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Circeenne

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Tout ce qui a été posté par Circeenne

  1. Ce matin-là, la brume était épaisse et les nuages bas. J’avais une très mauvaise mine, ce que me fit remarquer Sarah. Je ne bus qu’un café. Durant le trajet, je n’eus de cesse de penser au cauchemar de la veille. Je n’étais pas superstitieuse mais ma mère m’avait élevée avec certaines croyances, et notamment le fait qu’il est bien plus de choses imperceptibles que de choses visibles. Une sorte d’iceberg métaphysique. Tellement convaincue de cela, que Saint-Exupéry me susurra que l’essentiel est invisible pour les yeux, seul le cœur voit vraiment. C'était une manière de trouver là une porte vers la foi, et de là, tout devient plausible. Que pouvaient donc signifier les divers éléments du rêve ? Une araignée, une toile, un homme sans visage, du sang. Était-ce un avertissement ? De qui et pourquoi m'avertir de quoi ? Je devais être très stressée par ce que j’ai vécu durant ce séjour qui entama le début de la deuxième semaine. Nous arrivâmes au milieu de la forêt devant une espèce de grotte où était camouflé un sas blindé. Petrov disait qu’il s’agit de la porte 4 d’évacuation. La seule à n’être pas condamnée, du moins pas vraiment condamnée. Il se présenta devant, prit un écrou qu’il vissa sur un manche métallique et ouvrit le verrou qui s’actionna avec difficulté. Le son d’un engrenage d’acier déverrouilla la porte qui devenait malléable. On actionnait le volant rouillé et nous pénétrâmes dans le noir. Nous illuminâmes nos torches et vîmes de vieux documents au sol, de la poussière mêlée à de la graisse, des caissons estampillés des sceaux de l’URSS. L’atmosphère témoignait d’un départ précipité et l’air était irrespirable. Il y avait une odeur de moisissure très prenante. Je n’eus d’autre choix que d’utiliser un mouchoir de soie parfumé que j’avais toujours avec moi. La profondeur du bâtiment m’inquiétait. Ma lampe fixa un panneau qui semblait être un plan du « secteur delta ». Ça paraissait grand et on voyait qu’il rejoignait le bâtiment principal au moyen de trois galeries. Le schéma semblait simple. Je pris une photo pour me repérer dans le cas où je me perdrais, cependant Petrov m’intima l’ordre de l’effacer. J’hésitai mais je dus m’y contraindre. Ma mémoire s'y substituerait. Il commanda de ne pas se séparer en expliquant que le lieu présentait des instabilités architecturales. Une des galeries était inondée quand une autre, trop fissurée, pouvait s’effondrer à tout moment. Il ne restait donc qu’un seul passage que nous empruntions. La lenteur de nos pas s’expliquait par le fait que nous scrutions tous le moindre graffiti, même Petrov semblait en découvrir quelques-uns. _ « Comment se fait-il qu’il y ait eu des gens ici ? » demandais-je hébétée, montant ma lampe de haut en bas pour contempler le street art parmi lesquels certains suscitaient agréablement mon attention. _ « Ils ont dû y avoir accès par le bâtiment principal, l’accès est ouvert » répondait-il frustré de son incapacité à endiguer ces parasites qui cherchaient ici un calme pour l’expression. _ « Cet endroit est donc régulièrement visité ? » une question qui restait en suspens avant : _ « Oui, nous n’avons pas les moyens de le surveiller tout le temps », dit-il froidement et d’un ton agacé. Je me tus un instant avant d’être intriguée par la présence d’un sac à dos boueux, posé là, au milieu des bouteilles de bière blanchâtres. Il semblait plus récent que le reste des effets que l’on pouvait trouver ici. J’appelais Sarah qui attira toute l’équipe. On l’ouvrit et on y trouva deux caméras, un carnet, une bouteille d’eau encore scellée datant de l’an passé, un trousseau de clé avec un pendentif « t’es le boss » et d’autres effets. J’étais très étonnée mais je n’avais pas de doute, c’était les affaires de Romain. Petrov s’empara du sac et le fit mettre dans la voiture pour analyser les images des caméras. Je contestais cette initiative, prétextant que l’enquête était sous l’égide d’Interpol. Après avoir lâché un sarcasme puis un rire jaune en me faisant comprendre que j’étais ici l’invitée obligée, Petrov me demandait de bien vouloir ne pas gêner la procédure réglementaire ainsi que les habitudes de ses lois. Je n’eus d’autres choix que de me plier à ses contraintes dominantes, lesquelles le confortaient dans son autorité. L’homme est ainsi, il marche droit, il lui faut non pas l’approbation de l’autre mais sa soumission quand il est investi d’un pouvoir. Je sentais alors de la joie secrète dans son cœur et il devint paternaliste avec moi, me touchant l’épaule en me disant d’un ton plus doux : « vous comprenez ». Je ne compris rien mais je demandais à voir les vidéos des caméras et à en obtenir un double. Il grommela « bien sûr ». Nous continuâmes et arrivâmes au manoir. On sortit dans le hall qui était dans un délabrement si avancé que la nature avait fait de ce lieu son habitat privilégié. Je voulus enquêter dans tout le manoir. Petrov m’affirmait qu’il ne valait mieux pas, que l’endroit était habité par de drôles de créatures. À ces mots je restais stupéfaite par sa réaction et j’ironisais amèrement que le soldat tué à l’entrée avait certainement été le fait d’un « esprit dérangé ». Ce jeu de mots dégoûta tout le monde, même Sarah. Petrov exaspérait de mon humour ou d’avoir oublié un fait aussi grave, se mit à vouloir trouver le coupable. Selon lui, il était possible qu’il soit dans la ville abandonnée à 25 kilomètres d’ici. Des gens vivaient encore là-bas reclus dans la solitude et le sectarisme, un repaire de criminels en fuite.
  2. Je vis Petrov au bout d’un couloir qui discutait avec deux hommes en civil, le teint très sérieux. La scène avait quelque chose de très lugubre. La lumière artificielle s’exerçait au-dessus du triangle qu’ils formaient. L’un était adossé au mur se caressant le menton, très à l’écoute de ce qui se disait, les deux autres parlaient au centre du couloir. Ils usaient de leur main à mesure qu’ils s’exprimaient à tour de rôle. Le fond du couloir était plongé dans une profonde noirceur. La pluie lumineuse mettait en avant ces personnages qu’on aurait cru être tout droit sortis d’une peinture de Hopper. Il l’aurait probablement nommée : solitude mélancolique en parlant de ma démarche lente que l’on verrait du point de vue de Petrov, me faisant face. M’ayant remarquée, il me fit un signe de la main pour m’indiquer de patienter et prit un des hommes par le coude pour l’inviter dans l’angle où ils s’isolèrent de ma vue. Seule la personne dos au mur resta là à me fixer d’un regard que je dirai perplexe. Une chaise trônait en compagnie d’un banc où je m’asseyais sous le regard inquiet de l’individu qui penchant cette fois-ci la tête comme pour me voir autrement. J’attendis gênée ainsi une vingtaine de minutes, après quoi je le vis saluer les deux hommes et venir vers moi d’un pas pressé. Il s’excusa de m’avoir fait attendre et plaisanta sur les hommes d’affaires dont l’ambition se borne à l’argent. Il me raconta rapidement que leur projet voulait bénéficier d’une couverture militaire pour une nouvelle forme de tourisme qui se veut être palpitant, chargé émotionnellement en visitant des lieux insolites comme une ville désertée après une catastrophe nucléaire. Aux yeux d’un voyageur encadré, guidé et désœuvré, l’armée accentuerait l’imaginaire que l’on souhaite prêter aux lieux. La visite deviendrait immédiatement quelque chose de singulier, menaçant, impérieux. Le silence de la présence du soldat paraîtrait être une dialectique qui affirmerait la tragédie de la catastrophe en même temps que l’exclusivité de se voir déambuler ici, là ou jadis des gens moururent atrocement. Marcher dans ses pas, se sentir en danger et bénéficier d’une protection, c’est se voir attribuer un pouvoir qui fait de vous un homme qui compte. Finalement peu importe l’histoire, seule compte l’émotion que l’on sait en extraire, et avec, l’argent que l’on génère dans la stimulation que l’on provoque. Cette réflexion me fit aborder le sujet qui nous préoccupait, deux morts pouvant être en lien. Je demandais une visite du sous-sol de la bâtisse. Après un lourd silence qui me fronça mes sourcils et m’incita à demander autrement, je pus obtenir de m’y rendre demain à la première heure. Cependant il semblait qu’il y avait un « mais » consubstantiel à l’acquiescement de Petrov. Il ne dit rien. Je fus inquiète et restai avec ce mauvais sentiment toute la nuit. Je rejoignis Sarah dans la chambre que j’avais surprise dans le noir devant l’écran de son ordinateur. Elle leva la tête comme embarrassée et m’accueillait avec un sourire de circonstance. Je pris place près d’elle, voulant voir ce qui la captivait tant et je ne vis qu’une furtive alternance lumineuse. Elle avait changé d’interface. En bonne femme ou en bonne flic, je lui demandais ce qu’elle faisait et me répondit vaguement : « rien de spécial, j’erre sur le net. Petrov, ça a donné quoi ? ». Soupirant je fis la même