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Jedino

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Billets posté(e)s par Jedino

  1. Jedino
    Je me suis levé, de bon matin, encore confus d'avoir si mal dormi. Dans le quart d'heure qui a suivi, je me suis d'ailleurs demandé longuement et, il est vrai, nerveusement, si je n'y étais pas resté. C'est vrai qu'après mon passage obligé et mécanique devant le miroir, j'avais de quoi me questionner. Au point de m'y reprendre à deux fois, histoire de bien doublement halluciner. Car, vous l'aurez compris, ce n'est pas mon visage que je voyais devant moi, mais bien celle qui m'accompagne à l'extérieur, sous l'éclat du soleil. Pour tout vous dire, je ne me voyais pas précisément puisque j'étais invisible, à ce moment-là.
    Je pourrais vous décrire banalement l'angoisse que j'ai pu ressentir après ça, m'inquiétant de mille détails inutiles. Mais cela n'a pas grand intérêt, et les avantages de ma situation se sont révélés très rapidement. Pour m'en convaincre, j'ai toqué chez mon voisin qui, en ouvrant, n'a aperçu personne. J'ai poursuivi en entrant chez lui et, je dois dire, en ai profité quelque peu pour me venger de deux choses ou trois. Des objets volants et cassés et une porte s'ouvrant d'elle-même plus tard, j'ai continué en allant dans la rue.
    Toujours rien. La discrétion absolue. L'occasion de sauver des gens ? De faire de bonnes actions ? Allons, je vais garder ces plaisanteries pour moi. J'ai d'abord hésité entre le braquage d'un simple magasin d'avec celui d'une banque. Puis, je me suis dit que les deux pouvaient se faire. Quoi qu'avant, j'avais à vérifier que mon cher camarade à emmerdes se porte au mieux. Il n'a pas trop compris, je crois, ce qui lui arrivait. Nous ne nous battons pas contre le vent tous les jours. Peut-être aurait-il pu finir chez les fous, pour le coup, si j'avais su être raisonnable. Parce qu'en effet, il expliquait avoir entendu un fantôme lui parler comme un homme qu'il connaissait de longue date, ce même fantôme l'ayant très clairement tabassé.
    Mon escapade a fait escale ensuite chez mon collègue. Un chic type, vu de loin. Un type qui mérite d'avoir les pneus qui crèvent, en réalité. Bon, je l'admets, je n'ai pas pu résister à l'idée de casser ses vitres aussi. La tentation, vous comprenez ? Parfois, ça nous échappe, donc nous agissons, et nous prenons seulement conscience de la connerie plus tard. Une espèce de rappel à la bonne morale, un truc comme ça, oui. Le remords, si vous voulez. Ou le sentiment du devoir accompli, dans mon cas.
    A l'épicerie, tout s'est globalement passé tel que je l'imaginais. Le mec flippe, ne bouge pas d'un centimètre, observe tétanisé la caisse s'ouvrir et les billets se promener, et se sent revivre quand le spectre qui l'a volé s'en va enfin, et sans l'avoir remarqué.
    Peut-être, néanmoins, que la banque fût de trop. Que le manque d'expérience, la sensation de puissance, font que nous exagérons rapidement, franchissant des limites que nous ne maitrisons pas si vite. L'entrée s'est déroulée parfaitement. L'incompréhension a été mon meilleur atout. Aucune réaction héroïque ne vient à l'esprit d'un être rationnel faisant face à l'extraordinaire. Il se tait, regarde anxieusement, et espère avec désespoir que tout se passera sans qu'il n'ait à sauver son existence. Bref, je me voyais déjà loin, et riche. Le problème, c'est que la fougue et l'ambition m'ont mené à négliger le fait que je restais une ombre. Autrement dit, que mon absence n'est due qu'à l'absence de celui qui me dévoile. Or, à ma sortie, le voilà qu'il se trouvait bien assez haut pour éclairer la pièce de devant, me rendant visible comme le serait un hologramme. Il fallut pas plus à un gardien courageux, que je tiens à saluer à nouveau pour son action qui mérite d'être prise en compte et notée, pour me sauter dessus et me maintenir à terre alors que j'étais nu.
    Vous savez à présent tout, messieurs les policiers. Je ne sais ni comment, ni pourquoi. Je sais uniquement que je suis. Dites-vous que les raisons sont au fond aussi invraisemblables que celles que nous cherchons pour justifier notre vie ou notre façon d'être conçu. Je me suis couché le soir en homme et me suis levé en spectre. Cela seul est certain. Pour le reste, j'aurai sans doute le temps d'y songer, n'est-ce pas ?
  2. Jedino
    - Monsieur ?
    - Je te répète que tout ceci n'est que calomnie, à la limite de l'outrage. Jamais personne n'est allé ailleurs, et jamais personne n'ira. Nous sommes condamnés à rester dans notre petit univers, criards comme des bambins sans mère.
    - J'insiste, et te certifie mille fois qu'il y a bien eu un homme comme cela. Lis donc son oeuvre ! Elle est magistrale, dantesque !
    - Toujours à friser avec l'hyperbole, mon ami ! Si un tel homme existe, j'attends qu'il me le prouve de face à face. Je n'ai que faire de mots et de fictions.
    C'est alors qu'il débarqua. Il avait l'air de faire trois mètres plutôt que deux, géant comme un roc, comme un héros. Il n'avait rien d'un être humain, il tenait davantage du héros. Il s'assit, se fit apporter son repas. Il exerçait naturellement cette autorité qui force au respect et à la crainte. Mon ami ne s'en offusqua point, cependant.
    - Eh, vous ! Vous m'entendez ? Je vous parle.
    Le colosse ne réagit pas, continuant tranquillement ce qu'il faisait avec délicatesse et magnanimité.
    - Tu vois, il se moque de nous. Il ne daigne même pas s'intéresser à notre scepticisme.
    - Monsieur Krato...voski?
    - Kratoskvoski, je vous prie, lança-t-il sans bouger.
    La situation se figeait, personne n'osant poursuivre. Puis, le gaillard se prît à s'arrêter. Plus aucun des protagonistes ne gesticulait à présent.
    - Messieurs, vous attendez, je suppose, une histoire ?
    - S'il vous plaît, si vous pouviez...
    - Non, je ne m'adresserai pas à vous sans rester dos à vous. Et maintenant, écoutez. Imaginez un monde comme le nôtre. Un monde où tout est vaste, imparfait, mais très beau. Un monde où les choses qui se meuvent dansent entre elles souvent et se frictionnent parfois. Imaginez cette fois que dans cet ensemble immense se trouve une sorte de planète semblable à ce que nous connaissons. Donnez-lui des habitants, des habitants ridiculement minuscules. Donnez-lui également des formes étranges, des formes stables qui ne le seraient pas pour nous. Prenez le chaos chez nous, vous aurez l'ordre pour eux. Prenez...
    - Foutaise ! Foutaise ! Foutaise ! J'en ai trop entendu.
    - Vous n'avez rien entendu. Sinon, vous sauriez que cette histoire n'est qu'une histoire, mais que la réalité, celle que vous attendez que je vous décrive et vous offre en contemplation, est et est autre. Le fait est que vous ne savez rien, et faites mine d'être en mesure d'en juger.
    Ce fût là, à ce moment, qu'il pivota dans notre direction. Ses yeux étaient mangés, comme gangrénés. La peau de son visage, noircie, paraissait lui tomber. L'une des oreilles manquait, aussi. Nous comprenions mieux pourquoi il évitait tout contact avec un inconnu. Il fouilla dans sa poche, dévoila le petit bocal qu'il tenait caché et conservait fermement entre ses doigts.
    - Ceci est ma preuve. Je n'ai jamais pu l'observer de ma vue propre, et je n'en entends plus qu'à moitié les sifflements particuliers.
    - Oh mon dieu !
    - Monstrueux ! Eloignez cette créature du diable loin de nous !
    - Allons, le diable ne réside que dans votre panique infantile.
    - Quelle est cette sorcellerie ? Vous vous jouez de nos sens. Je n'y croirai pas avant de l'avoir touché.
    - C'est parfaitement exclu, et n'est en rien raisonnable.
    Mais son doute ne le voyait nullement ainsi. C'est pour cela qu'il se leva, se jeta brutalement sur lui et amena Kratoskvoski à laisser tomber son précieux spécimen emprisonné dans le verre. La bête, une fois libérée, restait paralysée. Cela valait pour tous. Ils voguaient entre la crainte et la stupeur. Le sceptique se baissa finalement, tenta de le caresser.
    Elle se mit alors en mouvement, à une vitesse incroyable. Aucun regard ne parvenait à la suivre. Et quand, enfin, elle cessa, une fois en haut du mur, ils souriaient, amusés. Les gorges ouvertes se serrèrent quand elle sauta dans la bouche de l'insolent qui l'avait menacé tantôt de sa main. Le malheureux se touchait le ventre nerveusement, sans un son pour accompagner son agonie visible. Et, après s'être effondré, l'animal se montra à nouveau en rongeant en quelques instants tout ce qui empêchait sa sortie. Il trainait derrière lui un morceau d'intestin qui s'était piégé dans sa patte arrière.
    Ce détail, nul ne le notera néanmoins car ils avaient tous fui, déjà. Tous, sauf Kratoskvoski qui souriait. Son oeil gauche rosissait.
  3. Jedino
    - Bordel, où est-ce que je l'ai foutu? Chérie !
    Mon nom, vous vous en foutez. Mon âge, de même. Ma situation, également. Bref, vous ne saurez rien, et de toute façon, vous n'y tenez pas. Mais si cela vous intéresse...
