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Vous vous réveillez en sueur et dans le noir. Quelque chose ne va pas. Une sensation diffuse; l'oppression vague et la certitude qu'il y a là une Présence. De longues secondes pour deviner les contours des objets dans la pièce, ciller la pénombre. Vous redoutez que l'une des formes soudain s'anime; vous redoutez que tout s'envenime. L'impression ne part pas; le front est en nage — par fièvre ou terreur. Est-ce la maladie? Un grand haut-le-cœur vous interroge encore. — La sensation d'une mort imminente. Pourtant vous vivez. La paralysie s'amenuise; vous vous redressez. Les draps sont lourds — trempés... comme dans un cauchemar. Chaque mouvement vous donne l'impression de voir flou; une torpeur étrange qui étreint tous les membres du corps. Une enclume silencieuse sur laquelle s'abat, régulier, le marteau de l'éveil, rythmé... rythmé par vos battements de cœur! Le sang est-il si lourd? Les yeux ne s'habituent pas à la pénombre — les pupilles n'obéissent plus aux lueurs. Tout est incertain et se trouble encore, par palpitations. Par contre... votre odorat semble vif et affiné. Il perçoit tout dans la pièce et même au-delà; aiguisé, il distingue chaque nuance enveloppant la bâtisse et les bois. Chaque touche boisée, chaque feuille de pin en aiguille... les dernières notes de l'encens de la veille; commiphore, huiles essentielles d'orange et d'agrumes orientaux — yuzu, pomelo... le vernis passé il y a des mois sur le meuble en acacia flotte encore quelque part dans l'obscurité. La gouache séchée sur de vieilles esquisses. — La sueur sur le lit, bien sûr...; mais il y a une autre fragrance dans la pièce. Le sens accru capture aisément ce parfum peu familier qui trahit la présence; l'odeur si subtile ne peut pas se dissimuler tout à fait: le soufre et le fauve. Vous vous rappelez... — Vous aviez pris l'une des cartes, face retournée, au hasard. Le vœu et la question ont été formulés intérieurement — mais dans le silence, c'était un son clair, une proclamation solennelle à l'intérieur du crâne. Vous aviez attendu — l'instant avait revêtu un aspect sacré, cérémoniel. Chaque seconde amplifiait la signifiance du choix — alors même que la carte était, elle, déjà entre vos doigts. Il fallait la retourner et enfin découvrir l'énigme et l'oracle. Votre main finit par trembler, vous vous en rappeliez bien. — Maintenant aussi, vous revoyez l'arcane. XV — Le Diable. Et cette nuit, le Diable était venu.
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Hier il a neigé, Aujourd'hui, givré, Demain les postiers Viendront s'y frotter. L'un glisse et sourit; L'un choit et se plie; L'autre pousse un cri, Au sol les grands plis. Et puis les danseurs Qui tous skient sans heurts Tous bien avant l'heure: Ceux-là rient sans pleurs. Ils sont venus tôt, En file comme des pros, Se cassent le dos, Repartent au galop. Et si vous voulez Un heureux courrier, Belle matinée Pour créer le papier.
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À chaque fois, c'est seulement une fois l'avion posé que le véritable voyage commence. Ce n'est pas que je n'aime pas voler — tout en admettant qu'à chaque fois que l'on décolle, l'on se demande si c'est cette fois-ci que surviendra une catastrophe — mais plutôt qu'avec l'habitude, les intérieurs aseptisés finissent rapidement par tous devenir le même. Ils se diluent et se confondent entre eux, pour n'en former au final qu'un seul, indistinct, lisse, une salle d'attente où l'on patiente jusqu'à en perdre la notion du temps. Les mains crispées lorsque l'avion atterrit, les jambes qui s'engourdissent; même en ayant troqué l'économie pour la classe affaires les mêmes sensations revenaient. Tout de même, l'on y mangeait mieux. Mais voilà que l'on était à destination. — L'air frais! — Oui: c'était là, une fois sorti, inspirant un air qui avait un je ne sais quoi de différent, et entendant des bribes de conversations en langue étrangère (toujours trop rapides pour n'en comprendre plus que quelques mots), que le voyage commençait. Là, à chaque fois, le trajet jusqu'à l'hôtel serait la confirmation d'être enfin ailleurs. Et