réponse, « rien, il nous balade ». Je gardais le silence sur les deux hommes que j’avais remarqués. Sa main se hasarda sur ma cuisse qu’elle caressait. Fatiguée, j’étalais mon dos sur elle en contemplant le faux plafond. Sa position sur le flanc m’incommodait. _ « Tu vas dormir habillée ? » _ « Ce ne serait pas la première fois » _ « Attends, je me range, pousse ton corps » _ « Je suis trop lourde, lève moi » Une pique aux côtes et un spasme me mirent debout aussi promptement que je l’eus sentie. Je me déshabillais avec une lourde paresse en ne gardant que les sous-vêtements puis m'ajustais près d'elle. Ma peau frôlait la chaleur de la sienne. _ « J’aime ton parfum » me dit-elle sur un ton enjoliveur avant de poser sa tête sur ma poitrine. Entre elle et moi, il y avait très peu d’amitié, une bonne dose d’amour maternel, un brin d’inceste, un fort lien platonique mais surtout un je ne sais quoi de saphique. On échangeait quelques baisés innocents, des tendresses et on s’évanouissait dans le berceau tiède des regards lumineux. La fatigue m’avait crucifiée. Me remarquant dans cet état, elle m'engourdissait en me murmurant à l’oreille toutes sortes de gentillesses dont la fièvre des mots qui irradiait cette zone sensible, illumina en moi une envie d’éternité. Je vis ainsi les heures passées sans en sentir l’effet. Je me levais alors pour boire une eau fraîche en prenant soin de ne pas la réveiller. J’ouvris la porte de la chambre, longeai l’immensité d’un couloir taché de sang brunâtre à la limite du noir. Je vis des araignées qui nichaient au plafond et des fenêtres brisées. Je marchais dans ce liquide qui me montait aux chevilles. Un homme à l’allure forte me prit par la main férocement et me jeta par la fenêtre où je tombais dans les filons d'une toile géante et collante dont je pus me libérer qu’avec peine. Subitement, je m’enfonçais avec terreur dans une forêt vivante, cherchant à me happer où que je fus. Je trouvais finalement un refuge derrière cette porte de fer calcinée où je vis sur le revêtement de l’intérieur du couloir des signes sataniques. Un homme fut assis au fond d’une pièce emplie de bougies crasseuses. Il tuait tranquillement des araignées nombreuses avec un calme plus effrayant que celui provoqué par ces animaux dont les crochets étaient proéminents. Il se tournait vers moi, je ne vis aucun visage, se leva et se précipita vers moi… Le réveille retentit à 06 h 00… L’angoisse était terrible au réveil, je fus estomaquée par l’horreur de ce qui s’était produit dans mon imagination. J’avais un très mauvais pressentiment quant à la suite des événements.
  3. Petrov ordonna d’appeler une ambulance. Je parlais en même temps que lui pour dire d’éviter de marcher tout près du corps afin de relever d’éventuelles empreintes. Personne ne tint compte de ma suggestion ou presque. Les soldats commençaient à regarder divers éléments dans et autour du véhicule. Sarah était partie avec deux hommes vers la forêt d’où nous étions venus. Ils ne remarquèrent aucunes traces autres que celles que nous avions faites en venant. À leur retour, un violent éclair projeta furtivement sur nous une lumière bleu électrique, suivi d’un tonnerre assourdissant qui déchira le ciel d’où se déversait avec une force cataclysmique, une eau froide et vive. L’eau ruisselait sur nos visages et eut tôt fait de nous tremper en peu de temps. Le sol devenait de plus en plus visqueux et une odeur désagréable me vint de je ne sais où. Cependant, je m’approchais pour voir de plus près ce corps qui la bouche et la gorge ouvertes s’emplissaient d’eau, diluant le sang qui s’écoulait dans une rivière pourpre vers une plaque d’égout non loin. Je fis la remarque à Petrov que l’individu ayant commis cet acte ne pouvait pas venir de la forêt s’il n’y avait pas de traces. Je me basais certes sur de fugaces observations avant la pluie mais mon intuition émettait l’idée que le tueur aurait pu venir de la forêt par les galeries s’il connaissait l’endroit, et aurait donc pris une entrée extérieure. Au vu des usages de cet endroit, il me paraissait logique qu’il existât non pas une mais plusieurs issues de secours. L’individu aurait ainsi cheminé par le manoir depuis la forêt. De plus, la position du corps m’interpellait. Je continuais d’expliquer à Petrov le fait que ce jeune homme se trouvait à environ deux mètres de la portière côté conducteur, et que la radio diffusait encore sa mixtape qu’il écoutait faute de compagnie. Ce qui indiquait qu’il était sorti de la voiture à un moment donné, car comment égorger quelqu’un dans son siège sans qu’il ne se défende. Je fis remarquer que son arme était d’ailleurs dans son holster. Il avait été alors surpris. Et étant donné que la jeep était garée en bataille par rapport au bâtiment, il aurait donc vu venir une personne sortant du manoir. Car si le tueur était venu par le côté passager, il ne l’aurait certes pas vu mais aurait laissé des traces sur le sol. D’après Sarah, il n’y avait rien, ni pas ni pneus autres que ce qu’on a laissé. J’en déduisais alors que ce jeune soldat avait dû se rendre vers l’individu qu’il avait vu et engageait une conversation ou du moins c’est ce que laissait croire ce mégot de cigarette que l’on trouvait plus loin dans la pelouse. D’un geste, Petrov analysa le mégot et me regardait étrangement. Petrov me demandait alors d’expliquer comment ce soldat aurait pu se faire tuer sans se défendre. Je répondais qu’il devait connaître probablement la personne ou que celle-ci était d’apparence à faire confiance. Il me dévisageait d’un air très supérieur et en me présentant le mégot devant les yeux, ajouta : « ou alors c’est une femme. » Il y avait en effet du rouge à lèvres sur le filtre, le même que celui que je portais. Je ne savais pas quoi dire. C’était impossible qu’une femme vienne à bout d’un homme aussi grand et pesant au moins 90 kg. Petrov demandait à chaque groupe qui s’était absenté plus d’une demi-heure. Dans celui de Sarah, ce fut un soldat qui éprouvait un besoin pressant mais il n’excéda pas une quinzaine de minutes en ayant stoppé le groupe qui l’attendait non loin de lui. Dans celui de Petrov, aucune personne ne portait du rouge à lèvres et ne s’était absentée. Dans le mien, c’était moi. Je m’étais absentée pour observer des arbres et avais bifurqué vers le bunker où j’avais appelé Petrov. Celui-ci me demandait alors de bien vouloir procéder à une analyse comparative dès notre retour, chose à quoi je ne m’opposais pas bien que je fusse très amère d’être suspectée. En attendant l’ambulance qui arrivait, je demandais à Petrov de pouvoir aller photographier quelques éléments à l’intérieur et prélever du sang séché que nous avions précédemment vu. Je m’y rendis sous bonne escorte. Entre-temps, nous recevions un appel radio nous indiquant que les tests ADN corroboraient. La victime était bien Romain. De retour, je fus conduite au centre de détention provisoire de la police militaire qui m’interrogea pendant des heures durant et préleva ma salive. On me mit la pression sans rien lâchée et je me sentais coupable malgré moi. On me posait un tas de questions, sur mon enfance, mon célibat, mon chat… mais aussi sur le document que j’avais découvert. J’étais contrainte de collaborer pour éviter davantage de soupçons. Je le leur ai donc remis sans qu’il me fût donné de justification en lien avec la mort du jeune homme. Trois jours plus tard, on confirma, l’ADN était bien masculin. L’individu avait ainsi voulu brouiller les pistes. Petrov était venu s’excuser mais je me montrais compréhensive. J’expliquais que cela devait être planifié et que le meurtrier pouvait savoir qu’il y avait des femmes qui enquêtaient ici. Il devait être parmi nous, en ces murs. Petrov n’était pas d’accord. Il connaissait les gens de cette base mieux que quiconque mais il n’excluait pas l’idée. Il me fit remarquer que l’individu aurait bien pu fausser l’enquête sans savoir que Sarah et moi étions présentes. En effet, cela faisait sens. Reste à savoir si ce meurtre est en lien avec celui de Romain et si le meurtrier était là, tapis dans l'ombre. Sans tarder vers 17 h 30, je me rendis au complexe hospitalier de la base pour connaître les causes et circonstances de la mort de Romain. Le médecin m’expliquait qu'il était difficile d'établir un constat objectif tant le corps avait été altéré par le temps mais il semblait être persuadé que la mort avait été provoquée par une importante perte de sang liée à une saignée. Mais nous n’avions pas trouvé près du corps une flaque séchée ou une marque évoquant ce que j’ai pu voir pour le soldat. Il avait été donc tué ailleurs. Sûrement l’endroit où Sarah avait vu une tache de sang. Le médecin m'indiquait encore qu'il manquait des organes, le coeur, un rein, les yeux et la langue et les testicules. L'ablation était précise selon lui et n'avait pas laissé de marque sur la charpente osseuse. L'expérience d'une personne qui était savante. Je le remerciais et m'en allait voir Petrov.
  4. Salut ! Effectivement, j'en suis une vraie fan. Merci d'être passé :)