    - Qu'est-ce qu'il y a encore?
    - J'ai perdu ma tête, et je ne vois pas où j'ai pu la mettre, du coup.
    - Encore?! Déjà hier !
    Heureusement, j'ai trouvé dans ma vie quelqu'un qui a réussi à accepter mon petit défaut, cette tendance à faire toutes les choses comme il ne faut pas les faire. Les gens comme moi comprendront de quoi je veux parler, ici. Par exemple, l'autre jour, alors que nous mangions gaiment, mon oeil était tombé, et personne n'avait vu où. Nous avions passé l'heure suivante à tenter de le retrouver. Et, finalement, quand nous avions rouvert le pot d'olives le lendemain, il y baignait. J'ai donc pu le récupérer, mais je n'ai plus jamais revu d'olives de ma vie. D'ailleurs, elle non plus. Bien pour ça que je dialogue avec moi-même, plus haut.
    - Petit petit petit ! Où te caches-tu?
    Pas dans la chambre. Ni la cuisine. Ni autre part. Ce n'est pas possible. Je raisonne probablement mal. Allons, où étais-je la dernière fois que je l'ai vu? Dans mon lit, bien sûr. Peut-être que quelqu'un est venu discrètement me voler ma cervelle en boîte? Ce serait vraiment vicieux de la part de cette personne, difficile à croire. Bon. Continuons.
    - Idiote de cervelle ! Arrête de te cacher, ça ne m'amuse plus.
    Un bruit. Quelque chose qui semble rouler. Je me précipite, me prends le mur à côté de la porte.
    - Espèce d'écervelé ! Pas foutu de suivre une trace sans te rater.
    Silence. Je me sens comme la victime d'un sociopathe sadique m'épiant discrètement, songeant déjà à l'idée de me prendre comme sauce tomate. Pour ma part, je marche furtivement, attentif à tout, même quand ce n'est rien.
    - Je vais te trouver, où que tu sois, et tu le sais. Cesse ce jeu débile et tu auras peut-être droit à ma clémence.
    Paf ! Quelqu'un saute par là-bas, non loin du canapé ! Tiens, la fenêtre est ouverte. Je ne me souviens pas l'avoir jamais ouverte. Je me gratte le bout du cou, sceptique.
    - Bon.
    - Je suis là, mon gros.
    - Ah !
    Je me précipite, manque de chuter, et finis malgré tout par glisser, pied vers l'avant, mimant le tir d'un footballeur aguerri se retrouvant au sol comme un môme apprenant à lever son postérieur. Mon pied frappe dans quelque chose.
    - Et buuuuuuuut !
    La voilà à l'extérieur, prête à s'enfuir. Merde. Je sors, la poursuis. Les gens me regardent d'un drôle d'air. Je crois que je peux en conclure que j'ai définitivement perdu ma tête.
    Ah, et si vous vous demandez comment je peux voir, entendre et parler sans elle, je vous dirai que pour des hommes entêtés, vous manquez d'une cervelle.
  4. Jedino
    Ôde à toi,
    Mon amie, mon amour,
    L'essence de mes jours,
    Diamant de mes nuits
    Et constellation des minuits.
    Toi qui est là,
    Toi qui me voit,
    En chaque heure,
    A tout bonheur,
    Oui, c'est cela.
    De tes feux, tu enflammes
    Mes peines et mes espoirs,
    Mon heur et mes soirs.
    Incandescence angélique
    A la robe machiavélique.
    Ma none à la cruauté hyperbolique.
    Dis-moi, pourquoi es-tu las?
    Pourquoi je m'installa
    Dans un monde qui viendront?
    Pourquoi je m'astreins à ça
    Quand ton phare se perd à l'horizon?
    Je brûle de l'intérieur,
    Déchiré par ma candeur,
    Par tes sentiments farceurs.
    Meurs.
    Meurs velléité.
    Meurs coeur damné.
    Meurs, tant que tu es.
  5. Jedino
    Quelqu'un qui est arrogant est un con. Quelqu'un qui est arrogant et a de bonnes idées, de temps à autre, est un génie. Quelqu'un qui est intelligent est un homme intéressant. Quelqu'un qui est intelligent et bien habillé est un homme d'avenir. Si celui-là est en plus travailleur, il sera en plus un homme important. Quelqu'un qui ne sourit pas est un dépressif. Quelqu'un qui ne sourit pas et a des propos délirants est un philosophe. Quelqu'un qui ne sourit pas, a des propos délirants et une haute estime de soi se traduisant par une certaine autorité est un homme providentiel. Quelqu'un qui sait lire l'avenir est un charlatan. Quelqu'un qui sait lire l'avenir avec des calculs est un scientifique. Quelqu'un qui passe ses soirées à se piquer est un drogué. Quelqu'un qui passe ses soirées à se bourrer la gueule est un être social. Quelqu'un qui aime manger dans un restaurant étoilé est un homme distingué. Quelqu'un qui aime manger dans un macdo est un névrosé diabétique en puissance. Quelqu'un qui ne travaille pas est un pauvre. Quelqu'un qui travaille est un riche. Quelqu'un qui a un langage commun est de la masse. Quelqu'un qui use de la rhétorique est un homme cultivé. Quelqu'un qui dit aimer le sexe est un pervers. Quelqu'un qui n'en parle pas est un coincé. Quelqu'un qui n'a pas d'argent et vole est un voleur. Quelqu'un qui en a et vole est un homme sensé préférant ne pas être écrasé par l'impôt. Quelqu'un qui ment est un menteur. Quelqu'un qui ne ment jamais est un menteur aussi. Quelqu'un qui veut est un matérialiste. Quelqu'un qui ne veut rien est une bizarrerie. Quelqu'un qui cherche du sens est un naïf. Quelqu'un qui n'en cherche pas est un nihiliste. Etc.
  6. Jedino
    Je me suis promené, hier, et j'ai croisé le genre humain. Bien habillé dans son costume trois pièces, très bavard, surtout lorsqu'il s'agissait de ne rien dire, il ne s'est heureusement pas abaissé au point de venir croasser en face de moi. Ce n'est pas que je le trouve sans aucune sympathie, c'est simplement qu'il cherche trop à vouloir raconter ce qu'il ignore. "Vous savez, autrefois, j'étais un peu comme vous : mal habillé, sans aucune dignité, à pinailler, perdu dans une factice haine du monde, celui là-même qui m'a tété." Bref, encore un type qui se prend très au sérieux alors qu'il est dans la même merde que tous les autres (c'est-à-dire la sienne).
    Mais ça n'a pas été tout : monsieur normal, monsieur la norme, m'est tombé dessus juste après. Fringué normalement, parlant normalement, con normalement. Qui s'insurge, bien évidemment, pour ce qui n'a pas le moindre intérêt "Quoi, vous ne mettez pas une tenue descente?", "Quoi, vous n'allez pas vous abrutir comme tout le monde?", "Quoi, vous ne savez pas tout sur tout, et surtout ce que je sais moi?". Et, la meilleure : "J'ai jamais rencontré un mec aussi banal et pathétique que toi." Avec le tutoiement qui va avec, pour la forme.
    Heureusement, l'original est arrivé me sauver, relever le niveau. "Moi, je. Moi, je." "Et moi je suis différent, et moi je vaux mieux que les autres." Vous l'aurez compris, il est tout aussi arrogant et prétentieux que les autres. Notons toutefois une nuance : le "je" génial qui habite chaque être aime insister sur lui-même. L'originalité aime se montrer doublement (elle aime se démarquer?). Reste à savoir si, à force d'originalité, l'original n'est pas celui qui ne l'est pas, donc qui fermes sa gueule et cesse de jouer au pantin (par pantin, j'entends tout abruti capable de penser que chaque acte irréfléchi a une signification, sociale en général, faisant d'un habit un signe d'appartenance et de valeur de celui qui le porte à tel ou tel groupe social).
    Voilà. Vous savez tout, maintenant, de ma journée merdique. Je regrette cependant ne pas avoir croisé la norme pour savoir un peu mieux ce que cela peut être. Mais je m'explique cette non rencontre par le fait qu'elle n'existe pas. Car, et il faut le dire aussi, tant qu'un bipède pas trop abruti pensera que foutre un habit plutôt qu'un autre a une quelconque importance, cet animal, ce sans cervelle à deux pattes, ne vaudra pas mieux qu'un trou à chier. Il ne suffit pas de ranger les choses, encore faut-il le faire avec intelligence.
    Malheureusement pour nous, nous n'en avons pas, de cette faculté à sortir de notre (mauvaise) foi en une (pseudo) supériorité. Tout ceci est ridicule. J'aimerais penser que ce n'est qu'une blague. Et dire que nous sommes allés jusqu'à en faire une science. Mon dieu, suicidez-moi.
  7. Jedino
    Mais. Il vient toujours après joint. Pardon. Nous allons recommencer :
    Mais. Du paradoxe de Condorcet. Du sacre de Louis XVI guillotiné. De l'éloge de la folie d'un Erasme bien amusé.
    Additionnez, vous obtenez un allume cigare. Point ridicule et chaud. Songez.
    Est-ce qu'un atome est chaud? Est-ce que le toucher me brûlerait la peau? Pourquoi son mouvement me fait mal?
    Il y a quelque chose de systémique là-dedans. Un truc inexplicable, un besoin de s'exprimer de manière incohérente.
    Ecoeurante logique. A envoyer dans les chiottes. Ajoutez-y ensuite une once de javel. Buvez. Si vous sentez un gargouillement, c'est que votre recette a réussi.