à chaque fois, je me sentais enfin moi-même, ayant choisi d'être ici plutôt qu'autre part; naviguant avec plus ou moins d'aisance le dédale de signes dont je devais souvent deviner le véritable sens. Au moins, cette fois, je n'aurais pas à balbutier quelques mots en danois à un agent du tramway, ni un espagnol incertain aux douanes. L'horloge interne déréglée, l'on avait toujours l'impression d'arriver juste au crépuscule. Ici aussi, il fallait prendre un train, changer de station, marcher un peu, contourner une rue pour se retrouver dans l'avenue large où se trouvaient les grands hôtels. Je préférais cela à un simple trajet en taxi — il me fallait sentir l'air frais, improviser les directions, voir ceux qui habitaient la ville sur leur trajet routinier. Une liberté avant le protocole. L'on entendait "Bonjour Monsieur" dès la porte, le personnel était courtois et soigné. Le hall d'entrée de ces endroits est toujours gigantesque, haut de plafond; sur le côté, de grands espaces ouverts aux fauteuils confortables. À l'accueil, quelques formalités, l'on confirme la réservation. — Avez-vous fait bon voyage, et vous êtes au quatrième étage. Il me semble avoir déjà entendu exactement les mêmes mots. La chambre est grande, agréable. Comme toujours, le lit est immense, avec trop de coussins. C'est sans doute pour que l'on choisisse celui qui plaît le plus. Plusieurs canapés et fauteuils autour d'une table basse en verre; un meuble qui peut servir de bureau à côté du lit, et encore un autre à la fenêtre. Il faut que toutes ces chambres soient multifonctions: l'on ne sait pas s'il s'agira d'un voyageur solitaire, d'un couple en quête d'aventure, ou de quelque discrète réunion d'affaires. Je fais couler un bain chaud. Il suffit d'y rester vingt minutes, et de s'engouffrer une fois sec dans les draps du grand lit, pour aussitôt s'endormir. Les muscles las disent directement au cerveau que le sommeil est proche — ça ne se passe même plus consciemment. — Une habitude utile! — Un, deux, trois: et je dors profondément, sans même un rêve. * * * Je me réveille. Combien de temps s'est-il passé? — Impossible de le ressentir. Au-dehors, la Nuit. Je ne sais pas si elle finit ou si elle débute; néanmoins, je sais que je ne pourrais pas dormir plus. L'heure reste incertaine. Je me sens éveillé et bien présent. Capturé par cette heure d'entre-deux. Je ne vais pas faire les cent pas dans la chambre — mais pas non plus arpenter l'avenue vide, en pleine nuit, pour admirer les néons! Il reste bien autre chose. J'attrape l'une des brochures élégantes laissées sur la table. Services — Déjeuner — Restaurant — Plans — ... Il y a un Bar, qui sert même thé et café à toute heure. C'est décidé: je m'y aventure. Sensation étrange que d'arriver au bar, après avoir arpenté des corridors tous vides, et d'y voir rassemblées quelques personnes! Tous s'y sont abrités. Les voyageurs nocturnes sont tous différents, et chacun est seul. Le barman, hiératique, essuie quelques verres. Il est brun et se tient très droit; est-il trentenaire? Difficile de l'affirmer; son air ténébreux doit lui attirer beaucoup de succès, à d'autres heures. À une table proche, une femme dans une robe élégante, couleur prune. Elle doit avoir trente-cinq ans. Certaines touches du léger maquillage trahissent une habitude à évoluer dans les milieux aisés; on ne sait pas vraiment identifier ce qui précisément donne cette impression, mais c'est quelque chose qui émane subtilement à la fois du tracé du sourcil, et d'une pommette trop saillante qui trahit une légère injection. Pourtant, de temps en temps elle vérifie qui est là — et l'on se demande si elle attend quelqu'un en particulier, ou un certain profil. Elle retourne alors à un livre de poche dont les pages tournent trop vite. Au bar, deux jeunes hommes sont absorbés chacun par quelque chose dans leur téléphone. On ne sait pas vraiment s'ils sont venus ensemble ou séparément; tous deux ont simplement retiré leur cravate, et gardé la veste bleu marine que possède chaque cadre et chaque consultant. Parfois l'un sirote un alcool fort sans décoller le regard de l'écran. Est-ce un dossier à