ne se connaissait, les discussions avaient été assez superficielles; la plupart semblaient plutôt préoccupés par l'aspect social. Ç'avait néanmoins été une après-midi plaisante. Son voisin de table s'était avéré être un biologiste, qui lui avait dit travailler sur les plantes et s'intéresser à la botanique. Ils avaient eu une discussion intéressante sur le fait que les avancées de la recherche n'étaient pas, comme l'imagine le grand public, des grands raz-de-marées ne laissant rien passer entre les mailles formidables du filet de la Science; mais plutôt des coups de burin dans une roche immense, où l'on progressait par à-coups, par pointes, dans les directions indiquées par l'agencement de la mine... — Il n'a pas ses coordonnées, mais il se souvenait à peu-près de son pseudonyme, et pourrait le recontacter par ce biais. Comme cela, l'on aura essayé les deux approches. — Micro-sommeils... Je ne me souviens plus de quand notre conversation a commencé et de quand elle a terminé; à nouveau en ouvrant les yeux, je vois les lumières oranges baigner faiblement la pièce sombre, je vois à nouveau l'écran sur lequel le druide travaille toute la nuit. Parfois je garde les yeux entre-ouverts, sans bouger, et je l'observe un peu, tout occupé à sa tâche; et alors, le corps immobile croyant s'être endormi, ma vue se trouble et s'y invitent des lueurs hypnagogiques, dansantes aux bords de mon champ de vision; cet état me paralyse et me plonge à nouveau dans les bras de la Nuit.
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Les trois premières lettres restent les mêmes, et forment le joli mot de Majesté. :)
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— "Il faut doubler les tours, comme cela les Blancs prennent le contrôle de la colonne d." — "Mais si le fou prend le cavalier en c3? On reprend et..." — "Non, non. On ne reprend rien du tout: intermezzo, échec en d7, le cavalier fait échec, et ensuite seulement les Blancs reprennent en c3." — "Oh." Un groupe de quatre hommes âgés se pressait autour d'une table sur laquelle étaient disposées les pièces d'un jeu d'échecs en bois, formant une position de milieu de partie, qu'ils étudiaient en commentant à voix haute les possibilités de chaque camp. De temps en temps, l'un ou l'autre illustrait ses propositions par une succession rapide de coups, attrapant et bougeant avec agilité les grandes pièces; puis il les remettait de mémoire à leur position initiale; les autres hommes comprenaient les mouvements vifs, à moitié en regardant l'échiquier et à moitié juste par imagination — les explications auraient parues hermétiques à tout novice. La pièce s'assombrissait au fur et à mesure, car le jour tombait et à l'intérieur seules quelques bougies étaient allumées; leur lueur vacillante formait des jeux d'ombres sur les murs, les tableaux et les meubles. Les hommes, réalisant que la nuit était tombée, laissèrent la position d'échecs et passèrent dans la pièce attenante, le salon. Quelques femmes y discutaient dans un canapé, surveillant de loin des enfants jouant sur le sol avec des morceaux de bois. Il flottait dans la pièce l'odeur d'un repas chaud. Alors tout le monde se rassembla autour de la table, et l'un des hommes — celui avec une longue barbe blanche — s'avança et le silence se fit. Il avait disposé quelques objets devant lui; il y avait une coupe d'argent, finement ciselée, contenant du vin; elle était posée sur une assiette d'argent. Il y avait à côté un petit bol, également en argent travaillé; le couvercle ne