    Il faut fumer, dans la vie. Si ce n'est des cigarettes, que ce soit au moins des gens.
    La bûche me fait du bien. Ca réchauffe, c'est agréable. Un bon petit moment.
    Les doigts me picotent, le sang me manque un peu. Ou est-ce la braise qui sautille sur ma peau? Je ne sais pas trop, je ne vois pas grand chose.
    Aïe.
    Voilà le tournant. Celui qui fait tourner, vous savez. C'est toujours bon de le répéter.
    Bla bla. Bla bla. Bla bla.
    T'as un côté psychopathe. Ou est-ce de la maladresse? si la flamme joue sur toi?
    Ne me dites pas que? Non, réellement? Bien entendu que je ne suis pas concret, que ma main décrit une situation. Métaphore, métaphore. Ca sonne comme une incantation.
    Tou tou. Tou tou.
    Devenu du salami. Avec un grand cru. Ivre de conneries.
    Saoulante.
    Puante vérité. Je crois que je commence à cramer. C'est l'effet incendie. La loi selon laquelle mettre sa main dans un bidon d'essence allumé aboutit à des brûlures.
    Lance ta balle. Voilà deux quilles. Deux quiches. L'une s'écrase, l'autre s'élève. Tout s'oppose. Et tout s'attire. C'est notre côté atomique. La petitesse.
    Allons, mettons-y de notre patte dans l'histoire des inconnus. Paradoxe de Jedino : si vous tenez à être incompris, prononcez le non à la place du oui, et inversement. Si vous tenez à être compris, respectez l'ordre de votre pensée.
    Excusez-moi.
    Reformulons : admettons que A décide de dire quelque chose à B. S'il propose une proposition a, B saisira une proposition b. Donc, pour que la discussion aboutisse à une entente, A doit proposer la proposition b afin que B comprenne la a. S'il comprend c, c'est que votre proposition b n'aura pas permis de découler de b vers a. Or, vous savez que l'alphabet ne se prononce que dans un ordre, et que les pensées ne vont que vers un avant. Une pensée qui retourne est une pensée qui stagne. Donc, l'entente est impossible car jamais A ne parviendra à rendre une proposition quelconque compréhensible à B sans que celui-ci ne comprenne une proposition quelconque semblable à celle que propose A.
    A brûle-pourpoint, ne vous attendez à rien.
    Je crois que je suis au centième degré. Pas dans mon délire, mais dans ma folie.
    Douce, ô douce !
    Que tu es magnifique, quand tu m'enlaces de ton volcanique désamour.
  8. Jedino
    Où est passée cette jambe? Bordel, je n'aurais pas dû la découper. C'est ça quand on agit par passion. Par précipitation et non réflexion.
    Tant pis, j'irai manger ce morceau après.
    Ou pas, je ne sais pas encore. C'est qu'au fond, cela n'y changera rien, à l'issue. Elle est morte, je suis mort. Je me demandais simplement s'il était possible de manger la totalité d'un être humain en une soirée. Défi impossible et idiot, j'en conviendrai, mais chacun s'occupe comme il peut.
    En effet, je ne compte pas passer la nuit.
    Faut dire que je ne suis pas très malin. Dû moins, c'est l'idée que je me fais d'un type qui s'attache avec des chaines à une poutrelle en ayant imbibé la pièce d'essence et joué avec le briquet alors qu'il a jeté, plus loin, la clef. Fort heureusement, il a songé à une arme à feu. Au cas où. Si un abruti tente de le sauver.
    Non, je plaisante, vous vous en doutez bien. N'allez pas croire que je me contenterai d'une victime. Il n'y a qu'un faible pour se suicider après son meurtre. Malheur à qui aimera ses morts.
    Soyez indulgents, cependant. Le pauvre homme n'a pas prévu de quoi emporter le reste du festin. Les premières sont toujours maladroites, que voulez-vous. L'expérience vient en mangeant, n'est-ce pas?
    La voisine est venue déranger, d'ailleurs. Une personne insistante. Que cela est beau, la persévérance.
    Voilà voilà.
    Alors, qui compte dîner avec moi, ce soir?
  9. Jedino
    Tu dégueules. Miam miam. Et tu bouffes tout ça, une seconde fois. C'est pour le style, que tu dis. Le côté original, un truc dans ce goût-là. Mais pas grand monde te croit, même s'ils t'accompagnent tous, dans l'autre sens. Et t'expliques qu'avant de faire entrer, il faut déjà faire sortir. Qu'au fond ça se fait ailleurs dans la nature de manger sa merde, que ça permet d'économiser, de consommer jusqu'à plus possible.
    Je crois que c'est à ce moment-là que j'ai commencé à dérailler. Je veux dire, complètement. Ouai, c'est quand j'ai cessé de partir dans ce délire, quand celui-ci ne me rapportait plus rien du tout, que ça a mal fini. C'est que les trucs glauques, ça plaît un temps, mais ça a le défaut de demander sans cesse de l'innovation. C'est comme tout : le nouveau s'essouffle si tu ne le renouvelles pas continuellement. Ca a un côté plutôt renaissance, d'ailleurs, à mon avis.
    Alors je me suis mis à agrémenter les repas des clients du restaurant où je bossais. Et je filmais l'après, quand ils apprenaient, à voix haute, qu'ils avaient vraiment avalés une fraîche semence. Garantie naturelle et sans pesticide. Pas de quoi se plaindre. Le patron n'a pas trop apprécié, vous imaginez. Ca m'a valu un petit séjour, après lequel j'ai finalement été déclaré sain d'esprit. Qui en doutait?
    Forcément, l'idée m'est venue d'être plus discret, dès lors. J'avais pris conscience que les gens aimaient uniquement les trucs portés sur les autres et les trucs subtils et ignorés. Bref, baise-toi ou baise-moi sans me le dire. C'est une philosophie de vie, me direz-vous. Puis j'ai pigé qu'il fallait me donner en spectacle, me vendre devant un public qui cracherait des billets pour se vider devant ce qu'ils ne feront jamais. C'est le côté idole, que de se faire admirer pour des choses que les autres ne feront pas parce qu'ils se croient trop nuls pour y arriver. Quand ce taré est marrant, il s'appelle bizarre. Quand il est dangereux, fou. Au fond, nous dépendons tous des abrutis qui nous fréquentent. Rien que pour s'attirer leur mépris.
    J'ai donc monté ma petite affaire, avec une salle, et tout le bordel. J'ai eu du mal à trouver un partenaire, mais ça s'est fait. Suffisait d'aller au bon endroit, celui où les ambitieux, les vrais, savent la valeur du prix à payer pour le devenir. Nous avons monté un concours, celui qui parviendrait à boire le plus de la pisse recueillie auparavant parmi nos admirateurs, et ceci, sans gerber. Essayez, vous verrez : quand l'habitude n'est pas là, ce n'est pas simple. Vous verrez aussi qu'à force, ça passe. Faut juste pas trop être regardant. Parce qu'effectivement, à mesure que nos prestations passent, nos performances suivaient.
    Là encore, tout a fini par perdre. Les gens se lassaient. Une fois, ça les emporte. Deux fois, c'est démodé. Ca va vite, vous savez. Faut pas manquer d'imagination, dans cette situation. Ca ne nous a pas manqué, d'ailleurs, et nous avons enchainé d'autres chefs d'oeuvre étonnants. Sans aucune prétention, ni rien. Nous restions modestes, sans chercher à créer aucun record. Et un beau jour, il s'est dégonflé. Des douleurs à l'estomac, qu'il disait. Excuse à la con. Comment ce qui sort de toi pourrait te faire du tort à toi? C'est complètement con, que je lui répondais, pour insister. Sinon, t'aurais déjà crevé d'avoir trop sucé ton sang.
    Ca m'a vraiment désespéré, cette affaire-là. Et je me suis dit qu'il était temps que je fasse ma sortie aussi, que je devais faire le machin qui marquerait les esprits et ferait de moi une espèce de légende, au moins dans le coin. Vous l'ignorez peut-être, mais quand un type qui passe de la célébrité à rien, il ne rêve que d'un truc, c'est de pigeonner autrement les idiots qui venaient le voir. Pour ma part, ce n'était pas tant un problème d'argent que de renommée. Etre inconnu lorsque tu tournes, ça te dérange pas. Crever comme tu as vécu, en revanche, c'est autre chose.
    En général, c'est là que débarque l'idée géniale. Débile, mais géniale. D'abord, tu appâtes les proies. Suffit de dire qu'ils ne peuvent pas savoir pour qu'ils se jettent tous histoire de. En l'occurrence, de taire ce qui se passera, et de l'annoncer, très logiquement, comme grandiose, unique, et tout le baratin qui fait l'excellent imbu de sa personne et de son talent. Le problème, c'est que le prix de l'entrée, tu ne sais pas exactement si tu peux l'augmenter, ou non. Ca dépend pour beaucoup de ta réputation et de l'état de ta réputation à l'heure qu'il est. T'as plutôt intérêt à modérer sur les zéros si tu souhaites ameuter des rats. Surtout les plus gros. Enfin, il vaut mieux que l'annonce concorde avec ce qui suivra : si vous décevez, vous n'y gagnerez rien, tout au contraire.