  5. Circeenne

    Sous-sol VI

    Reste à savoir s'il s'agit réellement du tueur en question...
  6. Nous nous enfonçâmes avec précaution dans la forêt où la bruine nous surprit. Nous nous arrêtâmes tous les dix pas pour scruter l’environ à l’aide de nos torches mais la visibilité était très mauvaise et le sol glissant. Il m’arrivait de finir sur la cuisse en foulant une mousse trop humidifiée. Malgré les conditions, nous continuâmes à avancer. Je découvris alors une sorte de fosse naturelle qui serpentait sur plusieurs mètres et jusqu’à disparaître dans le brouillard. Je me disais qu’autrefois, elle aurait pu être le berceau d’un ruisseau mais il n’y avait pas de traces passés d’un possible cours d’eau. De grands arbres bien distancés en délimitaient le pourtour. Leurs plus larges racines sortaient de terre pour former des arcs épais qui crochetaient ce dénivelé où quelques pierres lourdes avaient trouvé un refuge hasardeux. Je n’avais pas vraiment de connaissances topographiques pour pouvoir être catégorique sur mon jugement mais à regarder de plus près, cet endroit, me paraissais trop régulier et à taille humaine pour avoir été moulé par la nature. Bizarrement cela m’évoquait une tranchée. Je posais alors la question à un des soldats s’il y avait eu ici des combats durant la seconde guerre mondiale, il me répondit avec un air dubitatif qu’il n’en savait rien. Je n’insistais pas davantage et on suivait ce chemin en regardant dans toutes les directions sans en voir la surface. Je suggérais donc de former une ligne de marche de sorte à pouvoir ajouter à notre champ de vision les deux côtés manquants de la surface. Nous marchâmes ainsi longuement. Par moments, je laissais aller le groupe en m’attardant sur ces arbres gigantesques et massifs qui ajoutaient de l’ombre à l’obscurité. J’y jetais mon rayon de lumière de la base à la cime pour n’y voir que des paréidolies subtiles mais surréalistes. Ces formes menaçantes avaient l’air de mettre en garde qui s’aventurerait ici pour troubler le repos des esprits. Je devenais subitement très superstitieuse et mon imagination s’élançait dans divers scénarios horrifiques. Transi par des sentiments désagréables, je me mis à rejoindre les autres au pas de course. Sur le point de les rejoindre, la cavité perdit subitement de sa profondeur et attira net mon attention. Je vis sur ma droite, légèrement plongée dans la brume diffuse, un enfoncement quadrilatéral bien en évidence mal épuré par la végétation qui lui avait donné une épaisseur veloutée. Ce me parut très étrange et mon doute quant à l’aménagement humain de ce terrain s’amenuisait. Pour être sûre, il me fallait voir de plus près. Avec mon genou et en m’aidant d’une racine froide et mouillée, je me hissais en dehors de cette cuvette. J’avançais dans un espace quasi lunaire. Aucun bruit, aucun animal, c’était comme un vide profond et effrayant où seul la bruine clapotait sur les branchages et le sol velu. À mon grand étonnement je remarquais que l’enfoncement était bien une structure immergée. Cette forme particulière ne pouvait être que celle d’un bunker. Mais il n’y avait aucune entrée seulement quelques meurtrières oblongues. Il y avait certainement d’enfouie une ramification de galeries. Je saisis mon talkie et m’adressais à Petrov pour mieux comprendre l’histoire liée à cette région. Il me répondit que le propriétaire avait fait construire un abri pour se protéger contre une attaque nucléaire. Je fus très étonnée et je réfutais ces propos en affirmant que ce n’était pas assez profond pour cela et qu’il y avait des meurtrières, éléments militaires servant à éliminer l’infanterie. Il fut vague et me pria de ne pas m’éloigner de l’objectif. Mécontente, je demandais à savoir, j’enquêtais sur un meurtre dans une zone militaire et je fus catégorique. Je ne voulais pas que l’on me cache des choses. Ce manoir ne devait pas en être un. Je lui parlai alors du document que j’avais initialement trouvé sur le corps de la victime. Après un soupir, il restait silencieux et attendait la suite de mes propos. Je sentais son agacement et cela a calmé mes ardeurs. Je repris avec douceur que le meurtre pouvait être en lien et que je n’étais pas là pour troublait les affaires intérieures du pays, mais une enquête biaisée ne peut pas être une enquête efficiente. Il m’expliquait alors que ce terrain est en effet un terrain militaire classé top secret durant la guerre froide et servait de base tactique de lancement de missiles balistiques contre de potentiels ennemis européens ou situés outre-Atlantique. Le bâtiment avait des allures de riche habitation afin de tromper les avions espions. Je le remerciais de ces éléments et demandais à pouvoir m’introduire à l’intérieur. Il se peut que Romain y ait pénétré et laissé ces effets personnels, car il avait l’habitude de passer la nuit dans les lieux insolites qu’il visitait. Petrov refusait fermement, assez pour que je m’avisasse de toute récidive. Un long silence radio mima une guerre de position. Je réfléchissais et repris en argumentant qu’il fallait que nous travaillions conjointement pour résoudre cette affaire au plus vite sans quoi la famille de la victime ne pourra jamais faire le deuil, sans trop de succès. Mais Petrov fut plus sensible à l’idée que l’Europe sera certainement solidaire envers l’Ukraine quand la Russie irait encore presser quelques territoires obligés de l’époque soviétique. Elle se montrerait ainsi reconnaissante. Petrov se tut et me priait d’attendre un moment, il allait en référer à ces supérieurs. Quelques longues minutes plus tard et sous certaines conditions que j'acceptais, Petrov m’annonça qu'il me guiderait dans ces galeries souterraines mais que je devrais m'abstenir de toutes photos. L'orage se mit à mugir et il fallait interrompre la recherche à l'extérieur, la pluie nous y aura contraint dans tous les cas. Le vent se levait et agitait les branches des arbres qui semblaient vouloir nous envouter dans une danse lourde et lente. Nous nous regroupâmes avec énergie vers l'avant du bâtiment où nous fîmes l'amère découverte d'un soldat sauvagement égorgé. Une énorme flaque de sang brune gisait sur une terre mâchée par la pluie. Nous étions tous stupéfaits...
  7. Circeenne