étudier avant l'échéance du lendemain, est-ce un jeu d'adresse — l'on ne devinera pas. — Dans un coin plus éloigné, un homme plus âgé et qui lui n'est pas en costume étudie une pile de feuilles, stylo à la main. Il doit avoir la cinquantaine. Il porte des lunettes sans monture, seyantes, et a un air académique. Peut-être participe-t-il à un colloque — histoire, pharmacologie, les notes sur les pages doivent témoigner de l'une de ces possibilités. Ou peut-être présenteraient-elles l'enquête d'un journaliste d'investigation, attendant l'arrivée d'un certain chef d'entreprise pour conduire une entre-vue dont les buts ne seraient pas tous dits. Il y a un homme en costume, barbu et presque chauve. On ne dirait pas le représentant typique envoyé par la compagnie. D'un coup, il me rappelle quelqu'un que j'ai vu dans un vieux documentaire espagnol. Ils avaient la même tête. C'était un trafiquant qui rencontrait des collaborateurs et des clients dans ce type d'hôtel. Je me souvenais bien du personnage: d'origine gitane, de nationalité néerlandaise, et pourtant un nom de juif séfarade. Il parlait d'armes et de filles comme s'il s'agissait de la même marchandise, et dans la même phrase pouvait formuler à la fois un prix et une menace discrète. Si je m'étais retrouvé par hasard avec lui, c'était que des choses illégales se tramaient ici. Mais ça ne peut pas être lui, le reportage date de plusieurs années, presque dix. J'ai dû le regarder un peu trop: l'homme me voit, me sourit en levant son verre, et m'invite par un signe à le rejoindre. Et autant se jeter dans la gueule du loup! — "Bonjour ; ou Bonsoir", fis-je. "À vrai-dire, je ne sais pas du tout l'heure qu'il est". — "Moi non plus", rit-il. Dès les premiers mots, quelque chose à l'intérieur de moi soupire: l'homme n'avait pas du tout la même voix que celle du trafiquant du documentaire. Et son visage est plus expressif. — "Jack Byrne", se présente-t-il. Je lui dis mon nom, nous nous serrons la main. Le contact passe; agréable surprise que de partager une discussion amicale avec un inconnu! Rapidement, il me demande s'il peut m'offrir quelque chose à boire. Je n'accepte qu'à la condition qu'il ne s'offusque pas que ce soit sans alcool. Gin-tonic sans le gin? Sirop, ou simple café? Difficile de choisir parfois. Lui a beau demander un second verre de bourbon, son visage et sa voix ne trahissent aucune ébriété — pas même une trace. Je me surprends à me demander s'il a un métabolisme entraîné, ou si c'est un facteur génétique. Les autres voyageurs sont tous absorbés par ce qu'ils font; bien que nous ne parlons pas très fort, quiconque tendrait suffisamment l'oreille pourrait plus ou moins suivre la conversation, ou tout du moins en recueillir quelques renseignements. Pour cette raison, je reste sur mes gardes; il ne s'agit pas de trop dire. Je me rappelle de ces histoires où un certain service écoute attentivement ce que se racontent les clients des hôtels du centre-ville. Tout serait discret et avec la permission du personnel du moment que ce soit invisible. Certains lieux sont de vrais nids à espions. Jack me dit travailler pour une société dont je ne comprends pas l'activité, même après ses explications utilisant trop de mots anglais; du reste, ce n'est pas bien grave, parce que nous parlions plutôt des villes que nous avions visitées. Il y avait Copenhague, il y avait Paris bien sûr; plus étonnamment, il y avait Astana. — "Vous êtes allé au Kazakhstan!" — "Une seule fois, et je n'ai pas eu le temps de beaucoup visiter. Nous avions rendez-vous avec un client": ma réponse laconique. Il me dit que la ville avait maintenant changé de nom: la capitale s'appelle désormais Nur-Sultan, en hommage à l'oligarque. Je me rappelle des articles d'il y a quelques années au sujet de Nazarbayev. Il y était question de ses opposants politiques; n'y en avait-il pas même un qui s'était réfugié en France, pour éviter des poursuites quant à un détournement de fonds dont personne ne saurait au juste s'il s'agissait de véritables manigances ou d'une raison bien utile pour se débarrasser de lui? — Son nom me vient soudain à l'esprit. Il me semble qu'il s'appelle