    Je suis face à des milliers de tête. De toutes les teintes de l'abrutissement et de la bêtise. Ah ça ! Pour sûr que tout le monde est différent. Certains ne s'en doutent pas, cependant. Du coup, ils beuglent gentiment, comme les autres. Faut pas s'étonner que les gens se piétinent pour aller écouter des types qui chantent harmonieusement. C'est qu'ils s'y retrouvent, là-dedans, vous savez. Bref, ils me regardent tous. Genre, t'attends quoi, du con? Ne jamais faire patienter tout ce gratin. S'ils attendent, s'arrêtent, ils finissent comme les requins, et ils crèvent. Ca s'appelle l'activité, ou quelque chose comme ça. Paraît que c'est bien, et que si tu le fais pas, tu es d'une race haïssable. J'ai pourtant du mal à voir ce qui est actif dans la passivité d'une redondance journalière. Pas pour rien que les accidents les plus nombreux se font au plus proche de chez nous. Une fois que tu te crois comme tu es, tu restes comme tu crois être, et tu n'es jamais comme tu es.
    Pour ne pas jouer sur le suspens, parce que je ne suis pas dans un foutu bouquin, j'ai donc sorti mon couteau. N'allez pas penser n'importe quoi, néanmoins. J'ai pris quelque chose de solide, quelque chose de sûr. L'outil fait l'artisan. Ils ont tous sorti un "oh" faussement surpris. Une fois flirtant sur ma gorge, ils l'ont reproduit, avec une nuance d'inquiétude. Je me sentais comme à l'opéra, le siège en moins. Pas longtemps, car j'ai bien fini par devoir m'asseoir au sol. La conscience est si lâche. Un cou et puis s'en va.
    J'ai gravé mon image dans ces mémoires, et dans celles qui ont lu respectueusement le torchon de papier du lendemain censé les instruire. Rassurez-vous, malgré tout : ça n'a duré qu'un week-end, avant que je finisse classé dans l'histoire. La petite, l'humble, celle des anormaux qui ont eu l'espoir d'un jour tenter de bouger ce merdier. Dans une semaine, d'autres ajouteront que ce mort n'a jamais vécu. Et tout sera réglé. L'Histoire fût, mais n'a jamais été. Irréfutable.
  10. Jedino
    Je ne sais pas pour vous, mais moi, quand je marche dans la rue, je ne vois que des pingouins, tous plus ou moins moches, tous plus ou moins les mêmes, et tous plus ou moins en course pour rejoindre un troupeau quand ils n'ont plus à chauffer le gosse loin, très loin, et seul. Les mêmes démarches à la con, les mêmes démarches toujours vers l'avant. Zombifiés par leurs musiques abrutissantes, celles qui chantent dans les têtes et s'appellent pensées. Bref, une armée d'abrutis en puissance se voulant être beaux et dignes quand ils ne sont que bas et laids. Fort heureusement, ils n'oublient jamais que les habits font l'homme. Mieux encore, ils sont capables, grâce à une science du jugement aiguisé, ce qu'est la personne avec la force du premier regard. Autrement dit, nous possédons en nous un scanner visuel de ce qu'est un être dans sa profondeur, si je me risque à parler d'une quelconque profondeur pour des machins pareils. Dès lors, à quoi bon discuter? si nous savons tout de l'autre avant même d'en savoir. Je vous le demande. Enfin, admettons que cela ait du sens aussi. Nous en venons, très logiquement, à échanger, dans l'idéal de la situation, c'est-à-dire à monologuer amicalement chacun de son côté afin de dire ce que nous serions selon nous, et selon la monstruosité qu'est une société. Donc, je donne mon prénom, je donne mon âge, je donne mes occupations, je donne tout ce que je peux faire qui soit pour moi valorisant et potentiellement intéressant. L'autre ne manque pas de m'imiter. C'est ce que nous nommons respectueusement la conversation, conversation qui s'accompagne pour beaucoup d'une fausse courtoisie. Mais franchement, qu'est-ce que ça peut me foutre, tout cela? Est-ce que je connais quelqu'un quand je connais des données d'elle, des artifices censés l'identifier, ou est-ce que je la connais quand je sens ce qu'elle peut être, quand je passe du temps avec celle-ci? Passons. la sociologie m'a déjà tué, la psychologie aussi. L'essentiel n'est de toute façon pas d'être dans le vrai ou dans le juste : nous nous contrefoutons pas mal d'agir comme il faut ou comme il faudrait. Nous agissons. Mal, cela va sans dire. Qu'importe ! Nous avons appris qu'il vaut mieux mal agir que ne jamais se mouvoir. Ceci explique sans doute notre mépris à l'égard des plantes. Fainéantes ! L'homme est définitivement à l'image de Dieu. Il ne faudrait surtout pas que son arrogance soit injustifiée. Imaginez ! Il risquerait de prendre conscience de son infinie superficialité et, pire, il en serait l'unique fautif.
    Bordel, allez cramer en Enfer. Vos âneries m'insupportent. Ou peut-être est-ce cela, l'intelligence : se vanter d'être sur le trône de la merde, se prétendre capable d'un degré d'esprit proche du divin, et renier ses poils qui rappellent trop cette animalité qui fait peur, au point d'en inventer une seconde peau, une textile, une foutue apparence. Je ne sais pas si je dois en rire ou en pleurer, ou me borner à tenter de comprendre. Parce que j'ai beaucoup de peine à concevoir que nous soyons en mesure de saisir ce qu'est un arbre en dedans par la simple vue de son écorce et de son feuillage. Je dois sûrement être trop con pour ça.
  11. Jedino
    Notre héros, homme charmant et intelligent, capable de discerner les traits d'esprit et les âmes qui méritent une quelconque attention. Bref, il appartenait à ces rares qui savent tout avant même de le savoir. Vous l'aurez compris, c'est un génie. Ne vous étonnez donc pas si, par la suite, ses attitudes, réactions et comportements vous échappent. Il faut être d'une espèce tout à fait supérieure pour comprendre que les questions les plus essentielles ne sont jamais les plus existentielles. Voyez plutôt.
    Alors qu'il quittait sa modeste demeure, car la modestie est l'essence même du génie, il s'arrêta, estomaqué, alors qu'il s'apprêtait à fermer à clef la serrure de sa porte. Il se sentit transporté, tout d'abord, par l'idée qui le transcendait là : à quoi bon tout fermer, toujours, tout le temps. Et dès lors, insérer la clef dans la serrure l'exaspérait au plus haut point, au degré le plus noble qui soit. Car enfin, à quoi bon se fatiguer chaque jour, plusieurs fois (inutile de vous dire que le geste se fait par paire : ce qui se ferme s'ouvre, et ce qui s'ouvre se ferme), quand il serait possible d'économiser ces gestes vains et lassants? Immédiatement, pour ne pas dire avant même que la question ne se pose consciemment en lui, les raisons les plus diverses, les explications les plus complexes, avait émergé comme si elles avaient toujours été là, attendant le moment pour se montrer. Par décence, je ne les exposerai pas ici. Je me contenterai d'ajouter qu'il décida, à partir de cet instant, de ne plus jamais s'encombrer de ces actions.
    J'ignore si vous parvenez à en comprendre et l'origine, et l'intérêt, mais pour ma part, cela m'échappe. Toutefois, si vous êtes en mesure de saisir cela, vous êtes probablement l'un des membres de cette caste si précieuse à notre bonne humanité, et vous trouverez alors ce propos tout à fait ridicule et risible. Excusez-m'en, donc, n'étant qu'un humble parmi les humbles. Mais continuons notre petit voyage. Non, encore un ajout, avant cela : deux mois après sa nouvelle habitude, il rentra un soir pour constater que sa maison avait été réaménagée par de généreux inconnus qui y libérèrent l'espace. Vous n'auriez pas tort si vous songiez, là, qu'il en fût heureux : il voyait en cela l'idéal du partage.
    Il rencontra, un beau jour comme ils le sont tous, même ceux semblant laids au commun des mortels, un de ces mortels, précisément. Quel choc! Quelle curiosité! Il crût être tombé sur un chimpanzé ayant sût s'échapper de sa cage tant ce corps qui lui ressemblait en apparence manquait, en réalité, de profondeur. Il tenta vainement de lui parler de quelques sujets dignes d'intérêt, resta perplexe, puis horrifié, face à un tel hermétisme. Lui vînt alors l'image, la fameuse, celle où il se vît à sa place de son interlocuteur, celle où il serait, à son tour, aussi haut qu'un arbuste et intelligible que le discours d'une huître. Il se sentît très mal, de ces maux qui ne sont connus que par les plus grands, de ces maux non véritablement réel mais davantage virulent. Les génies qui liront, s'ils s'abaissent une heure à me lire, comprendront sans aucune difficulté de quoi je veux parler ici, bien que maladroitement. En tous les cas, leur conversation, c'est-à-dire d'un échange de politesses, s'acheva, ô fort gentiment, par le départ de notre cher ami qui ne supportait plus de parler tout seul. C'est qu'un homme de qualité apprécie les discussions qui ont une portée, un sens, ce quelque chose qui donne du poids à l'ensemble.
    Bref, quand le commun voyage ailleurs, le génie voyage au milieu des idées. Ne soyez ainsi pas surpris si, dans votre vie, vous croisez la route d'un de ces êtres surplombant, très au-dessus de nous, notre monde. Vous penserez, et ceci est inévitable, qu'il est un pédant. Ce n'est pas de la jalousie, uniquement une réaction logique, très humaine chez nous la masse. Mais nous sommes cependant en train de fauter : parce qu'il est trop sublime, nous ne réussissons pas à voir clair. Ne vous blâmez pas pour autant : nul n'a choisi d'être idiot, et il n'est pas mal de l'être. Seulement, il vous faudra admettre que vous l'êtes, et que le génie, lui, fait le choix de l'être. Ne cherchez pas à trouver la raison qui le justifierait, votre intellect n'est pas assez élevé pour appréhender la réalité d'une liberté si parfaite qu'elle offre le choix d'être autre. Ne cherchez pas à la trouver : cela se fait alors même que vous ne pensez pas encore, quand vos attentes et vos tourments se tournent vers ce qui occupera votre existence, du début jusqu'à la fin. Le génie, lui, pense déjà, en cette période-ci. Il pense avant même de penser, et sait avant même de savoir. Comment donc s'étonner, alors, qu'il sache qu'il lui faut être ce qu'il sera avant même qu'il ne le soit?