    Sous-sol V

    Merci du commentaire :p Gare à la suite...
  8. Sarah dormait encore quand le réveil se mit à vibrer nerveusement. D’un coup imprécis et brusque, j’y mis fin. La lune avait disparu. Il gisait dans la chambre un silence bleuté et une vapeur de souvenirs étranges. J’étais restée quasiment éveillée toute la nuit en regardant le plafond, songeant aux soupirs rêveurs de Sarah ou en m’attardant les yeux fermés sur un bruit extérieur de provenance inconnue, parfois les pas lents et crépitants d’une sentinelle sur un gravier voué à signaler la présence d’un individu. La nuit ne m’avait été d’aucun repos, elle me paraissait lourde et caféinée. Je me sentais groggy et nébuleuse mais je ne voulais plus dormir. Derrière les rideaux, on distinguait l’allumage progressif de réverbères jaunâtres et l’extinction des projecteurs de sécurité. Cette technique permettait de faire croire à un changement de garde dans la base mais je restais sceptique quant à son efficacité. La chambre n’a ainsi pas été plongée dans les ténèbres naturelles tout le long de la nuit mais avait baigné dans une sombre lumière artificielle. Je sortais lentement de la couverture en restant assise au bord du lit. Ma tête était pesante, je voulais la soutenir avec toutes mes mains avant de me raviser pour saisir mon téléphone qui affichait 05 h 11 et trois e-mails. Je me décidais à prendre une douche froide avant toute action m’impliquant dans ce monde. Je me dis qu’il fallait réveiller Sarah qui dormait paisiblement. J’hésitais à lui mettre la main sur son épaule découverte et luisante. Je finis par le faire, elle se mit à se tortiller mollement en prenant une inspiration profonde. Je me dirigeais déjà vers la douche en me déshabillant. J’allumais la lumière blanchâtre de la chambre qui était brutalement étincelante. L’eau glacée me mit d’aplomb et acheva de me sortir de la pénombre. Tous mes sens se mirent à retrouver instantanément leur vigueur fonctionnelle. Je ne pris pas le temps de m’attarder et en serviette je vis Sarah qui avait déjà l’œil vif. On se regardait furtivement sans se parler. Elle me succéda dans la douche en me frôlant la peau. Je suivis passivement son élan avant de me décider à me changer vu l’heure qui s’approchait du rendez-vous. Pour cette fois, nous devions suivre les consignes vestimentaires liées à la sortie sur zone contaminée afin de se protéger contre les radiations. Je n’y croyais pas trop… Mais à Rome faisons comme les romains, me disais-je. Je revêtais ainsi une sorte de combinaison légère, gris-vert foncé, qui avait l’élégance militaire des forces spéciales. On se sentait plutôt à l’aise à l’intérieur. Sarah me surprit avec une remarque sur la moulure de mes formes qui semblaient être mises en évidence. Ce pourquoi d’ailleurs j’étais très dubitative quant à la qualité salvatrice d’un tel vêtement. Je lui répondis de se dépêcher chose à laquelle elle s’exécuta promptement. Nous n’évoquions pas l’événement de cette nuit, comme si nous faisions semblant de l'oublier. Nous ne paraissions pas mal à l’aise mais on ignorait volontairement le sujet. Habillées, la chambre rangée, nous traversâmes le même endroit que pour se rendre au mess avec silence et énergie. Dehors le ciel froid et terne semblait promettre une lourde averse. Nous rencontrâmes Petrov qui avait un air plus grave qu’hier. Nous échangeâmes quelques salutations, il nous ouvrit la porte du réfectoire qui était à moitié rempli. Des officiers nous regardaient paresseusement quand d’autres discutaient déjà avec entrain. Nous rejoignîmes la queue, prîmes un bol de café, du pain, du beurre, des raisins et du miel pour ma part, les autres prirent des céréales. L’enfance n’est jamais trop loin ou c’était moi qui vieillissais. Petrov me fit remarquer qu’il y aurait quelques changements météo, la pluie viendrait plus tôt que prévue et cela gênerait l’enquête. Nous commencerons donc par investiguer à l’extérieur dans le pourtour du manoir. 06 h 45 nous embarquions dans les jeeps. Petrov était avec nous en tête de convoi. Trois voitures quittèrent ainsi la base et s’engouffrèrent dans la brume matinale. Nous roulâmes plus lentement que d’habitude, on ne voyait rien à 5 mètres. Bringuebalant tout le long du trajet, j’en éprouvais la nausée. Je me consolais avec la deep house qu’avait mise Petrov à faible volume, suffisamment pour que le moteur soit plus perceptible que sa mixtape. Cela m’étonnait de lui. Il fallait bien qu’il se divertisse aussi. J’imaginais malgré moi des vacances dans un bleu topaze, en voyant des surfeurs, des vagues et boissons fraîches. Mais cette image m’a vite rappelé que je n’aimais pas la stupidité superficielle de la Californie peuplée de blonds imbéciles heureux. Cette pensée me fit admettre que j’étais vieille fille et que je méritais mon chat, mes livres et mon thé du dimanche. Je soupirais à en attirer l’attention de Petrov qui me lançait un regard en me demandant si ça allait. Je répondis que oui et tournais la tête vers l’épaisseur du brouillard qui nous enveloppait. C’était effrayant et excitant à la fois. Sur la banquette arrière, Sarah discutait depuis le début avec les deux soldats. Ils évoquèrent une diversité de sujets que je ne saurais tous les énumérer. Ce qui m’a marqué ce sont les gâteaux de la mère d’un des soldats. Ils semblaient promettre un vrai régal, Sarah avait noté la recette, je le lui demanderai. Nous arrivâmes enfin après 55 minutes de route humide fracassée par l’érosion. L’endroit semblait tout droit sortir d’un film d’horreur. Le manoir était à peine visible sur sa façade où la lumière des phares accentuait la réverbération et rendait l’environnement atrocement brillant. J’avais peur de me perdre ici. Parfois un oiseau me surprenait et me rendait nerveuse. Je devais cependant me concentrer afin de travailler méthodiquement. Nous nous répartîmes donc la tâche. Nous avions espoir en le lever du soleil qui devrait bientôt nous aider. Le mysticisme de l’endroit me fit comprendre pourquoi tant de symboles ésotériques et sataniques avaient été trouvés ici. Il n’y avait qu’à regarder autour de soi pour être subjugué par cette atmosphère lugubre, emplie d’un reflet du monde des enfers. Ce calme, ce sol collant, cette végétation difforme, ces ruines fissurées et éventrées par endroit, cette odeur de cimetière et ce vent léchant la cime des arbres, masquaient une hostilité dans une ombre invisible. Le diable habitait ici. Pour travailler efficacement nous nous séparâmes en trois équipes de quatre selon un plan cardinal. J’eus le côté est du manoir, Sarah prit le côté ouest et Petrov irait au sud. Un soldat restait à la devanture pour garder les véhicules et être au contact de la radio. L’investigation pouvait commencer.
  9. Circeenne

    Mandragore. (3)

    Très bien écrit :)
  10. Circeenne

    L'épice.

