
Et puis franchement qu'est-ce-que cela change ? là immédiatement rien mais un éclairage semble quand même assez important : nous nous trouvons face à une tentative d'invocation de l'économie. Le sujet n’est donc pas de juger sur le fond la proposition présidentielle ou de commenter les perles de Gattaz. Pourtant on pourrait en dire sur sa manière de faire, comme un vulgaire dealer : "j'te promets 1 000 000 d'emplois si tu me files d'la bonne !", et comme il est presque pris au mot bha maintenant il est un peu embêté.
Le sujet est plutôt de savoir comment on peut déclarer cela d'une manière si péremptoire que l'on n'a aucune envie de contrarier cet homme ayant l'air d'être sympas, le seul truc que l'on peut lui reprocher c'est d'appartenir au club de la rose fanée. Après chacun ses gouts, il y a assez de fleuriste pour tout le monde ! si on préfère le bleu clair ...
Je me fais la réflexion suivante : si cela venait de quelqu'un qui n'avait aucune référence économique, je me dirais qu'il n'y a aucune idéologie, aucun courant sous cette affirmation mais j'ai du mal à le croire cela pour un énarque : ils ont quand même des cours d’économie (où le mec qui écrit le discours c'est pareil ...). Parce-que la référence à Jean-Baptiste Say, économiste libéral Français (cocorico !), je la capte immédiatement ...
Jean-Baptiste Say : la mise au point
Jean-Baptiste Say est un économiste libéral du début du XIXème siècle. Il faut savoir qu'en France le libéralisme économique n'est pas une invention de Jean-batiste Say, l'un des premiers mouvements du courant libéral moderne est français, ce sont les physiocrates (dont le théoricien le plus connu est François Quesnay qui inspirera Adam Smith le père de l'économie politique et penseur du libéralisme classique). Et classique n’est pas un petit détail : encore une fois la contextualisation historique des théories économiques permet de comprendre que le libéralisme économique n'a pas la même signification intellectuelle que celle que nous mettons à notre époque : déjà 1802 ce n'est pas très éloigné d'une autre date non ? 1789 ... le moment où la société bascule du tout au tout, où des libertés sont consacrés et ou le pouvoir du Roi n'existe plus (il a perdu la tête ...).
Dans l'esprit libéral de l'époque, la politique économique n'a plus vocation à n'être que l'outil destinée à satisfaire les besoins de son Auguste Altesse au contraire tout le monde à la légitimité d'entreprendre pour son compte et son profit, c'est la garantie du respect (pour ne pas dire de la défense) de la propriété privée et du principe de libre entreprise . Du point de vue de l'histoire de la pensée économique, le libéralisme classique est une lecture économique (parmi d'autreS) de la pensée des lumières (un prolongement économique non-exclusif des théories visant à l'acquisition de nouveaux droits politiques et sociaux) et surtout une réaction au mercantilisme.
Say se situe donc après Smith mais a un regard plus libéral et a un apport théorique qui n'est pas révolutionnaire mais il permet au libéralisme classique de se développer en France . C'est avec son Traité d'économie politique (1803) qu'il va tenter de vulgariser les principes du libéralisme pendant l'ère Napoléonienne. Essayer d’imaginer l'effet d'un ouvrage libéral dans un pays ou le dirigeant essayera d'imposer le blocus continental contre l'Angleterre
Ce que l'on a retenu de Say c'est la fameuse loi des débouchés que l'on simplifie justement par cette fameuse phare : "l'offre crée sa propre demande" (qui a été empruntée à Keynes). Il ne faut pas dépasser les propos de l'auteur : il n'est pas question de dire qu'un marché ne peut pas être en situation de surproduction mais qu'un déséquilibre réduit à un marché et temporaire est tout à fait possible et s'explique par une allocation non optimal des moyens de productions.
