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De la souffrance du philosophe


Invité Dompteur de mots

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Souffrance du philosophe

L’une des grandes souffrances que le philosophe connaît au cours de sa vie de philosophe, c’est de se sentir si irrémédiablement poussé vers son jardin solitaire, de se sentir désirer l’atteinte des cimes les plus isolées de ses pensées, lui qui pourtant se sent d’autant plus lié par l’amour des autres. C’est l’un des paradoxes de l’activité du penseur : autant nécessite-t-elle le silence, la contemplation et l’intériorité, autant est-elle une activité qui ne se fait que par les autres. Par les autres, parce que la philosophie est avant tout un art du langage, et que le langage ne peut être qu’une construction à caractère collectif. Ainsi la parole est-elle toujours acte de commensuration, acte de se mesurer à l’aune de l’autre et du même coup de se lier à lui. La parole est le moyen par lequel l’homme fait entrer sa personne sur la scène culturelle qui le relie à ses semblables. Or, le philosophe ne fait pas exception à cette règle mais ce qui fait la particularité de son cas, c’est que le besoin de commensuration qui l’habite est si puissant qu’il est appelé à exploser le langage édifié par les hommes, car celui-ci ne lui suffit plus. L’appel de sa propre personne le pousse si profondément dans les filets du langage qu’il n’a de cesse d’en faire tournoyer les fondements et les constituants autour de lui, jusqu’à ce geste suprême qui consiste à subvertir ces fondements et ces constituants. Il les renverse, parce que son amour des autres va jusqu’à lui intimer de se commensurer selon l’ineffable, selon le non-dit. Quel geste peut en effet manifester le plus d’amour que celui qui crée des liens entre les hommes, qui fait s’étioler le vide qui les sépare, qui donne des mots à ce qu’ils ne pouvaient se dire, à ce qu’ils, peut-être, ne pouvaient même rêver dire. Car chaque vide qui est comblé par l’ouvrage de l’homme fait naître de nouveaux rêves chez ceux qui marchent ensuite dans ses pas. L’un découvre un astre dans le firmament que voilà déjà le suivant qui veut s’y envoler. – Mais voilà : pour arriver à cet acte d’amour ultime, le philosophe se voit d’abord contraint de fuir jusque dans sa caverne, de laisser ses semblables à eux-mêmes, ou de les épier du coin de l’œil, de les observer dans le détail, parfois dans ce qu’ils ont de plus détestable, puisque le détestable en l’homme se mesure si mieux chez les autres. Alors le philosophe développe parfois des yeux de troglodyte, se perfectionnant dans l’art de se dissimuler dans l’ombre, de voir l’invisible, d’atteindre l’ineffable. Et ses semblables ne le comprennent alors évidemment pas : ils le prennent pour un orgueilleux, un égoïste ou un misanthrope. Lui-même a d’ailleurs peine à suivre le fil de ses motivations. Il se sent dériver à l’écart des hommes, lui qui désire pourtant ardemment leur commerce. Parfois, dans des moments de fatigue, il se laisse pénétrer par le jugement d’autrui : il ne parvient plus à croire à sa quête et il est alors emporté par une profonde mélancolie. Et il est probablement aussi des penseurs au destin terriblement désolant qui finissent par croire à la nature mauvaise de leur élan le plus profond, et qui tournent le dos à leur solitude. Quels individus pâles et desséchés, quelles tristes fréquentations doivent-ils être en vérité…

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Membre, If you don't want, you Kant..., Posté(e)
deja-utilise Membre 5 739 messages
If you don't want, you Kant...,
Posté(e)

Je vois que j'ai l'honneur de répondre le premier, et je m'en félicite.

Un des rares sujets que tu aies postés, si ce n'est le seul, mais quelle mélancolie dans ton discours, j'ai l'impression de m'y reconnaitre, y avait-il du tien dedans?

J'avais aussi remarqué que le désir de mieux comprendre mes semblables, me faisait m'en éloigner dans le même temps, que découvrir les belles et mauvaises choses chez autrui, ne m'inviter plus à me contenter d'une simple conversation bien souvent insipide à mes yeux, comme si trop savoir d'avance brisait l'élan vers l'autre, tel un film dont on connaitrait la fin avant même de l'avoir entamé, ne reste plus qu'à continuer cette route prise, conduisant certes vers la lumière, mais aussi à la solitude, à l'isolement intellectuel, puisque les autres individus n'ont pas fait ce long chemin, ils ne comprennent pas ce qu'il y a au-delà de leur horizon immédiat, nous sommes devenus des "étrangers", trop de différences et de changements sont là maintenant, comment faire abstraction de ce savoir, ne serait-ce qu'un instant?