    Hum, il semble que nos histoires ont un lien avec le satanisme. Pourquoi lui accorder tant de majuscules?
  11. Prêtes, nous nous rendîmes pour le dîner au mess, d’un pas lassé et lourd. Nous traversâmes un couloir vitré qui permettait à la lumière naturelle d’éclairer le passage. Ensuite, nous descendîmes avec fracas des escaliers métalliques où l’obscurité s’abritait. Il fallait encore ouvrir une porte qui débouchait sur une cour et c’est là que nous vîmes la lune dont le rayonnement était quasi solaire, avant d’arriver devant le réfectoire qui était vidé de son tumulte quotidien. Nous étions les premières, et seules, on savourait ce ciel immaculé, cette brise rafraîchissante et ce silence reposant aux abords de la forêt qui nous guettait au loin, du haut de ses séquoias. Les officiers ordinaires s’étant déjà restaurés, il ne restait que le personnel d’entretien qui bourdonnait à l’intérieur en agitant des chaises, empilant des assiettes, passer d’un endroit à l’autre et attendait avec impatience les retardataires que nous formions. Nous mangions ainsi en derniers en compagnie de Pétrov et quatre autres de ses hommes qui suivirent peu après. Je pris le temps de les dévisager du coin de l’œil. Leur apparence austère accentuait la rigidité de leurs traits musclés. Le stoïcisme, le vrai, était là, dans chacune des interstices de leurs rides. Ces hommes ne devaient pas avoir de plaisirs autres qu’un sommeil réglé de cinq heures, une nourriture fade mais suffisante pour le maintien des fonctions de l’organisme, et l’amertume du café autour d’un ordre de mission. Leurs physionomies m’empêchaient de pouvoir les croire rire ni même pleurer. Ils me semblaient insensibles à toutes émotions. Je pensais cela à cause d’un je ne sais quoi qui vous sort du cœur, comme du chapeau d’un prestidigitateur, une intuition infaillible lorsque les mots ne savent pas dire ce que la vue décrit. Mais puisque tous les hommes ont un cœur chaud même lorsque le visage est froid, j’étais alors persuadée qu’ils devaient compenser la perte de la vie émotive par un savant transfert en la figure de Petrov, en qui ils percevaient certainement un parangon éternel du père protecteur dont la bonté paternaliste les a soumis par la force du respect et de la reconnaissance, et agirait comme une sorte d’abnégation de soi pour une famille harmonieuse et idéalisée qu’ils constituaient. Il est vrai que l’amour vous emplit ainsi le cœur d’une humilité mystique où la pleine satisfaction de ce bonheur que vous recevez ne laisse aucune place à la superficialité du besoin matériel et sensuel. En définitive, c’est peut-être cela l’amour, être comblé sans ne plus avoir à ressentir les impulsions erratiques du vide. Ils étaient comme des fils spirituels dont l’attitude représente celle de leur maître, rigoureuse laissant un parfum d’efficacité dans l’allure de leur démarche silencieuse, cette posture qui impose le respect au passage d’un homme qui ne parlerait que pour dire une chose utile, déterminé dans le regard et ferreux dans sa complexion. J’étais moi-même subjuguée et Sarah commençait à en douter, elle me pinça le bras pour me demander de revenir sur terre. J’évitais de réagir car ne pouvant tout expliquer, je me laissais accuser d’une chose dont j’étais innocente mais le repas allait occuper nos esprits un temps. Une viande rouge, des légumes verts, quelques pommes de terre, une tarte aux fruits et du vin, voilà tout le repas. Je me contentais des légumes et de la tarte, à l’étonnement d’un Petrov qui ne tardait pas à se moquer du sexe faible exprimant qu’en ces latitudes, je ne survivrai pas à l’hiver si je ne consommais ni alcool ni viande rouge, ni même pommes de terre. Je rétorquais par le sourire, ne sachant pas vraiment quoi dire et n’ayant ni la volonté ni le courage de m’emmêler dans une discussion perdue d’avance, je rebondissais sur le programme de demain. Petrov reprit alors son sérieux et me proposait de nous rendre de bonne heure pour réaliser le prélèvement manquant car on annonçait pour midi de la pluie et des orages violents. Il fallait également que nous puissions investiguer aux alentours, des éléments nous avaient sûrement échappé. Le reste de la discussion abordait notre motivation à faire ce métier ingrat et rugueux. Sarah s’était empressée de répondre, devançant ma lenteur balbutiante. Elle expliquait qu’en ce qui me concerne, je n’avais pas vraiment choisi ma voie et que je suivais une destinée familiale un peu comme une sorte de fatalité. Ce n’était pas faux, je n’avais pas eu à choisir, les circonstances m’avaient choisie. Quant à elle, elle avait fait toute une tirade sur l’excitation et la richesse de cette vocation qui lui promettait une carrière instructive sur le genre humain pour lequel elle vouait une vraie passion. Elle avait cité Balzac pour référence et voulait comprendre l’homme dans sa plus misérable condition où le crime rabaissait. C’est ainsi qu’elle avait passé le concours de sous-officier de la gendarmerie, avait été reconnue pour son intérêt envers les enquêtes judiciaires et avait pu être détachée pour rejoindre mon service de lutte contre la criminalité sectaire. Je soupirais face à tant d’enthousiasme, notre taux de résolution ne dépassait pas les 32 % ce qui n’était déjà pas si mal pour des affaires classées au niveau national. Mais le faible budget dont nous étions dotés et la vétusté des locaux et matériels vont bientôt avoir raison de ses idéaux. La jeunesse s’élance dans la vie avec des pâturages de rêveries que la société jaunie. J’étais simplement heureuse de la voir chaque matin motivée et venir le sourire aux lèvres. C’est ce qui m’avait manqué, le rire innocent, le regard pétillant, un cœur ensoleillé malgré les nuages acides de la vie. Petrov se montrait très bavard et joyeux. Le vin semblait redonner de l’éclat à l’austérité. Je me joignais à eux dans un rire distant. Et nous finîmes par nous donner rendez-vous à 6 h 00 dans la cour pour déjeuner et partir dans la brume matinale. Nous retournâmes dans nos chambres égayées. À l’extérieur le froid était plus perceptible et de la buée avait commencé à s’installer sur les fenêtres. Sarah semblait un peu éméchée et avait un comportement plus excité que d’ordinaire. Nous étions seules dans cette aile du bâtiment et elle s’imaginait toute sorte de fantômes et autres superstitions liées aux phases lunaires qui nous guetteraient cette nuit. J’avoue que l’extérieur de notre chambre donnant sur la forêt, la lumière lunaire et le silence y pénétrant, créaient une sale atmosphère, assez glauque pour nous dont le crime était le métier. Nous nous allongeâmes cependant et nous nous laissâmes emporter par le silence avant que sa main ne rejoignît la mienne sans que j’en comprenne le sens. Gênée, je la retirais doucement et vis son regard plongé dans le mien. Je me tus un instant. Elle expirait doucement et se mit à ranger ma frange en disant que j’étais une femme fatiguée et usée par mon travail, qu’il fallait apprendre à vivre autrement, se séparer de son chat, avoir une vie émotionnelle, cesser de s’interroger sur de lugubres énigmes et m’enfumer dans la solitude. Ce qui m’impressionnait chez elle, c’était son intelligence intuitive, son art à lire l'indicible. Elle m’avait percée à jour. Derrière ma carapace torréfiée, formelle et rigide, il y avait une femme qui rêvait d’amour et de douceur. Sa main était très douce, elle jouait avec mes doigts en dessinant des cercles imaginaires. Je n’osais pas la bouger tant j’étais agréablement surprise. Je manifestais alors mon incompréhension avec un ou deux rires nerveux et une phrase maladroite un peu comme "ca t'amuse ?". Et ce silence nonchalant qui dans son visage à demi éclairé, légèrement incliné, la chevelure relâchée, dégageait une vraie chaleur. Il s’approchait comme une ombre, tout doucement. Ce fut d'abord un soupir près de l'oreille puis un baiser sur la joue, très tendre, très pulpeux, puis mes lèvres qu'elle frôlait. Elle jaugeait précautionneusement ses baisers en regardant attentivement ma réaction tout en tenant ma main. Je ne pouvais rien dire, je ne sentais aucune force de résistance en moi, j'étais à la fois charmée par tant de profondeur dans le regard et tant de tendresses sincères en même temps que je me savais être la victime d'une de mes faiblesses. Je me laissais emporter par la vague, c'était tiède, mou et indolent. Elle descendit ainsi, progressivement, baisers après baisers, sur la veine jugulaire qu'elle mordillait en y laissant un peu de rosée d'amour. C'est à ce moment précis que je me brusquais pour mettre un terme à un élan que je ne maitrisais plus. La force me revint à la main, je la repoussais en lâchant un mot bref "Ca suffit !". D'un regard élevé, elle essuyait ses lèvres avec sa langue et me répondait simplement, "bonne nuit". J'en avais eu le frisson. On se mit dos à dos, la lumière lunaire sur ma face, je songeais longtemps avant l'aube à ce moment de disruption dont je n'avais jamais eu l'expérience. 01 h 05 du matin... Il faut que je dorme.
  12. Circeenne

