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Criterium

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  1. Criterium

    Meurtres à T** (3/3)

    Partie 1 Partie 2 Une lumière faible se glisse depuis l'extérieur à travers les barreaux, et dessine quelques jeux d'ombres sur les murs de la cellule. C'est une lumière artificielle, assez vague, qui provient des éclairages entourant le poste; le ciel de la nuit, lui, est sans lune. De temps en temps, une rafale de vent alterne bruits secs et chuintements. Avec les graffitis obscènes qui couvrent les murs, l'odeur d'humidité et de moisissures complète l'atmosphère du lieu. - Sur une banquette, un homme seul est assis dans l'obscurité, les yeux fixes; son dos est droit et inerte, comme s'il était en train de méditer profondément. — "Il n'a pas prononcé un mot depuis des heures", entend-on depuis une pièce proche. Quelques hommes de garde étaient assis autour d'une table et jouaient au tarot. Les circonstances les avaient retenus ici; la nuit avait été longue et leur quart allait bientôt toucher à sa fin. Les premiers rayons de soleil commencèrent à apparaître, comme un petit carré projeté depuis chaque fenêtre. Soudain les agents entendent des tintements depuis la cellule, et... une voix. — "Qu'est-ce que je fais ici?". L'individu s'était levé, et paraissait être une personne différente tant ses traits avaient changé: il se tenait moins droit, les muscles de son visage n'étaient plus tendus mais expressifs, et sur celui-ci se dessinait même une certaine frayeur. Il clignait des yeux, et répéta plusieurs fois sa question devant les policiers de garde, hébétés. Alors que les précédents interrogatoires avaient été effrayants — l'homme avait été immobile et silencieux — celui-ci fut complètement différent. L'homme s'exprimait sans réserve, et semblait n'avoir aucun souvenir de la nuit passée; sa mémoire ne remontait qu'au début de la soirée, lorsqu'il s'endormit. - Était-ce un cas de somnambulisme? Il avait eu l'air horrifié lorsque l'on lui relata les circonstances de la nuit dernière. En revanche, il connaissait son nom — qui correspondait à celui de son passeport — et la date d'aujourd'hui. — "Savez-vous ce que signifient les lettres AZJAZ?" — "Non". — "Alors comment expliquez-vous ceci?", fit le policier en se relevant et saisissant le col du trench, que l'homme portait encore. Stupéfaction — là où il y a quelques heures les lettres apparaissaient, il n'y avait maintenant plus que la marque du vêtement. Durant un moment, l'état de confusion fut partagé. Le policier eut alors un doute: — "Avez-vous enlevé l'étiquette qui se trouvait là?", montrant l'arrière-col. — "Il n'y en a jamais eu...?". On le fouilla à nouveau: rien. La seule possibilité aurait été qu'il l'ait arrachée et avalée. Par précaution, la durée de garde à vue fut prolongée d'un jour, afin d'avoir le temps de tenter de mettre l'affaire au clair en effectuant une fouille au domicile du suspect. 20 octobre 2017. L'inspecteur allait et venait dans son bureau. Ancien homme d'action, il ne s'était jamais fait à cette petite pièce, et réfléchissait mieux en faisant ainsi les cent pas; parfois il joggait tout autour du bâtiment pour aérer ses idées. Il s'occupait de la curieuse affaire. Rien n'avait été trouvé au domicile de l'homme. Cette soirée-là, il revoyait les différents scénarios possibles: Ou bien l'homme est le tueur, ou bien il ne l'est pas. L'étiquette de l'arrière-col ne pouvait pas être une coïncidence. Ainsi même s'il ne l'était pas, il devait y être associé d'une manière ou d'une autre. L'homme disait ne rien savoir; ou bien il mentait — ce qui collerait avec l'hypothèse qu'il soit le tueur ou son complice — ou bien il était sincère, mais dans ce cas, comment expliquer l'association? Était-il manipulé? Y avait-il eu des cas dans lesquels un individu en crise de somnambulisme pouvait adopter un comportement criminel inconscient? Petit à petit il se convainquit qu'il n'y avait que deux possibilités, toutes les deux improbables — quoique l'affaire entière l'était... — mais les plus plausibles: ou bien l'homme était un serial-killer génial qui le manipulait depuis le début, ou bien l'homme possédait deux personnalités, dont l'une ne se manifestait que dans certaines circonstances bien précises — dans cet état de transe — et tuait. Cela expliquerait pourquoi ce mois aucun crime ne semblait avoir été commis; pour autant, aucune piste intéressante n'était offerte quant aux codes secrets. Il n'y avait pas assez pour tenir l'homme; toutefois, il prit soin d'y attacher une surveillance rapprochée – dépassant légèrement ce qu'il était tout à fait légal de mettre en pratique. Circonstances exceptionnelles. 18 novembre 2017. Ce soir, la neige tombait sur la ville de T**, sans tenir au sol pour l'instant. L'asphalte des rues reflétait la lumière des lampadaires, les sons étaient quelque peu étouffés par les flocons épais. Si quelques voitures passaient par là de temps en temps, plus personne néanmoins ne se trouvait dehors. Chacun avait juste envie de rentrer chez soi et se rester au chaud. Le trafic se faisait de plus en plus rare. Silence. À un moment, on entendit comme un tapotement. Petit à petit, le bruit devint plus distinct; c'étaient les claquements des talons d'une silhouette qui se pressait dans la nuit; sans doute une jeune fille rentrant tard chez elle. Elle gardait un pas régulier, enserrant son duffel-coat contre elle, quelques flocons restaient suspendus un instant sur ses cheveux noirs. Les claquements secs s'éloignèrent avec elle. Elle n'avait pas vu, cachés dans une voiture à l'arrêt, deux hommes qui attendaient et observaient les environs: des agents préposés à la surveillance de la demeure de l'étrange suspect, sise de l'autre côté de la rue. Ceux-ci commençaient à avoir froid, sirotaient du café à même un thermos. L'un avait des jumelles, et de temps en temps vérifiait avec elles s'il pouvait apercevoir un détail supplémentaire; mais à chaque fois, il ne voyait que la même chose, un homme penché sur un écran d'ordinateur, tapotant sur son clavier. Il se demandait ce qu'il faisait; ç'aurait aussi bien pu être un rapport professionnel qu'une fenêtre de tchat. Alors, pour briser la monotonie, de temps en temps il se tournait et regardait à d'autres fenêtres, des familles nombreuses finissant leur repas et semblant avoir des discussions animées. Qu'est-ce qu'il aimerait avoir un peu de soupe chaude! — Partout des moments de vie se déroulaient. Cela dura plusieurs heures; les lumières s'étaient progressivement éteintes partout. L'homme, lui aussi, s'était levé et s'étirait. Il éteignit l'ordinateur, bâilla. Il resta quelques instants debout, parcourant du regard les livres de sa bibliothèque; puis finalement se passa quelque chose d'un peu plus étrange. Les agents connaissaient les habitudes de l'homme, et savaient qu'à ce moment-là, il allait soit se coucher directement, soit restait quelque temps à lire sur le sofa. C'était là la première fois qu'ils le virent s'asseoir en tailleur sur le sofa, le dos droit et l'air concentré, la lumière de l'halogène plus atténuée, pour méditer. Était-ce parce qu'il avait lu quelque chose à ce sujet et souhaitait débuter cet exercice? Ou une habitude un peu excentrique à laquelle il s'adonnait rarement? Comme la silhouette était parfaitement immobile, la surveillance était encore plus ennuyeuse qu'avant. Ainsi, passé l'effet de surprise, les agents, quoiqu'aux aguets, ne gardaient pas le regard rivé sur l'objectif. À un moment, ils s'aperçurent que la lumière s'était éteinte. Étouffant un juron, à cause de son bref moment d'inattention, l'homme aux jumelles activa le mode infra-rouge et scruta les fenêtres en vision nocturne. L'on voyait la silhouette de l'homme, qui s'était levé, arpenter lentement la pièce noire. Les mouvements avaient l'air inhabituels; cette fois les agents ne le quittaient plus des yeux. Quelque chose allait se passer. La neige tomba plus épaisse, et sur les trottoirs commença à former une petite couche blanche. L'homme sortit. — L'on décida de le suivre à pied; prendre la voiture n'aurait pas été suffisamment discret comme il n'y avait plus de trafic à cette heure avancée de la nuit. Il faudrait cependant, avec la neige, toujours faire attention à ne pas le perdre durant la filature. L'homme s'avançait d'un pas régulier vers l'ouest. Il portait le même trench que la dernière fois, et un chapeau sur lequel la neige formait des petites taches blanches. De rue en rue, le trio arpentait les rues et les avenues; selon les angles morts, se rapprochant ou s'éloignant. Petit à petit, ils arrivèrent à la place en hauteur où l'homme s'était trouvé, somnambule, le mois précédent. Alors qu'ils s'en approchaient, une sensation étrange s'empara des policiers; l'impression que quelque chose leur avait échappé, un vague sixième sens d'une pièce manquante de puzzle. Un crissement de pneu rompit le silence; un véhicule, plein phares, passa en trombe à côté des deux hommes en filature. Ceux-ci eurent besoin d'un instant pour reprendre leurs esprits et réaliser ce qui venait de se passer: leur cible n'était plus là. Se ruant vers la place afin de vérifier toutes les directions, ils espéraient que l'homme n'avait pas disparu. Mais, à gauche, à droite, ils ne le virent plus - et ils durent alors se rendre à l'évidence: le poisson leur avait glissé d'entre les mains. Dépités, ils se rejoignirent sous l'abri des arbres, en face de la statue. Ils étaient à la fois énervés de la tournure des événements, et sentaient qu'ils auraient dû s'y prendre autrement. Ce fut au bout d'une ou deux minutes que l'un d'entre eux s'en aperçut: sur le sol, quelques chiffres avaient été tracés à la craie rouge, suivis de deux points d'exclamation. Les crimes cessèrent. 2018. Un an plus tard, un journal d'investigation passa un petit article, largement resté inaperçu; celui-ci était nommé: "Meurtres à T**: secret d'État?". Les auteurs insistaient sur la possibilité d'une piste n'ayant pas été privilégiée par les enquêteurs: de possibles liens entre les victimes. L'homme d'affaires avait voyagé parfois, il y a longtemps de cela, dans des pays non-démocratiques dont les relations avec la France étaient troubles, mélange d'amitié et de défiance; le fidèle à la mosquée avait une fiche S; on ne comprenait cependant pas le cas de la jeune fille, mais les auteurs proposaient qu'elle avait pu assister à quelque chose qu'elle n'était pas censée voir. — L'article mentionnait la présence de codes cryptographiques sur chaque scène de meurtre, pouvant signifier un lien avec les services secrets; et la disparition mystérieuse du principal suspect, potentiellement exfiltré. Sans jamais proposer de scénario clair, la fin de l'article aurait pu ravir les conspirationnistes, citant à la fois l'affaire Dupont de Ligonnès et le projet MKUltra de la CIA. En filigrane, il était sous-entendu qu'un agent dormant du contre-terrorisme avait exécuté des cibles précises qui étaient sans doute, elles aussi, des opératifs. — Personne ne prêta attention à cette théorie du complot. La ville de T** avait envie de vivre.
  2. Criterium

