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al-flamel

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Membre, Posté(e)
Neopilina Membre 5 632 messages
Maitre des forums‚
Posté(e)
Le 01/12/2023 à 05:52, Invité chekhina a dit :

Il reste rationnel en ce qu'il ruse avec son Dieu ou son Maitre.

Je rebondis a minima là dessus. C'est faux. Le Dieu, sous la forme d'Athéna, l'accompagne du début à la fin (le dernier mot prononcé dans ce texte l'est par Athéna, c'est le contraire d'un accident, à la fin, Homère, prudent, laisse le dernier mot au Dieu), même s'il s'est mis à dos Poséidon en tuant le Cyclope. Ce qu'il affronte dans la Mer du Couchant c'est Ses Monstres, Cauchemars. Avec ses aventures, Ulysse repasse à la " Forge ".

A titre exceptionnel, j'ai commencé un séminaire de Lacan, au fil du temps, sa prose, son discours, devient incompréhensible. Mais là, c'est pas trop vieux, lisible, 1960. Pourquoi je le lis ? Il est question de Sade et de la mort du Grand Pan, c'est " L'éthique de la psychanalyse ".

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Membre, 33ans Posté(e)
Bourrdouga Membre 19 messages
Forumeur en herbe ‚ 33ans‚
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L'Orgie Capitaliste - Marc Dugain

C'est plutôt un livre de Sociologie, mais que peut avoir intérêt Philosophique sur l'avenir. 

  • Merci 1
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  • 9 mois après...
Membre, 42ans Posté(e)
Leverkuhn Membre 449 messages
Forumeur accro‚ 42ans‚
Posté(e)

Essai sur les données immédiates de la conscience

Henri BERGSON (1889)

Étant plutôt centré sur les corps, Bergson, c’est pas vraiment mon truc. A dire vrai, dans le domaine de la lecture, je peux difficilement faire plus douloureux que de lire un livre de Bergson. Le seul lot de consolation, le texte originel est en Français, il y a moins d'efforts à fournir pour comprendre.  Aussi me contenterais-je pour le moment de résumer le texte sans fournir trop de critique, histoire de garder tous les chakras ouverts en lisant la métaphysique profonde de ce philosophe.

Introduction :

L’ouvrage se présente sous une forme qui déroute les catégories analytiques traditionnelles : Bergson y refuse de traiter la conscience selon les méthodes quantitatives héritées de la science moderne. Il s’agit chez lui, en grossissant le trait d’opposer science et philosophie, et de montrer que la vie intérieure ne relève pas du même régime d’intelligibilité que le monde physique. Publié en 1889 comme thèse de doctorat, le livre marque l’entrée de Bergson sur la scène philosophique en rupture avec le positivisme et la psychologie expérimentale de son temps. Le contexte scientifique, l’essor de la psychophysique, et la recherche de lois mathématiques du psychisme imprègne la réflexion de l’auteur dont il cherche à révéler les impasses.
Dès les premières pages, Bergson avertit qu’il s’appuiera seulement sur ce qu’il appelle des « données immédiates », c’est-à-dire l’expérience intérieure telle qu’elle se donne avant toute traduction abstraite. En cela, il récuse l’idée qu’on pourrait maintenir inchangé ce qu’on dit du psychisme si l’on modifie sa méthode : l’objet est transformé par le regard qu’on lui porte.

L’ouvrage a pour objet d’étude la conscience, non pas la conscience comme objet scientifique, mais la conscience comme vécu. On retrouve d’emblée ici un gros point de convergence avec la phénoménologie développée quelques années plus tard. Cette notion, souvent utilisée de manière vague, se comprend lorsque Bergson oppose deux modèles du psychisme : d’un côté, la conscience telle que la psychophysique cherche à la mesurer ; de l’autre, la conscience comme durée, irréductible à toute quantification. L’ambition du livre est alors de proposer une compréhension rigoureuse de cette intuition de durée, contre la tendance à spatialiser le psychisme.

I. De L’intensité des états psychologique

Dans la première partie, Bergson examine ce que les psychologues appellent l’« intensité » d’un état psychologique. Là où la science tend à la concevoir comme une grandeur mesurable, il entreprend de montrer que cette intensité n’a rien d’une grandeur physique.
Une douleur plus vive n’est pas « plus de douleur », mais
une autre douleur. La variation n’est pas quantitative, mais qualitative. La conscience, lorsqu’elle s’analyse elle-même, ne rencontre jamais des quantités, mais des modifications intimes.

La critique vise explicitement la psychophysique (Weber, Fechner, Wundt), qui cherche à établir des lois mathématiques reliant excitations physiques et sensations. Selon Bergson, cette démarche repose sur une confusion fondamentale : ce que l’on mesure, ce n’est jamais la sensation elle-même, mais la grandeur physique de l’excitation, la seule qui se prête à la quantification.

C’est ici que s’inscrit sa distance vis-à-vis de Kant. Le philosophe de Königsberg admettait des « grandeurs intensives » dont le degré serait mesurable. Bergson refuse l’analogie : dans le domaine psychologique, l’intensité n’est pas un degré, mais un changement de nature.
L’enjeu devient alors clair : libérer l’analyse de la conscience de toute réduction numérique, retrouver la singularité de l’expérience vécue.

II. De la multiplicité des états de conscience : l’idée de durée

Dans la seconde partie du livre, Bergson opère la coupure décisive : il dévoile l’erreur première qui hante la psychologie, la logique et toute une métaphysique héritée d’Aristote comme de Kant, celle de projeter les formes de l’espace sur la vie intérieure. Là où l’esprit s’écoule, on a cru voir des lignes, des points, des unités; et, ce faisant, on a méconnu la texture même du psychisme !

Bergson distingue alors deux multiplicités. L’une, quantitative, homogène, calibré pour les mesures : elle appartient à l’espace, se laisse morceler sans perdre sa nature, se prête au nombre et à la juxtaposition. L’autre, qualitative, continue, propre aux états de conscience : ici, rien ne se juxtapose, tout se pénètre, comme dans une mélodie où chaque note se fond dans la suivante et prolonge sa résonance. Confondre ces ordres, c’est réduire l’esprit à un schéma vide, substituer au vécu une géométrie.

De là surgit la critique majeure : notre idée ordinaire du temps n’est qu’un espace déguisé. Le temps des horloges, succession d’instants identiques, n’est qu’un tracé, une ligne, une abstraction commode. Rien de cela ne ressemble à la durée vécue, où le passé se creuse dans le présent et lui donne sa couleur. La tradition philosophique, de Kant jusqu’à Aristote, a trop vite admis un temps homogène, divisible, mesurable, produit d’une habitude intellectuelle qui fige la durée dans une représentation qu'on nomme le temps. 

La même méprise ronge notre conception du mouvement. Mesuré en mètres seconde, il se résout en positions immobiles et en instants arrêtés.  Or le mouvement réel pour Bergson n’est pas cette mosaïque, mais un devenir continu qu’aucune mesure ne capture. D’où l’étrange prestige des paradoxes de Zénon pour Bergson : ils ne montrent pas l’impossibilité du mouvement, mais les absurdités qui naissent dès qu’on spatialise la durée. Le mouvement est faux dans le schéma, non dans la réalité vivante.

Contre cette « illusion », Bergson introduit la durée réelle : multiplicité qualitative en acte, tissée d’interpénétration, de continuité, de vécu. Elle n’est ni homogène ni découpable, mais un flux unique où le passé se conserve et se métamorphose dans le présent. La conscience en est la forme intime.

Ainsi se dessine la double face du moi. D’un côté, un moi profond, créateur, imprévisible, qui s’écoule dans la durée réelle. De l’autre, un moi superficiel, façonné par le langage et la vie sociale, i.e. par la réflexivité de la conscience sur elle même qui découpe, classe, fige pour communiquer. Entre ces deux niveaux, nous oscillons sans cesse, cherchant à exprimer en espace ce qui n’existe qu’en temps vécu, tension secrète où se joue toute la difficulté de nous comprendre nous-mêmes.

III. L’organisation des états de conscience : la liberté

La troisième partie de l’Essai applique à la question de la liberté tout ce que Bergson a établi dans les deux premières sections : l’impossibilité de réduire la conscience à des grandeurs, et la distinction entre le temps homogène de la science et la durée vécue. Le débat traditionnel entre déterminisme et liberté n’est compréhensible, selon lui, que si l’on voit comment il repose sur une spatialisation frauduleuse de la vie intérieure.

Le déterminisme physique celui qui gouverne la mécanique ou l’astronomie repose sur un postulat légitime dans son domaine : les phénomènes matériels se laissent décrire comme des états juxtaposables dans le temps homogène, obéissant à des lois constantes. La prévision y est possible parce que la science substitue aux qualités liées à la durée des quantités mesurables, convertibles en équations.
Mais Bergson montre que cette manière de rendre l’avenir transparent ne vaut que pour des réalités déjà spatialisées : elle exige qu’on traite le temps comme un
milieu vide, divisible et homogène, et que l’on considère les états d’un système comme des positions successives sur une ligne.

Or, vouloir transposer ce modèle à la vie psychique est une erreur radicale. La conscience n’est pas un système de positions mais un devenir, où chaque état prolonge les précédents sans jamais s’y juxtaposer. Le déterminisme psychologique qui prétend appliquer aux états de conscience la même prévisibilité que celle des mouvements planétaires repose donc sur une confusion de plans.

Pour affirmer que nos actions sont déterminées, on prétend qu’un observateur idéal pourrait prévoir nos décisions avec la même certitude que la trajectoire d’un astre. Mais, remarque Bergson, cette prévision suppose qu’on puisse traduire les états du moi en éléments distincts, stables, composables ce qui correspond justement au moi social, figé par le langage, et non au moi réel.

Lorsque nous reconstituons après coup les motifs d’un acte passé, nous fabriquons une fiction spatiale : nous découpons la durée en états discrets, puis nous les ordonnons comme s’ils formaient une chaîne mécanique. En vérité, cette reconstitution est déjà une trahison. L’analyse rétrospective introduit dans la conscience une clarté et une discontinuité qui n’y existaient pas. D’où l’illusion d’une nécessité.