Abliazov. Ç'avait été une suite d'histoires rocambolesques; ne se sentant plus en sécurité en Russie, arrêté avec un passeport de la République Centrafricaine qui aurait pu être un faux, un homme à la tête de plusieurs trafics. Cela me rappelle les histoires du séfarade qui lui opérait en Ibérie et à Chypre. Cela commence à faire beaucoup de coïncidences, tiens. — "C'est amusant, nous sommes allés au même endroit, mais pas au même moment. Nous aurions pu nous y rencontrer". — "C'est aussi amusant qu'à côté de ces destinations plus rares, nous ne nous soyons pas croisés plutôt à Barcelone. D'ailleurs, figurez-vous que malgré tous ces voyages, je ne suis jamais allé en Espagne, par exemple. Pourtant c'est juste à côté" : j'avais lancé l'hameçon. Le résultat arrive aussitôt: "Vous devriez venir! J'y suis tout le temps. J'ai des origines espagnoles!". — "Vraiment? Mais votre nom — Byrne — ne le trahit pas!" — "Celui-ci est d'origine irlandaise. Cela vient de Bran, un prénom celtique, comme dans l'épopée de Bran mac Feabhail. Mais je n'ai rien d'irlandais, mon père était espagnol et ma mère tchèque". — "Voyager doit être de famille", fais-je étonné. Des parallèles inattendus entre des personnes si différentes et pourtant avec les mêmes traits de visage. Est-ce que les mêmes facteurs dictaient à la fois l'apparence physique de quelqu'un, et ses accomplissements? Cela a souvent été cru, au cours de l'histoire, bien que maintenant une telle théorie soit reçue avec ridicule par les scientifiques. Les anciens tentaient d'expliquer cela par l'influence des astres ou de quelque facteur génétique, ou encore géo-magnétique; les modernes se contentaient de dire que le hasard était drôle. À part cette ressemblance il n'y a pas lieu de penser que Jack travaillait dans l'illicite. Plus je me perds dans ces pensées, au fur et à mesure de la conversation, plus celles-ci bifurquent et naviguent, imaginatives... Nous échangeâmes nos cartes professionnelles. Je ne sais pas combien de temps s'est écoulé. L'un des deux jeunes hommes semblait sur le point de s'endormir; au contraire, l'homme plus âgé était infatigable, toujours penché sur ses feuilles et griffonnant des notes au stylo. La femme, elle, paraissait fatiguée; elle avait troqué le livre pour un verre de vin, attendant toujours quelqu'un ou quelque chose. Tous étaient dans ce hiatus — entre deux lieux — entre deux heures. Tous à l'attente. Je préférai retourner à ma chambre plutôt que d'être comme capturé moi aussi par cet endroit. Je pris congé et saluai le barman d'un signe de tête. — Les couloirs de l'hôtel étaient vides. Partout ils étaient éclairés, toute la nuit durant, d'un ton sépia qui n'était pas tout à fait tamisé; cela accentuait leur solitude. Nul bruit ne me parvenait des portes: on ne savait pas si l'hôtel était occupé ou vide. Autre sensation étrange que de finalement ouvrir la porte de sa chambre et d'y retrouver, sous une lumière faible, les quelques affaires exactement au même endroit où l'on les y a laissées! Comme un déjà-vu; comme si on avait quitté la pièce cinq minutes ou cinq heures ou les deux à la fois. Au dehors, il faisait encore nuit et les rues étaient tout aussi vides. Peut-être qu'en lisant un roman au lit je trouverais à nouveau le sommeil. Les écrans ne s'y prêtent pas aussi bien... mais une fois allongé la curiosité me poussa à rechercher sur le téléphone de nom de la compagnie de Jack Byrne, maintenant que j'avais sa carte, qui prouvait bien que je n'avais pas imaginé la rencontre et rêvé la scène du bar. Tiens! L'homme était complètement international. C'était une entreprise cypriote. — En m'endormant, le polar dans les mains, je me demandai s'il n'y aurait pas prochainement un autre documentaire — un nouvel épisode. * * *
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Il a neigé — encore et encore. Ensevelir le froid paysage Comme le ferait le croque-mort, Cachant à la hâte le vieux corps. Je me souviens de ton visage, De tes rires et couleurs d'alors. Aujourd'hui est venue la grisaille, Avec un calme d'outre-tombe, La neige sur les crêts et la combe, Telles qu'au jour de tes funérailles.