    Sous-sol III

    Merci Criterium, je te lis aussi avec plaisir :)
  13. Sarah me réveillait délicatement en secouant légèrement mon épaule tout en me murmurant que nous étions arrivés. Groggy, je décollais alors ma joue pâteuse de la vitre d’où je voyais mal mon reflet. On ne voyait rien au loin, si ce n’est une intrigante masse noire accentuée par l’intensité des rayons de lumière que diffusaient les projecteurs depuis le mirador. J’ai pu remarquer cependant l’inscription cyrillique doublée de sa traduction en anglais, sur un panneau blanc rouillé posé devant le poste de contrôle : « Slow down, Dityatki check point ». Un jeune soldat, assez maigre pour sa taille, muni d’une vieille kalachnikov, arrivait avec dynamisme la cigarette à la bouche. Il s’était arraché péniblement d’une conversation animée, probablement sur l’émission sportive qu’une télé cathodique affichait encore autour de ses compagnons criards. Il s’avançait en riant au niveau du chauffeur, la tête en direction de ce qui lui avait été dit. Une blague lui a sûrement été adressée. Il rétorqua d’un geste vulgaire avant de reconnaître Petrov sur le siège passager qui s’impatientait. Il changea subitement d’attitude et se montrait plus formel. Un signe de la main agitée et la barrière rouge et blanc s’éleva promptement. Il salua et nous partîmes. Quelques virages et nous nous arrêtâmes devant un bâtiment qui nous accueillait le temps de l’enquête. On nous invitait à dîner au réfectoire pour 20 h 00, en attendant Petrov allait faire un rapport à sa hiérarchie sur le déroulé de l’après-midi. Sarah profitait de cette heure qui nous restait pour se prévoir une douche, ce que j’imitais avec conformisme. La chambre était telle que nous l’avions laissée, froide et austère. J’avais oublié ce lit bancal qui m’attendait pour me tourmenter une nouvelle fois. Qui a pu concevoir un matelas aussi dur et rugueux que le béton lui-même. Voyant ma détresse, Sarah me persuadait de me joindre à elle. Elle me montrait la qualité de son lit et me fit remarquer avec ironie que nous étions toutes les deux assez lourdes pour pouvoir être supportées comme un seul homme. Je me résignais à son idée pendant qu’elle disparaissait sous la douche. Je lui lançais déjà un « dépêche-toi ! » qui n’eut pas d’écho, tant elle n'en fait qu'à sa tête. Durant ce moment vide et calme je songeais à la victime. Était-ce bien celle que nous cherchions ? Il me fallait rouvrir son dossier. Romain Legendre 25 ans, un français en mal de sensations fortes qui voulait être toujours là où le tourisme n’irait pas. Avant de partir il avait reçu une sorte de menace, une lettre tapuscrit. Sa mère m’avait alors confié que Romain en avait ri et que lui et ses amis jouaient à s’envoyer de drôles de lettres anonymes, souvent douteuses. Je me souviens encore de la teneur des paroles, très crues et sexuellement orientées. Il y avait un arrière-goût de domination sexuelle. Mais elle faisait bien référence à son voyage en Ukraine en affirmant qu’il y trouverait « une petite mort » pendant la sodomie qu’il recevra. Était-ce une référence au plaisir ou un scabreux jeu de mot ? A ce stade, on ne devait rien négliger. Quoi qu'il en soit, je penchais de plus en plus pour une personne de son entourage, bien qu'il utilisait YouTube pour présenter ses voyages qu’il commentait et où il annonçait les futures explorations en cours de préparation. C’est donc difficile de pouvoir isoler l’auteur de cette lettre d’autant qu’elle n’est peut-être pas en lien avec sa mort. Aucuns de ses amis interrogés n’avaient confirmé avoir tapé ce courrier. En même temps, qui voudrait reconnaître être l’auteur de cette lettre ? Dans une vidéo en date du 15 octobre 2015, il avait prévu de se rendre ici, à Tchernobyl la semaine suivante. Ente temps, il avait reçu ce courrier dont le tampon de la poste évoque le 19 octobre. Soit quatre jours, ce qui me parait court du point de vue d'un internaute. Comment nourrir autant de haine en si peu de temps, jusqu’à vouloir le suivre et l'éliminer dans un pays où il se rendait. Ce serait possible si l'individu en question suivait Romain depuis le début. Il faut que je note: voir la liste des 200 000 abonnés, le travail est énorme. À moins que le meurtrier ne soit une connaissance et ait eu vent des projets de Romain, auquel cas il a pu tout prévoir dès la gestation de ses intentions. Ce qui fait plus de sens à mes yeux. Mais quel serait donc le mobile du crime ? Pourquoi tuer un youtubeur, un aventurier ? Nous n’avions trouvé sur les lieux aucune caméra, aucuns effets personnels. S'il s'agissait d'un accident, sachant que le malheur des uns fait souvent le bonheur des autres, des visiteurs auraient pu profiter du butin, certes, mais du reste ils auraient appelé les secours ou du moins fait quelque chose. Et si ç’avait été un suicide, alors qui l’aurait emballé ? Le fait est que nous l’ayons trouvé dans une bâche en plastique en décomposition, indique la présence d’un autre individu. Et je doute qu’une personne aussi jeune, désireuse d’être aimée et cherchant le regard des autres, aille se tuer en Ukraine, dans le sous-sol d’un manoir. Il s’agit certainement d’un meurtre. Je me souviens aussi qu’il n’y avait pas de traces à l’entrée ni dans le couloir et l’escalier. On a dû donc l’amener ici. Quid de la tache de sang que nous avions vue ? J’ai d’ailleurs omis de demander d’en prélever un peu pour analyse. Cette Sarah me fait perdre la tête. Nous y retournerons donc demain. _ Agathe tu vas bien ? Tu as mal à la tête pour que tu te la tiennes comme ça ? _ Hum ? Non, je réfléchissais. Tu as enfin terminé ? _ Oui oui, je t’ai chauffé la douche. Par contre dépêche-toi, on risque d’arriver en retard. _ … _ Moi aussi je t’aime.
  14. L’imposante végétation ravivait notre regard et ralentissait notre pas. Elle avait repris possession des lieux en son bon droit, là où jadis tout devait être aseptisé. Les murs jusqu’au plafond étaient recouverts de lierres où s’enchevêtraient de grandes clématites et du sarment aux feuilles noircies et jaunies par endroits. Tout le couloir avait un air de désolation pesante, les vitres étaient brisées et les carreaux qui avaient tenu n’étaient plus transparents, ils avaient une teinte laiteuse et tâchée d’une poussière grise et acre dont on devinait mal la provenance. Les feuilles mortes, les brindilles séchées, et autres composants organiques jonchaient le sol et masquaient de fourbes embûches. Seules, d’épaisses tiges de fer rouillées marquaient les endroits à éviter du pas. Un poids, et c’était la chute assurée sur plusieurs mètres avec un hostile accueil à l’arrivée. Nous prenions donc le temps de regarder là où nous marchions avec une question en tête : qu’est-ce qui avait pu causer autant de dégâts ? Des maraudeurs ? Au bout du couloir une lourde porte métallique tenant à demi sur ses gonds, tanguait pernicieusement. À son seuil le vent s’y engouffrait si tendrement, que j’en éprouvais un sentiment de paix et un moment d’agréable solitude. Je songeais même à prendre une photo que je pris à la hâte. Mais à quoi bon, je voulais savourer ce silence. Sarah était aussi sidérée et lançait parfois un regard dans le vide en contemplant la lumière solaire au fond qui jouait de son contraste avec le béton, la verrière et l’ombre ; on était comme apaisées. L’impétuosité du temps, l’agitation, la crispation quotidienne n’étaient pas ici. C’était un lieu spirituel, propice à la quiétude des esprits. Sarah y croyait énormément et ne manquait pas d’y faire allusion chaque fois qu’un bruit, un mouvement, une brise nous surprenaient. Nous finîmes par pénétrer dans l’enceinte, je restais au milieu de ce nouveau couloir perpendiculaire à celui que nous venions de prendre. En face de moi se trouvait un escalier qui menait plus bas. Je m’approchais prudemment de la rambarde pour observer où cela guidait. Il semblait que c’était profond et vaste. Mais j’étais tentée d’aller fouiller à gauche, il y avait des portes de bois, certaines étaient enfoncées d’autres fermées. On imagine tellement de trésors et d’histoires en ces lieux. Sarah était déjà à droite en train de déchiffrer les graffitis qui recouvraient tout le couloir à ma surprise. Ce lieu était donc régulièrement visité malgré l’interdiction de la préfecture. Il y avait des bouteilles de bière et des mégots de cigarette. Mais cela paraissait très ancien. Je me résignais finalement à suivre Sarah qui sans mot dire avait déjà pénétré dans la pièce. Elle souriait en décryptant les marques sataniques qu’avaient laissées les précédents visiteurs. Il y avait même du sang séché sur un mur, probablement un sacrifice animal. _ Dis, on a une enquête à résoudre. _ Quoi ce lieu n’est-il pas excitant ! ? _ C’est lugubre et beau à la fois. Cette mélancolie me plaît, mais nous devons nous pencher sur les photos, l’équipe du labo va arriver, on devra les briffer. _ Oh tu veux bien arrêter de faire ta rigide. Qu’est-ce que tu crois, que tu vas résoudre cette affaire toute seule, d’un regard ? Allez ma chérie, détends-toi. On aura toute la nuit pour y penser. Ce n’était pas faux. Sarah me connaissait depuis l’enfance et savait que j’avais du mal à lâcher prise. On était si complémentaires et opposées à la fois. Parfois je me surprenais à l’admirer d’un peu trop près lorsqu’elle était si gaie et insouciante dans un travail qui nécessite pourtant de la minutie et du sang froid. Il faut être sobre pour ce métier, l’investigation tolère mal les fougueux. Cependant, elle était d’une efficacité redoutable, bien plus que moi, je dois l’avouer. Je ne lui ai jamais dit, ni fait de compliments, mais elle doit bien ressentir que je l’apprécie malgré ma pâle humeur. Que voulez-vous, il faut bien accepter que nous sommes complexes et qu’un non vaut pour un oui lorsque celui-ci cherche un peut-être dans le silence. _ Agathe, Agathe ! Réponds ! Mais tu es bien tête en l’air. _ Mince, c’est Petrov, ils sont là. Allons les rejoindre. Petrov était un homme élancé dont les traits massifs semblaient avoir été taillés en ligne droite, n’eut été son accent, on lui aurait bien volontiers attribué des origines germaniques. Mais il était russe et son regard écrasé était tout moscovite, d’un bleu cyan, froid et inquisiteur. Il dirigeait les commissions d’enquête et d’analyse dans la zone interdite, et il était aussi en charge d’établir le périmètre de sécurité avec un groupe de soldat d’élite. On sentait qu’il avait l’expérience du terrain et du commandement. Ce devait être un homme de règlements, très à cheval sur les procédures et les manières militaires. J’aurais parié pour un agent du FSB mais il était trop droit pour ça. En attendant il était notre référent pour tout ce qui relevait d’une charge administrative. Les enquêtes devaient donc avoir cours en sa présence et sous son égide. Nous avions fait quelques entorses à cette règle, et comme je l’avais pensé, il ne manqua pas de nous le faire savoir. C’était à sa manière ou niet. Naïve, Sarah essayait de lui faire croire qu’Interpol s’excusera de cette déconvenue financièrement, en vain. Il répondait que l’argent n’achète pas tout et excédé, il ajouta en russe que nous croyons tout posséder avec le sou. Le fait que nous avions pénétré les lieux sans lui était un péché mortel, et il se mit en douce colère avant de laisser à nouveau place à l’ironie condescendante, la salle habitude des Occidentaux mal éduqués qui se pense tout permis. L’humiliation était suffisante à ses yeux et pouvait ainsi laisser émerger un pardon avec la magnificence d’un seigneur qui épargne des culs-terreux, voleurs de patates. Le sourire narquois qui se dessinait sur son visage en une ride épaisse, réaffirmait la grandeur de ses valeurs. La guerre froide n’est jamais trop loin. Il avait finalement pitié de nous de n’être pas russes. Calmé mais toujours raide, Petrov se montrait ainsi très attentif au rapport que nous lui faisions. Et d’un geste et une parole, ses hommes s’habillaient en tenu de décontamination pour récupérer le corps. Nous étions clairement insouciantes ce qu’il nous fit remarquer pour la huitième fois. Le compteur Geiger à la main, ils allèrent d’un pas lourd et résigné chercher le cadavre. Cela prit 1 h 30 avant de revoir ce jaune vif horrible pousser une civière avec un sac noir. La nuit allait tomber. Nous rentrâmes à la base en silence, sous bonne escorte, assises à l’arrière de la jeep qui fonçait en convoi dans la forêt. Évasive, j’admirais ces grands arbres par la fenêtre pendant que la radio crépitait de la musique soviétique. Je songeais au fait que nous n’avions pas parlé de ce document à Petrov, s’il parvenait à le savoir, il nous renverrait dans l’heure en charter pour Lyon. Je repense encore à la rudesse de la décomposition, et dire que c’est ce qui nous attend. Enfin, carpe diem, pour l’instant essayons de résoudre cette énigme, la nuit risque d’être longue. Pourquoi ne pas écouter de la musique durant le trajet ?
  15. Circeenne

