Le démon de Socrate

          Le philosophe grec Socrate (270/69 ; 399 av. JC) affirmait qu'un démon était attaché à lui depuis l'enfance.

Par sa voix démonique, il l'inspirait, lui soufflait ses réponses quand il s'exprimait sur un sujet et, même, par ses injonctions et ses avertissements, le sauvait parfois du péril, voire du ridicule. Il l'a du reste toujours empêché de se mêler de politique.

Un psy vous parlerait d'émergence de la conscience critique individuelle, de la manifestation d'un puissant besoin d'intériorisation du moi ou autres trucs dans le genre. Mais dans la Grèce antique, où l'on allait consulter les oracles de la divinité oblique de Delphes qui ne parle ni ne cache mais fait signe, c'était différent.

Le daïmon ou démon, sans commun avec l'ange déchu selon les judéo-chrétiens, est médiateur entre le divin et l'humain. Un intermédiaire entre ce qui est mortel et immortel dit Platon dans le Banquet.

Plus qu'un interprète, Socrate considérait le sien comme un don divin, une portion de divin.

Le philosophe algérien Apulée (123 ; 170 av. JC) en parle comme suit :

Ce démon dont je parle, gardien privé, préfet personnel, garde du corps familier, curateur particulier, garant intime, observateur infatigable, juge inséparable, témoin inévitable, réprobateur quand nous agissons mal, approbateur quand nous agissons bien, si nous lui accordons l'attention qu'il requiert, si nous cherchons de tout cœur à le connaître et si nous l'honorons pieusement comme Socrate l'a honoré avec un esprit de justice et d'innocence, nous offre sa prévoyance dans les situations incertaines, ses conseils dans les situations difficiles, sa protection dans le danger, son assistance dans la détresse et il peut, par des songes, par des signes ou même par sa présence quand le besoin s'en fait sentir, détourner le mal, faire triompher le bien, relever ce qui est à terre, soutenir ce qui chancelle, éclairer ce qui est obscur, diriger la bonne Fortune, corriger la mauvaise.

Pour l'écrivain Pascal Quignard, c'est comme un autre homme en nous, une puissance personnelle impersonnelle, un privé inconnu. Tout ce que nous disons, que nous sachions le dire ou que nous croyions le dire, est au service de l'inconnu qui fait signe en nous. C'est cet inconnu qui est en nous plus que nous que Socrate se mit à appeler daimôn.

Cette notion d'esprit familier ou tutélaire, de bon génie, existe depuis la nuit des temps.

Les Celtes croyaient en l'anamchara, les Nordiques en la fylgia, communément le placenta expulsé lors de la naissance, mais désignant aussi, symboliquement, la figure tutélaire, le double, le moi qui s'émancipe de l'enveloppe corporelle et suit l'homme (lequel peut la voir en rêve), le protège et le met en garde, prenant la forme d'une entité féminine ou animale. Les Nordiques croyaient également en une force tutélaire de la famille veillant au bon comportement des descendants qui, à ce titre, avaient le devoir d'entretenir l'excellente renommée du lignage. C'est pourquoi ils étaient si à cheval sur l'honneur et ne toléraient aucune insulte : insulter quelqu'un, c'était en effet porter atteinte tant à sa part individuelle de divin qu'à celle qui se transmettait dans sa lignée.

Ces entités font directement penser à l'ange gardien assigné à la protection du salut de l'individu.

Le concept d'ange gardien (ils ont leur fête le 2 octobre dans le calendrier catholique) s'est développé à la suite du Pseudo-Denys l'Aéropagite qui vécut au 1er siècle après JC. Grand astrologue initié aux mystères de Dionysos, il se convertit au christianisme au contact de Saint Paul. Ses ouvrages ésotériques se sont oralement transmis jusqu'au Vème siècle.

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          Et vous, à l'instar de Socrate, avez-vous déjà éprouvé cette sensation qu'une entité invisible vous conseillait ou vous portait secours ? Qu'elle vous faisait dévier du mauvais chemin pour vous ramener sur le bon ?