La curiosité ayant été consommée, quel moteur reste t-il pour se rapprocher, l'amour certainement, mais celui-ci ne pouvant venir qu'après un premier rapprochement à minima, on voit également le paradoxe de trop connaitre ses alter-ego: une attirance et un désintérêt simultanément, comme tu l'as bien mieux exprimé que moi.

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Membre, 50ans Posté(e)
jean ghislain Membre 1 084 messages
Baby Forumeur‚ 50ans‚
Posté(e)

Très beau texte !

Un long travail intérieur dans un mouvement de retrait, pour aller à son essentiel attend le philosophe ici décrit. Un cheminement certes difficile, car seul face à lui-même, il est le seul qui puisse enfin faire quelque chose pour lui, à défaut de l'aide des autres, ces autres qui le supposent tellement mauvais pour devoir s'isoler ainsi !

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Membre, 44ans Posté(e)
SN3 The last. Membre 6 166 messages
Baby Forumeur‚ 44ans‚
Posté(e)

"La peur de l'inconnu, c'est l'appréhension du connu défiguré par l'imagination"

Albert Brie

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Membre, Jedi pas oui, jedi pas no, 31ans Posté(e)
Jedino Membre 47 968 messages
31ans‚ Jedi pas oui, jedi pas no,
Posté(e)

Comment peut-on prétendre oeuvrer pour les autres et pour soi et, en même temps, considérer l'autre et son jugement comme un poignard toujours prêt à frapper? La tâche du philosophe a possiblement du sens, autant pour lui que pour celui qui peut l'écouter ou le lire. Mais rien, absolument rien, ne justifie le fait qu'il s'éloigne de ses semblables pour pouvoir se vouer à sa réflexion. Il est courant de dire, de penser, qu'il faut s'éloigner de cette sphère pour mieux la comprendre. Je n'y crois pas, et voici la raison : qui peut prétendre comprendre quelque chose pour laquelle il est finalement extérieur, à l'image d'un néophyte qui prétendrait avoir saisi l'essence de sa discipline scientifique? Si le terme est fort car nierait tout passé social, ou toute interaction jusqu'à la non connaissance, je ne crois pas à la condamnation du philosophe par les autres. Il se condamne lui-même dès lors qu'il a décidé de chercher ce qu'il croit chercher, à savoir la vérité. Il le fait à travers la plus puissante de ses armes : le langage. De là découle un système conceptuel plus ou moins complexe et efficace, ce qui l'honore, bien qu'il fasse erreur. Nous ne cherchons nullement la vérité, et c'est se fourvoyer que de le penser. Ce que nous quêtons, c'est la réalité, celle-là même qui nous accueille, sans toujours être visible. Et, comment comprendre la réalité si cela passe par sa fuite? Car la réalité d'un homme est, certes, ses passions et ses troubles, ses idées et ses pensées, mais c'est aussi un homme parmi les hommes, un animal parmi les animaux, et une pièce parmi de nombreuses autres pièces. Tout ceci s'oppose à, oui, l'ineffable, à ce qui nous échappe. La crainte de la mort, l'origine de tout, la souffrance qu'aucun mot ne permet de traduire, etc. Si je devais parler de ma propre expérience, je dirais que les questions sont légitimes dans l'esprit d'un homme, qu'elles viennent presque naturellement chez celui qui ne trouve pas la paix "comme les autres", ou comme cela semble être chez les autres. Le problème, c'est que jamais nous ne venons à nous dire que le fait de croire à une question appelle une réponse, mais que cette question n'a peut-être pas forcément lieu d'être et que, de ce fait, la réponse tient nécessairement de ce qui ne peut être trouvé. Nous nous questionnons, nous le devons, et nous avons raison. Nous aimons jouer avec les mots, faire toujours davantage de prouesse avec le langage, la capacité de notre intellect. Ma seule question est : nous posons-nous vraiment les bonnes questions? Ne serions-nous pas un peu plus dans le juste en considérant que toutes ces fractures, ces différences, ces moyens d'alimenter et de justifier des catégories, quelles qu'elles sont, tiennent de l'erreur la plus grossière? En estimant que vous et moi sommes deux, je crée, dans ces simples mots innocents, un fossé immense. Ce fossé, vous le faîtes lorsque vous réfléchissez à la relation entre la société et vous. Gommez cela, et vous gommez l'essentiel de nos soucis. Quand je suis dans la rue, je ne vois pas un "autre" : je vois un semblable. Quand je me mets à réfléchir sur les choses, le monde, je ne le fais pas pour les autres ou pour moi, je le fais. Nous croyons que par le détail, la précision, nous proposons un avis plus "vrai", en oubliant que, parfois, il faut en enlever quelques uns pour trouver la solution.