    Le village. (3)

    J'aime beaucoup !
  16. Agence nationale du renseignement extérieur – 24 mars 1988 *** 0046021 *** SNIE * 11/37 * 88 NI * 0010 * 88 DDI REGISTRE /// 785690. DDI ***** & NIE DISSEMINATION. HQS - CONFIDENTIEL. PROCHAIN RETRAIT SOVIETIQUE DE L’AFGHANISTAN. Le prochain retrait des forces soviétiques, comme annoncé par Gorbatchev lui-même lors de la rencontre non officielle avec Ahmed Massoud, aura de nombreuses répercussions positives sur nos intérêts dans la région. Nous avons relevé les points suivants : 1. Cela réaffirmera notre diplomatie au niveau mondial ainsi que notre puissance militaire dont la logistique a fait ses preuves contre l’aviation russe (FIM92 Stinger). 2. Moscou sortira affaibli de ce conflit sur quatre tableaux : Economique, du fait du coût de l’opération estimé à plusieurs centaines de millions de dollars. Politique, Moscou a été déstabilisé sur le plan intérieur, l’impopularité de cet engagement nous expose favorablement. C’est le moment d’ouvrir des négociations. Militaire, L’URSS a essuyé de grandes pertes humaines comme matérielles. Et enfin, idéologique, le communisme s’avère être aux yeux du monde un échec malgré les tentatives du Parti Démocratique Populaire d’Afghanistan à entamer des réformes progressistes. Il faut insister sur la cause de ces échecs. 3. Le retrait des forces soviétiques laisse la région à notre disposition. Il faut impérativement canaliser et coaliser les forces rebelles (divisées en myriade de tribus) en vue de la formation d’un nouveau gouvernement pro US. 4. Nous devons encourager Gorbatchev à se maintenir au pouvoir, en mettant en avant ses qualités diplomatiques qui ont permis de mettre fin au conflit. Il faut impérativement entretenir son implication en tant que chef légitime de la diplomatie afin d’empêcher toute formation d’un nouveau gouvernement plus radical, voulant se rétablir et pouvant se renforcer. Nous pourrions ainsi forcer la transition économique du pays en proposant une aide et des conditions. La négociation doit se faire de manière officielle afin que l’opinion soit mêlée, et doit également inclure le tiers monde pour réaffirmer l’idéal de notre modèle. 5. Le tiers-monde doit ainsi perdre confiance en Moscou sur sa capacité à assurer son soutien et à jouer le rôle d’une puissance alternative. Nous devons insister sur les conséquences de la défaite. 6. Le pays est dévasté par des décennies de luttes, une intervention d’ordre humanitaire serait profitable et nous positionnera en tant qu’acteur majeur et incontournable aux yeux du monde. Il existe une problématique en la personnalité de Massoud, qui exerce une autorité politique de plus en plus rayonnante en raison de son rôle dans la défaite russe. Il faut penser une alternative politique, sans quoi nous devrons faire face à une nouvelle autorité régionale. Je suggère de jouer sur la divergence tribale et d’exacerber les luttes de pouvoir. Nous nous positionnerons ensuite en arbitre. Trouver ce genre de chose dans cet endroit au milieu d'un cadavre vieux de trois mois, certainement plus, c'est assez curieux. La lampe torche sur le document, je reste évasive, fixée sur un plancher bruyant et vétuste, encombré par la poussière et divers papiers jaunies dont l'encre a été léché par le temps. Tout semble calme et apaisé, dans ce chaos temporel où tout est épars, brisé, souillé par la décomposition qui attaque même le béton. Il doit y avoir des spores dans l'air. La seule redondance frappante est l'atmosphère délétère de tout ce qui compose ce sous-sol. Cela ferait certainement le bonheur d'un chineur ou effrayerait un superstitieux qui y verrait une tombe, un endroit satanique ou sacré à ne pas profaner par une imprudence en voulant déplacer des objets que les araignées et autres bestioles habitent. Mais, mon esprit, trop concentré sur l'aspect de cette feuille, cherche encore à comprendre comment a-t-elle pu rester si blanche et presque intacte, comme si quelqu'un était venu là pour la déposer près de ce corps, enveloppé dans une bâche, trouée par les vers, raidie par je ne sais quel phénomène et en lambeau. Sinon comment aurait-elle pu arriver dans une pièce close, sombre sans fenêtres, située sous ce manoir, lui même au milieu d'une forêt... J'ai peut être ma réponse avec cet individu liquéfié sur le sol où les rayons de lumière mettent en contraste les vapeurs qui charge ces 50m2 d'une drôle d'odeur et d'ambiance. Depuis le palier qui donnait sur un grand couloir longiligne et autrefois certainement bien décoré, une voix familière plonge lourdement des escaliers en bois rongés par l'abandon et s'exclame: _Agathe, tu vas bien là dessous ! tu as trouvé quelque chose ? _...Moui, mais c'est assez...étrange, pour le moins anormal. _Quoi donc ? _Ceci. Prends un masque avec toi. Sarah descendit avec précaution sous les fracas des craquements, la peur de passer au travers. Ce n'est qu'à la dernière marche qu'elle exprima un soupir. Elle fit remarquer que l'endroit était lugubre avec un regard et une attitude stoïque. Ce sous-sol était fait pour la mort, il vous absorbe la vie et vous plonge dans la détresse infinie des hypothèses sans lumière. De la poussière, un cadavre, beaucoup d'objets dont on mêle la diversité des fonctions pour casser la logique et surtout une profonde obscurité. Laissez fermenter. Et vous obtiendrez, cette odeur de soufre, si âcre qu'elle vous en corrompt le poumon et la vie. C'est ineffable. Saisissant le document d'une main hésitante, le regard attentif sur le mouvement du pas à effectuer, Sarah fit une grimace de la face, comme pour signifier qu'elle ne voyait rien d'anormal à ce qu'une feuille imprimée soit une feuille imprimée dans ce tas où tout se trouve. Mais son jugement était surement altéré par l'envie de fuir. Les rides d'incompréhension qui masquaient un arrière fond de dégoût, l'empressement de son indifférence qui trahissait l'inquiétude de devoir affronter une horreur à huit pattes et son silence exprimait davantage l'impatience de vouloir remonter à la surface pour respirer un air plus pur que de songer en apnée sur une pièce à conviction. Après tout, cette pièce trop négative si l'on en croit les préceptes du Feng Shui, n'avait plus vocation à accueillir la paix. Mais il fallait que nous nous penchions sur cette mort improbable. Accident, suicide ou meurtre ? Nous remontâmes pour y réfléchir après quelques photos. Une équipe était en route. En attendant nous allâmes inspecter les autres pièces du bâtiment abandonné.
  17. Circeenne