Pensez-vous qu'en deçà d'un ratio accordé à chaque individu, existe en nous une part d'irrationnel par lequel nous serions connectés à une dimension supérieure ?

Il me semble que le daimon, en grec, est l'intermédiaire entre les dieux et les hommes. Un ange chez les chrétiens.

L'irrationnel ne m'a jamais convaincu. La "conscience de soi", oui. Acquise depuis longtemps parce qu'un aléa génétique a contrarié le gène qui limitait notre masse cérébrale. Elle permet d'agir tout en s'observant. Elle nous fait deux personnes.

Comme dit Talon1, le démon est un dieu mineur dans la religion grecque.

J'avais vu une théorie différente et plus terre à terre, c'est le soupçon de la schizophrénie de Socrate, qui prétend de lui-même entendre des voix. (j'aimerai bien connaître l'avis de @Talon 1 ).

On va peut-être trop vite à soupçonner de schizophrénie les gens qui ont un sixième sens ?

Mais alors les non croyants on eux aussi un ange gardien ?

Le 27/01/2018 à 16:28, sovenka a dit :

          Et vous, à l'instar de Socrate, avez-vous déjà éprouvé cette sensation qu'une entité invisible vous conseillait ou vous portait secours ? Qu'elle vous faisait dévier du mauvais chemin pour vous ramener sur le bon ?

Oui, et on peut même aller bien au-delà de cette vague sensation de présence. Les pratiques chamaniques de recherche de contact, via la transe, avec l'animal totem et surtout les guides (le monde d'en haut) peuvent aider. 

Personnellement, j'ai eu l'occasion de rencontrer mon Ombre (voir la psychologie analytique, Jung) et ce fut une expérience d'abord terrifiante, puis très bénéfique. À partir de là, les guides se sont montrés plus clairement. 

Le topic date pas mal mais si tu souhaites en parler, je suis ouverte à l'échange là-dessus. 

Ce serait intéressant que tu nous en dises plus sur l'Ombre de soi.

Il y a 6 heures, sovenka a dit :

Ce serait intéressant que tu nous en dises plus sur l'Ombre de soi.

À vrai dire, c'est tellement personnel qu'un récit serait à la fois très long et assez inutile, sauf à déployer des tas de détails sur ma personne. Qu'est-ce que tu veux savoir, précisément ? Comment la joindre ? À quoi ça ressemble ? 

Il y a 20 heures, Isadora. a dit :

Oui, et on peut même aller bien au-delà de cette vague sensation de présence. Les pratiques chamaniques de recherche de contact, via la transe, avec l'animal totem et surtout les guides (le monde d'en haut) peuvent aider. 

Personnellement, j'ai eu l'occasion de rencontrer mon Ombre (voir la psychologie analytique, Jung) et ce fut une expérience d'abord terrifiante, puis très bénéfique. À partir de là, les guides se sont montrés plus clairement. 

Le topic date pas mal mais si tu souhaites en parler, je suis ouverte à l'échange là-dessus. 

Je me joindrais bien à la discussion

Je vais donc tenter quelque chose, en essayant de rester relativement concise. 

En guise de préambule, il faut signaler que j'ai eu une adolescence difficile et que ça s'est prolongé quasi tout au longe de la vingtaine. Donc je me suis retrouvée, plus ou moins sans le savoir, dans un état dépressif plus ou moins latent selon les moments. Apparemment, ça peut aider. Il se trouve aussi que, par ailleurs, j'ai été détectée HP Complexe, ce qui fait que mon cerveau ne fonctionnerait pas tout-à-fait normalement. Ma pensée est peut-être un brin plus symbolique que la moyenne. Bon, ces deux facteurs ont dû aider, si on en croit C.G. Jung et ses disciples. 

Dans les moments de grande détresse ou dans les moments de danger, j'ai constaté que je me mettais à agir de manière inhabituelle. Je suis très désordonnée et là, j'arrivais à me mobiliser de manière très organisée et efficace. Ça n'a rien de particulièrement étonnant, le stress a tendance à décupler le potentiel mais bon, gardons cela en tête. Dans les moments de tension, j'ai aussi remarqué que j'étais parfois idéologiquement différente. D'idéaliste, je devenais pragmatique, voire quasi manipulatrice. 