Mais ceci n'est qu'un avis, et j'ai tenté au mieux de répondre aux aspects que j'ai probablement compris à ma manière.

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Membre, Posté(e)
Maïla Membre 425 messages
Baby Forumeur‚
Posté(e)

...il convient de se tenir, de s'entretenir ou de se tenir entre ; entre soi et quoi je n'en sais rien ; la philosophie est un moyen, il est vrai qu'elle peut devenir dommageable si elle conduit à l'isolement et à fortiori elle y conduit, d'où la souffrance du titre posté par le Dompteur de mots

je souffre lorsque je m'isole, officiellement je fais partie, officieusement j'en suis partie ; cette idée à elle seule est déjà de la souffrance dont je ne suis pas trop consciente au départ mais qui est la porte ouverte à la séparation d'avec autrui

je peux aussi souffrir lorsque une forme quelconque de séparation me semble, ou m'agrée d'être triste ; or la tristesse est inutile dans n'importe quelle pensée, choix, préférence, acquis et dans ce qui peut sembler être des certitudes

ce qui manque souvent à la philosophie c'est la Joie, la joie toute simple de la vie comme il en ressort Jédino dans tes mots à toi

bien sûr que l'olivier est isolé de l'oranger quant à sa forme, son murissement, sa taille et son goût ; pour autant il y a pas de tristesse à leur co-habitation ; oui la tristesse fait souffrir car il y manque une chose essentielle : la Vie ; dans toute forme d'intelligence la vie prédomine, ou la joie si l'on préfère ; la philosophie sans Joie est dénuée de sa forme et de sa force

je le vois comme ça

merci pour ce sujet

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Membre, Posté(e)
tison2feu Membre 3 032 messages
Forumeur alchimiste ‚
Posté(e)

je peux aussi souffrir lorsque une forme quelconque de séparation me semble, ou m'agrée d'être triste ; or la tristesse est inutile dans n'importe quelle pensée, choix, préférence, acquis et dans ce qui peut sembler être des certitudes

ce qui manque souvent à la philosophie c'est la Joie, la joie toute simple de la vie comme il en ressort Jédino dans tes mots à toi

Le paradoxe de la tristesse, c'est de contribuer à un ralentissement de l'activité, tout en favorisant un recul fécond face au réel, à la différence de la joie qui pourra contribuer à accélérer l'activité mais sans jamais permettre aucun recul face au réel. En quoi la tristesse me semble vecteur - indispensable - de mouvement extrêmement pénétrant et incisif dans le développement de la pensée (et de l'action devant s'en suivre).

Et puis, toutes ces philosophies joyeuses que nous vendent les marchands de bonheur me semblent suspectes parce qu'elles ne permettent de déceler chez leurs auteurs aucune faiblesse humaine.

Voilà pourquoi de si grands penseurs - tels Montaigne ou Cioran - se défendaient d'être des philosophes. "Je me suis détourné de la philosophie au moment où il me devint impossible de découvrir chez Kant aucune faiblesse humaine, aucun accent véritable de tristesse ; chez Kant et chez tous les philosophes..." (Précis de décomposition, par Cioran).

A cela vient s'ajouter le fait que chaque être humain a un tempérament qu'il n'a pas choisi. Clément Rosset avait beaucoup d'admiration pour Cioran, mais son tempérament joyeux (Rosset est un bon vivant) ne pouvait pas s'accommoder d'une philosophie aussi triste que celle de Cioran, même s'il n'a eu de cesse de pourfendre lui aussi les marchands de bonheur.