    Meurtres à T** (2/3)

    Partie 1 18 octobre 2017. C'est au cours du dernier mois que cette peur a progressivement paralysé la ville; car deux choses se sont produites depuis fin août. La première, c'est que certains détails secrets, qui liaient les précédentes affaires — meurtres et profanation — ont été révélés par inadvertance au public. Et c'est pourtant à cause de l'affaire mineure — tapage nocturne — que cela s'est passé: très impressionné par cette nuit d'hallucinations collectives, un policier s'est confié le soir-même à sa femme. "Nous avons des nuits vraiment étranges..." - y compris le mystère des lettres qui revenaient, comme une signature diabolique. Celle-ci faisant partie de ces personnes aux vies calmes et routinières dont le péché mignon est de se donner des frissons en se racontant les histoires des autres, rapidement le bruit se répéta, jusqu'à arriver au moment où la presse en eut fait et le mit par écrit — en l'occurrence un petit journal d'investigation d'ex-anars, dont les enquêtes étaient parfois des gribouillis, et parfois d'excellentes pièces bien renseignées. La seconde, c'est que le matin du 21 septembre, un nouveau meurtre s'était produit. La veille, une jeune adolescente n'était pas rentrée chez elle; comme elle venait de se disputer avec sa famille - qui n'approuvait ni son choix de petit ami ni celui de garder l'enfant qu'elle se rendit compte porter de lui - l'hypothèse de la fugue paraissait privilégiée. Sa meilleure amie témoigna par la suite l'avoir rencontrée en début de soirée, et, après une vaine tentative de la dissuader de partir, lui avait confié un peu d'argent pour son billet de train. Cependant elle n'avait jamais pu embarquer - on découvrit le corps sans vie en périphérie de la ville, là où la zone résidentielle longeait de petits bois. La morte était allongée sur le dos, sur un tapis de mousses; ses vêtements abîmés avaient été partiellement relevés comme pour les enlever - pantalon au niveau des genoux, débardeur au niveau du buste. La scène suggérait à première vue un viol - cependant les sous-vêtements étaient intacts, et une ultérieure vérification du médecin légiste réfuta cette thèse. La cause de la mort était attribuable à une profonde perforation de l'artère sous-clavière, derrière la clavicule; la peau était livide, le corps exsangue. Aucune trace de sang aux alentours; les faits se seraient donc produits ailleurs. Néanmoins, le tronc d'arbre situé immédiatement par-delà portait une inscription, apparemment à la craie blanche: une suite incohérente de nombres et de lettres, majuscules et minuscules, comme un long mot de passe. Coïncidence ou pas, en commençant par la quatrième lettre et en sautant un caractère à chaque fois, l'on lisait AZJAZ, ce que fit remarquer l'un des gendarmes. Celui-ci avait appris les liens entre les différentes affaires pour la première fois en lisant le journal d'investigation précédemment mentionné. Après avoir été maintenant directement impliqué dans le dernier volet de ce qui ressemblait à des meurtres en série, il avait pu interroger policiers et collègues et acquérir une bonne vue d'ensemble des faits. — Ce mystère le fascinait. Il y avait plusieurs raisons à cela; d'une part, il aimait à s'imaginer comme un homme complet, à la fois homme d'action et investigateur naturellement doué; d'autre part, en notant la régularité des dates - à peu près tous les mois - il ressentait une responsabilité envers la société, celle de devoir élucider les événements avant qu'il ne soit à nouveau trop tard. Il avait rassemblé les messages laissés par le tueur - s'il s'agissait d'une seule et même personne, ce qui n'était que l'une des possibilités -, ces lettres et ces chiffres formant autant de codes cryptographiques. Malgré de longues nuits à se pencher dessus, essayant divers angles d'attaque, il n'arrivait pas à en trouver la clef. Parfois il invertissait quelques symboles et semblait y apercevoir l'étoffe d'un mot, mais il s'agissait d'autant de fausses pistes. Était-ce même réellement un code? Peut-être que c'était vraiment une suite aléatoire, et que l'on devait bien se moquer de lui quelque part... Ou alors était-ce autre chose, quelque chose de moins linéaire? — Il réfléchit: tout encryptage/décryptage n'est pas forcément symétrique. C'était le cas avec beaucoup d'algorithmes bien connus (par exemple le code de César, remplaçant les lettres par d'autres; ou encore le code de Vigénère, changeant l'alphabet codé en suivant un mot "clef", et encore aujourd'hui dans des formes beaucoup plus élaborées avec le codage AES), mais il existait également des codes asymétriques comme le PGP. - Mais dans ce cas, il devait y avoir une clef quelque part, car sinon pourquoi laisser ces inscriptions et ce mystérieux message téléphonique? ...ou alors il s'agissait d'encore autre chose. Petit à petit il se convainquit qu'il se tenait là en face du résultat alphanumérique d'une fonction de hachage: un mot est encodé tout en perdant de l'information, et le résultat ne peut pas être décodé. C'est comme cela que l'on stocke les mots de passe: l'on compare non pas le mot, mais le résultat du mot - et comme il est impossible de remonter au mot lui-même à partir du résultat, celui-ci peut être communiqué. Il faut des techniques avancées de cryptanalyse, et une bonne idée de la structure de l'algorithme de hachage utilisé, pour pouvoir espérer remonter le fil du problème: c'était au-dessus de ses moyens; peut-être même se trompait-il de toute façon. Il fallait agir autrement. 