Bergson montre que la causalité a deux acceptions que l’on confond dangereusement :

  • une causalité mathématique, qui décrit la succession régulière de phénomènes matériels,

  • une causalité dynamique, qui évoque plutôt un progrès interne, une poussée créatrice.

Lorsque les déterministes appliquent la première au domaine psychologique, ils font comme s’il existait, dans la conscience, des états distincts qui produiraient mécaniquement les états suivants. Or, dans la durée réelle, un état n’est jamais une « chose » : c’est une transition, un mouvement, une coloration qualitative du moi entier.
La causalité psychologique est donc d’un tout autre ordre que la causalité physique : elle ne s’analyse pas, elle s’éprouve.

L’un des arguments classiques contre la liberté consiste à dire : « Si l’acte était libre, il aurait pu en être autrement ». Mais cette manière de poser la question est déjà contaminée par l’espace : on imagine le temps comme une ligne où plusieurs chemins se séparent, et l’on se figure l’agent à un point neutre où il oscillerait entre plusieurs possibles.

Dans la durée vécue, rien de tel n’existe. Il n’y a pas de « point O » d’où l’on pourrait repartir. La conscience n’est jamais un choix entre des routes juxtaposées, mais un élan continu.
Dire après coup « j’aurais pu faire autrement » revient à substituer à la continuité vécue un schéma imaginaire où l’acte apparaît détachable, comme un objet qu’on pourrait changer de place. Bergson démonte ainsi toute la notion naïve de contingence : l’alternative n’a de sens que dans l’espace, pas dans la durée.

Qu’est-ce donc qu’un acte libre pour Bergson ?
Ce n’est sûrement pas une décision capricieuse, ou un choix posé entre des motifs extérieurs. L’acte est libre lorsqu’il
émane du moi profond, celui qui dure, qui se continue depuis l’enfance à travers une histoire unique, et qui s’exprime enfin dans une décision qui est l’aboutissement organique de tout ce que nous sommes.

Un acte est libre lorsqu’il est créateur, c’est-à-dire imprévisible du dehors et intelligible seulement de l’intérieur, parce qu’il serait le fruit d’une maturation qualitative. Dans les moments graves — résolutions morales, engagements, ruptures — nous sentons que l’acte reflète la totalité de notre durée, non une addition de causes partielles.

Ainsi, la liberté ne consiste pas à pouvoir agir autrement, mais à agir selon soi, dans une continuité vécue qu’aucune analyse spatiale ne saurait reconstituer.

Conclusion

Le livre propose ainsi une double critique : critique de Kant, dont la conception du temps demeure trop homogène ; critique de la psychophysique, qui confond la mesure de l’excitation avec celle de la sensation. Il conclut que seule l’intuition, capable de coïncider avec ce mouvement intérieur de la durée, peut saisir la conscience telle qu’elle se donne immédiatement, là où l’analyse, toujours tournée vers l’espace, la déforme. Dès lors, la liberté cesse d’être un mystère : elle est la forme même de cette durée, l’expression spontanée du moi profond dans son devenir.

Ce qui ressort de ma lecture de ce premier ouvrage de Bergson confirme bien mon pressentiment sur ce philosophe. Bergson critique la spatialisation du temps, pour réintroduire du qualitatif. Il reprend là les catégories Kantiennes du temps comme intuition interne et de l’espace comme intuition externe. Pour faire de l’intuition interne le champ du qualitatif pur, il critique le concept de temps chez Kant pour introduire son concept de durée. Et finalement, Bergson insiste tellement sur l’intuition et l’expérience intérieure qu’il tend à présenter tout le reste y compris l’espace, comme l’ abstraction froide et homogène, de la durée qui serait la « réalité »des données dites « immédiates de la conscience ». Tout en vient à devenir qualitatif. Plus rien n’est mesurable. Enfin en tout cas, c’est ce qui ressort de ma première lecture de Bergson. Il faudra sans doute lire d’autres livres de Bergson comme Matière et Mémoire pour se faire un avis plus tranché.

Modifié par Leverkuhn
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Membre, Agitateur Post Synaptique, 56ans Posté(e)
zenalpha Membre 23 035 messages
56ans‚ Agitateur Post Synaptique,
Posté(e)
Le 28/11/2023 à 22:40, al-flamel a dit :

Conclusion:

A&H ont présenté au début de l’œuvre la raison comme le processus de civilisation même. Au cours de la lecture, on s'aperçoit qu'elle est également identifiable à des processus qui conduisent à la violence et à la barbarie. Les lumières ont pensé la Raison comme meilleur instrument de l'Homme. L'Homme y est devenu le simple instrument de la Raison. 

Et pourtant réduire la civilisation à la Raison, n'est ce pas réduire la civilisation à l'intelligibilité de notre propre raison ?

Ce qui est superbe, c'est que nous vivons une époque contemporaine comme magnifique illustration de la déraison, de l'irrationalité et le triomphe politique du pathos

Ce qui fait raisonnablement contraste à la conclusion 

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Membre, Agitateur Post Synaptique, 56ans Posté(e)
zenalpha Membre 23 035 messages
56ans‚ Agitateur Post Synaptique,
Posté(e)
Il y a 7 heures, Leverkuhn a dit :

Essai sur les données immédiates de la conscience

Henri BERGSON (1889)

Étant plutôt centré sur les corps, Bergson, c’est pas vraiment mon truc. A dire vrai, dans le domaine de la lecture, je peux difficilement faire plus douloureux que de lire un livre de Bergson. Le seul lot de consolation, le texte originel est en Français, il y a moins d'efforts à fournir pour comprendre.  Aussi me contenterais-je pour le moment de résumer le texte sans fournir trop de critique, histoire de garder tous les chakras ouverts en lisant la métaphysique profonde de ce philosophe.

Introduction :

L’ouvrage se présente sous une forme qui déroute les catégories analytiques traditionnelles : Bergson y refuse de traiter la conscience selon les méthodes quantitatives héritées de la science moderne. Il s’agit chez lui, en grossissant le trait d’opposer science et philosophie, et de montrer que la vie intérieure ne relève pas du même régime d’intelligibilité que le monde physique. Publié en 1889 comme thèse de doctorat, le livre marque l’entrée de Bergson sur la scène philosophique en rupture avec le positivisme et la psychologie expérimentale de son temps. Le contexte scientifique, l’essor de la psychophysique, et la recherche de lois mathématiques du psychisme imprègne la réflexion de l’auteur dont il cherche à révéler les impasses.
Dès les premières pages, Bergson avertit qu’il s’appuiera seulement sur ce qu’il appelle des « données immédiates », c’est-à-dire l’expérience intérieure telle qu’elle se donne avant toute traduction abstraite. En cela, il récuse l’idée qu’on pourrait maintenir inchangé ce qu’on dit du psychisme si l’on modifie sa méthode : l’objet est transformé par le regard qu’on lui porte.

L’ouvrage a pour objet d’étude la conscience, non pas la conscience comme objet scientifique, mais la conscience comme vécu. On retrouve d’emblée ici un gros point de convergence avec la phénoménologie développée quelques années plus tard. Cette notion, souvent utilisée de manière vague, se comprend lorsque Bergson oppose deux modèles du psychisme : d’un côté, la conscience telle que la psychophysique cherche à la mesurer ; de l’autre, la conscience comme durée, irréductible à toute quantification. L’ambition du livre est alors de proposer une compréhension rigoureuse de cette intuition de durée, contre la tendance à spatialiser le psychisme.

I. De L’intensité des états psychologique

Dans la première partie, Bergson examine ce que les psychologues appellent l’« intensité » d’un état psychologique. Là où la science tend à la concevoir comme une grandeur mesurable, il entreprend de montrer que cette intensité n’a rien d’une grandeur physique.
Une douleur plus vive n’est pas « plus de douleur », mais
une autre douleur. La variation n’est pas quantitative, mais qualitative. La conscience, lorsqu’elle s’analyse elle-même, ne rencontre jamais des quantités, mais des modifications intimes.

La critique vise explicitement la psychophysique (Weber, Fechner, Wundt), qui cherche à établir des lois mathématiques reliant excitations physiques et sensations. Selon Bergson, cette démarche repose sur une confusion fondamentale : ce que l’on mesure, ce n’est jamais la sensation elle-même, mais la grandeur physique de l’excitation, la seule qui se prête à la quantification.

C’est ici que s’inscrit sa distance vis-à-vis de Kant. Le philosophe de Königsberg admettait des « grandeurs intensives » dont le degré serait mesurable. Bergson refuse l’analogie : dans le domaine psychologique, l’intensité n’est pas un degré, mais un changement de nature.
L’enjeu devient alors clair : libérer l’analyse de la conscience de toute réduction numérique, retrouver la singularité de l’expérience vécue.

II. De la multiplicité des états de conscience : l’idée de durée

Dans la seconde partie du livre, Bergson opère la coupure décisive : il dévoile l’erreur première qui hante la psychologie, la logique et toute une métaphysique héritée d’Aristote comme de Kant, celle de projeter les formes de l’espace sur la vie intérieure. Là où l’esprit s’écoule, on a cru voir des lignes, des points, des unités; et, ce faisant, on a méconnu la texture même du psychisme !

Bergson distingue alors deux multiplicités. L’une, quantitative, homogène, calibré pour les mesures : elle appartient à l’espace, se laisse morceler sans perdre sa nature, se prête au nombre et à la juxtaposition. L’autre, qualitative, continue, propre aux états de conscience : ici, rien ne se juxtapose, tout se pénètre, comme dans une mélodie où chaque note se fond dans la suivante et prolonge sa résonance. Confondre ces ordres, c’est réduire l’esprit à un schéma vide, substituer au vécu une géométrie.

De là surgit la critique majeure : notre idée ordinaire du temps n’est qu’un espace déguisé. Le temps des horloges, succession d’instants identiques, n’est qu’un tracé, une ligne, une abstraction commode. Rien de cela ne ressemble à la durée vécue, où le passé se creuse dans le présent et lui donne sa couleur. La tradition philosophique, de Kant jusqu’à Aristote, a trop vite admis un temps homogène, divisible, mesurable, produit d’une habitude intellectuelle qui fige la durée dans une représentation qu'on nomme le temps. 

