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Sous-sol IX


Circeenne

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Ce matin-là, la brume était épaisse et les nuages bas. J’avais une très mauvaise mine, ce que me fit remarquer Sarah. Je ne bus qu’un café. Durant le trajet, je n’eus de cesse de penser au cauchemar de la veille. Je n’étais pas superstitieuse mais ma mère m’avait élevée avec certaines croyances, et notamment le fait qu’il est bien plus de choses imperceptibles que de choses visibles. Une sorte d’iceberg métaphysique. Tellement convaincue de cela, que Saint-Exupéry me susurra que l’essentiel est invisible pour les yeux, seul le cœur voit vraiment. C'était une manière de trouver là une porte vers la foi, et de là, tout devient plausible. Que pouvaient donc signifier les divers éléments du rêve ? Une araignée, une toile, un homme sans visage, du sang. Était-ce un avertissement ? De qui et pourquoi m'avertir de quoi ? Je devais être très stressée par ce que j’ai vécu durant ce séjour qui entama le début de la deuxième semaine.

Nous arrivâmes au milieu de la forêt devant une espèce de grotte où était camouflé un sas blindé. Petrov disait qu’il s’agit de la porte 4 d’évacuation. La seule à n’être pas condamnée, du moins pas vraiment condamnée. Il se présenta devant, prit un écrou qu’il vissa sur un manche métallique et ouvrit le verrou qui s’actionna avec difficulté. Le son d’un engrenage d’acier déverrouilla la porte qui devenait malléable. On actionnait le volant rouillé et nous pénétrâmes dans le noir. Nous illuminâmes nos torches et vîmes de vieux documents au sol, de la poussière mêlée à de la graisse, des caissons estampillés des sceaux de l’URSS. L’atmosphère témoignait d’un départ précipité et l’air était irrespirable. Il y avait une odeur de moisissure très prenante. Je n’eus d’autre choix que d’utiliser un mouchoir de soie parfumé que j’avais toujours avec moi. La profondeur du bâtiment m’inquiétait. Ma lampe fixa un panneau qui semblait être un plan du « secteur delta ». Ça paraissait grand et on voyait qu’il rejoignait le bâtiment principal au moyen de trois galeries. Le schéma semblait simple. Je pris une photo pour me repérer dans le cas où je me perdrais, cependant Petrov m’intima l’ordre de l’effacer. J’hésitai mais je dus m’y contraindre. Ma mémoire s'y substituerait. Il commanda de ne pas se séparer en expliquant que le lieu présentait des instabilités architecturales. Une des galeries était inondée quand une autre, trop fissurée, pouvait s’effondrer à tout moment. Il ne restait donc qu’un seul passage que nous empruntions. La lenteur de nos pas s’expliquait par le fait que nous scrutions tous le moindre graffiti, même Petrov semblait en découvrir quelques-uns.

_ « Comment se fait-il qu’il y ait eu des gens ici ? » demandais-je hébétée, montant ma lampe de haut en bas pour contempler le street art parmi lesquels certains suscitaient agréablement mon attention.

_ « Ils ont dû y avoir accès par le bâtiment principal, l’accès est ouvert » répondait-il frustré de son incapacité à endiguer ces parasites qui cherchaient ici un calme pour l’expression.

_ « Cet endroit est donc régulièrement visité ? » une question qui restait en suspens avant :

_ « Oui, nous n’avons pas les moyens de le surveiller tout le temps », dit-il froidement et d’un ton agacé.

Je me tus un instant avant d’être intriguée par la présence d’un sac à dos boueux, posé là, au milieu des bouteilles de bière blanchâtres. Il semblait plus récent que le reste des effets que l’on pouvait trouver ici. J’appelais Sarah qui attira toute l’équipe. On l’ouvrit et on y trouva deux caméras, un carnet, une bouteille d’eau encore scellée datant de l’an passé, un trousseau de clé avec un pendentif « t’es le boss » et d’autres effets. J’étais très étonnée mais je n’avais pas de doute, c’était les affaires de Romain. Petrov s’empara du sac et le fit mettre dans la voiture pour analyser les images des caméras. Je contestais cette initiative, prétextant que l’enquête était sous l’égide d’Interpol. Après avoir lâché un sarcasme puis un rire jaune en me faisant comprendre que j’étais ici l’invitée obligée, Petrov me demandait de bien vouloir ne pas gêner la procédure réglementaire ainsi que les habitudes de ses lois. Je n’eus d’autres choix que de me plier à ses contraintes dominantes, lesquelles le confortaient dans son autorité. L’homme est ainsi, il marche droit, il lui faut non pas l’approbation de l’autre mais sa soumission quand il est investi d’un pouvoir. Je sentais alors de la joie secrète dans son cœur et il devint paternaliste avec moi, me touchant l’épaule en me disant d’un ton plus doux : « vous comprenez ». Je ne compris rien mais je demandais à voir les vidéos des caméras et à en obtenir un double. Il grommela « bien sûr ».

Nous continuâmes et arrivâmes au manoir. On sortit dans le hall qui était dans un délabrement si avancé que la nature avait fait de ce lieu son habitat privilégié. Je voulus enquêter dans tout le manoir. Petrov m’affirmait qu’il ne valait mieux pas, que l’endroit était habité par de drôles de créatures. À ces mots je restais stupéfaite par sa réaction et j’ironisais amèrement que le soldat tué à l’entrée avait certainement été le fait d’un « esprit dérangé ». Ce jeu de mots dégoûta tout le monde, même Sarah. Petrov exaspérait de mon humour ou d’avoir oublié un fait aussi grave, se mit à vouloir trouver le coupable. Selon lui, il était possible qu’il soit dans la ville abandonnée à 25 kilomètres d’ici. Des gens vivaient encore là-bas reclus dans la solitude et le sectarisme, un repaire de criminels en fuite.

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