18 octobre 2017: la date d'aujourd'hui. — Après tant de fausses pistes, il avait presque abandonné. Il avait pensé que le cycle s'avançait, et qu'il serait trop tard pour prévenir un prochain drame. Se promenant en renonçant à réfléchir, au hasard, il errait dans T** et ses secrets. La matinée touchait à sa fin. Le cycle s'avançait. Cycle? Ce mot lui foudroya alors l'esprit. Qu'est-ce qui durait à peu près un mois et revenait ainsi? Peut-être... la Lune. Il se rua chez lui — il n'avait pas emporté de portable — pour vérifier sur l'ordinateur si les dates concordaient. L'expectative lui faisait ressentir quelques frissons au thorax; cela ressemblait désormais moins à une fausse piste. En revanche, s'il avait raison, il ne lui restait plus beaucoup de temps... la nouvelle lune revenait demain. Il serait pourtant difficile de protéger la ville d'une quelconque manière supplémentaire; la population était déjà paralysée, terrifiée; des patrouilles importantes circulaient déjà chaque nuit, à la fois pour rassurer et pour dissuader. Lui-même y passait de longues heures avec les collègues. Il décida d'être encore plus particulièrement vigilant demain soir. D'ici-là, il pourrait se préparer, peut-être se munir de quelque chose d'autre – mais quoi? Il avait un revolver; un taser; des menottes; lampe-torche, spray au poivre, couteau-suisse... il y ajouta un passe-partout (une masterkey qu'il avait reçu d'un artisan serrurier, ces clefs non taillées utilisées pour ouvrir, aidées d'un petit coup sec, les serrures à goupilles), un petit carnet de notes sur lequel il avait écrit les codes; un briquet... 19 octobre. Un sentiment étrange s'était emparé de lui au fur et à mesure qu'il voyait les derniers reflets du soleil disparaître du ciel, colorant l'horizon de teintes rouges puis violacées. C'était ce qu'il imaginait devaient ressentir les soldats se préparant à aller à la bataille, doutant, se demandant si le jour se lèverait pour eux le lendemain. Alors le crépuscule était à la fois lui-même, et un autre, une sorte d'adieu pour toujours; entrait la Nuit, dans toute sa splendeur et son appétit d'âmes... Invitante. Envoûtante. Y a-t-il encore des heures qui sonnent si elle ne finira jamais? — — En patrouille nocturne, ils partirent. Au début, il n'y avait qu'une brise; petit à petit, c'était un vent puissant et soutenu qui balayait les rues, parfois bruyant, et parfois plus calme. À certains angles morts, le silence était total — puis ils tournaient dans une avenue principale et alors le bruit irrégulier des bourrasques les empêchait de s'entendre parler, ils devaient crier - ou se taire. Difficiles conditions pour arpenter les quartiers ouest... — "Tu as entendu?...!", fit son collègue. Les autres se regardèrent, firent non de la tête. Celui-là reprit: "Là, maintenant... (pause) ... ça s'est arrêté; c'était comme un cri ou un crissement, dans le vent. Vous n'avez vraiment rien entendu?". Mais personne n'avait remarqué. On pressentit pourtant que c'était peut-être là le début de l'épisode. Le conducteur demanda la direction probable du son — directement contre le vent, il fallait aller un peu plus haut, vers l'avenue Georges B*. La rue montait et il y avait une place au sommet; comme les bâtiments environnants était un peu plus éloignés, le vent était violent là-haut. Le feuillage des arbres était agité. — "Il y a quelqu'un sur le banc de la place", remarqua l'un des hommes. Ce parc était minuscule, tout au plus quelques arbres autour d'une statue; sur l'un des deux bancs, on apercevait effectivement une forme noire, comme assise, immobile. C'était étrange. Ils se garèrent, et s'approchèrent de l'endroit. Certains d'entre eux ne l'avaient pas quitté des yeux, comme s'ils étaient vaguement inquiets que la figure disparaisse s'ils devaient détourner le regard. Une fois dans le parc, ils purent distinguer les traits de l'homme. Il était brun, assez fin de traits, et portait une barbe grisonnante. Il portait un trench noir et avait gardé ses mains dans les poches; et, malgré son immobilité, il ne dormait pas et ses yeux étaient ouverts, le regard perdu devant lui. Il ne semblait pas porter attention aux gendarmes. Ceux-ci s'approchèrent et le saluèrent — aucune réaction. L'un agita sa main en face du regard fixe — aucune réaction. C'était comme s'il était en transe. "Vous pensez qu'il nous entend?", fit l'un avant de se pencher plus près et de réitérer ses demandes. Ce n'était pas le vent, car au milieu de la place, protégés par les arbres et la statue, l'on ne ressentait pas les violentes rafales; l'on les devinait plutôt, en voyant les feuilles des arbres bruisser continuellement. Ça ne ressemblait pas non plus à un état de choc. L'un d'eux mit sa main sur l'épaule de l'homme et le secoua légèrement, pour voir s'il pourrait le ramener à la conscience. Sur les traits de celui-ci, cela sembla provoquer quelque chose, à peine une contraction d'un muscle du visage; mais il resta immobile, le regard lointain. L'atmosphère était irréelle. — Ils décidèrent de l'amener au poste. Comme un pantin, le corps n'opposait aucune résistance lorsqu'ils le relevèrent: une fois mis debout, celui-ci gardait l'équilibre et ne bougeait pas. Un homme de chaque côté, ils firent quelques pas vers la direction du véhicule. — "Hey! Regardez ça, les gars". À l'arrière du col du trench, on apercevait une petite étiquette brodée, comme certains ajoutent à leur garde-robe pour y indiquer leur nom. Sauf que si c'était le cas, celui-ci s'appellerait AZJAZ. Par précaution, on lui passa les menottes avant de le mettre à l'arrière du véhicule, coincé entre deux hommes. Personne ne savait s'il s'agissait là du mystérieux tueur ou de l'une de ses victimes — quel satané silence!, mais il s'agissait de prendre toutes les précautions possibles.
  3. Criterium

    Un secret.