Pour Say, il n'est pas possible d'être confronté à une situation générale de surproduction : autrement dit tous les marchés ne peuvent pas entrer en même temps en surproduction.En effet, en partant de l'hypothèse fondamentale que la monnaie est neutre : c'est à dire que la monnaie n'est qu'un outil intermédiaire permettant l'échange qui ne peut être détenue pour elle-même, les produits s'échangeant contre des produits. Say estime qu'au niveau global et quel que soit le niveau de prix, la somme des achats et égale à la somme des ventes. Autrement dit la vente sur un marché aura pour conséquence de dégager une somme d'argent (création d'une rentrée monétaire) qui permettra de créer une capacité d'achat équivalente.
La théorie des débouchés ? Say rien ...
Déjà le débat faisait rage entre Malthus et Ricardo. De Malthus on retient souvent son principe de population (la population croit de manière géométrique alors que les moyens de subsistances de façon arithmétique), justement là ou il n'a pas était le plus clairvoyant ... mais avant Keynes, Malthus à remis en cause les dires de Say et de Ricardo : il n'y a pas obligatoirement égalité entre l'offre et la demande.
Keynes a une approche assez unique dans la contribution économique : il n'est pas révolutionnaire, pas viscéralement contre le système capitaliste mais essaye de dire poliment à ses amis libéraux qu'un autre regard est possible, il ne comprend pas le dogmatisme néoclassique de ses contemporains face aux traumatismes économiques que connait l'Europe.
Keynes va remettre en cause cette loi des débouchés en réfutant son hypothèse centrale et va considérer que la monnaie n'est pas neutre. Chez lui, on va retrouver toutes les interrogations émises contre cette théorie, il va reprendre de Malthus le principe de demande effective et démontrer l'existence d’équilibre de sous-emplois sur le marché de l'emploi (expliquant le chômage involontaire réfuté catégoriquement par la pensée néoclassique). Dès lors, on met en exergue les anticipations des agents qui peuvent être à l’origine de décalage, on va aussi commencer à parler de propension marginale à épargner (et à consommer) parce-que finalement nos comportements ne sont pas uniformes). Say était un entrepreneur et n'avait pas vraiment les réflexes d'un banquier, lui parlait de la sphère réelle mais Keynes pensait que le profil d'un spéculateur était justement de ne pas forcément mettre son argent dans la sphère réelle.
Conclusions
Oui... au moins sur la forme c'est ce que je déteste le plus et un 0/20 est amplement mérité : lancer cela comme une évidence les propos d'un auteur du XIXème siècle ... c'est petit, voir minable. A son époque, Say avait beaucoup de raison d'avoir cette analyse mais depuis le temps la société de consommation de masse (et de production de masse) est passée. Nous ne pouvons plus avoir la même réflexion que Smith : la taille du marché définissant ce que l'on appelle aujourd'hui le volume de la demande il suffit de conquérir de nouveau territoire, de coloniser en somme, ce que le Royaume-Uni et la France feront très bien mais lorsqu'il n'y a plus de terre à coloniser, que la technologie permet de produire en masse à la seule condition de posséder le capital technique, comment croire encore que les crises de surproductions sont aujourd'hui impossibles ? alors que dans le même temps pour trouver des débouchés, on nous tanne à longueur de journée sur le besoin de l'économie française d'innover !
Ainsi prendre a témoin ce pauvre Say en 2014 constitue ni plus ni moins qu'une fraude politicienne. Dire que la politique sert à éclairer et à gérer mais encore une fois elle ne fait que tordre pour enfoncer un carré dans un triangle. La tentation est trop grande et les exemples nombreux ... dépasser ou décontextualiser les propos d'un auteur n’est pas juste qu'une question de point de vue surtout que le débat n'est pas là.
En effet, comme j'ai pu tenter de l'expliquer ce débat entre l'offre et la demande est complétement dépassé et même les libéraux utilisent à leurs sauces les outils keynésiens, c’est bien la preuve que la science économique ne s'est pas arrêtée en 1802 ... Encore une fois on ne parle que de coût mais la question essentielle c'est aussi : qu'est ce que l'on produit à ce prix là ? pourquoi la monté en gamme est nécessaire et permet de dégager plus de marge ? en gros j’espère que nos politiques ont été jusqu'au chapitre 2 d'un bouquin de microéconomie ... parce qu’a force de remonter dans le temps, on risque d'entendre parler du troc ...
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