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Invité Dompteur de mots
Invités, Posté(e)
Invité Dompteur de mots
Invité Dompteur de mots Invités 0 message
Posté(e)

Un des rares sujets que tu aies postés, si ce n'est le seul, mais quelle mélancolie dans ton discours, j'ai l'impression de m'y reconnaitre, y avait-il du tien dedans?

Peut-il en être autrement ? Je ne suis pas un homme théorique.

J'avais aussi remarqué que le désir de mieux comprendre mes semblables, me faisait m'en éloigner dans le même temps, que découvrir les belles et mauvaises choses chez autrui, ne m'inviter plus à me contenter d'une simple conversation bien souvent insipide à mes yeux, comme si trop savoir d'avance brisait l'élan vers l'autre, tel un film dont on connaitrait la fin avant même de l'avoir entamé, ne reste plus qu'à continuer cette route prise, conduisant certes vers la lumière, mais aussi à la solitude, à l'isolement intellectuel, puisque les autres individus n'ont pas fait ce long chemin, ils ne comprennent pas ce qu'il y a au-delà de leur horizon immédiat, nous sommes devenus des "étrangers", trop de différences et de changements sont là maintenant, comment faire abstraction de ce savoir, ne serait-ce qu'un instant?

La curiosité ayant été consommée, quel moteur reste t-il pour se rapprocher, l'amour certainement, mais celui-ci ne pouvant venir qu'après un premier rapprochement à minima, on voit également le paradoxe de trop connaitre ses alter-ego: une attirance et un désintérêt simultanément, comme tu l'as bien mieux exprimé que moi.

Je ne considère pas que cette attitude que j’ai me mène vers quelque lumière que ce soit. Au contraire, c’est un abîme sous bien des aspects. Mais c’est ma vie et je l’aime et en prends soin.

J’observe que cette attitude donne cet aspect particulier à l’amour : long à établir, mais quasi-indestructible une fois établi. La qualité des choses devient un désir prépondérant, plutôt que leur quantité. L’amour devient une tâche gigantesque qui vient avec mille et une exigences envers soi-même. Pour cette raison, il est très sélect.

Mais rien, absolument rien, ne justifie le fait qu'il s'éloigne de ses semblables pour pouvoir se vouer à sa réflexion. Il est courant de dire, de penser, qu'il faut s'éloigner de cette sphère pour mieux la comprendre. Je n'y crois pas, et voici la raison : qui peut prétendre comprendre quelque chose pour laquelle il est finalement extérieur, à l'image d'un néophyte qui prétendrait avoir saisi l'essence de sa discipline scientifique?

Il ne s’agit pas d’un éloignement physique, mais bien d’un éloignement intérieur. L’éloignement est inévitable, ne serait-ce que par ce qu’il faut beaucoup de temps pour se permettre de penser le monde.

Ce que nous quêtons, c'est la réalité, celle-là même qui nous accueille, sans toujours être visible.

Je suis d’accord qu’un philosophe ne devrait pas rechercher la vérité mais je ne suis pas certain de comprendre ce que tu veux dire en parlant de quête de réalité. Un philosophe cherche à ordonner ses actes, donc à façonner la réalité, à l’ennoblir et pour cela, il doit forcément faire appel à son imagination, à quelque chose qui soit hors de la réalité, bien qu’il doive toujours avoir les yeux rivés sur le réel.

En estimant que vous et moi sommes deux, je crée, dans ces simples mots innocents, un fossé immense. Ce fossé, vous le faîtes lorsque vous réfléchissez à la relation entre la société et vous. Gommez cela, et vous gommez l'essentiel de nos soucis. Quand je suis dans la rue, je ne vois pas un "autre" : je vois un semblable. Quand je me mets à réfléchir sur les choses, le monde, je ne le fais pas pour les autres ou pour moi, je le fais. Nous croyons que par le détail, la précision, nous proposons un avis plus "vrai", en oubliant que, parfois, il faut en enlever quelques uns pour trouver la solution.

Mais nous sommes deux. Tout le défi de cette existence consiste en ceci : conjuguer notre soif inextinguible d’individuation avec l’unité primordiale qui nous relie. Nous sommes deux, et c’est bien cela le problème, c’est bien cela qui déchire le philosophe. C’est de cette déchirure précisément dont je parlais en ouverture de topic. La soif d’individuation conduit le philosophe à penser le monde à sa façon mais l’unité dans laquelle il se sent irrémédiablement partie le force à faire acte de commensuration.

la tristesse est inutile dans n'importe quelle pensée, choix, préférence, acquis et dans ce qui peut sembler être des certitudes

La tristesse nous informe sur la nature de notre désir, au moins autant que la joie.