    Merci :)
  4. Criterium

    Meurtres à T** (1/3)

    Hello Tequila, merci de ton commentaire :) Personne ne sait ce que signifie AZJAZ, je ne pense pas que ce mystère se réfère à PNL... mais tout est toujours possible, les enquêteurs n'écartent aucune hypothèse pour l'instant. Pour ma préférence allant aux préliminaires, c'est surtout l'objet d'un choix dû à ce type de plateforme — blog sur forumfr — qui ne favorise pas les longs textes; peu de monde a envie de lire quelque chose qui fait plus que quelques paragraphes. Ceci-dit, c'est vrai qu'il serait possible de découper quelque chose de long en beaucoup de parties de taille raisonnable. Et c'est également vrai que cela ne coûterait rien d'au contraire poster plus long une fois. — À suivre!
  5. Criterium

    Le village. (1)

    Une forteresse de la Nature! — C'étaient les mots qui s'imprimèrent dans mon esprit dès que j'aperçus le village. Il avait fallu conduire des heures, bordé d'un côté et de l'autre par des forêts de conifères; la route traversant les collines, le paysage alternait continuellement entre vue sur l'horizon et vue sur les arbres du bas-côté - comme une danse de perspective. Le chemin me rappelait mon paysage natal de Pennsylvanie. J'étais arrivé au sommet de la dernière colline: d'ici, le regard portait loin. L'on voyait en contre-bas un village bordant un petit lac. Les maisons aux toits rouges étaient agencées de manière irrégulière, comme il arrive souvent à ces endroits riches en histoire. Vers le centre, une épine s'élevait beaucoup plus haut dans le ciel; l'église. — Tout autour de l'endroit, collines et montagnes se dressaient, et c'était cette couronne qui donnait l'impression d'une forteresse. Les habitants devaient avoir une distinction plus subtile entre "dedans" et "dehors"; car même "dehors", l'on était dans cette cour, et il fallait s'aventurer par-delà les montagnes pour véritablement sortir. Maintenant ma voiture dévalait la dernière pente et je voyais grandir les maisons au fur et à mesure de ma descente. Un instant, j'eus la sensation d'atterrir plutôt que de conduire - sans doute un effet de la fatigue du trajet ainsi que de cette perspective particulière. Rapidement j'arrivai dans le village, et me garai à proximité de la grand-place. Il faisait beau ce milieu d'après-midi, mais pourtant je n'avais pu apercevoir que peu d'habitants, à chaque fois des silhouettes élusives qui semblaient faites de la même roche que les murs des maisons. Sans doute étaient-ils tous sortis; il y avait quelques champs aux alentours, et bien que je n'y aie pu voir quiconque, peut-être y travaillaient-ils encore à cette heure. — En attendant je me promenais d'un pas lent le long des rues. Elles étaient tout en zigzag, étrangement disposées; je trouvais cela fascinant. Quelles péripéties avaient dicté ces combinaisons? La brise était maintenant de plus en plus fraîche, et, las de mes flâneries, je revins sur la grand-place, passai l'église et entrai dans la petite maison qui tenait lieu d'hôtel de ville. Le plancher en bois, récemment verni, immaculé, contrastait avec l'atmosphère ancienne du dehors. Il n'y avait personne. J'examinai alors les quelques meubles de la pièce, agencée comme une salle d'attente, avec table basse, une quantité de chaises en bois, quelques vieux magazines géographiques. — "Monsieur...?" Je me retournai, étonné: dans un coin de la pièce, un homme court et trapu se tenait, que je n'avais pas vu. Il devait venir d'une salle attenante, derrière lui la porte ouverte montrait un bureau sobre. L'esprit encore un peu ébahi, je marquais une pause, tentant de remettre un peu d'ordre dans mes pensées. Il me fixait, et ne semblait pas gêné de ce silence. Sans doute était-il habitué aux discrétions des vieux villageois; les pauses faisaient partie intégrante des conversations. Je répondis enfin: — "Je suis là pour l'affaire dont nous avions parlé au téléphone. Vous devez être M. Griboux." Un sourire franc se dessina sur son visage. Il me tendit la main, et serra la mienne d'une poigne vive, honnête. — "Nous sommes très contents que vous soyez là. Excusez; les hommes sont sortis, mais ils devraient revenir d'un instant à l'autre. Nous allons les attendre ici, car il y a quelques documents que j'aimerais vous montrer, et qui concernent les faits présents. Puis nous pourrons aller dans les bois... Dites; vous devez être fatigué de la route; voulez-vous boire quelque chose?". - J'acceptai un grand verre d'eau.
  6. Criterium

    Meurtres à T** (1/3)