    Résumons, résumons. N'est pas génie qui veut, mais est génie celui qui veut avant même de vouloir. Si vous y voyez un paradoxe, une contradiction, une ânerie ou un caprice de l'imagination, vous appartenez sûrement aux bonnes gens. Si vous y voyez que clarté, qu'évidence, j'ai le bonheur de vous apprendre ce que vous avez déjà en connaissance : vous êtes l'un d'eux.
  12. Jedino
    Moi, je. Cherchez pas une logique à ce début, il n'en a pas. C'est que je suis fatigué de la vie. Faut me comprendre, avec mes petites jambes et mon dos de limace mal digérée, je m'écroule sous sa masse. Mais cessons de parler physique.
    Prenons un cas. Je me suis levé ce matin, plutôt content. Je me coucherai ce soir grandement malheureux. Que me vaut cette évolution? Rien, car rien ne s'est passé entre ces deux moments. Et pourtant, tout a changé. Cherchons du sens. Qui peut saisir qu'un dé qui s'arrête sur un six se tourne, sans aucun mouvement, sans aucune raison, sur son un? Si c'est le cas pour vous, tant mieux. Je ne veux pas le savoir. Taisez-vous.
    P'tit con. Faut rendre un peu la monnaie de la pièce. Tu connais des gens, des gens sympas. Personne ne l'est pas, et tu le sais bien. Personne. Et alors? Alors quoi? T'as rien à dire? Abruti. Tu ne sais pas comment? Retourne étudier ton dictionnaire. Tu prends un mot, tu prends le suivant, tu les assembles, ça fait ce que ça fait. "Moi, je. Moi, je." T'as rien dit avec ça. Tu dis tout avec ça. Ferme-la, je t'encadre pas.
    V'là le poème : un coup de mélancolie "J'ai mangé un clown estropié de la cervelle", un coup de poésie "Connard de vécu, va chier tes événements". Pas fameux. Faut aimer la merde. N'en rigolez pas, ça existe bel et bien. Pourquoi croyez-vous que nous préférons dormir sous terre, sinon? Certainement pas pour bouffer des vers. Ils nous ressemblent que trop, les bougres : laid, dégueulasse et envahissant.
    Un peu comme ces enfoirés de personnages. Non, pas ceux que certains font mignons comme des tondus, les autres. Ceux qu'y se promènent la chemise bien mise, les chaussures trop propres. Bonjour! Qu'il te dit de la main qui s'est torchée plus tôt. A quoi bon s'offusquer? Nous lui retournons la politesse.
    Du coup tu te retrouves là, bordel. Tu te retrouves là, ta vie est merdique, t'as plus de potes, t'as plus de filles, t'as plus de quoi perdre ton temps, et tu n'as jamais été en cours. Bref, t'as pas signé ton contrat. Et tu veux échanger ton indifférence contre une chance? Allez hop! A la rue, va gratter les poubelles. Chacun sa loterie.
    Allez, vous m'énervez. A vous prendre au sérieux, à vous croire comme une fleur que tout le monde souhaite admirer. N'oubliez pas, cependant : restez comme vous êtes, mais ne soyez jamais ce que vous êtes. Précisément, un tas de cellules qui ne pensent qu'à se goinfrer. Un intestin qui ne pense qu'à s'évacuer. Cachez-le si vous y tenez derrière vos jeans en plomb et vos conneries de moeurs en société, vous n'y changerez rien. Vous n'êtes, et serez éternellement, qu'un sac à merde.
  13. Jedino
    Lisez! Voilà ma petite histoire. Oh, elle est toute personnelle, pleine d'une banalité. Vous verrez. Mais, constatez plutôt.
    Il est vrai, je suis tombé amoureux, amoureux du désespoir. J'avais toujours imaginé, pourtant, aimer une fille, peut-être un garçon, quelque chose en tout cas qui porte un nom et peut créer ou détruire de ses mains. Choses plaisantes, choses trompeuses. Tu vois un paysage radieux là où seul existe le cimetière. Celui de nos amours, celui de nos espérances.
    Lisez! Et apprenez que des morts peuvent pousser les fleurs et la vie. Moi-même, j'ai eu la chance d'aller cueillir celle qui m'attendait, là, seule, magnifique, au clair de lune absent. Jamais je n'avais vu pareille beauté : morte, fanée d'avoir trop aspirée la lumière et le monde. Morte, parce que là est son destin. Le sublime n'existe que dans l'éphémère, et il me fallait le rencontrer, à mon tour, comme tant d'autres avant moi, et comme tant d'autres encore après moi.
    Lisez, oui! Parce que nous le devons bien. Que ce soit notre passé ou notre avenir, nous lisons, avec amertume parfois, avec curiosité souvent. Curiosité étrange où l'intérêt manque. Mais là n'est pas le propos.
    J'aimais, donc, la seule folie qui méritait fidélité. Que voulez-vous, sans un Dieu à qui abandonner nos vies, il nous faut une idole à qui consacrer nos peines. Et quelle meilleure idole que l'âme des peines elle-même? Ainsi, j'avais rencontré l'humain désespoir qui paraissait être une femme. Si je devais philosopher là-dessus, je vous dirais sûrement que la perdition n'a pas de sexe.
    Laissons tomber les mots, laissons tomber les politesses. Et oublions, également, nos quêtes assassines. Il n'y a de vérité que la mort, et de mort que la vie. Allons, jeune idiot, nul n'irait croire que la mort est la vie et la vie, la mort. J'ai longtemps pensé que le désespoir consistait à douter à un suprême degré de la foi en une nouvelle respiration, en un doute qui pousse à chercher l'expiration. Je me suis trompé. Les suicidés sont les êtres les plus vivants que je connaisse. Ils aimaient tant vivre qu'ils étaient prêts au sacrifice le plus grand pour enfin la trouver. Car lorsque je me promène, tout le jour, lorsque je voyage d'un endroit à un autre, je n'y vois que des corps en putréfaction, des êtres qui n'en ont que l'apparence. Regardez! Combien vont trouver leur existence dans la douleur et la souffrance? Combien irait au bagne pour saisir, rien qu'une unique fois, ce qu'ils ont toujours cru avoir?
    Je suis tombé amoureux, oui, et j'ai compris. J'ai compris que ni la déchirure, ni la mort, ne me faisaient peur. Que je suis, en réalité, profondément suicidaire. Suffisamment pour me condamner à vivre encore et encore, jusqu'au terme qui m'est échu. Un jour, peut-être, parlerai-je de masochisme existentiel.
    Lisez bien ceci, car il sera le dernier.

  14. Jedino
    J'étais levé de bon matin
    Droit comme un Saint
    Digne comme un Grec
    Pour louer un mec
    Qui se fait appeler Dieu
    Un coup sur les genoux
    L'autre dans les choux
    Je chante mes maux
    A l'inconnu là-haut
    Planqué aux cieux
    Mais ces pérégrinations
    Vers les illuminations
    Que je murmure à demi-ton
    Peuvent-elles sans son
    S'entendre par-delà les lumières
    Car si je voyage en esprit
    Nul ne m'a jamais dit
    Qu'en finalité tout arrive
    Sur les blanches rives
    D'un paradis fou des prières
  15. Jedino
    Je métamorphose
    Des flammes aux cendres
    Le cierge morose
    Pourquoi pleure-t-il?
    Sous des cieux si tendres
    Pour un Dieu si vil
    Pourquoi tant de prose?
    Quand tu peux prendre
    L'avenir et la rose
    Imagine une ville
    Un lieu où te rendre
    Veux-tu être servile?
    Car d'esclaves se compose
    Ce coeur encore à vendre ;
    D'or ou d'argent, que s'impose
    L'aurore d'un jour scolopendre.


  16. Jedino
    La pluie ruisselle sur le roc
    D’un avenir incertain :
    Solide, en un bloc,
    En l’attente du lendemain.
    Cruelle désirée
    Que l’espoir d’un ange !
    D’une ruelle lézardée
    Me parvient un étrange.
    Qu’est-il ?
    Qu’avale cet abysse ?
    Sinon que d’un cil
    Le courage d’Ulysse ?
    Mais du mythique
    Il n’en est nullement.
    Car aucune rhétorique
    Ne comble le désappointement.
    Cessons ce verbiage
    Qui dissipe l’avant et l’après,
    Et préférons davantage
    Approcher le juste de près.
    De ce ciel !
    Pas de souvenirs.
    Circonstanciel,
    Mon choix aime s’y tenir.
    Aucune déception,
    Aucun passé,
    Que rien ne fasse exception
    En ce désert d’esprit évidé.
    La pluie ruisselle sur le glas
    D’un désespoir apaisant :
    Si le prix est d’être las,
    Le tribut n’en est que plus vivifiant.
    Donne ton bras aux vipères,
    Cède ton cœur au trépas.
    Si tu veux un jour être père,
    Il te faudra franchir ce pas.
    Mourir, voilà ta liberté !