Le paradoxe de la tristesse, c'est de contribuer à un ralentissement de l'activité, tout en favorisant un recul fécond face au réel, à la différence de la joie qui pourra contribuer à accélérer l'activité mais sans jamais permettre aucun recul face au réel. En quoi la tristesse me semble vecteur - indispensable - de mouvement extrêmement pénétrant et incisif dans le développement de la pensée (et de l'action devant s'en suivre).

Le mouvement de la tristesse paralyse d’abord le corps et seulement ensuite l’esprit. Que fait-on quand on est triste ? On se morfond quelque peu, on s’arrête et on réfléchit. C’est dire qu’un homme triste, s’il n’est pas dépressif, aura encore tout son esprit pour construire les bases d’une joie nouvelle, d’où le recul potentiellement fécond dont tu parles. En outre, cette paralysie du corps exalte le mouvement de l’esprit, car il devient le seul recours de l’être, son refuge, son asile. Il y a donc là un danger que l’être s’attache trop à ce mouvement de l’esprit, et que le recul potentiellement fécond ne devienne le terreau idéal où pourront germer des idéalismes de toutes sortes.

Mais je pense que ce serait une erreur de dire que cette tristesse amène l’esprit à être davantage fécond que lorsqu’il baigne dans la joie. Au contraire, l’état de fécondité parfaite de l’esprit est lorsqu’il s’enchaîne au corps, qu’il se déverse continuellement dans le monde des actes, puis fait retour pour alimenter à nouveau l’esprit, ce que ne permet pas la tristesse.

Et puis, toutes ces philosophies joyeuses que nous vendent les marchands de bonheur me semblent suspectes parce qu'elles ne permettent de déceler chez leurs auteurs aucune faiblesse humaine.

Voilà pourquoi de si grands penseurs - tels Montaigne ou Cioran - se défendaient d'être des philosophes. "Je me suis détourné de la philosophie au moment où il me devint impossible de découvrir chez Kant aucune faiblesse humaine, aucun accent véritable de tristesse ; chez Kant et chez tous les philosophes..." (Précis de décomposition, par Cioran).

Personnellement, j’ai Cioran en horreur alors j’éviterai d’en parler.

Quant à Montaigne, il n’était pas un philosophe particulièrement triste, au contraire. Son écriture est définitivement baignée par une sorte de vivacité joyeuse. Seulement, il est aussi un penseur très terre-à-terre qui ne s’aventure jamais dans quelque construction théorique. Il parle de sa vie, de ses expériences, de cas historiques – incluant donc dans ses réflexions tout le lot des faiblesses humaines, à commencer par les siennes – et il en tire des leçons. À partir de ceci, on peut s’imaginer facilement ce qui l’opposait aux penseurs d’atmosphère plus aérienne. D’ailleurs, il dit lui-même son aversion pour la tristesse :

« Je suis peu enclin à cette passion, ni ne l'aime et l'estime : quoi que tout le monde se presse, comme aux pièces, pour lui trouver des qualités particulières. Ils en habillent la sagesse, la vertu, la conscience, sot et monstrueux ornement ! Les Italiens ont plus justement baptisé de son nom la méchanceté, car c’est un état toujours nuisible, toujours insensé, et les Stoïciens, comme un sentiment lâche et vil, la défendent à leurs sages. »

- Essais, livre I, chapitre II.

De fait, on peut aisément spéculer que Montaigne eût détesté Cioran ! :D

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Membre, Posté(e)
yacinelevrailefou Membre 519 messages
Baby Forumeur‚
Posté(e)

Bon texte... Mais je ne suis pas d'accord sur le fait que la philosophie soit un art du langage car cela correspondrait beaucoup plus aux sophistes (voir le Gorgias).

Néanmoins, le langage est un support, un vecteur de pensées... Et je rejoindrais Dompteur de Mots, je pense (!), sur le fait que La douleur du philosophe tiendrait à la necessaire austerité (dans son le sens d'une vie austère, replié sur soi-même en bon contemplatif), le désir de s'abandonner à la pensée et à l'étude de ses mécanismes, du monde, du soi, etc... Mais aussi d' apprendre par soi-même en l'autre.

