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Sous-sol V


Circeenne

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Sarah dormait encore quand le réveil se mit à vibrer nerveusement. D’un coup imprécis et brusque, j’y mis fin. La lune avait disparu. Il gisait dans la chambre un silence bleuté et une vapeur de souvenirs étranges. J’étais restée quasiment éveillée toute la nuit en regardant le plafond, songeant aux soupirs rêveurs de Sarah ou en m’attardant les yeux fermés sur un bruit extérieur de provenance inconnue, parfois les pas lents et crépitants d’une sentinelle sur un gravier voué à signaler la présence d’un individu. La nuit ne m’avait été d’aucun repos, elle me paraissait lourde et caféinée. Je me sentais groggy et nébuleuse mais je ne voulais plus dormir. Derrière les rideaux, on distinguait l’allumage progressif de réverbères jaunâtres et l’extinction des projecteurs de sécurité. Cette technique permettait de faire croire à un changement de garde dans la base mais je restais sceptique quant à son efficacité. La chambre n’a ainsi pas été plongée dans les ténèbres naturelles tout le long de la nuit mais avait baigné dans une sombre lumière artificielle. Je sortais lentement de la couverture en restant assise au bord du lit. Ma tête était pesante, je voulais la soutenir avec toutes mes mains avant de me raviser pour saisir mon téléphone qui affichait 05 h 11 et trois e-mails. Je me décidais à prendre une douche froide avant toute action m’impliquant dans ce monde. Je me dis qu’il fallait réveiller Sarah qui dormait paisiblement. J’hésitais à lui mettre la main sur son épaule découverte et luisante. Je finis par le faire, elle se mit à se tortiller mollement en prenant une inspiration profonde. Je me dirigeais déjà vers la douche en me déshabillant. J’allumais la lumière blanchâtre de la chambre qui était brutalement étincelante.

L’eau glacée me mit d’aplomb et acheva de me sortir de la pénombre. Tous mes sens se mirent à retrouver instantanément leur vigueur fonctionnelle. Je ne pris pas le temps de m’attarder et en serviette je vis Sarah qui avait déjà l’œil vif. On se regardait furtivement sans se parler. Elle me succéda dans la douche en me frôlant la peau. Je suivis passivement son élan avant de me décider à me changer vu l’heure qui s’approchait du rendez-vous.

Pour cette fois, nous devions suivre les consignes vestimentaires liées à la sortie sur zone contaminée afin de se protéger contre les radiations. Je n’y croyais pas trop… Mais à Rome faisons comme les romains, me disais-je. Je revêtais ainsi une sorte de combinaison légère, gris-vert foncé, qui avait l’élégance militaire des forces spéciales. On se sentait plutôt à l’aise à l’intérieur. Sarah me surprit avec une remarque sur la moulure de mes formes qui semblaient être mises en évidence. Ce pourquoi d’ailleurs j’étais très dubitative quant à la qualité salvatrice d’un tel vêtement. Je lui répondis de se dépêcher chose à laquelle elle s’exécuta promptement. Nous n’évoquions pas l’événement de cette nuit, comme si nous faisions semblant de l'oublier. Nous ne paraissions pas mal à l’aise mais on ignorait volontairement le sujet. Habillées, la chambre rangée, nous traversâmes le même endroit que pour se rendre au mess avec silence et énergie.

Dehors le ciel froid et terne semblait promettre une lourde averse. Nous rencontrâmes Petrov qui avait un air plus grave qu’hier. Nous échangeâmes quelques salutations, il nous ouvrit la porte du réfectoire qui était à moitié rempli. Des officiers nous regardaient paresseusement quand d’autres discutaient déjà avec entrain. Nous rejoignîmes la queue, prîmes un bol de café, du pain, du beurre, des raisins et du miel pour ma part, les autres prirent des céréales. L’enfance n’est jamais trop loin ou c’était moi qui vieillissais. Petrov me fit remarquer qu’il y aurait quelques changements météo, la pluie viendrait plus tôt que prévue et cela gênerait l’enquête. Nous commencerons donc par investiguer à l’extérieur dans le pourtour du manoir.

06 h 45 nous embarquions dans les jeeps. Petrov était avec nous en tête de convoi. Trois voitures quittèrent ainsi la base et s’engouffrèrent dans la brume matinale. Nous roulâmes plus lentement que d’habitude, on ne voyait rien à 5 mètres. Bringuebalant tout le long du trajet, j’en éprouvais la nausée. Je me consolais avec la deep house qu’avait mise Petrov à faible volume, suffisamment pour que le moteur soit plus perceptible que sa mixtape. Cela m’étonnait de lui. Il fallait bien qu’il se divertisse aussi. J’imaginais malgré moi des vacances dans un bleu topaze, en voyant des surfeurs, des vagues et boissons fraîches. Mais cette image m’a vite rappelé que je n’aimais pas la stupidité superficielle de la Californie peuplée de blonds imbéciles heureux. Cette pensée me fit admettre que j’étais vieille fille et que je méritais mon chat, mes livres et mon thé du dimanche. Je soupirais à en attirer l’attention de Petrov qui me lançait un regard en me demandant si ça allait. Je répondis que oui et tournais la tête vers l’épaisseur du brouillard qui nous enveloppait. C’était effrayant et excitant à la fois.

Sur la banquette arrière, Sarah discutait depuis le début avec les deux soldats. Ils évoquèrent une diversité de sujets que je ne saurais tous les énumérer. Ce qui m’a marqué ce sont les gâteaux de la mère d’un des soldats. Ils semblaient promettre un vrai régal, Sarah avait noté la recette, je le lui demanderai.

Nous arrivâmes enfin après 55 minutes de route humide fracassée par l’érosion. L’endroit semblait tout droit sortir d’un film d’horreur. Le manoir était à peine visible sur sa façade où la lumière des phares accentuait la réverbération et rendait l’environnement atrocement brillant. J’avais peur de me perdre ici. Parfois un oiseau me surprenait et me rendait nerveuse. Je devais cependant me concentrer afin de travailler méthodiquement. Nous nous répartîmes donc la tâche. Nous avions espoir en le lever du soleil qui devrait bientôt nous aider.

Le mysticisme de l’endroit me fit comprendre pourquoi tant de symboles ésotériques et sataniques avaient été trouvés ici. Il n’y avait qu’à regarder autour de soi pour être subjugué par cette atmosphère lugubre, emplie d’un reflet du monde des enfers. Ce calme, ce sol collant, cette végétation difforme, ces ruines fissurées et éventrées par endroit, cette odeur de cimetière et ce vent léchant la cime des arbres, masquaient une hostilité dans une ombre invisible. Le diable habitait ici.

Pour travailler efficacement nous nous séparâmes en trois équipes de quatre selon un plan cardinal. J’eus le côté est du manoir, Sarah prit le côté ouest et Petrov irait au sud. Un soldat restait à la devanture pour garder les véhicules et être au contact de la radio. L’investigation pouvait commencer.

2 Commentaires


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Chouette, la partie V est arrivée :)

Tu fais durer le plaisir en nous faisant attendre la prochaine partie pour commencer les investigations! Je me demande ce que cache ce repaire satanique. Petrov avait-il commencé à examiner le périmètre dans la partie II pendant que nos héroïnes se faufilaient dans le manoir? J'imagine qu'il voudra bien les garder à l'œil...

À part ça j'aime bien les non-dits du matin. Dirais-je - qu'ils habillent les soupirs.

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