    Nul ne peut t’en priver
    Sinon l’immonde immortalité
    Que chacun cherche à t’imposer.
    Une trace sur le sol,
    Ce n’est que faux!
    Seul un être fol
    Irait vouloir pareils cadeaux.
    Rester dans les mémoires,
    Marquer de son sceau le temps :
    Pourquoi rêver de ces gloires
    Qui empoisonnent nos âmes depuis si longtemps ?
    Les phrases s’allongent,
    Les mots s’alourdissent :
    Les songes pèsent et rongent
    Sur ces mondes qui s’esquissent.
    Au loin !
    En effet, je vois.
    Un navire en coin,
    Une échappatoire et des toi(s).
    Mais de ce « je »
    Je ne sais rien,
    Sinon qu’irai-je
    En tant que sien
    Vers un lointain
    Qui n’est pas du mien.
    J’ignore qui je suis, si je suis sain,
    Ou saint dès lors que je vis bien.
    Je sais seulement que, de ces lignes, de ces courbes qui se dessinent,
    Persistera une impression, une idée qui se glisse,
    Celle d’un chaos sans aucun, de chaînes qui s’indéterminent,
    D’un hasard qui ne raconte pas, d’une folie qui grandisse.


  17. Jedino
    Il régnait sur un îlot de désespoir. Déterminé à ne jamais le quitter. Nous n'avons le choix que dans la souffrance : le bonheur, lui, est fugace. Il lui sourit de son air diabolique, cherchant à le tenter. Il l'appelle à lui, il appelle son coeur affamé. Quoi de plus normal pour un corps que de quêter l'énergie qui le maintient en activité? Non, il ne l'atteindra pas : cette immensité de douleurs qui protège du démon. Il avait pourtant succombé au dogme enseigné. Il s'était mis à y croire, à tout ceci. Que l'homme se doit de vouloir être heureux, qu'il doit marcher en ce sens. Et en effet, comme tout bon naïf, ses jambes l'ont mené vers l'enfer de la quiétude, vers un idéal que chacun désire et que personne ne trouve. Pourquoi croyez-vous donc qu'un homme monte au plus haut lorsqu'il compte se suicider? Pour mieux chuter. Pourquoi croyez-vous, oui, que nous érigeons des immeubles qui dépassent les nuages? Pour mieux voler.
    L'océan de ses peines bordait le rivage de son humeur. Même le temps se perdait : passé, présent, futur? Il en perd la main. Dans la solitude, seule l'éternité compte. Tout le reste est futilité. Son humanité continuait, pourtant, de courir après la vie. Comment peut-il oublier la femme qui l'a enfanté? Comment se défaire de l'instinct qui ronge ses sens, sa viande et son âme? Il préférait la certitude du mauvais à la sournoiserie du bon. En un sens, il aime. Chose inconcevable, pour un être justement formé. Chose inévitable, pour le ténébreux crusoé.
    Qui vient, au loin, sur une barque? Est-ce un nouveau colon? Quelqu'un voulant être pardonné? Elle venait. Encore. Elle ne le lâcherait jamais. La joie voguait vers lui. Pour le pervertir. Pour lui montrer ses charmes avant de l'abandonner. Il ne serait pas pris. Lui vivant, cela ne se fera pas. Il s'y refuse. Car il ne sera plus possible de s'offrir. De se faire capturer, emprisonné par l'ordinaire poison. Du haut de sa corde, calme, sur l'île qui l'a accueilli, l'a construit, il se pendra avant que n'arrive celle qui, toujours, voudra le contrôler. Il rejoindra les anges enflammés. La fidélité d'une inexistence. Ailleurs.




  18. Jedino
    Nous sommes, paraît-il, incapables de comprendre les autres, et d'autant plus lorsqu'ils vont mal. Le problème tient sûrement en ce que seul un souffrant conçoit la vie de cette manière-là, de celle qui consiste à vivre l'existence comme une prison. N'est-il pas courant de voir le malheureux comme embourbé dans son passé, comme suivant le pas de ce qui a été, ou est déposé en lui? Une espèce de déterminisme horripilant faisant de chacun un esclave pour qui croit en la liberté. Mais qui irait penser que ce qui n'est pas encore puisse, aussi, donner le rythme? Quoi de plus normal! Qu'un homme qui marche vers son destin, vers son a-venir. Comment mieux justifier la négation du présent? Si tu es, ce n'est que pour goudronner la route vers ton demain. Pire, si tu ne le fais pas, tu finiras en marge, méprisé pour avoir préféré faire que prévoir.
    Allons, comprenez-moi : puis-je vraiment accepter, après avoir mis tant de temps à me détacher, rien qu'un peu, de ce qui n'est plus, de m’assujettir à ce qui n'est pas encore? De sortir partiellement d'une forme d'esclavage par le temps pour sombrer dans une autre, plus vilaine à mes yeux? Je n'ai jamais eu le sentiment d'être compris à ce propos : cela tient presque de l'inconcevable pour de nombreuses personnes. De là découle sans doute mon incapacité à travailler : parce qu'il a été associé à ce qui doit arriver, je ne saisis pas son intérêt, et donc m'en désintéresse. Quand je me lève le matin, je ne le fais pas dans le but de réussir un concours et de parvenir à un salaire, mais uniquement pour comprendre des choses.
    Je sais, cependant, que mon regard est mauvais. Quoi de plus normal pour un myope? Je sais aussi que j'entends très bien. Trop bien. Peut-être parce que je fais attention aux détails. Peut-être parce que je suis toujours ailleurs. Peut-être, oui, parce que même en l'actuel je me sens enchaîné. Ou alors parce que celui-ci a été instrumentalisé pour l'après, me poussant ainsi à le rejeter, lui aussi. Je ne m'attends pas à être compris. En réalité, cela n'a pas grande importance. Mais, si la vie consiste réellement à toujours préparer ce qui vient, quitte à en oublier de vivre, pourquoi ne pas mourir tout de suite, en ce cas? Si je peux saisir les raisons d'un suicidé emporté par ses plaies ouvertes, je ne le peux pas quand il s'agit de cheminer vers un quelque part inexistant. Vraiment, je trouve cela absurde. Probablement parce que j'ai un pied qui reste à l'arrière. Une sorte de boulet que je déplace avec peine pour l'empêcher de m'y renvoyer. Car il n'y a pas plus risible que celui qui choisit de respirer sans damnation et sans prétention.
  19. Jedino
    Un éclair, et voilà l'inspiration, l'idée qui te sauvera de l'angoisse de ne rien avoir à coucher sur le papier. Parait qu'un monsieur glisse dans nos têtes ces trucs-là, un peu comme le type qui va engrosser une urne avant qu'elle ne soit vidée, comme celui qui passe son temps à rendre sa cervelle intelligente en sachant pertinemment que tout cela ne servira, finalement, à rien. Mais je suis de mauvaise foi. Il le faut bien. Car si nous n'engraissons pas les dindons, comment allons-nous en extraire la farce? C'est bien le but, non? En ajouter, en ajouter, jusqu'à se faire bouffer? Si ce n'est par le ridicule, c'est pas l'absurdité ou l'évidence de son ignorance?
    Parait aussi que t'as ceux qui sont doués en art, et ceux qui sont doués en science. Qu'un génie qui se respecte ne peut pas jouer sur les deux tableaux. Vinci, il est temps de nous montrer qui tu es : un imposteur. D'ailleurs, j'ai toujours voué une véritable admiration pour les gauchers. Surement parce que je le suis aussi en partie. Ou bien parce que ça me donne une sorte de particularité qui me permet de caresser dans le bon sens mon petit égo à la panse affirmée.
    Pour tout vous dire, j'ai faim, là. Dans le genre, je crève la dalle. Je pourrais m'amuser à faire semblant de savoir écrire de jolies phrases, mais il paraît également que je n'ai pas le sens du verbe. Alors, autant cesser le paraître pour préférer l'être, n'est-ce pas? Tout le monde n'est pas Barthes ou Hugo, deux auteurs dont la lecture m'inspire qu'une chose : l'envie de maigrir. Oh, ce n'est pas qu'ils sont moins bons ou tout aussi mauvais que les autres, non. Seulement, je fais une fixation sur deux ou trois types que je n'encadre pas.
    Enfin! Qui suis-je, pour en parler? Un moins que rien qui prétendrait discuter de ce qu'il méconnait? Allons, il faut y aller à coup de concepts et de références variées, mon ami. Soyons clairs, soyons précis! Soyons ce qu'il faut pour être compris. Et ne manquons pas, si déjà nous y sommes, de démystifier nos rêves. A quoi bon rêver, ma foi, si nous pouvons apprendre? Le rêve est l'art du fainéant. Le martèlement, celui du sérieux.
  20. Jedino
    Pourquoi le beau est beau?
    J'y vois tout d'abord un cas : celui d'un objet auquel nous attribuons une valeur esthétique supérieure à celle d'un autre, ces deux objets étant supposés de même type, donc de même utilité. Pourquoi cette voiture aux belles courbes (pourquoi belles?) serait plus belle que l'autre, plus carrée, plus commune? Il n'y a là que deux possibilités de réponse : soit nous attribuons une valeur à chaque chose "socialement", et cela se répercute sur le prix, soit nous allons plus loin lorsque nous parlons du "beau", sans le savoir. Car que serait une belle voiture sans le moteur et le confort qui va avec? Et que serait, sinon, la voiture de tout un chacun, mis à part ce que tout le monde a? L'effet de comparaison serait l'explication donnée généralement, la valeur étant une construction sociale qui juge de ce qui est le mieux et ce qui est le moins bien.
