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J'me suis dit : "et si tu écrivais une histoire, ces trucs un peu chiant". Mais pour raconter quoi? Ma vie? Je sais bien que la mode consiste à tout dire sur soi et à s'imaginer, en plus, intéressant. "J'avais treize ans, j'ai eu une mauvaise note, j'ai été traumatisé." Merci, vraiment. Voilà ma vie changée. Une histoire? Tout a déjà été chanté. Il suffirait de se souvenir un peu. Et quand l'un parvient à trouver l'infime qui n'a pas été abordé, il est hué, mis en cage, et expédié assez loin pour ne déranger personne. Des idées? Mieux vaut encore jouer aux cartes. Flaubert n'avait pas tort : l'idéal serait d'écrire sur rien. Voilà une source inépuisable, une terre inexplorée et fertile. Seulement, comment écrire sur rien, sinon en n'écrivant pas? Les plus grands poètes seraient-ils ceux qui, plutôt que de l'écrire, la font vivre à travers eux? Une poésie vivante, mouvante, faisant éclore des amours et des peines? Allons, essayons.
Z. ne voulait pas autre chose que s'ennuyer, aujourd'hui. Et comment mieux s'y prendre qu'en s'adonnant à l'inactivité? Il trônait sur son banc comme un monstre sur la peur. Tout son zèle finissait dans cet enseignement de patience et de beauté. En philosophe, il songeait à ce qu'était la vie, en ce qu'elle se définissait par son mouvement, par l'action. Peut-être se trompaient-ils. Peut-être que la vie tenait davantage dans le retirement de sa nature, de son inclination à toujours s'agiter. Erreur! s'indigna sa volonté. Penser est déjà se tromper, poser le premier jalon du faire. Alors, cessons. Il était assis, il regardait sans regarder. Cela était de trop. Il ferma les yeux. Se mît droit. La vue s'était tue. Si les bruits agressaient ses tympans, il en oubliait la contenance et la provenance. Son ouïe ne voyait plus. Sa bouche, fermée, ne goûtait pas la saveur d'un air pur et corrompant. Ses narines, éteintes, manquaient de respirer. Et, enfin, son toucher, qui flirtait avec le sol et le bois, s'estompait à mesure qu'il quittait ce monde.
Arrêtons. Cela est faux. Parler de quelqu'un, c'est déjà parler de quelque chose. Je ne vois qu'une solution, radicale, pour s'en approcher.
Le caillou se tenait là, immobile, attendant avec apathie que le temps érode son dos. Il est vrai qu'il souffrait grandement de sa condition, usé qu'il était par les innombrables écrasements qu'il subissait depuis les centaines d'années qu'il trainait là. Elle l'avait pourtant déplacé, depuis, le mettant un peu de côté par rapport au chemin. Mais enfin, tout ceci n'était plus de son âge. Il laissait volontiers sa place à la jeunesse qui tardait à venir. Pourquoi? Il l'ignorait. En réalité, il ne pouvait pas même y songer. Je ne compte pas parler pour lui pour autant. Il a choisi ce qu'il a choisi. D'ailleurs, alors que je me promenais rêveusement en forêt, il m'expliqua, à mon passage, qu'il attendait son heure. C'est là que je pris conscience que plus nous bougeons, moins nous durons. Plus nous y pensons, moins nous le supportons. Je lui proposais d'écrire sa vie. Il me répondit qu'il n'en avait pas à conter, que toutes ces choses n'étaient bonnes que pour nous, les êtres à pieds. J'insistais cependant, et il me fit une concession, le résumé d'un millier d'ans : ma vie est attente. Je compris alors que j'étais bien parti pour durer, moi aussi.
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