Il se trouve que j'écrivais activement de la poésie durant une période. Surtout de la poésie en prose. Là encore, ça a dû aider, puisque j'étais souvent plongée en moi-même, dans une recherche du mot juste, de l'image juste et que cela ressemblait parfois à de l'écriture automatique. Un soir, j'ai eu une image, comme un rêve éveillé : une femme dans un puits, avec différents objets très symboliques. 

J'ai pas mal mouliné sur tout cela, d'autant que c'était une vision effrayante. Il en est ressorti le pressentiment que ce personnage était ce qui me protégeait dans les moments de grands dangers. Une intuition. À cette époque, je découvrais Jung donc assurément, la lecture de cet auteur m'a influencée en me donnant une idée de ce que je pouvais voir. En gros, je pense que le bagage théorique a permis de donner forme aux manifestations inconscientes. Je précise aussi que j'étais en pleine phase de grande dépression mais que je refusais de me faire soigner. Ça a dû aussi favoriser l'apparition. 

Donc j'ai réfléchi à la manière dont je pouvais la contacter. L'image de cette femme était comme un petit film, disons que l'interaction n'était pas réellement possible. J'ai eu ce raisonnement : elle se manifeste quand je suis en danger et que j'ai peur. Adolescente, j'allais souvent dans les bois la nuit et ça me faisait peur. Du coup, je suis allée passer une nuit dans les bois seule. Ça n'a pas vraiment fonctionné : je l'ai vue mais entourée, comme gardée, par des serpents plutôt hostiles. 

Puis, une amie m'a proposé de la salvia divinorum. Cette fois, j'ai pu la voir et lui parler mais de manière beaucoup plus décontractée. Il faut dire aussi qu'entre chaque épisode, des choses se passaient, que je lisais, que je réfléchissais au problème et donc il n'est pas très étonnant que le rapport avec cette figure ait évolué. L'idée, c'était de la comprendre. De lui trouver un nom (ce qui fut fait), de comprendre les symboles qui l'entouraient, de l'accepter comme une part de moi-même. Forcément, les relations sont plus pacifiques. 

Mieux que la salvia, j'ai découvert après la sophrologie et surtout le chamanisme au tambour. En fait, il existe tout un tas de manière de changer d'état de conscience et certaines sont plutôt douces. Les pratiques impliquant de l'hypnose sont faciles d'accès. Finalement, ce sont celles que je privilégie aujourd'hui, de très loin. 

Comme tout cela commence à sérieusement dater, je peux développer un peu sur la durée. Je n'ai sans doute pas autant cultivé la relation avec mon daimon autant que Socrate mais je suis absolument convaincue que c'est l'Ombre. Mon parti pris a été de l'accepter, de vivre avec et de prendre en compte son avis dans les domaines où elle est meilleure que moi. C'est un peu bizarre, puisque l'Ombre est ce que le moi n'est pas, donc être tantôt soi-même, tantôt son Ombre, c'est déroutant pour tout le monde et ça implique de laisser un peu de côté la question « Qui suis-je ? ». Parfois, cela a pu me rendre moins prévisible, mais j'imagine que je ne me tourne pas assez souvent vers elle. 

Une fois tout cela posé, je tiens à dire que l'on peut avoir eu un ou deux contacts et ne plus en avoir. Cela m'est arrivé dans des périodes de ma vie où j'avais besoin de stabilité, d'équilibre, de choses bien matérielles et pas de ce fatras imaginal. Ça arrive. En somme, à mes yeux, pour que ça arrive, il faut une décision intérieure, une ouverture. 

Je remarque aussi que je suis beaucoup plus sereine depuis que j'ai accepté ces intrusions de l'inconscient dans ma vie concrète. J'ai eu récemment un genre de transe spontanée, pas du tout demandée, qui m'alertait sur un choix difficile à faire. Depuis que j'ai plié, en acceptant de faire ce choix, tout va mieux. C'est difficile mais ça ne torture pas, ça ne hante pas. 