Socrate restait en méditation, marchant pensif, semblant réflechir, mais il philosophait qu'en presence d'un ou plusieurs interlocuteurs... Comme si il apprenait en l'autre par lui-même le sujet en question. Il n'avait surement aucune réponse par principe à l'ouverture du débat, seulement un grand sens moral pouvant le guider parmi les innombrables points de vues jusqu'à une conviction cohérente, issue d'un raisonnement logique , déroutant pour les orgueilleux et qui n'était émise qu'à une fin philosophique. Non pas que, par exemple, il ne voulait pas qu'éclate une vérité, ou bien que l'on s'aperçoive d'une réalité ou encore d'incommoder les gens dans leurs torts alors rendu visible. Non pas. Il me semble plutôt que ceci permettant d'étudier n'importe quel sujet... De tous domaines excepté la philosophie elle-même.

En effet, je crois qu'étudier la philosophie en philosophant c'est chercher l'ineffable par le verbe. Ce peut être aussi et cela serait un grand tort, de valoriser sa propre vision d'une philosophie non pour la philo mais pour soi-même, pour tout le bien que l'on puisse recevoir à bien discourir. Bef...

Pour conclure, je dirais que le malheur du philosophe réside dans un paradoxe, celui du désir orgueilleux allié à la necessité d'être humble.

Un peu comme quand une foule accuse et critique le "Je" proclamé d'un philosophe. La foule s'en prend non à sa pensée mais à sa personne alors que ce philosophe ne pouvait pour penser, pour philosopher qu'user d'un tel langage...

Je pose ici et à tous deux questions :

Qu'apprecie t on le plus chez un philosophe ? Sa personne ? Sa pensée ?

Qu'aime t on le moins chez un philosophe ? Sa personne ? Sa pensée ?

Il est évident que la douleur du philosophe tienne dans cette dichotomie, de cette dissociation entre lui-même et lui-même... Entre sa pensée et sa personne...

Et il n'y a que par le langage, (cet outil magnifique qui fait de la parole un acte et de l'acte une parole.) dans lequel ces deux choses se confondent, que nous pouvons juger, chez le philosophe, de la personne et/ou de la pensée.

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Membre, Jedi pas oui, jedi pas no, 31ans Posté(e)
Jedino Membre 47 968 messages
31ans‚ Jedi pas oui, jedi pas no,
Posté(e)

Il ne s’agit pas d’un éloignement physique, mais bien d’un éloignement intérieur. L’éloignement est inévitable, ne serait-ce que par ce qu’il faut beaucoup de temps pour se permettre de penser le monde.

Je suis d’accord qu’un philosophe ne devrait pas rechercher la vérité mais je ne suis pas certain de comprendre ce que tu veux dire en parlant de quête de réalité. Un philosophe cherche à ordonner ses actes, donc à façonner la réalité, à l’ennoblir et pour cela, il doit forcément faire appel à son imagination, à quelque chose qui soit hors de la réalité, bien qu’il doive toujours avoir les yeux rivés sur le réel.

Mais nous sommes deux. Tout le défi de cette existence consiste en ceci : conjuguer notre soif inextinguible d’individuation avec l’unité primordiale qui nous relie. Nous sommes deux, et c’est bien cela le problème, c’est bien cela qui déchire le philosophe. C’est de cette déchirure précisément dont je parlais en ouverture de topic. La soif d’individuation conduit le philosophe à penser le monde à sa façon mais l’unité dans laquelle il se sent irrémédiablement partie le force à faire acte de commensuration.

En quoi faut-il s'éloigner pour penser?

J'ai pas l'art d'être clair, mais en gros, j'essayais de dire que parler d'une quête de la "vérité" est une façon de parler puisqu'au final, le philosophe cherche plutôt la "réalité". C'est tout. L'imagination? Pourquoi en aurait-il besoin pour trouver la réalité dans laquelle il vît déjà?

S'il y a tension, il y a point d'équilibre. Et, à défaut, il existe forcément une solution, que ce soit l'une ou l'autre, ou une toute autre. Tout n'est pas qu'une somme de différents éléments. Parfois, certains n'ont pas lieu d'être. Mais oui, ça peut te déchirer un être, ces choses-là.