laissait pas voir ce qu'il abritait. Finalement, une étrange bougie, qui était constituée de deux bougies fines entrelacées l'une avec l'autre, blanche et bleue. L'homme marmonna quelques mots et se saisit de la coupe en récitant une prière, que tous écoutèrent; puis chacun se mit à rire... C'était un rire franc, cordial, et l'on se demandait si le rituel avait été une blague... — mais alors tous se turent à nouveau et l'homme marmonna d'autres mots en se saisissant du petit bol. Celui-ci fut passé de main en main; chacun le gardait un instant, et l'approchait de son visage; alors, en ôtant le couvercle, il inspirait les effluves de ce qui y était abrité - quelques épices... Certains en gardaient une pincée, comme pour faire durer le plaisir. L'on alluma alors la bougie; l'homme à barbe blanche approcha ses mains de la flamme, sembla les y contempler un instant; il but alors un peu de la coupe, marmonnait toujours et, y trempant un doigt, éteignit la flamme avec celui-ci, sans hésitation, comme s'il n'avait aucune peur de se brûler. Alors seulement l'atmosphère commença à revenir à la normale; il fit passer le vin dans les mains des autres hommes qui, chacun, y trempèrent leur lèvres. L'étrange magie de ce temps se dissipait petit à petit, comme si ç'avait été la fin d'une période à part, là où le sacré et le profane se rencontrent durant un instant. — Les hommes retournèrent alors dans l'autre pièce, l'étude. Ce fut le plus jeune qui poussa un cri d'étonnement: la position d'échecs était modifiée. Les hommes y reconnurent la même partie, après quelques coups. La nature de la position était complètement changée, et leur première réaction avait été non pas d'imiter le cri de surprise, mais de s'absorber dans la contemplation de cette énigme, retraçant mentalement les coups joués en leur absence et en comprenant maintenant toute la portée. — De longues minutes de silence passèrent autour de la table, avant que l'un d'eux ne se risque à exprimer tout haut ce à quoi tous pensaient: — "Donc c'est vrai... ha-Satan était là." Après une courte pause, l'homme à barbe blanche sourit, cherchant à briser la tension qu'avait engendré le phénomène impossible; et son sourire leur donna un peu de baume au cœur. Puis il articula très clairement ces mots: — "N'oublie jamais pourquoi nous rions... ce n'est pas seulement contre l'adversité, mais également contre l'Adversaire." Moi, petite fille, je me cachais derrière les rideaux, un frisson délicieux me parcourait l'échine; parce qu'à la fois je savais que j'avais bougé les pièces, avec art; à la fois je savais maintenant que j'avais bel et bien été dans Sa Main, et senti Son souffle hideux contre ma nuque.
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Tu reviens à la maison qui n'existe plus, Une odeur de cigarette te colle à la peau, Tu t'avances vers moi et bafouille des mots Que je ne veux plus entendre et jamais ne voulus. Tu me touches et ta peau me dégoûte, Celle dont les caresses jadis m'envoûtaient — Celle sur laquelle collent crime et déroute. Que tu les as consommés! - ce que je redoutais. J'imagine la sueur et la crasse sur ton corps nu Quelques heures plus tôt dans une hideuse bâtisse Se mouvoir obscène sur la prostituée charnue, En quoi eus-tu souhaité que j'en risse? Alors je pleure et tu cries, je crie et tu pleures; Ne me touche pas! — La peau que tu transgresses, il faudra que j'arrache; Mon corps me trahit alors que mon esprit se meurt; Ne reviens pas! — - Tel est le prix à payer l'une fois qu'on s'attache.