La même méprise ronge notre conception du mouvement. Mesuré en mètres seconde, il se résout en positions immobiles et en instants arrêtés.  Or le mouvement réel pour Bergson n’est pas cette mosaïque, mais un devenir continu qu’aucune mesure ne capture. D’où l’étrange prestige des paradoxes de Zénon pour Bergson : ils ne montrent pas l’impossibilité du mouvement, mais les absurdités qui naissent dès qu’on spatialise la durée. Le mouvement est faux dans le schéma, non dans la réalité vivante.

Contre cette « illusion », Bergson introduit la durée réelle : multiplicité qualitative en acte, tissée d’interpénétration, de continuité, de vécu. Elle n’est ni homogène ni découpable, mais un flux unique où le passé se conserve et se métamorphose dans le présent. La conscience en est la forme intime.

Ainsi se dessine la double face du moi. D’un côté, un moi profond, créateur, imprévisible, qui s’écoule dans la durée réelle. De l’autre, un moi superficiel, façonné par le langage et la vie sociale, i.e. par la réflexivité de la conscience sur elle même qui découpe, classe, fige pour communiquer. Entre ces deux niveaux, nous oscillons sans cesse, cherchant à exprimer en espace ce qui n’existe qu’en temps vécu, tension secrète où se joue toute la difficulté de nous comprendre nous-mêmes.

III. L’organisation des états de conscience : la liberté

La troisième partie de l’Essai applique à la question de la liberté tout ce que Bergson a établi dans les deux premières sections : l’impossibilité de réduire la conscience à des grandeurs, et la distinction entre le temps homogène de la science et la durée vécue. Le débat traditionnel entre déterminisme et liberté n’est compréhensible, selon lui, que si l’on voit comment il repose sur une spatialisation frauduleuse de la vie intérieure.

Le déterminisme physique celui qui gouverne la mécanique ou l’astronomie repose sur un postulat légitime dans son domaine : les phénomènes matériels se laissent décrire comme des états juxtaposables dans le temps homogène, obéissant à des lois constantes. La prévision y est possible parce que la science substitue aux qualités liées à la durée des quantités mesurables, convertibles en équations.
Mais Bergson montre que cette manière de rendre l’avenir transparent ne vaut que pour des réalités déjà spatialisées : elle exige qu’on traite le temps comme un
milieu vide, divisible et homogène, et que l’on considère les états d’un système comme des positions successives sur une ligne.

Or, vouloir transposer ce modèle à la vie psychique est une erreur radicale. La conscience n’est pas un système de positions mais un devenir, où chaque état prolonge les précédents sans jamais s’y juxtaposer. Le déterminisme psychologique qui prétend appliquer aux états de conscience la même prévisibilité que celle des mouvements planétaires repose donc sur une confusion de plans.

Pour affirmer que nos actions sont déterminées, on prétend qu’un observateur idéal pourrait prévoir nos décisions avec la même certitude que la trajectoire d’un astre. Mais, remarque Bergson, cette prévision suppose qu’on puisse traduire les états du moi en éléments distincts, stables, composables ce qui correspond justement au moi social, figé par le langage, et non au moi réel.

Lorsque nous reconstituons après coup les motifs d’un acte passé, nous fabriquons une fiction spatiale : nous découpons la durée en états discrets, puis nous les ordonnons comme s’ils formaient une chaîne mécanique. En vérité, cette reconstitution est déjà une trahison. L’analyse rétrospective introduit dans la conscience une clarté et une discontinuité qui n’y existaient pas. D’où l’illusion d’une nécessité.

Bergson montre que la causalité a deux acceptions que l’on confond dangereusement :

  • une causalité mathématique, qui décrit la succession régulière de phénomènes matériels,

  • une causalité dynamique, qui évoque plutôt un progrès interne, une poussée créatrice.

Lorsque les déterministes appliquent la première au domaine psychologique, ils font comme s’il existait, dans la conscience, des états distincts qui produiraient mécaniquement les états suivants. Or, dans la durée réelle, un état n’est jamais une « chose » : c’est une transition, un mouvement, une coloration qualitative du moi entier.
La causalité psychologique est donc d’un tout autre ordre que la causalité physique : elle ne s’analyse pas, elle s’éprouve.

L’un des arguments classiques contre la liberté consiste à dire : « Si l’acte était libre, il aurait pu en être autrement ». Mais cette manière de poser la question est déjà contaminée par l’espace : on imagine le temps comme une ligne où plusieurs chemins se séparent, et l’on se figure l’agent à un point neutre où il oscillerait entre plusieurs possibles.

Dans la durée vécue, rien de tel n’existe. Il n’y a pas de « point O » d’où l’on pourrait repartir. La conscience n’est jamais un choix entre des routes juxtaposées, mais un élan continu.
Dire après coup « j’aurais pu faire autrement » revient à substituer à la continuité vécue un schéma imaginaire où l’acte apparaît détachable, comme un objet qu’on pourrait changer de place. Bergson démonte ainsi toute la notion naïve de contingence : l’alternative n’a de sens que dans l’espace, pas dans la durée.

Qu’est-ce donc qu’un acte libre pour Bergson ?
Ce n’est sûrement pas une décision capricieuse, ou un choix posé entre des motifs extérieurs. L’acte est libre lorsqu’il
émane du moi profond, celui qui dure, qui se continue depuis l’enfance à travers une histoire unique, et qui s’exprime enfin dans une décision qui est l’aboutissement organique de tout ce que nous sommes.

Un acte est libre lorsqu’il est créateur, c’est-à-dire imprévisible du dehors et intelligible seulement de l’intérieur, parce qu’il serait le fruit d’une maturation qualitative. Dans les moments graves — résolutions morales, engagements, ruptures — nous sentons que l’acte reflète la totalité de notre durée, non une addition de causes partielles.

Ainsi, la liberté ne consiste pas à pouvoir agir autrement, mais à agir selon soi, dans une continuité vécue qu’aucune analyse spatiale ne saurait reconstituer.

Conclusion

Le livre propose ainsi une double critique : critique de Kant, dont la conception du temps demeure trop homogène ; critique de la psychophysique, qui confond la mesure de l’excitation avec celle de la sensation. Il conclut que seule l’intuition, capable de coïncider avec ce mouvement intérieur de la durée, peut saisir la conscience telle qu’elle se donne immédiatement, là où l’analyse, toujours tournée vers l’espace, la déforme. Dès lors, la liberté cesse d’être un mystère : elle est la forme même de cette durée, l’expression spontanée du moi profond dans son devenir.

Ce qui ressort de ma lecture de ce premier ouvrage de Bergson confirme bien mon pressentiment sur ce philosophe. Bergson critique la spatialisation du temps, pour réintroduire du qualitatif. Il reprend là les catégories Kantiennes du temps comme intuition interne et de l’espace comme intuition externe. Pour faire de l’intuition interne le champ du qualitatif pur, il critique le concept de temps chez Kant pour introduire son concept de durée. Et finalement, Bergson insiste tellement sur l’intuition et l’expérience intérieure qu’il tend à présenter tout le reste y compris l’espace, comme l’ abstraction froide et homogène, de la durée qui serait la « réalité »des données dites « immédiates de la conscience ». Tout en vient à devenir qualitatif. Plus rien n’est mesurable. Enfin en tout cas, c’est ce qui ressort de ma première lecture de Bergson. Il faudra sans doute lire d’autres livres de Bergson comme Matière et Mémoire pour se faire un avis plus tranché.

La rencontre avec Einstein bien que brève cristallise parfaitement le fossé qu'il peut exister entre le temps des philosophes et le temps des physiciens 

Étienne Klein dont c'est le sujet préféré en a fait des ouvrages complets et des conférences fournies....

Ma conclusion personnelle est que Bergson a parfaitement raison sur le plan de l'expérience personnelle et de la phénoménologie de ne pas considérer notre appréciation du temps comme la conséquence d'une ligne d'univers d'un référentiel inertiel dans l'espace temps à 4 dimensions de Minkowski

Notre "temps psychologique" est chargé de mémoire, chargé émotionnellement au présent et même anticipé de notre avenir

Et dans le même temps...la relativité générale est absolument incontournable et distingue notre perception du temps de sa nature ontologique essentielle 

Pour la vérité physique du monde, seul l'espace temps existe et le temps n'est qu'une dimension relative de l'univers

Pour la vérité existentielle de l'homme, le temps est le flux de la conscience de la vie

Pour moi, le temps est compté et j'aimerai savoir si l'éternalisme comme conséquence mathématique de la relativité générale laisse bien comme je le crois la place à une myriade de potentialités enchevêtrées dans laquelle notre destinée prend un sens singulier

Personne ne m'aura compris rien n'est grave

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Membre, 45ans Posté(e)
Arkadis Membre 365 messages
Forumeur accro‚ 45ans‚
Posté(e)
Il y a 11 heures, Leverkuhn a dit :

Essai sur les données immédiates de la conscience

Henri BERGSON (1889)

Étant plutôt centré sur les corps, Bergson, c’est pas vraiment mon truc. A dire vrai, dans le domaine de la lecture, je peux difficilement faire plus douloureux que de lire un livre de Bergson. Le seul lot de consolation, le texte originel est en Français, il y a moins d'efforts à fournir pour comprendre.  Aussi me contenterais-je pour le moment de résumer le texte sans fournir trop de critique, histoire de garder tous les chakras ouverts en lisant la métaphysique profonde de ce philosophe.

Introduction :

L’ouvrage se présente sous une forme qui déroute les catégories analytiques traditionnelles : Bergson y refuse de traiter la conscience selon les méthodes quantitatives héritées de la science moderne. Il s’agit chez lui, en grossissant le trait d’opposer science et philosophie, et de montrer que la vie intérieure ne relève pas du même régime d’intelligibilité que le monde physique. Publié en 1889 comme thèse de doctorat, le livre marque l’entrée de Bergson sur la scène philosophique en rupture avec le positivisme et la psychologie expérimentale de son temps. Le contexte scientifique, l’essor de la psychophysique, et la recherche de lois mathématiques du psychisme imprègne la réflexion de l’auteur dont il cherche à révéler les impasses.
Dès les premières pages, Bergson avertit qu’il s’appuiera seulement sur ce qu’il appelle des « données immédiates », c’est-à-dire l’expérience intérieure telle qu’elle se donne avant toute traduction abstraite. En cela, il récuse l’idée qu’on pourrait maintenir inchangé ce qu’on dit du psychisme si l’on modifie sa méthode : l’objet est transformé par le regard qu’on lui porte.