Voilà donc pour moi. On voit ce que l'on accepte de voir. Voir son daimon ou lui parler n'est pas du tout impossible, c'est juste qu'on passe par une phase durant laquelle on se croit fou et que c'est difficile. un fois qu'on a accepté ça, on se voit exactement tel que l'on désire ne pas être et c'est difficile aussi. En somme, c'est un chemin plein de claques dans la conscience. Pour l'instant, je dirais que ça m'a fait du bien et il me semble que je suis plus lucide, voire un peu plus acceptante. Je vous conseille ce voyage. 

Le 09/03/2018 à 13:44, sovenka a dit :

On va peut-être trop vite à soupçonner de schizophrénie les gens qui ont un sixième sens ?

Ca me semble pas stupide ni trop "rapide en soupçon", le symptôme n'est pas né avec le mot et les gens ne savaient pas comment l'interpréter. Rien ne dit qu'il était bien ainsi, mais ça me parle (sans être atteint).

Il y a 1 heure, RabbinRenard a dit :

Ca me semble pas stupide ni trop "rapide en soupçon", le symptôme n'est pas né avec le mot et les gens ne savaient pas comment l'interpréter. Rien ne dit qu'il était bien ainsi, mais ça me parle (sans être atteint).

Socrate a attiré l'attention des esprits les plus brillants du monde depuis des millénaires, mais grâce à toi, enfin la vérité éclate. C'est incroyable ! Personne n'y avait pensé. Tu es vraiment un fin limier, un génie ! Merci pour ta contribution à l'histoire de la philosophie. 

il y a 47 minutes, Isadora. a dit :

Socrate a attiré l'attention des esprits les plus brillants du monde depuis des millénaires, mais grâce à toi, enfin la vérité éclate. C'est incroyable ! Personne n'y avait pensé. Tu es vraiment un fin limier, un génie ! Merci pour ta contribution à l'histoire de la philosophie. 

De rien mais ce n'est pas mon idée, c'est une supposition mentionnée dans divers livres sur Socrate et sa philosophie.

Il y a 8 heures, RabbinRenard a dit :

De rien mais ce n'est pas mon idée, c'est une supposition mentionnée dans divers livres sur Socrate et sa philosophie.

Eh bien j'imagine que la tendance à tout réduire à la psychiatrie est partagée. 

Il y a 1 heure, Isadora. a dit :

Eh bien j'imagine que la tendance à tout réduire à la psychiatrie est partagée. 

En quoi est-ce réduire ? La schizophrénie au moins peut se vanter d'être un phénomène réel. Dans le cas de Socrate cela ressemble beaucoup à un cas de schizophrénie, mais à leur époque ils n'allaient pas interpréter ça comme tel. Enfin il n'est pas question de tout réduire à ça, puisque que le sujet c'est juste Socrate. Ça se veut ouvert en parlant de sixième sens, mais ça ne sert qu'à se donner un air élitiste glacial et à rejeter toute autre forme d'idées, sous prétexte que ça "agresse" son idée sienne pas moins bancale qu'une autre. Socrate, un type mort il y a 24 siècles, aurait été bien plus ouvert.

Ça n'a aucun compte à te rendre. 

Chère "Isadora"

Quel bonheur de vous lire. Non seulement vos textes sont instructifs, le sujet est passionnant et votre expression écrite est un vrai plaisir. 

Cordialement

il y a 18 minutes, -GILBERT- a dit :

Chère "Isadora"

Quel bonheur de vous lire. Non seulement vos textes sont instructifs, le sujet est passionnant et votre expression écrite est un vrai plaisir. 

Cordialement

Merci, @-GILBERT-. Vous me réchauffez le coeur, et c'est précieux.

Il y a 11 heures, Isadora. a dit :

Ça n'a aucun compte à te rendre. 

Ça le clown ? J'espère bien !