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Doïna

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Membre+, Posté(e)
Doïna Membre+ 19 524 messages
Maitre des forums‚
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Bonjour,

Le mot vient de l'italien "buffone" de "buffa" = plaisanterie.

Leur mission : faire rire, lancer des bons mots, des quolibets, des lazzis, des calembours, faire des plaisanteries, des facéties, des farces, des grimaces, persifler, se moquer, et caetera. Tel était le travail des bouffons de cour, qui entrait en scène le plus souvent pendant les temps de repas, pour égayer les convives.

La mode d'entretenir de tels personnages dans sa demeure nous viendrait des Perses. Quoi qu'il en soit, ils existent depuis l'Antiquité. Les Grecs les appelaient les Gelotopoioi = ceux qui font rire, mais ils provoquent également l'hilarité générale chez les Egyptiens et les Romains.

Et après Jésus-Christ ? L'on tient d'un témoignage de l'historien grec Priscus que le terrible Attila, au V° siècle, avait son bouffon.

Au Moyen-Âge, ils sont toujours dans la place, qui font se poiler si bien la noblesse que le clergé : seigneurs, abbés, évêques... tous veulent leur rigolo privé.

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Chez les princes et les rois, les bouffons, à l'origine simples domestiques, souvent des oligophrènes ou de pauvres enfants handicapés que l'on trouvait comiques, deviennent peu à peu des personnalités plus importantes : souvent pas jojos, disgracieux, contrefaits, ils ne tarissent pas d'inventions, quitte à franchir le pas de la licence, pour que celui qui les paye et les nourrit reste enjoué en ces temps obscurs où l'existence n'est pas toujours très gaie : guerres à répétitions, maladies, omniprésence de la mort, peur de l'enfer...

Mais ce métier de bouffon, car il s'agissait bien d'un métier, n'était pas toujours facile, et si l'on n'était pas né avec un handicap que des puissants pouvaient trouver risibles, que l'on n'avait que la volonté mais pas la vocation de l'exercer, alors il fallait prendre un maître pour se former. C'était qui plus est un métier sans repos, nécessitant l'agilité d'un singe et le souffle d'un cheval. Savoir danser, manier des instruments de musique et avoir assez de mémoire pour conserver tout un répertoire d'anecdotes drolatiques et de chansons paillardes, c'était bien entendu capital. En somme, le bouffon, à moins qu'il n'ait été embauché pour que l'on s'amuse de ses problèmes mentaux (ce qui ne peut évidemment que nous paraître cruel, à nous, gens modernes) le bouffon donc, c'était quelqu'un, c'était un artiste, un vrai de vrai, et qui n'était point bête, en vrai.

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Tous les grands rois : Hugues Capet, Philippe Auguste, et même le grave et pieux Saint-Louis ont eu leur(s) bouffon(s). Charles VI, qui était pourtant le premier fou de son royaume, n'y coupa point lui-même.

Au XIV° siècle, le bouffon, décidemment indispensable, monte en grade : promu au titre d'officier particulier, il est payé sur les deniers royaux. Le premier de la liste fut un certain Geoffroy, bouffon de Philippe le Long. A partir de là, tous les rois de France eurent leur fou attitré, ce qui en fit une fonction des plus recherchées pour qui se savait apte à l'honorer. Celui qui ne faisait pas rire était renvoyé illico dans sa chaumière.

Le bouffon adopte au XV° siècle un look particulier, presque un uniforme : jaquette et culotte bariolées, découpées à angles aigus, bonnet pointu doté d'oreillettes évoquant des oreilles d'ânes et tintinnabulantes de grelots ; enfin, en guise de sceptre, une marotte. C'est en ces atours qu'il est passé dans les archétypes, et nous ne concevons plus un bouffon autrement qu'ainsi vêtu encore de nos jours.

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Un souverain pouvait s'attacher grandement à un bouffon, dépenser pour le vêtir de coquettes sommes, et le pleurer beaucoup s'il advenait à mourir : Charles V fit ériger un superbe tombeau à l'un des siens en l'église Saint-Maurice de Senlis. Le bouffon est, avec cela, le seul autorisé à se foutre royalement et publiquement de la gueule du roi sans encourir de risque.