L’ouvrage a pour objet d’étude la conscience, non pas la conscience comme objet scientifique, mais la conscience comme vécu. On retrouve d’emblée ici un gros point de convergence avec la phénoménologie développée quelques années plus tard. Cette notion, souvent utilisée de manière vague, se comprend lorsque Bergson oppose deux modèles du psychisme : d’un côté, la conscience telle que la psychophysique cherche à la mesurer ; de l’autre, la conscience comme durée, irréductible à toute quantification. L’ambition du livre est alors de proposer une compréhension rigoureuse de cette intuition de durée, contre la tendance à spatialiser le psychisme.

I. De L’intensité des états psychologique

Dans la première partie, Bergson examine ce que les psychologues appellent l’« intensité » d’un état psychologique. Là où la science tend à la concevoir comme une grandeur mesurable, il entreprend de montrer que cette intensité n’a rien d’une grandeur physique.
Une douleur plus vive n’est pas « plus de douleur », mais
une autre douleur. La variation n’est pas quantitative, mais qualitative. La conscience, lorsqu’elle s’analyse elle-même, ne rencontre jamais des quantités, mais des modifications intimes.

La critique vise explicitement la psychophysique (Weber, Fechner, Wundt), qui cherche à établir des lois mathématiques reliant excitations physiques et sensations. Selon Bergson, cette démarche repose sur une confusion fondamentale : ce que l’on mesure, ce n’est jamais la sensation elle-même, mais la grandeur physique de l’excitation, la seule qui se prête à la quantification.

C’est ici que s’inscrit sa distance vis-à-vis de Kant. Le philosophe de Königsberg admettait des « grandeurs intensives » dont le degré serait mesurable. Bergson refuse l’analogie : dans le domaine psychologique, l’intensité n’est pas un degré, mais un changement de nature.
L’enjeu devient alors clair : libérer l’analyse de la conscience de toute réduction numérique, retrouver la singularité de l’expérience vécue.

II. De la multiplicité des états de conscience : l’idée de durée

Dans la seconde partie du livre, Bergson opère la coupure décisive : il dévoile l’erreur première qui hante la psychologie, la logique et toute une métaphysique héritée d’Aristote comme de Kant, celle de projeter les formes de l’espace sur la vie intérieure. Là où l’esprit s’écoule, on a cru voir des lignes, des points, des unités; et, ce faisant, on a méconnu la texture même du psychisme !

Bergson distingue alors deux multiplicités. L’une, quantitative, homogène, calibré pour les mesures : elle appartient à l’espace, se laisse morceler sans perdre sa nature, se prête au nombre et à la juxtaposition. L’autre, qualitative, continue, propre aux états de conscience : ici, rien ne se juxtapose, tout se pénètre, comme dans une mélodie où chaque note se fond dans la suivante et prolonge sa résonance. Confondre ces ordres, c’est réduire l’esprit à un schéma vide, substituer au vécu une géométrie.

De là surgit la critique majeure : notre idée ordinaire du temps n’est qu’un espace déguisé. Le temps des horloges, succession d’instants identiques, n’est qu’un tracé, une ligne, une abstraction commode. Rien de cela ne ressemble à la durée vécue, où le passé se creuse dans le présent et lui donne sa couleur. La tradition philosophique, de Kant jusqu’à Aristote, a trop vite admis un temps homogène, divisible, mesurable, produit d’une habitude intellectuelle qui fige la durée dans une représentation qu'on nomme le temps. 

La même méprise ronge notre conception du mouvement. Mesuré en mètres seconde, il se résout en positions immobiles et en instants arrêtés.  Or le mouvement réel pour Bergson n’est pas cette mosaïque, mais un devenir continu qu’aucune mesure ne capture. D’où l’étrange prestige des paradoxes de Zénon pour Bergson : ils ne montrent pas l’impossibilité du mouvement, mais les absurdités qui naissent dès qu’on spatialise la durée. Le mouvement est faux dans le schéma, non dans la réalité vivante.

Contre cette « illusion », Bergson introduit la durée réelle : multiplicité qualitative en acte, tissée d’interpénétration, de continuité, de vécu. Elle n’est ni homogène ni découpable, mais un flux unique où le passé se conserve et se métamorphose dans le présent. La conscience en est la forme intime.

Ainsi se dessine la double face du moi. D’un côté, un moi profond, créateur, imprévisible, qui s’écoule dans la durée réelle. De l’autre, un moi superficiel, façonné par le langage et la vie sociale, i.e. par la réflexivité de la conscience sur elle même qui découpe, classe, fige pour communiquer. Entre ces deux niveaux, nous oscillons sans cesse, cherchant à exprimer en espace ce qui n’existe qu’en temps vécu, tension secrète où se joue toute la difficulté de nous comprendre nous-mêmes.

III. L’organisation des états de conscience : la liberté

La troisième partie de l’Essai applique à la question de la liberté tout ce que Bergson a établi dans les deux premières sections : l’impossibilité de réduire la conscience à des grandeurs, et la distinction entre le temps homogène de la science et la durée vécue. Le débat traditionnel entre déterminisme et liberté n’est compréhensible, selon lui, que si l’on voit comment il repose sur une spatialisation frauduleuse de la vie intérieure.

Le déterminisme physique celui qui gouverne la mécanique ou l’astronomie repose sur un postulat légitime dans son domaine : les phénomènes matériels se laissent décrire comme des états juxtaposables dans le temps homogène, obéissant à des lois constantes. La prévision y est possible parce que la science substitue aux qualités liées à la durée des quantités mesurables, convertibles en équations.
Mais Bergson montre que cette manière de rendre l’avenir transparent ne vaut que pour des réalités déjà spatialisées : elle exige qu’on traite le temps comme un
milieu vide, divisible et homogène, et que l’on considère les états d’un système comme des positions successives sur une ligne.

Or, vouloir transposer ce modèle à la vie psychique est une erreur radicale. La conscience n’est pas un système de positions mais un devenir, où chaque état prolonge les précédents sans jamais s’y juxtaposer. Le déterminisme psychologique qui prétend appliquer aux états de conscience la même prévisibilité que celle des mouvements planétaires repose donc sur une confusion de plans.

Pour affirmer que nos actions sont déterminées, on prétend qu’un observateur idéal pourrait prévoir nos décisions avec la même certitude que la trajectoire d’un astre. Mais, remarque Bergson, cette prévision suppose qu’on puisse traduire les états du moi en éléments distincts, stables, composables ce qui correspond justement au moi social, figé par le langage, et non au moi réel.

Lorsque nous reconstituons après coup les motifs d’un acte passé, nous fabriquons une fiction spatiale : nous découpons la durée en états discrets, puis nous les ordonnons comme s’ils formaient une chaîne mécanique. En vérité, cette reconstitution est déjà une trahison. L’analyse rétrospective introduit dans la conscience une clarté et une discontinuité qui n’y existaient pas. D’où l’illusion d’une nécessité.

Bergson montre que la causalité a deux acceptions que l’on confond dangereusement :

  • une causalité mathématique, qui décrit la succession régulière de phénomènes matériels,

  • une causalité dynamique, qui évoque plutôt un progrès interne, une poussée créatrice.

Lorsque les déterministes appliquent la première au domaine psychologique, ils font comme s’il existait, dans la conscience, des états distincts qui produiraient mécaniquement les états suivants. Or, dans la durée réelle, un état n’est jamais une « chose » : c’est une transition, un mouvement, une coloration qualitative du moi entier.
La causalité psychologique est donc d’un tout autre ordre que la causalité physique : elle ne s’analyse pas, elle s’éprouve.

L’un des arguments classiques contre la liberté consiste à dire : « Si l’acte était libre, il aurait pu en être autrement ». Mais cette manière de poser la question est déjà contaminée par l’espace : on imagine le temps comme une ligne où plusieurs chemins se séparent, et l’on se figure l’agent à un point neutre où il oscillerait entre plusieurs possibles.

Dans la durée vécue, rien de tel n’existe. Il n’y a pas de « point O » d’où l’on pourrait repartir. La conscience n’est jamais un choix entre des routes juxtaposées, mais un élan continu.
Dire après coup « j’aurais pu faire autrement » revient à substituer à la continuité vécue un schéma imaginaire où l’acte apparaît détachable, comme un objet qu’on pourrait changer de place. Bergson démonte ainsi toute la notion naïve de contingence : l’alternative n’a de sens que dans l’espace, pas dans la durée.

Qu’est-ce donc qu’un acte libre pour Bergson ?
Ce n’est sûrement pas une décision capricieuse, ou un choix posé entre des motifs extérieurs. L’acte est libre lorsqu’il
émane du moi profond, celui qui dure, qui se continue depuis l’enfance à travers une histoire unique, et qui s’exprime enfin dans une décision qui est l’aboutissement organique de tout ce que nous sommes.

Un acte est libre lorsqu’il est créateur, c’est-à-dire imprévisible du dehors et intelligible seulement de l’intérieur, parce qu’il serait le fruit d’une maturation qualitative. Dans les moments graves — résolutions morales, engagements, ruptures — nous sentons que l’acte reflète la totalité de notre durée, non une addition de causes partielles.

Ainsi, la liberté ne consiste pas à pouvoir agir autrement, mais à agir selon soi, dans une continuité vécue qu’aucune analyse spatiale ne saurait reconstituer.

Conclusion

Le livre propose ainsi une double critique : critique de Kant, dont la conception du temps demeure trop homogène ; critique de la psychophysique, qui confond la mesure de l’excitation avec celle de la sensation. Il conclut que seule l’intuition, capable de coïncider avec ce mouvement intérieur de la durée, peut saisir la conscience telle qu’elle se donne immédiatement, là où l’analyse, toujours tournée vers l’espace, la déforme. Dès lors, la liberté cesse d’être un mystère : elle est la forme même de cette durée, l’expression spontanée du moi profond dans son devenir.

