La Porte de l'Enfer
de Rodin
Rodin et Henriette Coltat devant la Porte de l'Enfer en 1917
Par arrêté du 16 aout 1880, Rodin reçut de la direction des Beaux-Arts la commande d'une "porte décorative", pour la somme de 8 000 francs. Cette porte était destinée à un musée des Arts décoratifs que l'on projetait d'élever à l'emplacement de la Cour des comptes incendiée en 1871, là où se trouve aujourd'hui le musée d'Orsay. Le projet, apparu sous le second Empire, était très soutenu par le marquis de Chennevières, directeur des Beaux-Arts entre 1874 et 1878. Ce genre de réalisation a toujours un caractère prestigieux, ce qui peut rendre étonnant le choix d'un sculpteur encore peu connu à cette date. Mais l'artiste était très recommandé à Turquet par Maurice et Georges Haquette : en effet le premier était employé comme Rodin à la Manufacture de Sèvres, tandis que le second avait épousé la soeur de Turquet. Rappelons par ailleurs que le musée des Arts décoratifs n'était alors qu'en projet.
Projet pour la porte de l'enfer 1880-1881
Mine de plomb, rehauts de plume et encre burne sur papier collé sur une feuille de comptes
H30.5 x L15.2
Annoté sur le support, à la plume : panneau divisé comme celui-ci au lieu du panneau entier
Projet pour la porte de l'enfer 1881
Fusain, lavis gris et gouache sur papier beige
H55.7 x L 44.7
Annoté à la plume en haut, à droite : traverse saillantes
La porte devait être, précise l'arrêté de commande, "ornée de bas-reliefs représentant la Divine Comédie du Dante". Sans doute est-ce Rodin lui-même qui avait suggéré le sujet car on sait qu'il était de longue date un admirateur de Dante dont il avait toujours un volume dans sa poche. Avec l'enthousiasme, il se jeta donc immédiatement dans un labeur démesuré, la réalisation d'une porte de plus de cinq mètres de haut pour laquelle il modela des centaines de figures en ronde-bosse : celles-ci avaient pour but, entre autres, de montrer que c'est bien à tort qu'il avait été accusé, à propos de l'Age d'airain, de faire usage de moulages sur nature. Selon l'habitude de la direction des Beaux-Arts, cette importante commande lui valut l'attribution d'un atelier qu'il devait conserver jusqu'à la fin de sa vie, au Dépôt des marbres, rue de l'Université, près du Champ de Mars.
La porte de l'enfer 1880/1889-1890 - Plâtre réalisé en 1917 - environ H600 x L400 x P94
Première grande commande faite à Rodin, même si celle-ci n'aboutit pas véritablement dans la mesure où il ne la livra pas, la Porte de l'enfer peut être regardée comme le résumé de sa vie entière : elle l'a en effet accompagné tout au long de sa carrière dont elle reflète a contrario les périodes d'activité, l'artiste retournant à elle chaque fois qu'il connaissait un temps de répit ; elle révèle ses principaux centres d’intérêt, son admiration pour l'architecture gothique et la Renaissance italienne, pour Dante, Michel-Ange et Baudelaire ; elle est surtout la meilleure démonstration du pouvoir d'expression dont il dota le corps humain.
Beaucoup de ces figues sont devenues des groupes plus importants et distincts. Rodin a cédé avant tout au besoin de créer. Si elle devait être réalisée, la porte ne pourrait comporter toutes les figures que l'artiste lui destina. Elles sont là, innombrables, alignées sur des planches, auprès de la maquette de la porte, et elles représentent toute l'évolution de l'inspiration de Rodin, de ce que j'appelais "le journal de sa vie sculptée" avec son assentiment.
L'intérieur du Pavillon de L'Alma reconsruit à Meudon - détail vers 1916
Beaucoup de ces statues reçurent le statue d’œuvres à part entière, qu'elles aient été insérées ou non dans la Porte, en définitive.
A la fragmentation, à l'assemblage s'ajouta l'agrandissement, à partir de 1894 surtout. A elles seules, les Trois Ombres résument toute la démarche de Rodin : le groupe est en effet réalisé à partir de la même figure qui, répétée trois fois, et présentée de même en 1902 après agrandissement, apparaît sous trois angles différents, comme si, ainsi que le recommandait Rodin, on la faisait tourner pour en apprécier les profils successifs. Les vides prennent alors une importance qui compte dans la composition autant que les volumes eux-mêmes, tandis que la verticale insistante des bras conduit le regard non plus vers l'inscription qui donnait son sens, à la composition "Lasciate ogni speranza, voï ch'entrate", puisque les mains qui la tenaient ont disparu, mais vers le Penseur, Dante ou peut-être Rodin lui même, méditant, comme Victor Hugo "Après une lecture de Dante", sur le monde halluciné issu de son imagination géniale :
"Là sont les visions, les rêves, les chimères ;
Les yeux que la douleur change en sources amères,
L'amour, couple enlacé, triste et toujours brûlant,
Qui dans un tourbillon passe, une plaie au flanc ;
Dans un coin la vengeance et la faim, soeurs impies,
Sur un crâne rongé, côté à côte accroupies ;
Puis la pâle misère au sourire appauvri ;
L'ambition, l'orgueil, de soi-même nourri,
Et la luxure immonde et l'avarice infâme,
Tous les manteaux de plomb dont peut se charger l'âme!"
(Les voix intérieures, 1837)
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Sources : Livre Rodin La porte de l'enfer du Musée Rodin
Hommage aussi à ma Théia qui a une grande admiration sur cette œuvre :blush:
Sans oublier ma Voilacté en qui j'ai eu honneur de la voir en sa présence et qui m'a offert ce magnifique livre
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