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Invité elbaid
Invités, Posté(e)
Invité elbaid
Invité elbaid Invités 0 message
Posté(e)

ça vire à la psychologie....

le philosophe se regarde un peu trop le nombril à mon goût , et la philosophie avec son cortège de Morts qui n'ont plus que les os desséchés pour penser , ne pense plus .

car si je remonte le fil de la discussion il est question de morts plus que de vivant . c'est une veillé funèbre qui n'en finie pas .

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Invité
Invités, Posté(e)
Invité
Invité Invités 0 message
Posté(e)

le philosophe se regarde un peu trop le nombril à mon goût , et la philosophie avec son cortège de Morts qui n'ont plus que les os desséchés pour penser , ne pense plus .

"Et ses semblables ne le comprennent alors évidemment pas : ils le prennent pour un orgueilleux, un égoïste ou un misanthrope."...

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Invité elbaid
Invités, Posté(e)
Invité elbaid
Invité elbaid Invités 0 message
Posté(e)

finalement il s'adapte au monde d'aujourd'hui . c'est le triomphe de l'égoisme , et de l'orgueil , il est semblable au commun des mortels c'est à dire n'importe quel couillon sur terre .

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Membre, 78ans Posté(e)
Talon Membre 1 722 messages
Baby Forumeur‚ 78ans‚
Posté(e)

Non point, le philosophe pensant n'est pas solitaire puisqu'il parle à lui-même. Eh oui, nous sommes doubles, à la fois sujet et objet. Grâce à la conscience de soi.

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Invité elbaid
Invités, Posté(e)
Invité elbaid
Invité elbaid Invités 0 message
Posté(e)

oui le philosophe est un fin psychanalyste , il est son propre cobaye en quelque sorte . son propre sujet d'entrainement et d'expérience .

le philosophe est myope , il se contente de la lecture de prés , c'est à dire lui même puisque il ne voie pas plus loin .

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Membre, Soleil d'Hiver, 59ans Posté(e)
Cassandre 0101 Membre 9 857 messages
59ans‚ Soleil d'Hiver,
Posté(e)

si le philosophe était moins sûr de lui, moins dégradant envers les personnes qui ne sont pas de "sa condition" et s'il ne vivait pas en reclus dans son mode de philosophie, s'il s'ouvrait à des gens moins "savant que lui", il serait plus heureux!

oui le philosophe est un fin psychanalyste , il est son propre cobaye en quelque sorte . son propre sujet d'entrainement et d'expérience .

le philosophe est myope , il se contente de la lecture de prés , c'est à dire lui même puisque il ne voie pas plus loin .

:plus:

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Membre, 28ans Posté(e)
maxime0805 Membre 767 messages
Baby Forumeur‚ 28ans‚
Posté(e)

J'ai comme l'impression que vous imaginez le philosophe comme un personnage petit bourgeois à lunettes qui ne sort de chez lui que pour faire ses courses et qui donne des leçons à tout le monde.

Décidément, l'influence de BHL, Finkielkraut ou autre pseudo-philosophe sur l'image de la philo est plus désastreuse que je ne le pensais..

Le philosophe n'est pas un monstre enfermé dans son monde de concepts, il ne vit pas nécessairement en ermite dans un manoir, il ne rejette pas les gens "moins savant" que lui, il n'est pas forcément un être malheureux cherchant désespérément le bonheur...

Plus important, il n'y a pas comme vous le suggérez un type de personne de catégorie "le philosophe".

Quelqu'un qui pense, qui aime la sagesse, cherche à se débarrasser des préjugés, et c'est la base de la philosophie. Et soit dit en passant, vous feriez bon usage d'un peu de philosophie dans vos jugements.

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Invité elbaid
Invités, Posté(e)
Invité elbaid
Invité elbaid Invités 0 message
Posté(e)

"il ne rejette pas les gens "moins savant" que lui"

:smile2: ça dépend . je me suis inscrit dernièrement ici : http://www.forumdephilosophie.com/

et m'en suis fait jeté en 15mn montre en main , juste une présentation , une intervention et paf ! BANNI sans

explication ni aucune forme de procès , ni même sans connaître le chef d'accusation , répudié direct sans avoir

pu ne serais ce qu'un instant me défendre ! lol

je sais pas , ptet je pue des pieds ....???