Or il n'y avait pas que des bouffons, il y avait des bouffonnes, aussi, le contraire eût laissé un vide ! Du moins l'histoire a-t-elle retenu le nom d'Artaude du Puy, folle attitrée de l'épouse de Charles V (encore lui, c'est fou comme on devait rigoler, à sa cour !), et encore de Mathurine, la bouffonne au vert parler de Gabrielle d'Estrée, puis de Marie de Médicis.

Louis XII légua à son successeur François 1er l'illustre Triboulet (d'un ancien mot français -tribol- qui signifie "trouble", "tourment", "confusion"), Triboulet que Victor Hugo immortalisa dans sa pièce Le Roi s'amuse. Brusquet fut un autre bouffon célèbre de François 1er, mais qui s'enrichit énormément sous le règne du sombre Henri II, qu'il parvenait à faire rire à gorge déployée, ce qui méritait bien des gages.

C'est sous Louis XIII qu'un bouffon fut le dernier à bénéficier d'un titre officiel : il s'agit du très effronté et très craint L'Angely, qui n'y allait pas avec le dos de la cuillère lorsqu'il raillait un courtisan, et s'en mit un bon nombre à dos pour ces raisons précisément. Certains préféraient acheter son silence pour avoir la paix, c'est dire s'il faisait peur. Il en fit tant et tant qu'il finit par être chassé de la cour, et que le roi ne le remplaça pas, soucieux de ne pas s'attirer quelque fronde pour une blague de trop.

C'est ainsi que s'achève la grande aventure des bouffons de cour.

Louis XIV s'amusa bien, pour sa part, des pièces de Molière, qui avait repris ce principe de corriger les mœurs en riant de la commedia dell'arte, mais Molière n'était pas un bouffon.

Et maintenant ? Eh bien, nous avons bien eu Coluche, le Bébête Show, il y a encore les Guignols de l'Info, et tant d'autres, à ne pas confondre avec les tribuns tellement d'actualité. Malgré tout, les bouffons, les fous de cour, font toujours pleinement partie du passé, gouvernés que nous sommes par des puissants qui, à leurs heures, se font volontiers bouffons, à l'Assemblée ou ailleurs.

Source

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Membre, forumeur éclairé, 56ans Posté(e)
Lugy Lug Membre 10 224 messages
56ans‚ forumeur éclairé,
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j'aurais parfois envie de dire bouffons du roi, étêtons les reines sleep8ge.gif mais j'ai des principesbiggrin.gif

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Membre+, Posté(e)
Doïna Membre+ 19 524 messages
Maitre des forums‚
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:D C'est d'un goût ! (oups, sans arrière pensée).

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Membre, forumeur éclairé, 56ans Posté(e)
Lugy Lug Membre 10 224 messages
56ans‚ forumeur éclairé,
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c'est gratiné mais j'ai été pris de cour, au pays du progrès et du dauphine libéré, au risque d'y perdre la tête, j'ai la langue bien pendu et le fou rire faucille.

entre le grabataire prince consort et la momie d’Angleterre, je ne peut que m'employé à faire rire les enfoirés et les enfoireines.

biggrin.gif

ce qui est bien quant on est un bouffon c'est qu'on évite de perdre la tête en faisant rire les princes, d’ailleurs même le prince Harris.

biggrin.gif

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Membre, Obsédé textuel, 73ans Posté(e)
Gouderien Membre 38 422 messages
73ans‚ Obsédé textuel,
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Les bouffons n'ont jamais été aussi proches du pouvoir. Il y a des jours, on a même l'impression qu'on en a un à l'Elysée.

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Membre, Détestable Moi, 59ans Posté(e)
ADM Membre 1 635 messages
59ans‚ Détestable Moi,
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Boue et fonds... vaseux et vassal. Étendard du toujours pire que soi... :p

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Membre, forumeuse acharnée, Posté(e)
querida13 Membre 48 906 messages
forumeuse acharnée,
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Nous avons charlie hebdo et le canard enchaîné pour patauger dans les sujets vaseux ....

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Membre, 79ans Posté(e)
Talon Membre 1 722 messages
Baby Forumeur‚ 79ans‚
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"Le fol peut dire le vrai sans risque." Erasme

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Membre+, Posté(e)
Doïna Membre+ 19 524 messages
Maitre des forums‚
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Le bouffon Brusquet : d'origine provençale, initialement médecin, il exerça au camp d'Avignon mais fit tant de victimes par son ignorance qu'on l'avait destiné à la pendaison quand le dauphin eut pitié de lui et le prit à son service. Brusquet obtint la place de maitre de poste à Paris. Il remplaça Triboulet à la cour de François 1er, et fut également le bouffon d'Henri II. Il demeura bouffon jusque sous Charles IX mais, en 1562, dut fuir, soupçonné d'être huguenot. Il mourut l'année suivante.

