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La vieille histoire du protectionnisme


Docteur CAC

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Comme souvent dans l'Histoire une crise touchant profondément l'ordre économique et social fait ressurgir les volontés protectionnistes (s'accommodant pour cela très bien du regain nationaliste en Europe et du refus de la mondialisation économique). Face à l' "agression extérieure" souvent pointée du doigt la réponse serait le protectionnisme pour épargner l'économie nationale. Mais à l'heure où le leitmotiv du courant de l'économie politique dominant est le très connu " laissez-faire, laissez-aller, laissez-passer", le protectionnisme semble un recours qualifié d'anachronique et en dehors de toute réalité économique à première vue. L'objet de cette réflexion sera de clarifier la véritable théorie ayant appliquée le protectionnisme, par qui elle a été porté, ce qu'elle a voulu faire en Europe, dans quel(s) but(s) ?, et les leçons tirées de cette expérience pour finalement étudier si elle peut-être d'un quelconque intérêt à notre époque.

Le mercantilisme, le proto-protectionnisme où l'économie est au service du souverain

Le XVI
ème
siècle est un siècle important dans l’histoire aussi bien au niveau des chambardements sociaux (avec par exemple le mouvement des enclosures en Angleterre) qu'au niveau de la pensée économique qui va réfléchir sur la façon d'accompagner la création des États-nations et le mouvement de centralisation conséquence des guerres qui vont toucher tous les pays sauf l'Italie et l'Allemagne qui vont rester sous la forme de petite cité-état jusqu’à la date de leur unification.

Ce besoin de maintenir une armée (constituée à cette époque essentiellement de mercenaires) va demander au Prince de contracter des emprunts auprès des villes financières florissantes qu’il va rembourser grâce à l’impôt, ce qui va conduire à la monétarisation croissante de l'économie. A partir de ce moment, le Prince a vocation à s'enrichir au détriment des seigneurs. Les mercantilistes doivent donc répondre à une question "
Comment le Prince peut-il s'enrichir ?
" et non "Comment rendre l'Homme heureux ?".

Cette question va aboutir selon les pays à des réponses différentes du fait des situations tout aussi différente des pays, il n'y aura donc pas 1 mercantilisme mais plusieurs mercantilisme, ce qui fait penser que le mercantilisme n'est pas un courant économique unifié mais il recoupe un ensemble de pratiques au niveau de l’État. Ainsi nous pouvons distinguer 3 mercantilismes intéressants qui vont pendant près de trois siècles définir la politique économique :
  • le mercantilisme Ibérique mettant l'accent sur l'accumulation d'or (le bullisionisme) ;
  • le mercantilisme Français fondé sur la valeur travail (le colbertisme) ;
  • le mercantilisme anglais basé sur le commerce extérieur (le commercialisme).

Globalement, la mentalité mercantiliste se rejoint et se caractérise par :
  • percevoir l'économie comme statique et antagoniste (on dit que l'on se trouve dans
    un jeu à somme nulle
    ) : ce que l'un gagne l'autre le perd en contrepartie ;
  • une volonté de diriger le flux de la monnaie puisque
    la richesse se mesure à la quantité de métaux précieux possédée
    , il faut alors lutter contre la sortie de l'économie des métaux précieux.

La mauvaise expérience Ibérique

Il est important de parler de ce mercantilisme en premier pour comprendre pourquoi il y a ce besoin impérieux d'accumuler de l'or. La découverte de l'Amérique en 1492 s'accompagne de son paillage et du génocide de sa population (près de 90% de la population du Mexique et 95% de la population du Pérou sont décimés). De plus, la puissance de l’Espagne et du Portugal déjà importante sera renforcée par l'unification des deux empires entre 1580 et 1640. Le pillage de ce continent va entrainer un afflux massif d'or sur le continent européen. En Espagne on va prendre des mesures pour maintenir un monopole commercial sur l'Amérique du Sud et maintenir sévèrement l’interdiction de la sortie de l'or de son économie tant et si bien qu'il y aura surabondance de pièce d'or qui aboutira sur l'augmentation des prix (inflation) ainsi les marchandises étrangères deviendront plus compétitives.

Mais là n’est pas la seule conséquence et nous allons êtes en présence d'un véritable paradoxe : l'Espagne richissime et pourvue d'or va connaitre la pénurie du fait de l’avarice généralisée nuisant profondément à l'industrie et à l'agriculture. En l'espèce tout est à revoir !

Le succès du mercantilisme français

En France nous avons le contre-exemple de l’Espagne grâce notamment à la politique menée par Jean-Baptiste Colbert (intendant des finances de Louis XIV) qui appliqua les recettes mercantilistes en gardant un regard lucide sur les travers de cette pensée.

Le mercantilisme français n’a pas débuté avec Colbert mais il est d’usage regrouper sous le colbertisme toutes ces pratiques de mercantilisme français.Le colbertisme oriente l’économie sur la qualité du travail et la France devient spécialiste de l’industrie du luxe en créant des manufactures et en faisant venir en France le savoir-faire étranger : la porcelaine, l’armement ou la dentelle. De même la pensée mercantiliste est riche en France notamment avec
la controverse de la monnaie
entre Jean de Malestroit et Jean Bodin (connu pour son aphorisme « il n’y a de richesse que d’Homme ») : Jean Bodin développera la théorie quantitative de la monnaie encore actuellement utilisée.