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La lumière du jour inondait la pièce dès les heures les plus matinales, à cette époque-ci. Quelle curiosité: c'était une période de vacances, et pourtant je me levais encore plus tôt que d'habitude, et sans alarme! C'était un plaisir énergisant que de se tenir devant la grande fenêtre, et d'admirer le paysage au-dehors encore couvert de neige. À petites gorgées, un premier café, presque brûlant. Là-bas, les collines blanches étaient belles et froides. Les branches des arbres encore épaissies par la neige... Comme il n'y avait pas de vent aujourd'hui, tous les arbres gardaient leur aspect hivernal, saupoudrés. Au contraire, à l'intérieur, il faisait chaud. Le chalet avait été bien construit; la seule pièce qui reflétait le temps au-dehors était le minuscule hall devant la porte d'entrée, une sorte de sas, antichambre du dehors. Cela ne faisait que quelques jours que nous étions arrivés, mais déjà je prenais goût à cette routine, qui présageait de deux semaines reposantes. — Karine arriva et se tint à côté de moi, café fumant en mains, pour apprécier le paysage elle aussi. — "Bonjour!" — "Bonjour", répondis-je avec une bise. Nous: nous étions quatre. Il y avait Karine et Hugo, son petit ami de longue date; il y avait moi, et Yann, avec qui nous venions d'établir que nous étions bel et bien ensemble, après s'être tant tournés autour, préférant tout d'abord profiter et ne rien définir. Un double rendez-vous, donc. — Le fameux "double date". — Nous nous connaissions tous suffisamment pour savoir que nous passerions un bon moment ici; ce ne serait pas comme ces films américains où le groupe d'ami semble se détester dès qu'ils se retrouvent. Les garçons dormaient encore. Ceux-là préféraient des vacances où la grasse matinée s'allonge de jour en jour. D'un côté c'était un peu embêtant, cela réduisait le temps que l'on passerait ensemble; d'un autre, c'était aussi agréable de retrouver Karine les matins, et de converser comme avant. D'ailleurs eux-mêmes devaient bien s'entendre, étant donné à quelle heure ils s'étaient finalement couchés hier soir! Ç'avait été une soirée un peu étrange. Ils avaient fait de la musique sur des percussions improvisées; nous les avions accompagnés en chantant à tue-tête tout ce qui venait à l'esprit. Parfois les quarts de tons étaient voulu — j'étais habituée à certains maqamat — mais parfois c'était une dégringolade-surprise qui finissait alors en rires. Ils avaient joué à cache-cache, aussi. Le chalet n'était pas bien grand! Et pourtant Yann arrivait à dénicher de meilleures cachettes que Hugo. À la fin de la nuit, nous nous étions racontés des histoires de fantômes. Peut-être qu'ils cherchaient à nous faire des frayeurs pour que l'on vienne se blottir contre eux. En tout cas, cela avait dû fonctionner: ils dormaient toute la matinée. Ou peut-être avaient-ils poursuivi la nuit avec un autre jeu. Nous restions là, à côté l'une de l'autre, buvant tranquillement, admirant la sérénité de l'absence de vent. Tout était si calme. — "Je suis contente que l'on se retrouve entre nous. Parle-moi un peu de ce que tu écris! Tu imagines toujours tant d'aventures", me dit Karine. Je souris. Je n'avais pas entendu de mots comme cela depuis longtemps, et... Et? ... Je réalisai soudain: une légère tension sur le menton, la mâchoire qui tremblote... souvent les plus fortes émotions viennent sans prévenir, affleurées par presque rien; toutefois profondes et puissantes. Quelques instants plus tard, je ne savais pas pourquoi j'avais failli pleurer. Je n'étais pas triste, et ce n'était pas non plus une surprise joyeuse et inattendue: non, c'était juste ce sentiment d'être là, dans le moment présent, en compagnie de quelqu'un pour qui je comptais. — Mais je m'étais ressaisie après un premier silence, et nous commençâmes à parler de nos projets. Elle était à un croisement de sa vie; hésitant entre plusieurs voies. Quelle