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Partie 1 - 2 - 3 - 4 Nous arrivâmes à la maison de "la Marie", après avoir traversé le village et longé le lac. C'était là, à l'orée des bois, que se tenait la bâtisse de petite taille, au toit rouge comme les autres, dont toutefois les contours présentaient une apparence plus défraîchie; ainsi une partie de la voûte paraissait être sur le point de s'affaisser, et par ailleurs une grande partie des murs était recouverte de lierre et d'autre plantes grimpantes. L'on voyait parmi elles de très belles fleurs oranges, de la bignone. À côté de la maison était entretenu un vaste potager; il y avait également en face de l'entrée une variété de pots en terre cuite pour la culture de nombreuses plantes. Dans l'encadrement de la porte la silhouette d'une vieille femme nous observait d'un air méfiant. Elle avait dû nous suivre du regard depuis que nous fûmes visibles aux abords du lac. Sa stature était voûtée, elle semblait néanmoins entière, faite d'un seul bloc, une impression que rehaussait sa vieille robe bleue. Sous de longs cheveux blancs frisés, son visage portait l'âge d'une manière qui m'impressionna, tant les traits étaient burinés. L'on sentait en elle une grande force intérieure — celle des paysannes et des sorcières. — "Holà, Marie!", fit Jean. Elle répondit d'un bref mouvement de tête, comme hésitant entre nous parler et simplement retourner à ses occupations en nous ignorant. Je me sentais tout d'un coup quelque peu gêné, et j'espérais que, ainsi placé en retrait, elle ne prenne pas trop ombrage de notre présence inopportune. Un instant passa avant qu'elle ne se réanime. – Finalement elle sembla disposée à nous répondre. — "Ah çà, Jeannot", fit-elle, avant d'ajouter après une courte pause: "Qui s'y est là le mônsieur?" Il me présenta rapidement, comme un collègue du "dehors" venu aider, lui et le maire, dans le cadre d'une recherche qui allait nécessiter d'analyser des documents historiques du village, et qu'il serait très appréciable de pouvoir s'entretenir par la même occasion avec les habitants connaissant bien celui-ci et ses alentours. En lui parlant Jean usait parfois d'un mot en patois qui m'échappait, je n'étais pas habitué encore à tous les accents de la campagne. La vieille femme me regarda de la tête aux pieds et semblait avoir décidé que j'étais une présence acceptable, puisqu'elle me salua; elle nous invita dans sa demeure. — Dès que nous entrâmes, une odeur de lavande nous enveloppa. À l'intérieur de la petite pièce qui servait de salon, et s'organisait autour d'une table en bois au milieu de la pièce, tous les murs étaient couverts de bibelots anciens, et autour de ceux-ci l'on voyait de nombreuses autres plantes dans des pots de terre. Elle nous fit signe de nous asseoir et se dirigea lentement vers une porte étroite dans un recoin de la pièce, qui menait vraisemblablement à une cuisine; un moment plus tard, elle était revenue avec quelques gâteaux secs et une théière ciselée, en métal. En définitive, elle s'avérait causeuse, car elle commença alors à nous conter sa vie. Elle était née ici, ses parents avaient connu la guerre. Enrôlé dans l'armée, son père était mort au front; sa mère avait attrapé la tuberculose et l'on l'avait soignée comme à l'époque, en faisant un trou dans le poumon et y mettant de l'huile — ce qui l'avait tuée peu après. Elle se retrouva orpheline, et ce fut alors sa grand-mère qui l'avait accueillie. Celle-ci était une ancienne; une très vieille dame qui connaissait encore les remèdes à base de simples et les plantes médicinales; toutes les deux maudissaient le docteur qui n'avait pas prêté gare à ses conseils et se moquait des cataplasmes de la vieille sorcière. — Comme le village évitait celle-ci à l'époque, la petite fille en souffrit également, souvent exclue des jeux de ses camarades; les moqueries revenaient toujours. Elle était devenue intouchable. "Môdite", grogna-t-elle. Alors, en grandissant, elle avait passé la plupart de ses heures de temps libre à apprendre le savoir de son aïeule, à s'occuper de ses plantes, à identifier et ramasser dans la forêt les types de branches qui serviraient aux emplâtres, à reconnaître les fougères dont le suc possédait des propriétés médicinales et se préparait en liniment. — Elle n'était pas sortie de l'adolescence lorsque sa grand-mère mourut à son tour, la