Ce qui ressort de ma lecture de ce premier ouvrage de Bergson confirme bien mon pressentiment sur ce philosophe. Bergson critique la spatialisation du temps, pour réintroduire du qualitatif. Il reprend là les catégories Kantiennes du temps comme intuition interne et de l’espace comme intuition externe. Pour faire de l’intuition interne le champ du qualitatif pur, il critique le concept de temps chez Kant pour introduire son concept de durée. Et finalement, Bergson insiste tellement sur l’intuition et l’expérience intérieure qu’il tend à présenter tout le reste y compris l’espace, comme l’ abstraction froide et homogène, de la durée qui serait la « réalité »des données dites « immédiates de la conscience ». Tout en vient à devenir qualitatif. Plus rien n’est mesurable. Enfin en tout cas, c’est ce qui ressort de ma première lecture de Bergson. Il faudra sans doute lire d’autres livres de Bergson comme Matière et Mémoire pour se faire un avis plus tranché.

Merci pour ce travail et la générosité du partage.

Votre exposé me permet de préciser ma pensée sur certains points.

Je suis d'accord avec Bergson : s'appuyer d'abord sur les "données immédiates", sur l'expérience intérieure telle quelle se donne avant toute traduction abstraite. Mais alors je récuse le mot "conscience" qui est déjà une traduction abstraite. Personne ne sait de quoi nous parlons précisément lorsque nous employons ce mot. Si je veux rester le plus près possible de l'expérience intérieure alors j'emploierai le mot : "ressenti". La conscience comme vécu c'est le ressenti, ce que je ressens. Je pourrais bien à cet égard trouver d'autres descriptions, qui évitent l'abstraction du mot "conscience". Je suis en recherche de telles descriptions mais ce n'est pas aisé. Restons à "ressenti". De toute façon tout passe d'abord par l'intériorité, même si nous nous en rendons pas toujours compte. Tout a donc la marque de notre intériorité, même en science. 

"Ce que l'on mesure ce n'est jamais la sensation elle-même, mais la grandeur physique de l'excitation". La sensation elle-même reste en effet une expérience éminemment intime, irréductible à tout équivalent externe.  "Ce que ça fait d'être une chauve souris" nous échappe complètement [Thomas Nagel ]. Ce que ça fait d'être un être conscient échappe à toute explication scientifique (je ne réfute pas le qualificatif "conscient", qualificatif qui "parle" communément au contraire de son substantif : conscience ; ici il faudrait ouvrir un diverticule vers les pièges du langage).

Je ne pense pas que l'attitude de Bergson s'oppose à celle de Kant, du moins le Kant de la CRP (les autres ouvrages ok, il peut y avoir opposition). Dans la CRP Kant précise tout de suite de quoi il parle, et surtout de quoi il ne parle pas : il ne parle pas de psychologie, il ne s'intéresse pas à l'intériorité vu comme subjectivité.

"Bergson dévoile l'erreur...celle de projeter les formes de l'espace sur la vie intérieure" Il y a en effet, quant à l'espace, des erreurs manifestes de discernement. 

Tout part de l'intériorité, tout transite d'abord par l'intériorité. La perception est toujours intériorité. Mais il y a des perceptions qui renvoient à une extériorité, d'autres non (les sentiments sont aussi des perceptions mais elles ne renvoient pas vers un objet situé dans l'extériorité, dans le spatial ). Quand je vois un arbre son extériorité m'est donné d'emblée alors qu'il s'agit d'abord d'une image intérieure. Mais il y a un automatisme immédiat, l'image me donne une distance, un volume, une couleur, une forme, que je prends comme une information donnée immédiatement alors qu'en fait il y a le truchement de la sensation intérieure. C'est cette immédiateté apparente qui engendre les confusions soulignées par Bergson. Confusion qui consiste à faire équivaloir le spatial (l'extérieur, la donnée apparemment immédiate et instantanée) et l'intériorité. Les capacités de l'être humain sont telles qu'il peut figurer cet extérieur par les représentations mathématiques, notamment la géométrie. Cette capacité lui assure la possibilité de maitriser cet extérieur. Mais la représentation géométrique du mouvement, la courbe dessinée ou imaginée,  n'est en effet pas identique à l'expérience intérieure du mouvement. Les paradoxe de Zénon résultent de cette confusion. Là dessus je suis totalement d'accord avec Bergson.

Cette confusion perdure toujours aujourd'hui. L'espace temps par exemple n'est pas une réalité vécue, perçue, cet espace temps n'est pas validé comme réel par notre expérience intérieure. Cet espace temps est une construction, une fabrication dont rien ne nous dit qu'elle est réelle. Mais cet espace temps imaginé nous permet de maitriser ce réel auquel nous n'avons pas accès. C'est cette maitrise (efficace quant à la satisfaction de nos désirs matériels) qui finit par nous porter à opérer la confusion : la représentation mathématique, scientifique, est le réel.

 

 

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Il y a 14 heures, Leverkuhn a dit :

Essai sur les données immédiates de la conscience

Henri BERGSON (1889)

Étant plutôt centré sur les corps, Bergson, c’est pas vraiment mon truc. A dire vrai, dans le domaine de la lecture, je peux difficilement faire plus douloureux que de lire un livre de Bergson. Le seul lot de consolation, le texte originel est en Français, il y a moins d'efforts à fournir pour comprendre.  Aussi me contenterais-je pour le moment de résumer le texte sans fournir trop de critique, histoire de garder tous les chakras ouverts en lisant la métaphysique profonde de ce philosophe.

Introduction :

L’ouvrage se présente sous une forme qui déroute les catégories analytiques traditionnelles : Bergson y refuse de traiter la conscience selon les méthodes quantitatives héritées de la science moderne. Il s’agit chez lui, en grossissant le trait d’opposer science et philosophie, et de montrer que la vie intérieure ne relève pas du même régime d’intelligibilité que le monde physique. Publié en 1889 comme thèse de doctorat, le livre marque l’entrée de Bergson sur la scène philosophique en rupture avec le positivisme et la psychologie expérimentale de son temps. Le contexte scientifique, l’essor de la psychophysique, et la recherche de lois mathématiques du psychisme imprègne la réflexion de l’auteur dont il cherche à révéler les impasses.
Dès les premières pages, Bergson avertit qu’il s’appuiera seulement sur ce qu’il appelle des « données immédiates », c’est-à-dire l’expérience intérieure telle qu’elle se donne avant toute traduction abstraite. En cela, il récuse l’idée qu’on pourrait maintenir inchangé ce qu’on dit du psychisme si l’on modifie sa méthode : l’objet est transformé par le regard qu’on lui porte.

L’ouvrage a pour objet d’étude la conscience, non pas la conscience comme objet scientifique, mais la conscience comme vécu. On retrouve d’emblée ici un gros point de convergence avec la phénoménologie développée quelques années plus tard. Cette notion, souvent utilisée de manière vague, se comprend lorsque Bergson oppose deux modèles du psychisme : d’un côté, la conscience telle que la psychophysique cherche à la mesurer ; de l’autre, la conscience comme durée, irréductible à toute quantification. L’ambition du livre est alors de proposer une compréhension rigoureuse de cette intuition de durée, contre la tendance à spatialiser le psychisme.

I. De L’intensité des états psychologique

Dans la première partie, Bergson examine ce que les psychologues appellent l’« intensité » d’un état psychologique. Là où la science tend à la concevoir comme une grandeur mesurable, il entreprend de montrer que cette intensité n’a rien d’une grandeur physique.
Une douleur plus vive n’est pas « plus de douleur », mais
une autre douleur. La variation n’est pas quantitative, mais qualitative. La conscience, lorsqu’elle s’analyse elle-même, ne rencontre jamais des quantités, mais des modifications intimes.

La critique vise explicitement la psychophysique (Weber, Fechner, Wundt), qui cherche à établir des lois mathématiques reliant excitations physiques et sensations. Selon Bergson, cette démarche repose sur une confusion fondamentale : ce que l’on mesure, ce n’est jamais la sensation elle-même, mais la grandeur physique de l’excitation, la seule qui se prête à la quantification.

C’est ici que s’inscrit sa distance vis-à-vis de Kant. Le philosophe de Königsberg admettait des « grandeurs intensives » dont le degré serait mesurable. Bergson refuse l’analogie : dans le domaine psychologique, l’intensité n’est pas un degré, mais un changement de nature.
L’enjeu devient alors clair : libérer l’analyse de la conscience de toute réduction numérique, retrouver la singularité de l’expérience vécue.

II. De la multiplicité des états de conscience : l’idée de durée

Dans la seconde partie du livre, Bergson opère la coupure décisive : il dévoile l’erreur première qui hante la psychologie, la logique et toute une métaphysique héritée d’Aristote comme de Kant, celle de projeter les formes de l’espace sur la vie intérieure. Là où l’esprit s’écoule, on a cru voir des lignes, des points, des unités; et, ce faisant, on a méconnu la texture même du psychisme !

Bergson distingue alors deux multiplicités. L’une, quantitative, homogène, calibré pour les mesures : elle appartient à l’espace, se laisse morceler sans perdre sa nature, se prête au nombre et à la juxtaposition. L’autre, qualitative, continue, propre aux états de conscience : ici, rien ne se juxtapose, tout se pénètre, comme dans une mélodie où chaque note se fond dans la suivante et prolonge sa résonance. Confondre ces ordres, c’est réduire l’esprit à un schéma vide, substituer au vécu une géométrie.

De là surgit la critique majeure : notre idée ordinaire du temps n’est qu’un espace déguisé. Le temps des horloges, succession d’instants identiques, n’est qu’un tracé, une ligne, une abstraction commode. Rien de cela ne ressemble à la durée vécue, où le passé se creuse dans le présent et lui donne sa couleur. La tradition philosophique, de Kant jusqu’à Aristote, a trop vite admis un temps homogène, divisible, mesurable, produit d’une habitude intellectuelle qui fige la durée dans une représentation qu'on nomme le temps. 