différence, souvent, entre les études que l'on fait et le premier travail! Elle avait passé des années à réviser telle et telle notion économique, et maintenant elle évoluait dans le milieu de l'hôtellerie. Il y avait plusieurs possibilités et le "bon choix" n'était pas évident. Parfois cela tient plutôt de heureux hasards. Alors cela lui plaisait de ne plus y penser pendant un moment, et d'écouter plutôt toutes les fictions que je me construisais. Des histoires de détectives et d'agents secrets. J'avais commencé à jouer avec l'idée de débuter un projet plus ambitieux: un roman qui ferait évoluer dans de sombres intrigues quelques personnages récurrents, comme le commissaire Micmac. Peut-être trouverait-il en enquêtant sur les comptes d'un gîte en montagne des lignes suspectes, qui trahiraient que le lieu paisible est en fait une plateforme du crime international. L'heure passait. Après le café, il était temps de prendre une longue douche. * * * Décidément Yann ne voulait pas se lever aujourd'hui. Je retournai dans la chambre. Avec la lumière du jour, l'atmosphère était tout autre que durant nos soirées tamisées. La pièce était assez petite — la plupart de la surface du chalet était prise par les salles communes, plutôt que les deux chambres. Le lit défait prenait la moitié de l'espace. Grande bosse immobile sous les draps: dormait-il encore? Avait-il bu, se sentait-il bien? J'hésitais entre sauter sur le lit pour le réveiller d'un coup, ou m'y glisser et d'user de la manière douce: un câlin compléterait bien le matin... — Je m'approche. Une main se faufile... rien? Je ne sens que les draps. — Intriguée, je repousse doucement la couverture. S'est-il tapi tout au fond? ... Plus j'enlève de couverture, moins je vois de dormeur. Il n'y a personne ici. Il s'est déjà levé? Il a dû être bien discret, nous n'avions entendu aucun bruit depuis tout à l'heure. En tout cas, une chose est sûre, il n'est plus dans la pièce. Je vais voir la salle de bains. Personne non plus. Confuse, je vérifie même si quelqu'un s'est caché dans la baignoire. — Évidemment, non. Personne. Dans la pièce principale, Hugo à demi-réveillé mange des céréales, le regard dans le vide. Je pense qu'il ne fonctionne pas encore. Inutile de lui demander. Karine, elle, est assise sur le canapé et lit un roman policier, son café à portée de mains pour de régulières pauses. — "Karine... Tu as vu Yann? Il n'est pas dans la chambre." — "Il n'est pas dans la chambre...", fait-elle d'un ton inquiet. — "Je me demande où il a pu passer. Il n'est pas dans la salle de bains, il n'a pas pu sortir quand même!" Elle me fixe un moment, silencieuse; on n'entend que quelques sons de céréales qui craquent. Comme pour en trouver la supposition drôle, elle esquisse un sourire: "Mais non, il n'est pas dehors." — Je ne sais pas quoi dire. Il doit y avoir un voile d'incompréhension sur mon visage. Finalement je réponds d'un ton qui aurait dû être amusé, mais rendu monotone par angoisse — "Il n'est pas encore en train de jouer à cache-cache, tout de même". Pourtant c'est Karine qui alors paraît bien plus inquiète que moi. Elle s'approche et me pose la main sur l'épaule. — "Flo... Est-ce que tu vas bien? Est-ce que... Je veux dire... Tu te souviens?" — une pause... — "Est-ce que tu te rappelles que toi et Yann, vous n'êtes plus ensemble depuis un mois? Non, non, écoute... Vous deviez venir tous les deux. Mais vous vous êtes séparés. Alors tu es venue avec nous, Flo. Tu n'es pas venue avec Yann. Il n'a jamais été ici." La tête me tourne. C'est l'émotion de tout à l'heure qui revient. Le menton qui se crispe. Il me semble que tout est devenu flou.
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Bonsoir, cela faisait un moment J'espère que tu vas bien. Ah, la chance et la malchance à la fois, d'avoir les rêves malléables par la dernière lecture du soir! Ne t'en fais pas, le prochain texte qui va bientôt arriver aura une toute autre atmosphère.