    18 octobre 2017. Depuis quelques mois, un spectre hante la ville de T** – une sourde peur, qui s'accroche et ne repart pas; et cela depuis qu'une série de meurtres a eu lieu dans différents quartiers de la ville. Suspect: inconnu. Les faits: Le matin du 25 juin 2017, un homme d'affaires est retrouvé mort dans une chambre d'hôtel. Quelques grammes de produits stupéfiants se trouvent sur place. La victime étant menottée et vêtue d'une combinaison en latex, suggère qu'il s'agisse d'un jeu sexuel ayant mal tourné. On ignore si l'homme se trouvait en compagnie d'une ou de plusieurs personnes lorsque les faits se sont déroulés. L'enquête est menée de manière discrète, et seules ces informations filtrent dans les journaux. – Toutefois, ce sont d'autres détails gardés secrets qui donnent du fil à retordre aux enquêteurs: (1) Les bandes de surveillance de l'hôtel n'indiquent aucune visite entre le moment où la victime rentre dans sa chambre, vers 22:30, et le moment où le corps est découvert par le personnel d'entretien, un peu avant midi le lendemain. (2) La majorité des cas de décès lors d'un jeu SM se font par asphyxie, le plus souvent provoquée par un étranglement à caractère érotique; cela avec ou sans partenaire. Or nulle trace de strangulation sur le corps, même si l'on retrouve bien des pétéchies sur les cornées. Dans le cas présent, la mort a été provoquée par section de l'artère axillaire – et pourtant, aucune trace de sang dans la chambre. C'est comme si le cadavre avait été transporté jusqu'ici, ce qui est impossible. (3) Sur la table basse sur laquelle a été retrouvée la cocaïne, un petit bout de papier est griffonné étrangement d'une suite de chiffres, suivie du mot "AZJAZ". 24 juillet 2017: Outrage à la mosquée de Al-A**, dans le sud de la ville de T**. Des têtes de cochon ont été déposées à l'entrée de la maison, pourtant discrète. C'est l'imam qui a fait la choquante découverte. Les journaux s'emparent de l'affaire — et comme aucune caméra de surveillance ne se trouve à proximité de l'endroit, l'on soupçonne un groupe de jeunes nationalistes. Des débats éclatent dans la presse; et soudainement l'affaire prend une autre tournure, lorsque le 26 juillet, l'on découvre au sous-sol de la bâtisse, dans un local technique, un cadavre rapidement identifié comme étant celui d'un fidèle porté disparu depuis deux jours. La cause du décès apparaît comme étant une section à l'artère fémorale, mais là encore aucune trace de sang n'a été retrouvée. De simple dégradation à caractère islamophobe, l'on passe désormais à une affaire de meurtre. — Pour un pan de la presse conservatrice, il s'agirait d'un règlement de compte sans doute lié aux nombreuses affaires de stupéfiants agitant les quartiers sud de la ville depuis une dizaine d'années. — De leur côté, certains fidèles, ayant vu le corps, murmurent qu'il s'agit de l'œuvre maléfique d'un jnoun, et s'empressent alors d'accomplir de nombreuses roqya. — Les enquêteurs, eux, sont particulièrement confus. Leur seul indice: à côté du numéro de série de la chaudière du local, sont clairement dessinés au marqueur une suite de quelques chiffres, puis les lettres "AZJAZ". Ce détail n'est pas rendu public. Lundi 24 août 2017, dans un beau quartier résidentiel de l'est de la ville, des riverains entendent tard dans la nuit des hurlements effrayants. Pensant qu'il s'agissait de quelques fêtards alcoolisés venant du centre-ville proche, excédés, les habitants appellent la police. Chacun regarde par la fenêtre, discrètement derrière les rideaux, ou grande ouverte, pour déterminer d'où viennent ces cris qui reprennent de temps en temps; mais personne ne voit de promeneurs. Une fois sur place, les agents de la force publique sont confus; chaque voisin interrogé leur indique une direction différente, d'autres n'ont rien entendu, et personne ne se trouve dans les rues à cette heure. Malgré l'insistance des riverains pour les faire rester plus longtemps, au cas où le vacarme reprenne, les policiers doivent rapidement se rendre à l'évidence: il n'y a aucun élément. Quelqu'un mentionne un phénomène s'étant produit de temps en temps dans d'autres villes, où des sons étranges se firent entendre en pleine nuit, parfois plusieurs jours d'affilée. – Ils repartent. Et alors que leur véhicule passe par une avenue fêtarde du centre-ville pour retourner au poste, ils aperçoivent quelque chose d'étrange: un attroupement de jeunes gens ayant l'air particulièrement nerveux — quelque chose d'électrique reste dans l'air. Ils s'arrêtent. Impossible d'entendre un témoignage cohérent; certains auraient vu une sorte de brouillard noir, d'autres des OVNIs; chacun est confus, et tout ce qui en ressort c'est que quelque chose est passé et semble les avoir surexcité. – Petit à petit, l'effet se disperse. Une fois au poste, ils découvrent un message étrange laissé sur un répondeur: une voix électronique épelle quelques lettres sans sens, une douzaine; ...et finit par cinq lettres bien connues.
  7. Criterium

    La Base.

    Le réveil sonne. L'homme se jette hors de son lit, happé par l'alarme: l'habitude d'une discipline de fer. Cette chambre ressemble plutôt à une cellule; dans la station, toutes ne possèdent qu'un petit lit - un banc avec couvertures serait plus juste - et un bureau rudimentaire. Les murs sont en acier, et les rivets sont apparents. Il sort. Le long des corridors, la tuyauterie suit le plan de la base. À intervalles réguliers des régulateurs électriques marmonnent, formant un bruit de fond monotone; sans cela, le silence serait profond, total. L'homme s'est déjà habitué à entendre distinctement les battements de son cœur et le flux de son sang dans les vaisseaux derrière ses oreilles; régulièrement il se parle à lui-même, s'encourageant quant aux actions à mener. — L'hiver est long! En tant que seul personnel de garde, chaque jour il doit vérifier le bon fonctionnement des systèmes de la station. Cela permet d'éviter le moindre problème, les conditions climatiques menaçant constamment de geler et d'endommager irréversiblement plomberie et électronique. Ainsi, une routine diligente et une quantité de check-list structurent le quotidien. Chaque jour il faut également faire le tour de la base; pour cela, plus d'une demi-heure est requise pour enfiler combinaison, mitaines, lunettes de protection... dans le sas, la température chute et fait déjà frissonner — dès le premier pas dehors, le froid brûle et semble pénétrer par tous les minuscules interstices des vêtements; chaque expir forme un épais petit nuage, une fumée tangible. C'est comme un second réveil d'abord, puis, dès la moitié du chemin, déjà un étourdissement dangereux. Alors il presse le pas et espère que les structures extérieures sont R.A.S. — Une demi-heure plus tard, il sera à nouveau à l'intérieur, les mains violettes, les sourcils dégivrant lentement, devant une immense coupe de café très chaud. Malgré cela - l'hiver est long, et il reste de longues heures à occuper; l'homme alors reste penché sur d'épais livres d'échecs, analysant des positions complexes et étudiant les jeux de grand-maîtres sur un bel échiquier en bois. Ou alors, il se parle à lui-même, et imagine comme un acteur de fortune exprimer ainsi telle ou telle partie de sa personnalité dans des scénarios imaginaires. De temps en temps, il lui semble presque que l'un de ces personnages prenne corps, et se trouve bien en face de lui lorsqu'il lui donne la réplique. Récemment quelque chose d'autre est venu; est-ce l'une de ces illusions qui a germé, ou est-ce une Présence ayant voyagé jusqu'ici par-delà les plaines glacées? — C'est souvent tard le soir — la Nuit est déjà tombée depuis des mois — comme une forme sombre, une fumée noire entre-aperçue du coin de l'œil, là où aucune image ne se fixe. Sans doute n'est-ce que l'effet du gel sur son cerveau provoquant quelques hallucinations, mais il s'est habitué à cette étrange invitée, cette Entité noire l'observant dans le silence le plus total lorsqu'il s'endort...
  8. Criterium

    Un secret.