La même méprise ronge notre conception du mouvement. Mesuré en mètres seconde, il se résout en positions immobiles et en instants arrêtés.  Or le mouvement réel pour Bergson n’est pas cette mosaïque, mais un devenir continu qu’aucune mesure ne capture. D’où l’étrange prestige des paradoxes de Zénon pour Bergson : ils ne montrent pas l’impossibilité du mouvement, mais les absurdités qui naissent dès qu’on spatialise la durée. Le mouvement est faux dans le schéma, non dans la réalité vivante.

Contre cette « illusion », Bergson introduit la durée réelle : multiplicité qualitative en acte, tissée d’interpénétration, de continuité, de vécu. Elle n’est ni homogène ni découpable, mais un flux unique où le passé se conserve et se métamorphose dans le présent. La conscience en est la forme intime.

Ainsi se dessine la double face du moi. D’un côté, un moi profond, créateur, imprévisible, qui s’écoule dans la durée réelle. De l’autre, un moi superficiel, façonné par le langage et la vie sociale, i.e. par la réflexivité de la conscience sur elle même qui découpe, classe, fige pour communiquer. Entre ces deux niveaux, nous oscillons sans cesse, cherchant à exprimer en espace ce qui n’existe qu’en temps vécu, tension secrète où se joue toute la difficulté de nous comprendre nous-mêmes.

III. L’organisation des états de conscience : la liberté

La troisième partie de l’Essai applique à la question de la liberté tout ce que Bergson a établi dans les deux premières sections : l’impossibilité de réduire la conscience à des grandeurs, et la distinction entre le temps homogène de la science et la durée vécue. Le débat traditionnel entre déterminisme et liberté n’est compréhensible, selon lui, que si l’on voit comment il repose sur une spatialisation frauduleuse de la vie intérieure.

Le déterminisme physique celui qui gouverne la mécanique ou l’astronomie repose sur un postulat légitime dans son domaine : les phénomènes matériels se laissent décrire comme des états juxtaposables dans le temps homogène, obéissant à des lois constantes. La prévision y est possible parce que la science substitue aux qualités liées à la durée des quantités mesurables, convertibles en équations.
Mais Bergson montre que cette manière de rendre l’avenir transparent ne vaut que pour des réalités déjà spatialisées : elle exige qu’on traite le temps comme un
milieu vide, divisible et homogène, et que l’on considère les états d’un système comme des positions successives sur une ligne.

Or, vouloir transposer ce modèle à la vie psychique est une erreur radicale. La conscience n’est pas un système de positions mais un devenir, où chaque état prolonge les précédents sans jamais s’y juxtaposer. Le déterminisme psychologique qui prétend appliquer aux états de conscience la même prévisibilité que celle des mouvements planétaires repose donc sur une confusion de plans.

Pour affirmer que nos actions sont déterminées, on prétend qu’un observateur idéal pourrait prévoir nos décisions avec la même certitude que la trajectoire d’un astre. Mais, remarque Bergson, cette prévision suppose qu’on puisse traduire les états du moi en éléments distincts, stables, composables ce qui correspond justement au moi social, figé par le langage, et non au moi réel.

Lorsque nous reconstituons après coup les motifs d’un acte passé, nous fabriquons une fiction spatiale : nous découpons la durée en états discrets, puis nous les ordonnons comme s’ils formaient une chaîne mécanique. En vérité, cette reconstitution est déjà une trahison. L’analyse rétrospective introduit dans la conscience une clarté et une discontinuité qui n’y existaient pas. D’où l’illusion d’une nécessité.

Bergson montre que la causalité a deux acceptions que l’on confond dangereusement :

  • une causalité mathématique, qui décrit la succession régulière de phénomènes matériels,

  • une causalité dynamique, qui évoque plutôt un progrès interne, une poussée créatrice.

Lorsque les déterministes appliquent la première au domaine psychologique, ils font comme s’il existait, dans la conscience, des états distincts qui produiraient mécaniquement les états suivants. Or, dans la durée réelle, un état n’est jamais une « chose » : c’est une transition, un mouvement, une coloration qualitative du moi entier.
La causalité psychologique est donc d’un tout autre ordre que la causalité physique : elle ne s’analyse pas, elle s’éprouve.

L’un des arguments classiques contre la liberté consiste à dire : « Si l’acte était libre, il aurait pu en être autrement ». Mais cette manière de poser la question est déjà contaminée par l’espace : on imagine le temps comme une ligne où plusieurs chemins se séparent, et l’on se figure l’agent à un point neutre où il oscillerait entre plusieurs possibles.

Dans la durée vécue, rien de tel n’existe. Il n’y a pas de « point O » d’où l’on pourrait repartir. La conscience n’est jamais un choix entre des routes juxtaposées, mais un élan continu.
Dire après coup « j’aurais pu faire autrement » revient à substituer à la continuité vécue un schéma imaginaire où l’acte apparaît détachable, comme un objet qu’on pourrait changer de place. Bergson démonte ainsi toute la notion naïve de contingence : l’alternative n’a de sens que dans l’espace, pas dans la durée.

Qu’est-ce donc qu’un acte libre pour Bergson ?
Ce n’est sûrement pas une décision capricieuse, ou un choix posé entre des motifs extérieurs. L’acte est libre lorsqu’il
émane du moi profond, celui qui dure, qui se continue depuis l’enfance à travers une histoire unique, et qui s’exprime enfin dans une décision qui est l’aboutissement organique de tout ce que nous sommes.

Un acte est libre lorsqu’il est créateur, c’est-à-dire imprévisible du dehors et intelligible seulement de l’intérieur, parce qu’il serait le fruit d’une maturation qualitative. Dans les moments graves — résolutions morales, engagements, ruptures — nous sentons que l’acte reflète la totalité de notre durée, non une addition de causes partielles.

Ainsi, la liberté ne consiste pas à pouvoir agir autrement, mais à agir selon soi, dans une continuité vécue qu’aucune analyse spatiale ne saurait reconstituer.

Conclusion

Le livre propose ainsi une double critique : critique de Kant, dont la conception du temps demeure trop homogène ; critique de la psychophysique, qui confond la mesure de l’excitation avec celle de la sensation. Il conclut que seule l’intuition, capable de coïncider avec ce mouvement intérieur de la durée, peut saisir la conscience telle qu’elle se donne immédiatement, là où l’analyse, toujours tournée vers l’espace, la déforme. Dès lors, la liberté cesse d’être un mystère : elle est la forme même de cette durée, l’expression spontanée du moi profond dans son devenir.

Ce qui ressort de ma lecture de ce premier ouvrage de Bergson confirme bien mon pressentiment sur ce philosophe. Bergson critique la spatialisation du temps, pour réintroduire du qualitatif. Il reprend là les catégories Kantiennes du temps comme intuition interne et de l’espace comme intuition externe. Pour faire de l’intuition interne le champ du qualitatif pur, il critique le concept de temps chez Kant pour introduire son concept de durée. Et finalement, Bergson insiste tellement sur l’intuition et l’expérience intérieure qu’il tend à présenter tout le reste y compris l’espace, comme l’ abstraction froide et homogène, de la durée qui serait la « réalité »des données dites « immédiates de la conscience ». Tout en vient à devenir qualitatif. Plus rien n’est mesurable. Enfin en tout cas, c’est ce qui ressort de ma première lecture de Bergson. Il faudra sans doute lire d’autres livres de Bergson comme Matière et Mémoire pour se faire un avis plus tranché.

Il y a ensuite la question du temps. "Le temps des horloges, succession d'instants identiques, n'est qu'un tracé, qu'une ligne, une abstraction commode. Rien de cela ne ressemble à la durée vécue"

C'est évident. Bergson veut croire en l'unicité, dans sa compréhension, du temps. Or, il n' y a pas unicité, coïncidence, le temps des physiciens, qui inspire ensuite les mathématiciens, n'est évidemment pas le temps vécu. Le problème c'est que nous employons les mêmes mots pour désigner des réalités différentes. C'est pour cela qu'Einstein a renoncé à discuter avec Bergson, il a tout de suite vu que Bergson était incapable de sortir du champ dans lequel il situait le temps.

Le temps des physiciens et des mathématiciens est un temps construit, fabriqué, représenté par une droite, ce qui fait dire à Bergson que ce temps là est un temps spatial (puisque représenté par une droite). Pour Bergson, ce temps fabriqué, imaginé, parce qu'il est imaginé, ne peut pas être "vrai" authentique. C'est pour lui un temps artificiel, donc sans grande valeur, tandis que le temps vécu est un temps réel parce que : éprouvé.

Nous pouvons en effet opposer le temps authentique, parce que vécu, du temps ressenti, et le temps fabriqué, artificiel du scientifique. Mais cette opposition est vaine puisque nous ne sommes pas dans les mêmes champs de réflexion. Il y a bien deux temps, le temps vécu et le temps de la science. Ils sont distincts.

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Essai sur les données immédiates de la conscience

Henri BERGSON (1889)

Étant plutôt centré sur les corps, Bergson, c’est pas vraiment mon truc. A dire vrai, dans le domaine de la lecture, je peux difficilement faire plus douloureux que de lire un livre de Bergson. Le seul lot de consolation, le texte originel est en Français, il y a moins d'efforts à fournir pour comprendre.  Aussi me contenterais-je pour le moment de résumer le texte sans fournir trop de critique, histoire de garder tous les chakras ouverts en lisant la métaphysique profonde de ce philosophe.

Introduction :

L’ouvrage se présente sous une forme qui déroute les catégories analytiques traditionnelles : Bergson y refuse de traiter la conscience selon les méthodes quantitatives héritées de la science moderne. Il s’agit chez lui, en grossissant le trait d’opposer science et philosophie, et de montrer que la vie intérieure ne relève pas du même régime d’intelligibilité que le monde physique. Publié en 1889 comme thèse de doctorat, le livre marque l’entrée de Bergson sur la scène philosophique en rupture avec le positivisme et la psychologie expérimentale de son temps. Le contexte scientifique, l’essor de la psychophysique, et la recherche de lois mathématiques du psychisme imprègne la réflexion de l’auteur dont il cherche à révéler les impasses.
Dès les premières pages, Bergson avertit qu’il s’appuiera seulement sur ce qu’il appelle des « données immédiates », c’est-à-dire l’expérience intérieure telle qu’elle se donne avant toute traduction abstraite. En cela, il récuse l’idée qu’on pourrait maintenir inchangé ce qu’on dit du psychisme si l’on modifie sa méthode : l’objet est transformé par le regard qu’on lui porte.