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— "Mais enfin, c'est ridicule". L'homme qui venait de porter le jugement était le détective McAron, un collègue de longue date. Son expérience dans le milieu n'était plus à prouver. Sûrement était-elle à l'origine de cette propension à se déclarer avec hâte en faveur de telle ou telle hypothèse, souvent sans hésitation; par mots incisifs, il tuait une théorie, proposait un autre angle, toujours affirmatif. Ç'aurait été irritant si je ne savais pas que ce n'était qu'une façade cavalière, et qu'avec ces déclames il cherchait surtout à se convaincre lui-même. De plus, il l'avouait sans problème: c'était juste sa manière de réfléchir. Lutter contre ses premières impressions était un exercice. Patient, je repris: — "Considérez ça juste un instant. Que savons-nous? Nous savons que F. H. a passé le plus clair de son temps, l'an dernier, chez le fameux notaire. Nous savons que le notaire a été impliqué — par de multiples occasions! — dans des affaires dont toutes impliquaient, d'une manière ou d'une autre, une personne aux R.G. . Lundi dernier, au cours de la même nuit, un vol par effraction est commis chez F. H., l'un de ses tableaux; et une même "visite" est menée chez le notaire, sans que là rien cependant ne soit subtilisé. Vrai ou faux — toujours est-il que c'est ce que celui-ci affirme. Une frégate que nous savons utilisée par les services part la même nuit du port de Marseille. L'aconier fait état de grandes boîtes — approximativement de la même taille qu'une toile, c'est lui-même qui nous a donné cette précision." Le détective hoche la tête, bougon. Notre marche s'était quelque peu ralentie, et par grands gestes je ponctuais les faits pour en souligner l'importance. — "Certes, certes! Mais le reste de votre "théorie"? " — "Le tableau était récent, F. H. n'en a donné que la plus vague description; je suis d'avis qu'il avait quelque chose à cacher." — "Pourquoi pas — mais des vols de toile, cela arrive tout le temps. Au marché noir, moins l'œuvre est connue, plus elle a des chances de se vendre sans que le bénéfice ne s'en ressente. Il n'y a pas de lien prouvé entre le vol et le navire. Entre Avignon et Marseille, il faut quoi? Une heure à peu près? Le timing est trop juste: l'invité-mystère ne serait resté dans la demeure qu'à peine une minute. Combien de cambriolages dans toutes les bourgades à proximité dans la même nuit? Nous ne le savons même pas. Et puis: admettons que les deux événements sont liés; le reste de votre théorie?" — "C'est justement la rapidité de la subtilisation qui m'a mis sur la piste. Même la porte brisée ne fait pas sens: qui aurait immédiatement trouvé la véranda, pourtant bien abritée des regards, fracturé le carreau pour en tourner la serrure, s'aventurer dans un dédale de pièces et d'antichambres sans se perdre et comme en ligne droite vers le bureau, pour en prendre juste une toile bien précise — sans, je vous le rappelle, vérifier les tiroirs, fouiller les papiers, prendre l'une des statuettes de sa collection, ni même explorer les bijoux de madame. Pourtant, des choses de valeur, ça n'était pas difficile à trouver là-bas, nous l'avons bien vu. Bref: le voleur savait exactement ce qu'il devait prendre, où, quand et comment. À mon avis, la porte n'était même pas fermée. Peut-être même que c'est F. H. lui-même qui lui a confié le paquet, et que l'inconnu a eu tout le temps pour filer vers Marseille pendant que F. H. brisait le carreau lui-même." — "Et pourquoi cet objet précis?" — "C'était bien qu'il ne s'agissait pas d'un tableau, mais tout simplement d'un message. Je pense qu'il y a des documents cachés dans le cadre, ou qui sait, peut-être même des microfilms imprimés sous la couche de peinture. Toujours est-il: l'information est ramenée jusqu'au port, le destinataire averti sait immédiatement de quoi il s'agit et a dû recevoir l'instruction de larguer les amarres, ce qu'il fait derechef. Tout cela a du sens si l'on admet que F. H. n'est pas à la retraite, mais au contraire a gardé un rôle-phare dans tel ou tel groupe affilié aux services." — "Je persiste à croire — et s'il vous plaît, ne le prenez pas mal — que vous vous êtes plutôt façonné une nouvelle théorie du complot." Nous nous arrêtâmes machinalement une fois arrivés à la place qui bordait la vieille ville. Comment ne pas comprendre son point de vue? Il est vrai que les liens entre chaque élément du puzzle ne consistaient en rien des preuves. Chaque événement aurait pu être indépendant. L'intuition, toutefois, refusait de s'incliner pour l'instant. Je ne pouvais pas imaginer qu'une même trame ne connecte l'ensemble, et le simple fait que la chronologie soit possible s'invitait à penser qu'elle fût donc nécessaire. Avec un silence et un