    Une chambre, grande, où partout dans l'air flotte une odeur de poussière. Le peu de lumière qui traverse les vitres sales des fenêtres donne à la pièce une allure spectrale. L'on devine les contours de quelques meubles sous de grands draps blancs; au sol, des tapis d'un teint gris. Et çà et là, quelques piles de livres et de vieux papiers. — Est-ce donc là la chambre secrète de la maison? Il avait fallu sonder, un par un, tous les murs du rez-de-chaussée et de l'étage; donner de petits coups secs sur chaque brique de la cave; fouiller sous la poussière à la recherche d'ouvertures scellées ou de mécanismes improbables. Il avait fallu scruter, du haut d'une échelle, les éventuelles irrégularités de la couche de peinture du plafond - qui trahiraient une trappe. Pourtant, cela n'avait rien donné. Pouvait-on au moins deviner la location probable d'une pièce cachée en ré-examinant les plans de la construction? - De longues heures penchées sur un plan, revérifié dans ses proportions avec divers mètres, n'avaient pas donné beaucoup d'indications: il n'y avait pas assez d'espace non accompté qui justifiât un soupçon. - À moins évidemment que la pièce ne se trouve en-dehors du périmètre de la maison, dans un souterrain attenant à la cave; mais les recherches avaient été infructueuses de ce côté-là. Il n'avait pas été possible, non plus, en cherchant dans l'histoire de la bâtisse et des constructions voisines, de trouver des informations historiques intéressantes susceptibles de laisser transparaître un indice. — Comment donc encore croire en cette thèse folle, qu'il se cacherait une chambre secrète dans la maison? — — C'était lors d'un après-midi ensoleillé; tombant de sommeil après quelques travaux d'aménagement, je m'allongeai sur le sofa et m'endormis aussitôt, mais peu profondément. De temps en temps je revenais à la veille et regardais les arbres au-dehors, sans bouger. Puis je réalisai que je ne pouvais pas bouger; impossible d'imprimer à mon corps le moindre mouvement - ma volonté était comme inopérante, coupée du corps. Ma conscience observait, appréhensive. Le bruit des feuilles des arbres me parvenait très distinctement - il n'y avait pas de vent. Et alors, une voix, qui venait de derrière mon épaule gauche, me parlai et me révélai l'existence de la chambre. — Un instant plus tard, je réalisai que la voix s'était tue depuis de longues minutes; et, esquissant un mouvement, que la paralysie s'était dissipée. L'expérience avait été si réelle, si étrange, qu'il m'était dès lors impossible de renoncer à l'idée qu'effectivement il s'était agi d'une révélation plutôt que d'un rêve. Et pourtant, chaque jour de recherches vaines m'avait indiqué que sans doute, malgré tout, il n'avait dû s'agir que de cela. Était-ce cela, le début de la folie? Une psychose? Je n'osais pas demander l'avis de quelques amis proches - y compris ceux-là qui avaient des dispositions à préférer les explications irrationnelles aux phénomènes paradoxaux. C'était à la fois une certaine appréhension de leur jugement - mais aussi quelque sensation indéfinissable que le partage de ce secret le neutraliserait d'une certaine manière, et rendrait l'entrée introuvable. Quant à mon amie médecin, lui en parler était une perspective terrifiante. Alors je restais là, avec mon rêve, comme un objet précieux que l'on cache aux regards. - C'était le rêve qui m'avait fourni la clef pour résoudre cette énigme. En rentrant d'une nuit de fête, le sang alcoolisé plus que de coutume, j'avais titubé jusqu'au lit, envoyé tous mes habits en l'air dans la pièce pour immédiatement m'effondrer sur les draps dans une position improbable. Des rêves qui vinrent dans cet état, je ne me souvins surtout que de roues de couleurs qui tournaient, tournaient dans plusieurs directions à la fois; et d'épisodes de micro-sommeils qui perturbaient ma nuit. Je me réveillai au beau milieu de la nuit avec la nausée; il me fallait me traîner jusqu'à la salle de bain... je me levai et tentai d'effectuer le moins de mouvements possibles pour ne pas brusquer mon corps. En sortant de la chambre, l'esprit brumeux, et en arrivant en face de la porte de la salle de bain, je pris soudain conscience d'une étrangeté inexplicable. Le corridor n'était-il pas un peu plus grand que d'habitude? Et qu'était-ce que cette porte à côté de la porte de la salle de bain? Je savais bien qu'il ne devait s'y trouver ici qu'une seule! - Le choc de cette réalisation me brouillait l'esprit et — je me réveillai au beau milieu de la nuit avec la nausée; dans le lit avec les draps défaits. Alors j'avais secrètement depuis ce jour entraîné mon corps et mon esprit à des exercices qui en permettait la dissociation; car désormais je savais. — Je savais que la chambre secrète n'était accessible que par une sortie du corps, belle et bien dans la maison, mais sur un autre plan... Et après de longs mois d'efforts qui à nouveau me frayèrent à la folie, je découvrais maintenant l'intérieur de la pièce...
  9. Un cauchemar qui colle à l'esprit comme une tumeur au cerveau. C'est à nous donner le vertige, depuis l'hauteur de ces maux.
  10. Criterium

    L'inappréciable

    C'est là notre lot tragique... triste comme si l'on devait discuter avec l'homme qui était en train de couper le dernier arbre de l'Île de Pâques: que lui disait-on? Que devrions-nous lui dire?
  11. Criterium

    Des pas résonnent.

    Il marche dans la nuit, l'air égaré, le pied hésitant; passant parfois d'un trottoir à l'autre. La journée, le soir, ces avenues seraient bruyantes et peuplées — à cette heure-ci cependant, personne; et le silence. Seuls ses pas résonnaient contre les façades, comme ils le font dans un grand appartement encore vide. Hébété, un voile médicamenteux sur les yeux, il va et vient, s'arrêtant parfois, repartant de sa démarche triste après un instant. Ce n'était pas le pas mal assuré d'un homme ivre; c'était celui d'un trouble plus profond, de la sorte dont la vue met mal à l'aise - sans que l'on puisse définir précisément ce qui cause cette étrange intensité. Je ne sais pas de qui il s'agit. — Je le suis en silence, à pas de chatte. Seules ses foulées donnent un écho, la mélopée de cette solitude. Il ne sait pas que je suis là, le regardant descendre la longue avenue. Les lumières blafardes et diffuses de la ville donnent à toute la scène une aura vaporeuse, irréelle; est-ce finalement l'un de ces rêves lucides qui se poursuit, est-il un personnage onirique? Mais non: c'est juste une longue nuit brumeuse de printemps. Et un bout de papier est tombé de sa poche, et quelques minutes plus tard je tiens l'objet bien réel entre mes mains. Pendant ce temps-là, l'étrange désespéré s'éloigne à pas irréguliers. Ce n'est qu'une note, peut-être un poème; ou une habile stéganographie? "À l'aube liliale le dictame remainait sa pénance adonques nos mots perdus et abyssaux se sont dérobés où donc pénétrer sapience et courage brutal?? Où iceux réflètent la charrue vermoulue de l'alkahest perdu jadis où donc messied la séance d'alors?? Celée la direction sibylline, close la vision alésée et contrite la chambre infixée. Où DONC?" Incompréhensible; si c'étaient donc là les mots obscurs qui reflétaient ses pensées autant que ses déplacements erratiques, sans doute était-il fou. — Pourtant ce "où" si présent çà et là, et le fait que petit à petit il suivait une direction bien déterminée, témoignait qu'il y avait un sens à cette folie. - Vers quel lieu celle-là le mènerait-il, je ne le saurais jamais: le temps s'était comme écoulé d'une autre manière dès lors que je m'étais penchée vers l'objet; et sa lecture si étrange, sans soupir, m'avait embrouillé l'esprit. Était-ce vers la petite rue adjacente, était-ce au bout de l'avenue, était-ce dans l'une des portes cochères ou était-ce dans les labyrinthiques traboules? Vers où allait le fou?
  12. Criterium

    Assemblée.