L’ouvrage a pour objet d’étude la conscience, non pas la conscience comme objet scientifique, mais la conscience comme vécu. On retrouve d’emblée ici un gros point de convergence avec la phénoménologie développée quelques années plus tard. Cette notion, souvent utilisée de manière vague, se comprend lorsque Bergson oppose deux modèles du psychisme : d’un côté, la conscience telle que la psychophysique cherche à la mesurer ; de l’autre, la conscience comme durée, irréductible à toute quantification. L’ambition du livre est alors de proposer une compréhension rigoureuse de cette intuition de durée, contre la tendance à spatialiser le psychisme.

I. De L’intensité des états psychologique

Dans la première partie, Bergson examine ce que les psychologues appellent l’« intensité » d’un état psychologique. Là où la science tend à la concevoir comme une grandeur mesurable, il entreprend de montrer que cette intensité n’a rien d’une grandeur physique.
Une douleur plus vive n’est pas « plus de douleur », mais
une autre douleur. La variation n’est pas quantitative, mais qualitative. La conscience, lorsqu’elle s’analyse elle-même, ne rencontre jamais des quantités, mais des modifications intimes.

La critique vise explicitement la psychophysique (Weber, Fechner, Wundt), qui cherche à établir des lois mathématiques reliant excitations physiques et sensations. Selon Bergson, cette démarche repose sur une confusion fondamentale : ce que l’on mesure, ce n’est jamais la sensation elle-même, mais la grandeur physique de l’excitation, la seule qui se prête à la quantification.

C’est ici que s’inscrit sa distance vis-à-vis de Kant. Le philosophe de Königsberg admettait des « grandeurs intensives » dont le degré serait mesurable. Bergson refuse l’analogie : dans le domaine psychologique, l’intensité n’est pas un degré, mais un changement de nature.
L’enjeu devient alors clair : libérer l’analyse de la conscience de toute réduction numérique, retrouver la singularité de l’expérience vécue.

II. De la multiplicité des états de conscience : l’idée de durée

Dans la seconde partie du livre, Bergson opère la coupure décisive : il dévoile l’erreur première qui hante la psychologie, la logique et toute une métaphysique héritée d’Aristote comme de Kant, celle de projeter les formes de l’espace sur la vie intérieure. Là où l’esprit s’écoule, on a cru voir des lignes, des points, des unités; et, ce faisant, on a méconnu la texture même du psychisme !

Bergson distingue alors deux multiplicités. L’une, quantitative, homogène, calibré pour les mesures : elle appartient à l’espace, se laisse morceler sans perdre sa nature, se prête au nombre et à la juxtaposition. L’autre, qualitative, continue, propre aux états de conscience : ici, rien ne se juxtapose, tout se pénètre, comme dans une mélodie où chaque note se fond dans la suivante et prolonge sa résonance. Confondre ces ordres, c’est réduire l’esprit à un schéma vide, substituer au vécu une géométrie.

De là surgit la critique majeure : notre idée ordinaire du temps n’est qu’un espace déguisé. Le temps des horloges, succession d’instants identiques, n’est qu’un tracé, une ligne, une abstraction commode. Rien de cela ne ressemble à la durée vécue, où le passé se creuse dans le présent et lui donne sa couleur. La tradition philosophique, de Kant jusqu’à Aristote, a trop vite admis un temps homogène, divisible, mesurable, produit d’une habitude intellectuelle qui fige la durée dans une représentation qu'on nomme le temps. 

La même méprise ronge notre conception du mouvement. Mesuré en mètres seconde, il se résout en positions immobiles et en instants arrêtés.  Or le mouvement réel pour Bergson n’est pas cette mosaïque, mais un devenir continu qu’aucune mesure ne capture. D’où l’étrange prestige des paradoxes de Zénon pour Bergson : ils ne montrent pas l’impossibilité du mouvement, mais les absurdités qui naissent dès qu’on spatialise la durée. Le mouvement est faux dans le schéma, non dans la réalité vivante.

Contre cette « illusion », Bergson introduit la durée réelle : multiplicité qualitative en acte, tissée d’interpénétration, de continuité, de vécu. Elle n’est ni homogène ni découpable, mais un flux unique où le passé se conserve et se métamorphose dans le présent. La conscience en est la forme intime.

Ainsi se dessine la double face du moi. D’un côté, un moi profond, créateur, imprévisible, qui s’écoule dans la durée réelle. De l’autre, un moi superficiel, façonné par le langage et la vie sociale, i.e. par la réflexivité de la conscience sur elle même qui découpe, classe, fige pour communiquer. Entre ces deux niveaux, nous oscillons sans cesse, cherchant à exprimer en espace ce qui n’existe qu’en temps vécu, tension secrète où se joue toute la difficulté de nous comprendre nous-mêmes.

III. L’organisation des états de conscience : la liberté

La troisième partie de l’Essai applique à la question de la liberté tout ce que Bergson a établi dans les deux premières sections : l’impossibilité de réduire la conscience à des grandeurs, et la distinction entre le temps homogène de la science et la durée vécue. Le débat traditionnel entre déterminisme et liberté n’est compréhensible, selon lui, que si l’on voit comment il repose sur une spatialisation frauduleuse de la vie intérieure.

Le déterminisme physique celui qui gouverne la mécanique ou l’astronomie repose sur un postulat légitime dans son domaine : les phénomènes matériels se laissent décrire comme des états juxtaposables dans le temps homogène, obéissant à des lois constantes. La prévision y est possible parce que la science substitue aux qualités liées à la durée des quantités mesurables, convertibles en équations.
Mais Bergson montre que cette manière de rendre l’avenir transparent ne vaut que pour des réalités déjà spatialisées : elle exige qu’on traite le temps comme un
milieu vide, divisible et homogène, et que l’on considère les états d’un système comme des positions successives sur une ligne.

Or, vouloir transposer ce modèle à la vie psychique est une erreur radicale. La conscience n’est pas un système de positions mais un devenir, où chaque état prolonge les précédents sans jamais s’y juxtaposer. Le déterminisme psychologique qui prétend appliquer aux états de conscience la même prévisibilité que celle des mouvements planétaires repose donc sur une confusion de plans.

Pour affirmer que nos actions sont déterminées, on prétend qu’un observateur idéal pourrait prévoir nos décisions avec la même certitude que la trajectoire d’un astre. Mais, remarque Bergson, cette prévision suppose qu’on puisse traduire les états du moi en éléments distincts, stables, composables ce qui correspond justement au moi social, figé par le langage, et non au moi réel.

Lorsque nous reconstituons après coup les motifs d’un acte passé, nous fabriquons une fiction spatiale : nous découpons la durée en états discrets, puis nous les ordonnons comme s’ils formaient une chaîne mécanique. En vérité, cette reconstitution est déjà une trahison. L’analyse rétrospective introduit dans la conscience une clarté et une discontinuité qui n’y existaient pas. D’où l’illusion d’une nécessité.

Bergson montre que la causalité a deux acceptions que l’on confond dangereusement :

  • une causalité mathématique, qui décrit la succession régulière de phénomènes matériels,

  • une causalité dynamique, qui évoque plutôt un progrès interne, une poussée créatrice.

Lorsque les déterministes appliquent la première au domaine psychologique, ils font comme s’il existait, dans la conscience, des états distincts qui produiraient mécaniquement les états suivants. Or, dans la durée réelle, un état n’est jamais une « chose » : c’est une transition, un mouvement, une coloration qualitative du moi entier.
La causalité psychologique est donc d’un tout autre ordre que la causalité physique : elle ne s’analyse pas, elle s’éprouve.

L’un des arguments classiques contre la liberté consiste à dire : « Si l’acte était libre, il aurait pu en être autrement ». Mais cette manière de poser la question est déjà contaminée par l’espace : on imagine le temps comme une ligne où plusieurs chemins se séparent, et l’on se figure l’agent à un point neutre où il oscillerait entre plusieurs possibles.

Dans la durée vécue, rien de tel n’existe. Il n’y a pas de « point O » d’où l’on pourrait repartir. La conscience n’est jamais un choix entre des routes juxtaposées, mais un élan continu.
Dire après coup « j’aurais pu faire autrement » revient à substituer à la continuité vécue un schéma imaginaire où l’acte apparaît détachable, comme un objet qu’on pourrait changer de place. Bergson démonte ainsi toute la notion naïve de contingence : l’alternative n’a de sens que dans l’espace, pas dans la durée.

Qu’est-ce donc qu’un acte libre pour Bergson ?
Ce n’est sûrement pas une décision capricieuse, ou un choix posé entre des motifs extérieurs. L’acte est libre lorsqu’il
émane du moi profond, celui qui dure, qui se continue depuis l’enfance à travers une histoire unique, et qui s’exprime enfin dans une décision qui est l’aboutissement organique de tout ce que nous sommes.

Un acte est libre lorsqu’il est créateur, c’est-à-dire imprévisible du dehors et intelligible seulement de l’intérieur, parce qu’il serait le fruit d’une maturation qualitative. Dans les moments graves — résolutions morales, engagements, ruptures — nous sentons que l’acte reflète la totalité de notre durée, non une addition de causes partielles.

Ainsi, la liberté ne consiste pas à pouvoir agir autrement, mais à agir selon soi, dans une continuité vécue qu’aucune analyse spatiale ne saurait reconstituer.

Conclusion

Le livre propose ainsi une double critique : critique de Kant, dont la conception du temps demeure trop homogène ; critique de la psychophysique, qui confond la mesure de l’excitation avec celle de la sensation. Il conclut que seule l’intuition, capable de coïncider avec ce mouvement intérieur de la durée, peut saisir la conscience telle qu’elle se donne immédiatement, là où l’analyse, toujours tournée vers l’espace, la déforme. Dès lors, la liberté cesse d’être un mystère : elle est la forme même de cette durée, l’expression spontanée du moi profond dans son devenir.