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Invité Leopardi
Invités, Posté(e)
Invité Leopardi
Invité Leopardi Invités 0 message
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J'avais aussi remarqué que le désir de mieux comprendre mes semblables, me faisait m'en éloigner dans le même temps, que découvrir les belles et mauvaises choses chez autrui, ne m'inviter plus à me contenter d'une simple conversation bien souvent insipide à mes yeux, comme si trop savoir d'avance brisait l'élan vers l'autre, tel un film dont on connaitrait la fin avant même de l'avoir entamé, ne reste plus qu'à continuer cette route prise, conduisant certes vers la lumière, mais aussi à la solitude, à l'isolement intellectuel, puisque les autres individus n'ont pas fait ce long chemin, ils ne comprennent pas ce qu'il y a au-delà de leur horizon immédiat, nous sommes devenus des "étrangers", trop de différences et de changements sont là maintenant, comment faire abstraction de ce savoir, ne serait-ce qu'un instant?

La curiosité ayant été consommée, quel moteur reste t-il pour se rapprocher, l'amour certainement, mais celui-ci ne pouvant venir qu'après un premier rapprochement à minima, on voit également le paradoxe de trop connaitre ses alter-ego: une attirance et un désintérêt simultanément, comme tu l'as bien mieux exprimé que moi

Intentions... Pour faire court :

As tu réfléchis à ce qui t'a conduit à observer les autres ? Il me semble que nous trouverions des choses bien différentes selon que le désir dès la base, tend vers dominer l'autre, le découvrir, le révéler, l'épanouir, s'y confronter... Etc.

Tout ça pour dire qu'à mon humble avis, si tu as trouvé cela, si c'est à ce que tu décris qu'abouti "ta" philosophie, c'est que tu le cherchais. J'aurais tendance à dire en te lisant, que dès le départ pour une raison X ou Y, tu cherchais à dominer l'autre, à le connaître pour annihiler sa différence, le rendre prévisible et ainsi moins dangereux.

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Invité elbaid
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Invité elbaid
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J'ai comme l'impression que vous imaginez le philosophe comme un personnage petit bourgeois à lunettes qui ne sort de chez lui que pour faire ses courses et qui donne des leçons à tout le monde.

Décidément, l'influence de BHL, Finkielkraut ou autre pseudo-philosophe sur l'image de la philo est plus désastreuse que je ne le pensais..

Le philosophe n'est pas un monstre enfermé dans son monde de concepts, il ne vit pas nécessairement en ermite dans un manoir, il ne rejette pas les gens "moins savant" que lui, il n'est pas forcément un être malheureux cherchant désespérément le bonheur...

Plus important, il n'y a pas comme vous le suggérez un type de personne de catégorie "le philosophe".

Quelqu'un qui pense, qui aime la sagesse, cherche à se débarrasser des préjugés, et c'est la base de la philosophie. Et soit dit en passant, vous feriez bon usage d'un peu de philosophie dans vos jugements.

d'accord avec cela . et comme tu le souligne il n'existe pas de catégorie "philosophe" de même il n'existe pas le métier de philosophe , ils peuvent être prof et avoir atteint le degrés de connaissance necessaire pour l'enseignement de la philosophie dans le cadre scolaire , mais en premier lieu ils sont profs avant d'être philosophe .

par contre il doit certainement existé des cercles philosophiques , des sortes de castes qui se veulent garant d'une certaine présence philosophique dans le monde Intellectuel . et je pense qu'à ce niveau la il doit y avoir de sacré pointure , cependant ils sont ptet un peu trop myope pour voir au delà justement de leurs préjugés , de leurs croyances , de leurs dogmes etc etc etc.....en gros c'est un milieux .

" qui cherche à se débarrasser des préjugé " tout à fait .

et il faut même aller plus loin , il faut se débarrasser de tout , apprendre à désapprendre pour revenir à l'essence de la réflexion . parce que les préjugés c'est un fourre tout dans le quel on y trouve nos cultures , nos valeurs , nos croyances , nos idéaux etc etc tout ce que l'on a appris (moi ça tombe bien j'ai rien appris) . ainsi la pensée se débarrasse de son "prisme" et observe le monde , l'objet de son intention , il se focalise dessus et l'observe dans son essence propre en ayant au préalable dépoussiéré ....lol

"Quiconque veut vraiment devenir philosophe devra « une fois dans sa vie » se replier sur soi-même et, au-dedans de soi, tenter de renverser toutes les sciences admises jusqu'ici et tenter de les reconstruire." Husserl .

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