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De la rigueur et du travail


Jedino

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J'me lève le matin, tout enjoué. Chouette! me dis-je, encore une journée à m'amuser! Entre les conneries à avaler et les esclaves à côtoyer. Allez savoir pourquoi, je me sens comme le prisonnier qui accoure devant son maître répondre un oui à tout ce qu'il va délirer. Et, c'est vrai, nous avons tellement besoin des autres. Quand tu les vois aussi en toi, comme toi, tu te dis que ça ne peut qu'être justifié, que cette mascarade n'est qu'une blague de ton esprit dépravé par la bêtise qu'il s'est lui-même infligé. Enfin. Fort heureusement, notre conscience est toujours alerte, prête à se manifester : un ça, un là, un petit quelque chose histoire de se montrer. Enragée, elle l'est. Cela ne l'empêche pas de s'asseoir gentiment dans le rang.

Alors me faire entendre que nous, ces gentilshommes, ces saints des temps ordinaires, sommes dotés d'une conscience, de ce truc qui ferait de nous des êtres infiniment libres, infiniment beaux, infiniment tout, je m'en marre. Ou en vomis, je ne sais trop. Voyons plutôt : au commencement, il y avait l'enfant, rêveur, abruti, que chacun voile un peu davantage pour le rendre tout à fait candide et débile. Celui-là pousse, s'endurcit comme un arbre, devient un autre. Il apprend, se forge et se trouve, devenant quelqu'un sans importance, au mieux, et quelqu'un d'important, au pire. Puis vient l'âge où, dans tous les cas, la routine met en sourdine tous les éclats qui essayaient vainement, depuis longtemps, de nous éveiller quelque peu. C'est que le siège n'est plus dur comme une chaise mais moelleux comme le confort. Bien sûr, qu'il faut le changer, le monde! Mais enfin, j'ai oublié de le faire au beau milieu. Les suivants y songeront sans doute. A quoi bon? Mais enfin! J'ai des regrets! Voilà quatre-vingt piges que je m'adonne à tout. Et pourquoi? Pour rien. J'accumule, je cumule, je voyage, je vois du neuf, toutes sortes de choses qui font que mon esprit se gonfle et mon coeur s'embellit. Et quoi? Au final, je crains la mort? Je crains de laisser ce que j'ai entassé? De ne pas en avoir déposé dans un coin, au regard de tous, vu par personne?

Une vie n'a pas grand intérêt si nous n'apprenons pas, au moins un peu, à mourir. Quelqu'un qui se met à regretter le comprend. Trop tard, mais il le comprend. Bien sûr, que je le pourrais. Abuser de mon corps pour apprendre ce qu'il ne veut pas apprendre sans effort, abuser des autres pour me constituer un empire personnel, abuser de chaque élément pour avoir davantage. Serais-je dans le faux lorsque j'estime que je suis moins un meuble qu'une bâtisse mouvante? Evidemment, je pourrais garder mille souvenirs sous la main. Des photos, des objets. Remettre au présent ce qui est passé. Quel paradoxe pour un monde qui se prétend à l'outrance marcher vers l'avant. Sincèrement, je crois qu'il existe une fracture, une sorte d'abysse entre ce que nous sommes et ce que nous aimerions être. Un homme du présent? Allons, quelle chose désuète. Aujourd'hui, notez-le bien, nous sommes des hommes d'avenir. Le présent n'a de valeur qu'en la marche qu'il va mettre pour demain.

Parlons-en, de cet escalier. Car oui, nous montons. Montons. Montons. Toujours. Encore. Vers où? Nul ne le sait. Nous savons seulement que nous montons. Droit vers l'avant, vers l'en haut. Et pourtant, que nous en coûterait-il de nous retourner, un soir au moins, et de regarder l'horizon? A quoi bon construire une bâtisse si ce n'est que pour y enfermer nos biens? Qu'ai-je à gagner d'en avoir plus qu'un autre? Sa reconnaissance? La flatterie de mon égo? Notre destination me paraît obscure et claire à la fois : obscure, car je suis ignorant également ; claire, car je crains de savoir vers quoi nous courons. Il nous suffirait pourtant de voler. Si ce n'est en fait, c'est en rêve. Le rêve n'est pas la vie, mais la vie est faite de rêve. Qui ne rêve pas est comme mort. Qui rêve de trop aimerait mourir. J'ai connu les deux états. Et si je peux comprendre que certains rêvent de magnificence et de pouvoir, d'argent et de gloire, je ne comprends pas, en revanche, pourquoi nous érigeons cela aux côtés des dieux. Peut-être apprécions-nous d'être commandés? Je n'ai pas voeu, en tous les cas, de finir parmi les meubles de ma possible maison. Que celle-ci soit en mon pays ou en ce monde. Il est une chose d'être homme, il en est une autre d'être humain.

Plus j'y réfléchis, moins je m'étonne de mon mépris pour ce qui est en ordre, ce qui est esthétique et ce qui est digne d'intérêt. Les hommes d'en bas ne sont peut-être pas meilleurs que les autres, mais au moins, ils sont fréquentables. Au moins, oui, il est possible de parler à quelqu'un qui me voit comme un égal, et non comme un porte-monnaie.

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