laissant seule au monde. Elle garda la maison et vécut depuis de petits travaux, passant la plupart de son temps à cultiver ses plantes, et ses propres fruits et légumes — elle était végétarienne depuis plus de cinquante ans, nous dit-elle. — Elle n'avait jamais ressenti l'envie ni le besoin de trouver un mari ni de fonder une famille: son caractère s'était forgé aux marges de la société. Elle savait bien qu'aujourd'hui encore l'on chuchotait des choses sur elle, et ça la faisait rire que ces mêmes commères viennent la voir le soir ou la nuit, bien à l'abri des regards, lorsqu'elles avaient besoin d'une médecine ou d'un conseil. Oh, elle ne jugeait pas; toutefois, elle aurait bien souhaité que vînt à elle une apprentie-herbaliste, une jeune femme pour transmettre ses secrets aux générations futures. Elle se faisait vieille, dit-elle en finissant son histoire. Nous écoutions, prenant de temps en temps une gorgée de thé, hochant parfois la tête pour lui montrer que nous suivions la conversation. Au fur et à mesure de son récit, je commençais à me poser quelques questions et me demandais s'il y aurait une manière habile pour lui exposer sans paraître intrusif; c'était, en particulier, si elle pouvait nous éclairer sur la décoction végétale retrouvée, et si elle avait bien connu la fille du maire. — Jean avait dû comprendre, car il plaça, l'air de rien, un "Tu parlais bên un peu avec l'Églantine non?". La vieille femme acquiesça: oui, elle avait pensé que Églantine aurait peut-être pu devenir la dépositaire de son savoir, car elles s'appréciaient à l'époque et elle était la seule qui s'intéressât en effet aux plantes et à leurs vertus; son père, M. Griboux, ne le voyait pas vraiment d'un bon œil, préférant plutôt que sa fille passe son temps à travailler sur des choses utiles, lui souhaitant de se préparer un bon avenir et une bonne situation. Hélas, ses ambitions avaient été anéanties par le crime horrible... Elle n'avait que quatorze ans. C'était une histoire tragique. Après une pause, je lui posa alors l'autre question que je tentais de mettre en mots depuis: — "Est-ce qu'il existe un remède à base de sauge, rhubarbe, basilic et jasmin?" Elle prit un air sombre et j'eus l'impression d'avoir commis en écart. Je m'empressai de préciser que dans le cadre de mes recherches historiques j'avais eu vent d'un tel mélange, mais que ne m'y connaissant pas du tout en herboristerie, celui-ci me paraissait complètement hermétique, et que tout indice qu'elle pouvait me donner me serait bien utile; qu'au demeurant ça n'était pas nécessaire non plus, donc je comprendrais parfaitement si elle souhaitait ne pas divulguer de secret. — Un nouveau silence, insondable, s'était emparé de l'instant; pourtant, à nouveau, elle décida de me répondre, et je me répétais alors plusieurs fois ses mots: "Ça dépend de quelle sauge... Il faut utiliser de la sauge des devins; y joindre rhubarbe et sucre pour contrer l'amertume, et la macérer dans un thé épais de basilic et de jasmin pour obtenir un mélange qui donne le pouvoir de communiquer avec les animaux, la forêt, et l'au-delà". — Nous étions songeurs en longeant le lac, sur le chemin du retour; j'avais l'impression que certains aspects de cet affaire étaient liés d'une manière plus subtile que ce que j'avais imaginé à première vue. Je comprenais également pourquoi Jean m'avait suggéré de rencontrer la Marie en premier lieu; il savait qu'il y existait une relation entre elle et la fille du maire, une relation plus signifiante que celle que l'on trouve entre chaque habitant — dans ces villages, tout le monde se connaît. Une fois que nous fûmes hors de vue de la maison, Jean sortit quelque chose de sa poche pour me le montrer. C'était une feuille de basilic. Il l'avait cueillie dans un des pots, discrètement, ayant reconnu la plante; je pourrais l'analyser ce soir avec les autres indices que nous collecterions. Il nous restait encore du temps avant midi; nous pourrions aller rencontrer un autre ancien du village, le vieux maître d'école. Il habitait près de mon auberge — nous nous y dirigeâmes.
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Sous-sol III
Criterium a commenté un(e) billet du blog de Circeenne dans Dans l'embrasure du trumeau,
C'est vraiment chouette que tu écrives une série. :) Je vois apparaître chaque épisode sur le blog avec joie, ça veut dire que je suis addict!