    Æther

    Il y a comme une effervescence dans l'eau (comprimée), qui s'évapore en les airs (humides), par un effet tout solaire (opprimé) où Rousseau dirait : "Voilà une nature qui n'est pas corrompue par les hommes, oui, l'éther est, Dieu merci, à l'abri de toutes les injustices". Mais la terre n'en démord pas, depuis la mer, elle envoie ses soldats, qui cherchent depuis toujours à vaincre le Roi. La violence des assauts se heurte à d'épaisses couches nuageuses de graisse grisâtre qui s'agglomèrent en un rempart fortifié, solide et mobile, afin d'empêcher toute révolte du royaume de Thalassa. Encore, piégés, battus, et enfin rejetés par dessus la muraille qui semble alors suinter un flegme, lourd, pâle et livide en perles éparses que la lumière achève de transpercer avec son drapeau arqué. La terre fut vaincue par le ciel. Mais demain, tout recommencera !
  18. Circeenne

    Meurtres à T** (2/3)

    Ah ouais ! Je suis fane !!! Je pensais soit à un code hexadécimal, soit une indication à mettre en perspective avec la localisation des meurtres ou suicides d'ailleurs. J'ai relevé les dates 2506 2407 2408 2109 et toutes ces dates correspondent à une nouvelle phase lunaire, serait-ce donc un crime/suicide rituel ? Les victimes ont-elles des liens entres elles ? Ca m'excite critérium lol bon je me calme.
  19. La fin de la journée annonce le départ machinal du personnel éreinté, fatigué moralement par le passé et le futur d’où ils vacille sans aucune attache dans le présent. Comme enclavé dans la perdition il se résigne à n’être plus. Ces personnes ont le visage ombragé d’une pesanteur épaisse et d’un vide profondément inqualifiable, qui s’expriment dans le mécanisme de la démarche prompte, régulière, groupée. C’est une masse de fonctionnaires qui oscille avec rythme, le regard baissé, vers la sortie du bâtiment. Trop usées d’avoir parlé ce jour, la main cristallise ses dernières forces dans la saisie ferme de l’attaché-case, parfois marron, grise ou noire ; accessoire qui fait le bureaucrate, elle est le prolongement terne de sa vie. Elle dirait tout à un nécromancien puisque le destin veut s’y résumer en quelques feuilles d’un dossier, bien classées. Ainsi enveloppés dans leurs trench ou veste classique, ces gens, bien que nombreux, ont tous la même habitude vestimentaire, imperméable au changement, tout comme partageant le même silence, rire, et sujets de conversation. Ils se reconnaissent dans l’indifférence de l’appartenance à la fonction qu’ils occupent avec un certain flegme dans le mouvement des allées et venues. Ils parlent le matin et se taisent le soir. Un bonjour et un au revoir sur un ton sempiternel. Qui sont-ils vraiment ? A les voir on jurerait qu’ils n’ont jamais eu d’enfance et n’auront jamais de vie. Le monde n’existe pas pour ces gens, pas plus qu’un éventuel sens à la vie, car la réalité, somme toute, n’est qu’une onde radio, une émission sérieuse sur les 50 nuances du parfum vinaigré de la mondialisation. La sédentarité a de ceci qu’elle vous fait tourner en rond dans un plan géocentrique. Le soleil décompte vos jours dans la sclérose de vos idées. La vie a fui, goute à goute, du bâtiment des Archives Nationales d’où ne sourd plus qu’une lumière immuable, pleine de jaunisse, d’entre les bureaux et couloirs aseptisés. Une atmosphère d’hôpital. C’est dans ces lieux où je pleure avec l’horizon la mort de l’hélianthe céleste. C’est de cette hauteur que je vois le monde. C’est depuis cette baie vitrée que je ris avec la pluie qui glisse en silence pour me narguer. C’est de là où je parle avec le nuage et compatis pour le gardien, las d’actionner la barrière du parking. C’est encore d’ici que je marivaude avec mon reflet et de là que je m’ennuie avec mes cafés. Mon dernier fume encore, sa fumerole m’inspire un je ne sais quoi d’agréable à contempler. La porte du bureau étant ouverte, je devine le fantôme de Banquo se promener dans les allées des Archives nationales, découvrir avec amertume notre civilisation, en constatant la pâleur de la technicité moderne face aux rayonnements des étoiles plongées dans les ténèbres, avant même son meurtre. Il est vrai, qu’un regard suffit, pour écouter l’éloquent silence du firmament, puisque la beauté ne s’adresse pas aux regards, elle vise le cœur. Saint Exupéry avait-il compris cela du haut de son avion en caressant les nuages ?
  20. Félicitons Eventuellement qui a trouvé, il faut surligner sa réponse pour la voir ! Pour célébrer ta semi victoire
  21. Regardez bien la forme du texte et comblez les lignes au dessus de la ligne !
  22. j'ai demandé un mot...C'est fou tu n'écoutes jamais quand on te parle ! #vieillefemme #lirelesconsignes
  23. Ce billet est destiné à ceux qui voudront craquer le code. Objectif : Dépasser l'apparence textuel pour rendre l'image cachée. Critères: 1. Montrer le cheminement vers le résultat en détail. 2. Expliquer l'interprétation qui y a conduit. 3. Conserver l'allitération. Outil: l'agencement des lettres du mot résultat, dépend fortement de la sémantique qu'il faut déduire, non pas de ces mots mais de la poésie où ils couchent et lèvent la lumière des alexandrins. Indice : Distant(e), éphémère et fascinant(e), c'est une ombre aux pigments ternes, sans cesse présente dans les cœurs de ceux qui savent discerner avec admiration la transcendance de toutes montagnes.
  24. Circeenne

    La Base.

    Hum, il y a toujours par delà les apparences des choses qui nous dépassent, n'est-ce pas ? Est-ce le cas pour la structure, le fond du texte ? Faut-il lire autrement ? Ton texte m'inspire un jeu...
  25. S’il est bien des vagues dans l’âme auxquelles on ne peut résister, c’est l’amour du beau. Celles-ci n’ont point de masse, ne sont en rien des trompes d’eau qui s’abattraient sur un rocher dénudé avec férocité, non. Celles dont je parle ici, ne sont que des fragrances de douceur qui vous affaissent aussi promptement que ne le fait le soleil avec la glace. De votre force, il n’en reste qu’une sueur perlée à mesure que monte l’ivresse, vos membres se lient au charme de l’image et progressivement la langueur a tôt fait de s’emparer de toutes vos parties. Possédés, dénués de liberté, vous êtes figés et livrés à la contemplation de l’objet qui émet son parfum dans le rayonnement vibratoire de ce qu’il dégage. Indolore, vous êtes happés par l’exhalation qui pénètre tous vos sens, insidieusement. Votre peau revêt alors une texture ampoulée, votre regard scintille de candeur, le goût en est suave et lourd, l’ouïe, aveuglé, n’entend rien sous le chant mélodieux de l’odorat dont l’humeur colorée fait de l’illusion une réalité parfumée. Une enveloppe d’orchidée achève de resserrer se sphincter autour de vos hanches, une ceinture, en légère pression, qui se ressent dans le creux du ventre comme une main qui presse tout doucement. De vous, il ne reste que la sensation d’exister dans l’écho de vos sens, vous glissez lentement vers un devenir impersonnel. Il, est un vous, là où je est un autre soi. Et vous n’êtes que le spectateur de votre évaporation dans les méandres de ce vénéfice délicieux. Cela fait naître une question, qu’est-ce que le réel ? Une beauté qui ne se voit qu’avec le cœur dirait Saint Exupéry car, il est vrai, la cécité touche ceux qui ne voient qu’avec leurs yeux. A la surface de tout, ils habitent des cavités où l’ombre est une lumière. Comment verraient-ils une nuit étoilée, mille soleils chaque année à l’horizon, où chacun se couche en différents endroits, des millions de saisons, des myriades de fleurs dont la renaissance est une philosophie, les visages de l’homme et le baume des cœurs, l’huile aromatique qui fait l’ivresse des poètes, l’arôme des parfums. Adieu, il me faut m’anéantir l’âme dans ce plaisir divin, ce chant des oiseaux, ce secret des cieux, cette ambre des lunes, cet arbre des amours fleuri. Cigüe dulcifiée, je bois de ta coupe et me jette dans l’allégresse de tes pétales où j’embrasse le sommeil éternel. Je t’aime, Dieu.
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