    Midi. — Je presse le pas. Les avenues sont peuplées, le temps agréable d'un printemps qui revient; le brouhaha indistinct venant de la place, vers laquelle je me dirige, n'étouffe pas les pépiements des oiseaux. Ses façades sont si distinctes du reste de la ville que l'on a l'impression d'être ailleurs une fois parvenu ici - c'est presque comme le centre d'un village. Aux terrasses discutent quelques flâneurs; un minuscule marché propose une variété de fruits et légumes le long de quelques étals; l'on perçoit sans entendre d'autres silhouettes à l'intérieur des deux brasseries de la place. Je me dirige vers la première — "La Médiévale". La lumière est moins intense à l'intérieur, mais ce sont surtout les odeurs épicées qui, dès le seuil pénétré, contribuent le plus à changer la scène. C'est une variété de thés, de cannelle, de camomille, qui colorent les fragrances de l'endroit et adhèrent aux boiseries. Je m'arrête et ralentis ma respiration pour me remémorer ce que je suis venu faire ici. La serveuse me sourit. Au fond de la salle, je reconnais parmi un petit groupe de personnes la forme imposante de mon ami Erwain, le druide. Il est grand et massif; sa barbe brune descend jusqu'à la poitrine, et ses cheveux presque autant. Il porte une chemise lacée — tout en lui fait penser à un druide des temps modernes; et je savais qu'il ne s'agissait pas seulement d'une apparence, car dans différentes poches étaient arrangées selon un ordre occulte quelques pierres et cabochons: ambre, malachite, pierre de lune et œil de tigre. Alors que je l'observais ainsi un bref instant, en aimant le voir interagir avec les autres, car il restait tellement entier et fidèle à lui-même, il remarqua ma présence et fit une pause, m'invitant à les rejoindre. Il m'appelait par un nom secret, qu'il m'avait donné précédemment: "Flavia". Quel étrange groupe de personnes autour de cette table! Après quelques salutations et quelques bises, leur conversation avait repris, fluide. Ils parlaient de magie. Je gardais à la fois le silence et un visage expressif. Mes mains étaient pressées autour d'une tasse de thé; la sensation était agréable, chaude. En quelques minutes j'avais pu apprendre un peu de chaque personne du groupe: — Eléna. C'était une étudiante, portant des couleurs chaudes, qui, malgré une timidité décelable, posait beaucoup de questions et semblait animée à la fois par une extraordinaire naïveté et par une énergie étonnante. Elle était le principal élément alimentateur de la conversation. — Saikat, "Sai". Sa veste semblait chère et ses manières étaient calculées; il prenait des notes de temps en temps, et parlait peu, abordant avec choix les sujets d'une façon particulière: il commençait une phrase, y citait quelques mots évocateurs puis ne la terminait pas - mais arrivait ainsi à changer la direction d'une conversation. Je n'arrivais pas à savoir s'il voulait arriver ainsi à un sujet en particulier, ou s'il s'agissait d'une sorte de test, remarquant qui comprenait le sens de certains mots qu'il usait et qu'il fallait connaître (alkahest, kabbale...). — Aliénor. C'était une guérisseuse, clairement expérimentée, et pourtant jeune. Sa stature était grande et fine, ses mots étaient doux et posés. Souvent silencieuse, mais toujours écoutée; elle dégageait un respect naturel et à la fois quelque chose de très tendre. Instantanément je l'aimais beaucoup. Le terme "une âme ancienne" me venait spontanément à l'esprit. — X. Il n'avait que murmuré son prénom, je ne l'ai pas compris. Lui aussi était dur à lire — plutôt parce qu'il semblait double: parfois ses mots ne faisaient pas sens et il paraissait autiste et égaré, parfois au contraire il devenait brillant et exposait alors à la fois érudition et poésie. Autant cette seconde facette, toute pourpre, me fascinait, autant la première facette était comme morte, et inspirait alors pitié plutôt qu'admiration - comme un étang mort. — Gwenaëlle. Elle était belle et coquette, il apparaissait facilement que chaque aspect de son apparence avait été le fait d'un choix. Manifestement c'était un esprit créatif; elle nous montrait des bijoux ésotériques qu'elle avait elle-même confectionnés, un jeu de Tarot; - et à un certain moment, toute une ligne de vêtements d'inspiration médiévale et néo-païenne dont elle avait des centaines de photos sur son téléphone. C'était avec Elena la personne qui alimentait le plus le flux de la conversation; leurs voix étaient agréables, le thé était délicieux, je savourais donc l'instant tout en gardant mon silence communicatif. De temps en temps Erwain me parlait du regard et je me rappelais alors d'autres instants, d'autres envies; d'autres moments de la journée posés sous d'autres signes. J'avais l'impression que la conversation se déroulait en même temps à trois niveaux: Il y avait d'abord le niveau superficiel qui correspondait aux mots échangés par tous et aux émotions qu'ils appelaient. Eléna et Gwenaëlle en tissaient la trame maîtresse, et chacun y participait. Nous parlions de magie et d'ésotérisme. Il y avait ensuite le niveau profond, celui auquel, par des mots choisis et des références pas toujours explicites, un vocabulaire construit, certains échangeaient ainsi des points de repères sur leur recherche - ainsi que les voyageurs d'antan, en de nombreux lieux et époques, communiquaient par signes secrets. Ici aussi, nous avions des mages en quête - et ainsi, par leurs propres signes et leurs propres codes, échangeaient Saikat, Aliénor et Erwain, avec de brèves et étranges interventions d'X. Il y avait finalement le niveau secret, celui dans lequel moi et Erwain parfois flottions, au-delà de la conversation; comme s'imaginant âmes momentanément sorties de nos corps — comme des vaisseaux empruntés —, nous nous reconnaissions en-dehors, et analysions ce qui se disait et ce qui se laissait sous-entendre tout en étant nous-mêmes des participants à cette étrange assemblée. Tout cela se passait dans un regard.
  13. Criterium

    Une lumière dans la nuit!

    Tu racontes de manière agréable, j'ai aimé te lire. Et la première phrase me reste à l'esprit, tant résonne cette image - "Des gens ont transité par wagons dans ma vie".
  14. Criterium

    LE post Metal

    Bonjour les chevelus. Pour ma part, ce sera surtout du black metal avec beaucoup de bruit. Découverte d'aujourd'hui: Nécropole.
  15. Criterium