    Je pense que nous avons plutôt tendance à créer des rapports entre le fond et la forme. J'entends par là que lorsque je songe à une forme, j'y attribue un fond, ce qui fait sa matière, et lui donne ainsi une valeur. Cela non pas socialement, mais objectivement, par la possibilité que nous avons de comparer deux objets et leurs capacités. Autrement dit, quand je vois une voiture estimée comme chère, je le sais parce que je vois avant tout sa forme qui me laisse entendre ce que sera ses caractéristiques. Je le sais d'autant mieux que je connais les voitures, donc que j'ai les connaissances permettant de comparer ce qui est le mieux, ou non, par rapport à ces objets-là. Si le savoir peut être socialement acquis, il peut l'être aussi plus personnellement, ce qui défait l'idée que le social détermine la notion de beau.
    Prenons un autre exemple pour être plus clair. Qu'est-ce qui fait la beauté d'un texte? Ce qu'il contient, me dit-on. Entendez par là, ce qu'il contient par rapport à ce qui se fait par ailleurs. Car si un texte peut être beau "en soi", cela supposerait qu'un homme n'ayant jamais rien lu en vienne à lire ce texte et à en venir à l'idée qu'il est beau. Là encore, c'est un jugement par comparaison entre plusieurs éléments qui permet de distinguer ce qui est beau de ce qui ne l'est pas. La question est : est-ce que mes goûts sont édictés par le social? Si tel était le cas, nous aimerions tous les mêmes choses, et écririons ainsi les mêmes choses plaisantes que nous trouvons plaisantes. La question ne se poserait donc pas. Or, elle se pose. C'est donc que ce n'est pas si simple, et sans rapport, selon moi, avec le dit social. Que nous ayons des intérêts divergents, des goûts différents, ne peut s'expliquer que par une sensibilité qui est dès le départ différente. Certes, mon lieu de vie, mon vécu, et toutes ces choses qui font une vie, vont jouer sur ma façon de percevoir ce texte. Mais cela se fait en rapport, et avant tout, avec ce que je suis : une façon de réagir. Et parce que la construction se fait en société, nous extrapolons en annonçant cela comme socialement construit. J'attends toujours la démonstration qui m'expliquera, le cas échéant, qu'un homme se mettra à tomber dans le désespoir quand un autre, face à une même situation, trouvera la volonté d'aller au-delà, dans la révolte.
    Le beau n'a donc de sens que dans une comparaison de valeur que permet la sensibilité et que concrétise la connaissance. Cela n'a rien à voir avec les codes sociaux, codes qui n'existent que dans notre hypocrisie et notre besoin de catégoriser, et donc hiérarchiser, les choses. C'est selon moi une erreur, et c'est pourquoi je trouve chaque chose belle. Ou, au contraire, je les trouve comme elles sont, car la beauté est une notion dont il est possible de se passer. Ce qui est différent n'est pas forcément d'une valeur différente, si ce n'est en fonction de ce qui me plaît à moi. Et ce qui me plaît est strictement personnel, aussi proche cela peut-il être des goûts d'un autre. Nous croyons, à tort, que la mode consiste à s'habiller comme les autres parce que les autres le font. Personne ne vient à se dire que si les autres s'habillent également de cette manière, ce n'est que parce qu'ils trouvent cela beau aussi. Nous vivons dans un monde à ce point obnubilé par le social comme l'explication de tout que nous le mettons absolument en tout. Comme s'il fallait à tout prix nier ce que nous sommes, nous. Celui qui parviendra à me convaincre que je suis le fruit d'une société n'est pas encore né. Car si j'apprends et raisonne selon ce que celle-ci m'enseigne, toujours en fonction de ce que je suis, je ne sens et ne ressens que ce qui m'est propre. Je ne ressens pas ce que je dois sentir. Donc, quand j'apprécie quelque chose, je l'apprécie parce que je suis ainsi fait pour l'apprécier.
  21. Jedino
    Froid comme le goût de ta chair. Froid comme la réalité de tes sentiments. Froid comme le marbre que tu n'auras jamais. Bref, tu étais la mienne. Ma peine, mon fardeau. Celle qui réchauffait mes entrailles et me remplit aujourd'hui la panse. L'inexistence de tes sentiments compensée par la chaleur de ta viande. Et, comment le dire décemment? J'avais faim. Pas uniquement de toi, de ce que tu n'as jamais su me donner, mais aussi de ce que je n'ai jamais eu, jamais ressenti autrement que comme une façade.
    Et tu sais quoi? J'imaginais que ça me ferait du bien, et je me suis trompé. Tu es sans saveur, sans aucune vie. Aussi écoeurante que la mort. Car c'est un fait, j'ai l'impression de manger un cadavre, un être qui s'est mû, qui a prononcé des paroles, et fait des choses, sans avoir été. Je ne sais pas bien s'il est possible de mourir avant même d'avoir vécu. Je sais seulement que c'est ce que tu serais si cela se pouvait.
    J'ai donc mangé la mort avant d'avoir goûté à la vie, remplacé mes cellules par des zombies. Dois-je m'étonner de ne pas apprécier, dès lors, ce qui a de la couleur et de la gaité? Comment comprendre, sinon, l'attrait que je porte à la nuit? Comment expliquer, en ce cas, que le jour m'agresse et la présence m'oppresse? Vois-tu, même si tu avais été un soleil à son zénith, même si tu possédais en toi cet élan qui donne aux gens la force d'aller toujours au-delà, je crois qu'au mieux, cela aurait mal fini, et qu'au pire, nous ne nous serions pas connus. Peut-être l'aurais-tu préféré, d'ailleurs, maintenant que tu ne donnes plus l'illusion de respirer. Peut-être aussi que nous étions un peu les mêmes : deux spectres qui se trainaient chacun de son côté jusqu'à se rencontrer et se déranger, finalement.
    Si un jour tu me lis, si un jour tu es en mesure de faire l'impossible, sache que ce que j'ai fait a été la plus belle des preuves de mon amour pour toi. Si nous ne faisions que nous ne regarder vaguement de ton vivant, nous sommes un depuis ta mort. L'idéal même de la relation. L'idéal de tout. Faire du multiple une unité.
  22. Jedino
    J'me suis dit : "et si tu écrivais une histoire, ces trucs un peu chiant". Mais pour raconter quoi? Ma vie? Je sais bien que la mode consiste à tout dire sur soi et à s'imaginer, en plus, intéressant. "J'avais treize ans, j'ai eu une mauvaise note, j'ai été traumatisé." Merci, vraiment. Voilà ma vie changée. Une histoire? Tout a déjà été chanté. Il suffirait de se souvenir un peu. Et quand l'un parvient à trouver l'infime qui n'a pas été abordé, il est hué, mis en cage, et expédié assez loin pour ne déranger personne. Des idées? Mieux vaut encore jouer aux cartes. Flaubert n'avait pas tort : l'idéal serait d'écrire sur rien. Voilà une source inépuisable, une terre inexplorée et fertile. Seulement, comment écrire sur rien, sinon en n'écrivant pas? Les plus grands poètes seraient-ils ceux qui, plutôt que de l'écrire, la font vivre à travers eux? Une poésie vivante, mouvante, faisant éclore des amours et des peines? Allons, essayons.
    Z. ne voulait pas autre chose que s'ennuyer, aujourd'hui. Et comment mieux s'y prendre qu'en s'adonnant à l'inactivité? Il trônait sur son banc comme un monstre sur la peur. Tout son zèle finissait dans cet enseignement de patience et de beauté. En philosophe, il songeait à ce qu'était la vie, en ce qu'elle se définissait par son mouvement, par l'action. Peut-être se trompaient-ils. Peut-être que la vie tenait davantage dans le retirement de sa nature, de son inclination à toujours s'agiter. Erreur! s'indigna sa volonté. Penser est déjà se tromper, poser le premier jalon du faire. Alors, cessons. Il était assis, il regardait sans regarder. Cela était de trop. Il ferma les yeux. Se mît droit. La vue s'était tue. Si les bruits agressaient ses tympans, il en oubliait la contenance et la provenance. Son ouïe ne voyait plus. Sa bouche, fermée, ne goûtait pas la saveur d'un air pur et corrompant. Ses narines, éteintes, manquaient de respirer. Et, enfin, son toucher, qui flirtait avec le sol et le bois, s'estompait à mesure qu'il quittait ce monde.
    Arrêtons. Cela est faux. Parler de quelqu'un, c'est déjà parler de quelque chose. Je ne vois qu'une solution, radicale, pour s'en approcher.
    Le caillou se tenait là, immobile, attendant avec apathie que le temps érode son dos. Il est vrai qu'il souffrait grandement de sa condition, usé qu'il était par les innombrables écrasements qu'il subissait depuis les centaines d'années qu'il trainait là. Elle l'avait pourtant déplacé, depuis, le mettant un peu de côté par rapport au chemin. Mais enfin, tout ceci n'était plus de son âge. Il laissait volontiers sa place à la jeunesse qui tardait à venir. Pourquoi? Il l'ignorait. En réalité, il ne pouvait pas même y songer. Je ne compte pas parler pour lui pour autant. Il a choisi ce qu'il a choisi. D'ailleurs, alors que je me promenais rêveusement en forêt, il m'expliqua, à mon passage, qu'il attendait son heure. C'est là que je pris conscience que plus nous bougeons, moins nous durons. Plus nous y pensons, moins nous le supportons. Je lui proposais d'écrire sa vie. Il me répondit qu'il n'en avait pas à conter, que toutes ces choses n'étaient bonnes que pour nous, les êtres à pieds. J'insistais cependant, et il me fit une concession, le résumé d'un millier d'ans : ma vie est attente. Je compris alors que j'étais bien parti pour durer, moi aussi.