Ce qui ressort de ma lecture de ce premier ouvrage de Bergson confirme bien mon pressentiment sur ce philosophe. Bergson critique la spatialisation du temps, pour réintroduire du qualitatif. Il reprend là les catégories Kantiennes du temps comme intuition interne et de l’espace comme intuition externe. Pour faire de l’intuition interne le champ du qualitatif pur, il critique le concept de temps chez Kant pour introduire son concept de durée. Et finalement, Bergson insiste tellement sur l’intuition et l’expérience intérieure qu’il tend à présenter tout le reste y compris l’espace, comme l’ abstraction froide et homogène, de la durée qui serait la « réalité »des données dites « immédiates de la conscience ». Tout en vient à devenir qualitatif. Plus rien n’est mesurable. Enfin en tout cas, c’est ce qui ressort de ma première lecture de Bergson. Il faudra sans doute lire d’autres livres de Bergson comme Matière et Mémoire pour se faire un avis plus tranché.

"Ainsi se dessine la double face du moi. D’un côté, un moi profond, créateur, imprévisible, qui s’écoule dans la durée réelle. De l’autre, un moi superficiel, façonné par le langage et la vie sociale, i.e. par la réflexivité de la conscience sur elle même qui découpe, classe, fige pour communiquer. Entre ces deux niveaux, nous oscillons sans cesse, cherchant à exprimer en espace ce qui n’existe qu’en temps vécu, tension secrète où se joue toute la difficulté de nous comprendre nous-mêmes"

Non, ça c'est absurde, c'est introduire une discrimination dans l'ordre des valeurs qui n'a pas lieu d'être.

Il y a le "moi" qui ressent, ok. Qui a son champ de création, ok. Mais le moi superficiel, parce que façonné par le langage et la vie sociale, non il n'est pas superficiel. Il n' y a d'ailleurs pas d'existence du moi s'il n' y a pas socialisation. Le moi commence à surgir dans la relation du bébé avec sa mère. C'est la première socialisation. Sans laquelle il n' y a pas même de moi, pas même de moi profond. Ce moi, socialisé, a aussi son champ créatif. Il crée notamment les représentations mathématiques. Qui sont peut être superficielles, et elles le sont d'ailleurs, mais c'est cela le mystère : la superficialité permet de saisir le profond. La forme se saisit du fond. Le filet se saisit du papillon. Bien qu'il n' y ait aucune équivalence entre le filet et le papillon.

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Leverkuhn Membre 449 messages
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Ravi de voir, que ça provoque autant de réflexions. @ArkadisJe réagis à certaines de vos réflexions, parce qu'elles font particulièrement écho aux miennes ces derniers temps. 

Il y a 8 heures, Arkadis a dit :

"Ce que l'on mesure ce n'est jamais la sensation elle-même, mais la grandeur physique de l'excitation". La sensation elle-même reste en effet une expérience éminemment intime, irréductible à tout équivalent externe.  "Ce que ça fait d'être une chauve souris" nous échappe complètement [Thomas Nagel ]. Ce que ça fait d'être un être conscient échappe à toute explication scientifique (je ne réfute pas le qualificatif "conscient", qualificatif qui "parle" communément au contraire de son substantif : conscience ; ici il faudrait ouvrir un diverticule vers les pièges du langage).

Le qualificatif conscient vs son substantif, je n'aurais pas mieux formulé les problèmes que je me pose au sujet de la conscience, du psychisme, de l'intériorité, etc, comment la question de sa substantialité est traitée en pratique par tous les philosophes qui partent de l'Esprit comme "lieu" des sensations, représentations, etc. ? , comment on distingue un être conscient, d'une conscience, etc. ?

Il y a 8 heures, Arkadis a dit :

Je ne pense pas que l'attitude de Bergson s'oppose à celle de Kant, du moins le Kant de la CRP (les autres ouvrages ok, il peut y avoir opposition). Dans la CRP Kant précise tout de suite de quoi il parle, et surtout de quoi il ne parle pas : il ne parle pas de psychologie, il ne s'intéresse pas à l'intériorité vu comme subjectivité.

En tout cas, il s'y oppose explicitement s'agissant du temps. Ce à quoi s'attaque Bergson, c'est plus globalement toute idée de grandeur intensive, de degré. Pour lui l'intensité, et notamment celle des états de conscience ne peut être représentée quantitativement, ce qui est possible chez Kant dans la CRP. L'intensité est nécessairement qualitative chez Bergson. 

Ce que vous ajoutez sur ce dont parle Kant dans la CRP me fait aussi réagir. Kant réfute assez explicitement les thèses de ce qu'il appelle la psychologie transcendantale, et de la métaphysique en général, soit en ce qu'elles sont des paralogismes (paralogisme de la substantialité de l'esprit), soit en ce qu'elles constituent des antinomies. Mais là où c'est plus ou moins délicat, c'est qu'il substitue tout ça par une analytique de l'entendement, qui est elle même a priori de l'expérience, et transcendantale, puisque condition de possibilité de l'expérience. Or cet entendement a bien la fonction d'être sujet des sensations, sujet des représentations, sujet transcendantal.  Ce n'est pas tout à fait psychologique au sens où ça ne correspond pas au vécu mais aux intuitions a priori nécessaires au fondement de la connaissance. N'empêche que j'ai un peu de mal à vraiment dissocier totalement les deux.

Il y a 8 heures, Arkadis a dit :

Tout part de l'intériorité, tout transite d'abord par l'intériorité. La perception est toujours intériorité.

Je dirais qu'il est toujours difficile de définir un lieu (je vois l'intériorité comme un lieu), au sein duquel tout part. Évidemment, s'agissant de notre perception, on peut dire que ce qui est donné, transite nécessairement dans un lieu intérieur à nous même. De là à dire que tout vient de l'intérieur, c'est pas évident. Toujours est-il que je trouve toujours  plus commode d'identifier cette intériorité, ce lieu, au corps, puisqu’il correspond à la fois à mon vécu et à la représentation que je me fais de moi même. J'ai du mal à comprendre ce qu'une autre forme d'intériorité pourrait être honnêtement. Bien-sûr, le rapport à son propre corps ne peut pas être le même que le rapport qu'on peut avoir devant un autre corps. Ce que ça fait d'être une chauve-souris, je ne peux jamais vraiment l'éprouver, peut être le simuler à la limite. Il n'empêche que si je cherche un signifiant à l'intériorité, je ne vois pas autre chose que mon corps.

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Neopilina Membre 5 632 messages
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L'instant est une vue de l'esprit : le " tapis roulant " ne cesse jamais de rouler. Le temps n'est pas une succession d'instants. Et si ça arrive un jour, l'univers sera mal en point, pour euphémiser. Le réel est continu.

Modifié par Neopilina
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Membre, Posté(e)
Neopilina Membre 5 632 messages
Maitre des forums‚
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Il y a 12 heures, Arkadis a dit :

Mais la représentation géométrique du mouvement, la courbe dessinée ou imaginée,  n'est en effet pas identique à l'expérience intérieure du mouvement. Les paradoxe de Zénon résultent de cette confusion. Là dessus je suis totalement d'accord avec Bergson.

" Zénon d'Élée. Prolégomènes aux doctrines du continu ", par Maurice Caveing, 1982, c'est moi qui souligne " Il ne sera pas question ici des doctrines philosophiques qui, contestant la solution aristotélicienne du problème, soit dès l'Antiquité, soit à partir du moment où la physique du Stagirite dut céder le pas à la science galiléenne, furent dans l'obligation de tenter de répondre dans leur propre système conceptuel aux objections zénoniennes : tel fut le cas, par exemple, de Spinoza, ou de Kant, ou de Bergson. Il y a là des tentatives d'échapper à la critique de Zénon telle est qu'elle comprise par chacun de ces philosophes, et non pas une recherche de sa signification historique ".

Caveing ne donne que 3 exemples, mais il y en a d'autres. Sans oublier la cohorte de mathématiciens, y compris parmi les plus grands, qui se sont jetés sur les paradoxes sur le mouvement, comme si c'était des énigmes, des défis, des os, mathématiques, ce qu'ils ne sont pas

" On pourrait même soutenir avec quelques fondements que l'intrusion du mathématicien dans la question historique est fréquemment  fâcheuse dans la mesure où il y importe rétrospectivement et anachroniquement des concepts forts élaborés afin de traduire l'argumentation zénonienne en des termes directement maniables par lui, ce qui n'a d'autre effet que de troubler la stricte étude philologique et historique du texte antique ".

J'ai donné un exemple. Sinon, Bergson est absent de la bibliographie de cette littérature sur l'éléatisme, Zénon d'Élée. Personne n'est parfait. En passant. Bergson était l'élève de Felix Ravaisson qui a écrit un ouvrage absolument majeur en langue française, toujours d'actualité, sur la " Métaphysique " d'Aristote : " Essai sur la " Métaphysique " d'Aristote ". C'est un très très grand livre, un classique, éclairant.

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Membre, 60ans Posté(e)
Black3011 Membre 179 messages
Forumeur survitaminé‚ 60ans‚
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J'ai commencé "Les Paradoxes du Temps" ou "L'odyssée de Nihil et Totus à travers le temps" de Laurent DUBOIS (Ed. OUSIA, 1999). Ca promet d'être très délectable !

Extrait de la 4e de couverture : "Il n'existait pas encore d'ouvrage recensant et développant les nombreux paradoxes liés à la notion de temps : paradoxe des jumeaux de Langevin, paradoxe de la "flèche" du temps, paradoxe de l'origine du temps, paradoxe du doublement du temps proposé par Poincaré, paradoxe de la dissolution du temps quantique, paradoxe du mouvement de Zénon, paradoxe du voyage dans le temps...".

Je vous parlerai encore sûrement de l'odyssée de ces deux personnages paradoxaux : Nihil et Totus... Quand Tout et Rien se mettent à papoter !

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