Le mercantilisme utilisé comme outil pour assoir son hégémonie

L'Angleterre va peu à peu s’imposer comme puissance dominante après les guerres contre la Hollande grâce à la Royal Navy outil de son hégémonie autant militaire qu’économique. L’idée du commercialisme est de porter l’effort de l’économie sur l’exportation quitte à limiter la consommation intérieure et l’Angleterre va tirer parti de son empire colonial et notamment la compagnie des Indes. Pour pouvoir appliquer cette idée l’Angleterre a besoin d’augmenter le rendement de son agriculture, c’est ce que l’on va appeler le mouvement des enclosures qui consiste en la privatisation des terres libres laissant peu de choix aux pauvres, ce qui va entrainer un afflux vers les villes. L’Angleterre va développer son industrie vers des biens dont le prix ne varie que très peu.

Premier succès du libre échange avant le retour du protectionnisme

D'abord philosophie, le libéralisme se nourrit de la pensée des lumières du XVIII
ème
. D'ailleurs c'est en France que l'on trouve la première ébauche en économie avec le courant physiocrate qui inspira Adam Smith (qui développe aussi l'idée de l'avantage absolue plus tard compléter par Ricardo et les avantages comparatifs) et le courant libéral classique.

Avec la révolution industrielle et sous l’ère Victorienne, l'Angleterre devient LA puissance ultra-dominante sur l'ensemble des plans grâce à son empire colonial qui assure des débouchés extraordinaires. Ainsi l'idée du libre échange (et libérale) avance soit par traités : c'est le cas en Europe avec en 1860, la signature du traité Cobden-Chevalier entre la France et l'Angleterre (ce qui entrainera la signature d'accord similaire entre la Belgique, l'Italie, le Zollverein - alliance douanière allemande -, l'Autriche) soit par la force (la politique de la canonnière et les guerres de l'opium en sont des exemples parfaits).

L'Angleterre a aussi une division internationale du travail bien défini : elle importe les matières premières et exporte les produits manufacturés. On retrouve cette idée de considérer ces territoires comme de nouveaux débouchés également en France :
La politique coloniale est fille de la politique industrielle.

Le capitalisme se développe autour de cette libéralisation (qui profite surtout à l'Europe dominante) et du
doux commerce
mais la croissance économique n'est pas linéaire et est entrecoupée de crises qui vont tenter les États à réguler le système productif. Parallèlement, l’industrialisation va créer la classe laborieuse qui va être plongée dans la misère et créer des tensions sociales (c'est dans ce contexte que la pensée socialiste et communiste se développe à partir de 1850 environ). Mais même après ce repli protectionniste, l’Angleterre reste libre-échangiste et une véritable tradition libérale s’installe.

Mais ces succès de la pensée libérale vont être atténués par la Longue Dépression (crise de 1873 à 1896) et la montée du nationalisme aura pour conséquence un retour du protectionnisme (le tarif Bismarck en Allemagne, le taxe Méline en France par exemple). Loin du Krach de 1929, cette crise est plutôt un ralentissent général de l'économie. Joseph Schumpeter (figure importante de l'école autrichienne) expliquera la venue de cette crise par l'intermédiaire de sa vision de l'économie en cycle : la crise correspond à un moment du cycle ou il y a besoin de nouvelles innovations pour soutenir la croissance.

Cette crise participa au regain de tension en Europe déjà bien amorcé par la guerre franco-prussienne de 1870 et n'aura pour dénouement que la fin de la seconde guerre mondiale qui sonnera le début d'un ordre nouveau et la volonté d’appliquer la pensée du libre échange.

La réalité actuelle complexe

Ce qui importe pour la suite de la réflexion est de voir qu'il y a aussi un paradoxe : on a globalement, d'un côté, une domination de la pensée libérale et d'un autre côté, on observe le maintien de mesures protectionnistes.

Et la crise de 2008 ne fait que confirmer ce que nous avons pu constater dans l'histoire : une crise économique génère un comportement protectionniste, malgré tout le protectionnisme change de nature
(il devient moins agressif, en tout cas pour l’instant
...) du fait des instances internationales (OMC, FMI, ect...), de la mondialisation et de l'ouverture des économies qui tendent à limiter un retour violent du protectionnisme.

En conclusion, avec tous ces éléments, on peut quand même se dire que les répétitions de l'Histoire ne sont pas non plus uniquement dues au hasard et le protectionnisme peut aussi être considéré comme un tampon au moins temporaire au niveau social. Il y a une autre chose que je trouve gênante c'est que l'on voit bien que le libre échange a été imposé par les puissances dominantes dans un esprit d’expansion et purement économique (et non pour accorder des libertés), la crise du libre échange assez récurrente est peut être souvent un signal de l'économie qui a besoin de nouveaux territoires permettant de nouveaux débouchés. On dériverait sur une autre question du genre "est-ce que l'efficacité économique sous-entend une efficacité sociale ?". J'espère avoir donné des éléments pour nourrir la réflexion, le but étant d’ouvrir la pensée et trouver (peut-être) un point d'équilibre.

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