    Mon midi

    :) Ces secrets du Midi Se révèlent à Minuit; Brouhaha sur la place, Se remplissent les terrasses. Les amis se rencontrent, les amants se remontent, Tantôt à gorge déployée, Tantôt en chuchotements égarés. Espantés et repus, Raï, Elle aura le dessus: — La Nuit.
  16. De rien, je n'aime pas les insultes non plus et l'on peut parfaitement discuter sans cela. :) 1) Je ne nie pas que certains veulent l'annexion pure et simple de Gaza et de la Cisjordanie/Judée-Samarie. Ce n'est toutefois pas le Grand Israël de la pièce que tu montrais à côté de l'article, c'est donc un sujet différent — Mais : en l'occurrence, lorsque l'on déclare une guerre et que l'on la perd, comme en 1967, l'on assume les responsabilités de cette perte, comme la perte de territoire historique ou stratégique (des villages juifs existaient avant 1945 sur ces territoires, et d'autre part ces territoires ont été utilisés pour attaquer Israël par des forces armées ennemis, par exemple des roquettes tirées du Golan). Une lecture intéressante (anglais) 2) Certains pays arabes ont de gros problèmes intérieurs. Or un sport régulièrement mis en avant et sur lequel s'accordent à la fois des paysans illettrés et des hommes politiques, est d'invoquer comme cause des échecs une multitude de conspirations. Le méchant récurrent de ces conspirations, qui manipule dans l'ombre, c'est le juif; de nos jours, on dit le sioniste car on invoque a posteriori une justification de cette accusation de part Israël (ce qu'il dit, ce qu'il fait, ce qu'il pense) — mais le méchant reste le juif car bien avant qu'Israël ne revive, ces conspirations se chuchotaient déjà, comme par exemple avec l'affaire de Damas en 1840. Cela donne un terreau fertile pour l'idéologique de groupes terroristes, anti-sémites et racistes — ces forces-là, motivées par la haine, ne construisent pas mais détruisent. Le premier ennemi cité par ceux-ci sont souvent les muslims "alliés secrètement aux sionistes". Le fait qu'effectivement certains de ces mêmes pays arabes aient des accords économiques discrets avec Israël (justement parce que ce dernier est une grande force économique et technologique, indépendamment des fonds étrangers) contribue encore à ce terreau, et l'on aboutit au final à des guerres civiles: c'est ce qui arrive lorsque l'on tente de rassembler non pas par un projet constructif commun (comme pourrait l'être un islam mutazili et pratique) mais par la haine de l'ennemi juif. Tu diras peut-être "donc au final, ce travail de sape profite à Israël!" — et la boucle sera bouclée. Ce n'est pas parce que tu te tires une balle dans le pied, en accusant le juif de l'avoir fait, et qu'effectivement cela permet au juif d'être engagé dans un job pour lequel il faut avoir deux pieds valides, que tu n'es pas responsable de cette balle tirée par toi-même (en fermant les yeux pour laisser la possibilité que le juif l'aie quand même fait).
  17. Tout d'abord, un Grand NomDePays est un terme polysémique (polysémite?) ou plutôt vague, car il peut référer à la force du pays (force sociale, force militaire, etc) — ou alors à une version physiquement élargie de celui-ci. Pour s'en apercevoir il suffit de l'imaginer avec un autre nom de pays, et l'on aboutit à des slogans pouvant aussi bien aller à un parti politique de gauche que de droite, expansionniste ou souverainiste: "Tous ensemble pour la Grande France" — "Le rôle décisif de la Grande Madagascar dans l'Histoire" — "Le Grand Canada de ses origines à nos jours", etc. — Il s'agit donc de trouver non pas des personnes parlant d'un Grand Israël - ce petit pays étant déjà plus Grand que beaucoup d'autres - mais des personnes parlant d'un Grand Israël au sens où l'entend contrexemple? (Avec preuves à l'appui) Objectivement, les artisans d'une éventuelle conquête des pays avoisinants sont les conspirationnistes comme toi; car ce travail de sape n'a que des influences néfastes sur ces pays, tout en fournissant un terreau propice aux fauteurs de troubles et terrorismes divers. Or ces choses-là détruisent à feu doux un pays de l'intérieur. D'une certaine manière, tu es plus responsable de la guerre civile syrienne qu'Israël - quel ironie, tout cette fitna.
  18. Vous tentez donc d'éviter la honte en ne parlant plus de la pièce mais plutôt avec deux articles se contentant pour l'un de dire que ce monsieur est de droite et pour l'autre que ce monsieur est favorable aux colonies en Cisjordanie/Judée-Samarie — ce qui d'une part n'a rien à voir avec la pièce de monnaie — et d'autre part c'est quand même un autre "Grand Israël" donc il est question que celui que vous vouliez malhonnêtement attribuer à la pièce de monnaie, ou ailleurs situer entre le Nil et l'Euphrate. — Avec en cerise sur la gâteau une reductio ad absurdum en sous-entendant que mon post accuse le JDD de conspiration. Voilà donc un parfait exemple de tentative de manipulation de votre part. Hchouma...
  19. Pour répondre au sujet de cette pièce de monnaie que l'on voit repostée sans cesse, il ne s'agit pas des frontières du Grand Israël mais de la forme reproduite de la pièce antique portant les symboles reproduits également sur celle-ci. La preuve ici (Google Books) avec quelques explications supplémentaires. Ce mensonge éhonté était l'un des tours favoris de prestidigitation de Yasser Arafat, qui portait sur lui ce type de pièce afin d'expliquer à qui voulait l'entendre le plan machiavélique des juifs pour voler le Moyen-Orient, etc. — En fait il s'agit du contour d'un morceau de métal d'il y a 2050 ans, qui d'ailleurs montre bien qu'il y a eu des juifs là-bas jadis. Toute ressemblance avec des frontières réelles ou imaginées relève de la paréidolie. Mais tous les prétextes sont bons pour critiquer Israël, surtout les pires manipulations et tours de passe-passe. Si vous voulez acquérir cette monnaie, vous trouverez deux versions, la pas chère de 10 agorot et la chère de 100 shkalims par exemple là-bas.
  20. Beaucoup de sang dans une vie de vampire.
  21. Criterium

    Microfluidique

    Magique :)
  22. Salam hanss, je proposerais plutôt la fusha car elle permet un accès plus facile aux textes fondamentaux.
  23. Criterium

    Bouddhisme, Libido

    Bonsoir Padawan, Plutôt que de débattre de si tu as tort ou pas, mon post va se limiter à te proposer des pistes et de la technique. — À chacun de prendre ou jeter! :) La libido — et d'une manière générale les désirs — ne viennent pas tout seuls, ils sont l'expression d'un terrain, le moment où l'on met un mot sur une suite difficilement verbalisable d'émotions et de circonstances. Lorsque ce terrain revient, il fait surgir à nouveau les mêmes désirs. Refouler ce désir équivaut à se boucher les oreilles, et n'aide en rien justement parce qu'il ne s'agit que d'ignorer un symptôme. Anéantir ce désir n'est que la conséquence d'un remaniement particulier de ce terrain. La première étape, c'est de comprendre ta libido en profondeur. Par là je n'entends pas seulement ce que tu ressens, mais le chemin largement inconscient qui t'y mène petit à petit. Cela se démarque de la méditation au sens où là il ne s'agit pas de faire le vide mais d'aiguiser tes perceptions et de te forcer à mettre des mots (ou tout du moins des idées et des symboles) sur tes processus subconscients. - Cela te demandera - plutôt que des résolutions peu tenables et peu tenues - une forte auto-observation. Tu peux t'aider d'un journal dans lequel tu écris le plus précisément possible pensées, émotions, et faits objectifs en rapport avec ton état mental, ce désir et ses émotions et sentiments apparentés. Relire un tel journal avec du recul peut te faire soudainement découvrir des motifs récurrents. Ceux-là te permettront de comprendre le terrain d'une manière plus concrète. Il existe d'autres techniques; tu récolteras à la mesure de la finesse d'observation que tu y sèmeras. La seconde étape, une fois identifiées les énergies qui donnent de l'influx à ta libido, est d'agir sur elles. Tu ne peux nier une énergie; en revanche, tu peux la re-diriger. J'insiste sur le fait que tu ne la tais pas - en revanche, tu peux manipuler tes émotions et ton inconscient (lui seul étant capable de ce travail) afin de l'investir différemment. Certaines soifs s'étanchent de multiples manières. Plus tu as compris le terrain, plus tu peux savoir comment le manier. Le mot "manipuler" n'est pas choisi au hasard: il s'agit effectivement d'infléchir ton subconscient comme tu te jouerais de quelqu'un d'autre que tu voudrais convaincre. Que tu le fasses par persuasion ou par tromperie importe peu ici. En langage plus terre-à-terre: je ne te dis pas "dès que tu veux baiser, fais plutôt un peu de peinture" mais plutôt "dès que tu ressens x, y et z, qui sont les prémices à ressentir l'envie de baiser à court ou moyen-terme, détourne l'un des facteurs. x pourrait effectivement être résolu par une action - de la peinture - mais y et z plutôt par une émotion ou un exercice mental concret qui rembobine ton esprit". Plutôt que de t'empêcher de progresser sur ta voie bouddhiste, cette libido te donne une clef de compréhension qui justement te permet d'aller plus loin sur celle-ci... Il y a des textes sacrés classiques qui abordent précisément différents exercices de méditation adaptés aux diverses personnalités, dont les dispositions sensuelles. En d'autres termes, ce n'est pas un obstacle, c'est un grand panneau indicateur. — Je ne te donne qu'un mot-clé, et à toi de creuser: patikkulamanasikara (dont les dix asubha).
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