Brantôme a raconté de ses tours dans son œuvre : Au cours d'une fête un maréchal comparait devant le roi dans ses beaux atours : il porte un manteau de velours noir brodé d'argent. Brusquet ramène de la cuisine une lardoire et des lardons, en fait un ornement un peu spécial qu'il accroche discrètement dans le dos du maréchal. "Sire, ne voylà pas de belles aiguillettes d'or que M. le mareschal porte à son manteau ?" demande le bouffon au roi qui s'esclaffe en voyant l'officier de dos, ainsi paré.

Pour se venger, le maréchal, qui savait que Brusquet était avare, employa des gens pour faire disparaître toute sa vaisselle d'or : le but était de lui faire croire qu'il avait été volé. Evidemment, cela n'amusa pas le bouffon, et le maréchal le laissa se lamenter sur sa vaisselle un bon moment avant de la lui rendre.

Brusquet se vengea en coupant le crin et la moitié d'une oreille à sa monture. Et puis il le convia lui et ses hommes à un banquet où il leur servit des pâtés farcis de vieux mors de bride, de sangle, de pommeaux de selle, etc.

Le maréchal se vengea à son tour : il vola son mulet, une bête que le bouffon aimait beaucoup, en fit faire des pâtés, et l'invita à les manger. Le bouffon les trouva très bon et s'en goinfra. A la fin du repas, on lui apporta la tête de son mulet sur un plat. Brusquet en fut malade.

Une fois, la reine eut envie de rencontrer l'épouse du bouffon, qu'elle n'avait jamais vue. Brusquet se travestit en mariée et se présenta à elle en mimant la jeune fille timide, ce qui fit beaucoup rire. Mais la reine insista pour voir son épouse, Brusquet la prévint qu'elle était sourde et qu'il fallait parler très fort pour qu'elle entende. Avant d'envoyer sa femme devant la reine, Brusquet lui dit la même chose : que la reine était sourde et qu'il fallait parler très fort pour qu'elle entende. De fait, quand la reine et madame Brusquet se rencontrèrent, toutes deux se mirent à parler aussi fort qu'elles le purent, si bien qu'on les entendit dans tout le palais. Le maréchal d'Estrozze, flairant la plaisanterie, exigea que les deux oreilles de madame Brusquet soient soignées au son du cor, comme à la chasse. La pauvre madame Brusquet revint de chez la reine toute étourdie, et demeura estropiée du cerveau et de l'ouïe pendant un mois.

Pour se venger, Brusquet fit passer d'Estrozze pour le diable auprès de deux moines cordeliers, qui acceptèrent de l'exorciser. Alors que le maréchal était tranquillement assis dans sa chambre, en train de bouquiner, les deux cordeliers firent irruption, l'aspergèrent d'eau bénite, commencèrent à réciter des oraisons, l'empêchèrent de se défendre alors qu'il se débattait pour se saisir de son épée. D'Estrozze s'en plaignit par la suite à l'inquisiteur : Brusquet fut mis aux arrêts, passa plusieurs jours en prison, et n'échappa au jugement que parce que le maréchal alla le rechercher avant.

La liste n'est pas finie. Comme vous pouvez le constater, un bouffon ne faisait pas toujours des blagues de très bon goût, mais en échange il pouvait en baver. Ce qui était considéré comme de l'humour à l'époque ne serait perçu que comme de la bêtise ou de la grossièreté de nos jours.

Si le sujet vous intéresse, je vous recommande ce livre :

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"Le Sceptre et la marotte, Histoire des bouffons de cour" de Maurice Lever.

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Membre, 47ans Posté(e)
Maxence22 Membre 8 799 messages
Forumeur accro‚ 47ans‚
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Le fameux Triboulet où le roi lui demanda de quelle façon il voulait mourir après avoir outrepassé la consigne de roi de ne pas railler les dames de la cour: "Je voudrais mourir comme un vieil homme, de vieillesse". Sa présence d'esprit lui évita la mort. Il fut alors banni.

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