  23. Jedino
    J'me lève le matin, tout enjoué. Chouette! me dis-je, encore une journée à m'amuser! Entre les conneries à avaler et les esclaves à côtoyer. Allez savoir pourquoi, je me sens comme le prisonnier qui accoure devant son maître répondre un oui à tout ce qu'il va délirer. Et, c'est vrai, nous avons tellement besoin des autres. Quand tu les vois aussi en toi, comme toi, tu te dis que ça ne peut qu'être justifié, que cette mascarade n'est qu'une blague de ton esprit dépravé par la bêtise qu'il s'est lui-même infligé. Enfin. Fort heureusement, notre conscience est toujours alerte, prête à se manifester : un ça, un là, un petit quelque chose histoire de se montrer. Enragée, elle l'est. Cela ne l'empêche pas de s'asseoir gentiment dans le rang.
    Alors me faire entendre que nous, ces gentilshommes, ces saints des temps ordinaires, sommes dotés d'une conscience, de ce truc qui ferait de nous des êtres infiniment libres, infiniment beaux, infiniment tout, je m'en marre. Ou en vomis, je ne sais trop. Voyons plutôt : au commencement, il y avait l'enfant, rêveur, abruti, que chacun voile un peu davantage pour le rendre tout à fait candide et débile. Celui-là pousse, s'endurcit comme un arbre, devient un autre. Il apprend, se forge et se trouve, devenant quelqu'un sans importance, au mieux, et quelqu'un d'important, au pire. Puis vient l'âge où, dans tous les cas, la routine met en sourdine tous les éclats qui essayaient vainement, depuis longtemps, de nous éveiller quelque peu. C'est que le siège n'est plus dur comme une chaise mais moelleux comme le confort. Bien sûr, qu'il faut le changer, le monde! Mais enfin, j'ai oublié de le faire au beau milieu. Les suivants y songeront sans doute. A quoi bon? Mais enfin! J'ai des regrets! Voilà quatre-vingt piges que je m'adonne à tout. Et pourquoi? Pour rien. J'accumule, je cumule, je voyage, je vois du neuf, toutes sortes de choses qui font que mon esprit se gonfle et mon coeur s'embellit. Et quoi? Au final, je crains la mort? Je crains de laisser ce que j'ai entassé? De ne pas en avoir déposé dans un coin, au regard de tous, vu par personne?
    Une vie n'a pas grand intérêt si nous n'apprenons pas, au moins un peu, à mourir. Quelqu'un qui se met à regretter le comprend. Trop tard, mais il le comprend. Bien sûr, que je le pourrais. Abuser de mon corps pour apprendre ce qu'il ne veut pas apprendre sans effort, abuser des autres pour me constituer un empire personnel, abuser de chaque élément pour avoir davantage. Serais-je dans le faux lorsque j'estime que je suis moins un meuble qu'une bâtisse mouvante? Evidemment, je pourrais garder mille souvenirs sous la main. Des photos, des objets. Remettre au présent ce qui est passé. Quel paradoxe pour un monde qui se prétend à l'outrance marcher vers l'avant. Sincèrement, je crois qu'il existe une fracture, une sorte d'abysse entre ce que nous sommes et ce que nous aimerions être. Un homme du présent? Allons, quelle chose désuète. Aujourd'hui, notez-le bien, nous sommes des hommes d'avenir. Le présent n'a de valeur qu'en la marche qu'il va mettre pour demain.
    Parlons-en, de cet escalier. Car oui, nous montons. Montons. Montons. Toujours. Encore. Vers où? Nul ne le sait. Nous savons seulement que nous montons. Droit vers l'avant, vers l'en haut. Et pourtant, que nous en coûterait-il de nous retourner, un soir au moins, et de regarder l'horizon? A quoi bon construire une bâtisse si ce n'est que pour y enfermer nos biens? Qu'ai-je à gagner d'en avoir plus qu'un autre? Sa reconnaissance? La flatterie de mon égo? Notre destination me paraît obscure et claire à la fois : obscure, car je suis ignorant également ; claire, car je crains de savoir vers quoi nous courons. Il nous suffirait pourtant de voler. Si ce n'est en fait, c'est en rêve. Le rêve n'est pas la vie, mais la vie est faite de rêve. Qui ne rêve pas est comme mort. Qui rêve de trop aimerait mourir. J'ai connu les deux états. Et si je peux comprendre que certains rêvent de magnificence et de pouvoir, d'argent et de gloire, je ne comprends pas, en revanche, pourquoi nous érigeons cela aux côtés des dieux. Peut-être apprécions-nous d'être commandés? Je n'ai pas voeu, en tous les cas, de finir parmi les meubles de ma possible maison. Que celle-ci soit en mon pays ou en ce monde. Il est une chose d'être homme, il en est une autre d'être humain.
    Plus j'y réfléchis, moins je m'étonne de mon mépris pour ce qui est en ordre, ce qui est esthétique et ce qui est digne d'intérêt. Les hommes d'en bas ne sont peut-être pas meilleurs que les autres, mais au moins, ils sont fréquentables. Au moins, oui, il est possible de parler à quelqu'un qui me voit comme un égal, et non comme un porte-monnaie.
  24. Jedino
    Soyons originaux, mes amis. Soyons originaux en niant toute originalité, en excluant toute saveur et tout style plaisant. Prenons l'histoire la plus originale possible : un homme banal dans une vie ordinaire. Comment ne pourrait-il pas se détacher au milieu de ces aventuriers, experts, savants et gens d'actions? N'est-ce pas inquiétant que de vivre dans un monde où le commun devient le plus étonnant? Et il est vrai que A. se faisait beaucoup de souci. Oh, pas pour ces questions très inutiles et très lointaines pour lui, non. Plutôt pour son petit chat qui ne rentrait pas alors qu'il était dehors depuis ce matin et qu'il commençait à faire nuit. Demain, s'il ne revenait pas pendant son sommeil, il partirait le retrouver.
    Mais A. ne trouva pas le sommeil. Son inquiétude le tenait que trop éveillé. Ses questions, bien réelles, elles, emplissaient son encéphale. Et s'il lui était arrivé quelque chose? Et s'il souffrait en cet instant même, espérant une aide qui ne venait pas? Décidé, il se leva, sachant très bien qu'il ne parviendrait à rien tant qu'il ne savait pas. Habillé et muni de sa lampe torche, il sortit et débuta ses recherches.
    Après une heure, il le retrouva sur la route, plus loin dans le village, couché à même le sol, le ventre écrasé. Une roue lui était passé dessus. Le coeur de A. fut, à ce moment-là, brisé. Il s'approcha, le prit entre ses doigts, et retourna chez lui pour l'enterrer.
    Vous remarquerez que la voiture qui aurait dû débouler précisément quand il était au milieu de la chaussée, en pleine nuit quand personne ne conduit, n'a pas déboulé et ne l'a pas écrasé. De même que la situation absurde qui consiste à lui faire comprendre qu'il a fait erreur parce que ce chat n'est pas son chat, et donc qu'il se fait renverser quand son chat est en réalité bien au chaud chez lui, dans un coin, n'a pas davantage lieu. Que de choses quotidiennes, bien que tristes, qui arrivent chaque jour! Un homme seul, mélancolique, avec son être fidèle, qui un jour disparaît, mais jamais très loin. Nous ne sommes pas dans le cas où l'homme se lance dans des aventures rocambolesques pour délivrer son chat des forces du mal ou d'un enlèvement pour faire pression par son attachement afin d'extorquer les millions qu'il aurait planqué soigneusement dans le fond de son jardin perdu. Que voulez-vous, nos vies n'y ressemblent pas, et il est bien inutile de les rêver ainsi. Imaginons donc un monde fait d'aventuriers. Ne songeraient-ils pas, en ce cas, à être des hommes posés et calmes, et écriraient à ce propos de la prose et des vers? A quoi bon se préoccuper de réalisme? Aucun personnage n'est jamais apparu devant nous, sauf dans les romans. Voilà le bon lecteur : celui qui lit, et non pas celui qui lit pour quelque chose. Chaque objectif empoisonne la pureté de la lecture.
    Et qu'avons-nous à faire de l'originalité? Nul ne l'est, tous le pensent. Parce que dans le cas échéant, l'oeuvre la plus originale serait celle-là même qui existe mais n'est lue par personne. Mieux, elle n'aurait été écrite par personne. Oui, c'est cela : je rêve d'écrire quelque chose que je n'aurais pas écrit et qu'aucun ne lirait. J'aurais atteint, en ce cas, le degré d'originalité suprême.
    Une oeuvre qui cherche à être originale en son essence est mauvaise. L'essentiel, c'est qu'elle soit. En cela, elle ressemble aux hommes. Elle ressemble à l'homme.
  25. Jedino
    Mon navire chavire
    Dans les vagues du désert
    Et la mort m'y attire
    Quand durement il me sert
    Où? C'est bien sur la terre
    Que mon avenir se mire
    Sur ce ciel qui est serre,
    Qui toujours me vise et tire
    Car de ce gai enfer
    Je n'en retiens que la lyre,
    De la sueur en fer
    Qui, trop, plombe mon martyre
    Vogue, ô marin de cire
    Vogue jusque chez Ether
    Loin, si loin, du moindre pire
    Où brûle un espoir d'hiver
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