sourire, j'invitai McAron à partager un café à quelque terrasse de la place. L'après-midi était ensoleillée et agréable, et nous avions bien le temps de boire quelque chose de chaud après toute cette marche. Nous nous dirigeâmes vers l' "Échoppe". La place était fort fréquentée à ces heures, et quelque passant observateur aurait pu remarquer certaines de nos habitudes qui trahissaient le métier: le choix d'une table en terrasse, dos au mur et face à l'entièreté de la place; l'un de nous étant resté dehors le temps que l'autre fasse signe au garçon; le regard qui vérifiait avec régularité chaque rue et ruelle attenante. Lorsque quelque conversation prenait du volume, le fait de ne pas forcément regarder ceux qui y prenaient part, mais ceux-là, autres, qui s'étaient tournés vers le groupe, et trahissaient ainsi en avoir compris des bribes. Un jeune homme nous amena deux cafés, serrés, et la note. McAron allait boire le sien encore brûlant. Pourquoi voulait-il tant se faire mal au palais? De mon côté, j'avais développé l'habitude de maintenir la coupelle d'une main, la tasse de l'autre et, comme s'ils étaient liés par une chaîne invisible, de les mouvoir ensemble, l'une au-dessus de l'autre, de la table jusqu'aux lèvres. Les tables proches de la nôtre accueillaient touristes et étudiants; parmi les conversations en français et en anglais, des tranches de vie se dessinaient. Nous étions plutôt silencieux. Il fallait savoir profiter d'un répit, les quelques mots laconiques n'étaient donc pas pesants. Au contraire, parfois nous communiquions d'un sourire, ayant entendu quelque mot d'esprit à côté. — "Tiens, justement", fit-il. Il pointa une fenêtre à l'autre bout de la place. L'immeuble du toit à la porte reflétait le ton sévère de ces anciens hôtels transformés en collections de cabinets d'avocat. Comme aucune fenêtre ne semblait se démarquer de cet air grave, je lui demandai ce qu'il voulait dire. Troisième étage, deuxième à droite — si point d'erreur. Il s'agissait là du cabinet de X., l'un des anciens avocats de F. H. . Amusante coïncidence, mais qui ne nous apportait aucun nouvel élément sur l'affaire. En promenant le regard le long de l'immeuble, je la remarquai enfin. — "Regardez", lui indiquant à mon tour le détail qui dénote. — "Trop éloignée de la terrasse pour être avec les touristes". J'acquiesce. — "Étrange, ça n'a pas l'air de la maison, non plus". À proximité de la porte, la forme sombre d'un carton, manifestement abandonné. Certains touristes oubliaient leurs bagages, mais aucun avocat ne laissait traîner un carton à demi-ouvert à deux pas de son lieu de travail. J'eus un mauvais pressentiment. En un regard, il me comprit. Nous décidâmes de faire signe au garçon, et lui montrâmes le colis oublié. Il allait s'apprêter à traverser la place pour y jeter un œil, mais je l'en empêchai de justesse. Je comprenais qu'il ne s'agît là peut-être que d'une fausse alarme et d'un carton vide, mais je n'allais pas le laisser le prendre à pleines mains au cas où mon mauvais présage se confirmât. Appeler la police, créer un périmètre, certes un casse-tête pour un restaurateur de la place. Ça allait faire fuir la clientèle et attirer les curieux. — Et, de fait, nous n'eûmes même pas le temps de terminer notre signalement: un cri strident résonne de là-bas. Un cri qui me rappelait des choses que j'avais voulu oublier. McAron, lui aussi, immédiatement comprit de quoi il s'agissait. Un ordre pour le garçon d'appeler immédiatement les autorités, et nous nous ruâmes vers l'immeuble. Mon collègue brandit un badge et en quelques mots brefs empêcha quelques curieux de trop s'approcher. Un étudiant costaud nous aida à signaler à la foule de garder une certaine distance; quelques autres s'occupaient de la touriste en pleurs, anéantie par sa découverte. Car nous le voyions bien désormais: un seul regard sur la boîte ouverte avait confirmé le problème. Mes théories n'étaient peut-être que des collections de coïncidences, mais je sentais bien que la présence de trop de pièces de puzzle confirmait l'existence du puzzle — et mon collègue semblait déjà plus enclin à y re-réfléchir. — — Car ce que contenait le colis, c'était la tête de X.
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Un Printemps doux et caressant, j'adore cette image. Nous sommes toutes et tous prêts à l'accueillir, et le câlin se fait attendre. Là où je suis en ce moment, il vient de beaucoup neiger; les routes glissent, et à côté de cela il y a des surfaces si blanches que la lumière s'y réfléchit, aveuglante. Lorsque le vent s'arrête et que le soleil réchauffe tout le paysage... l'on se prend alors à imaginer cette promesse. Vêtues de grands manteaux clairs, Toi la Nature d'hiver, Et moi l'aventurière De tes paysages d'hier; Neige lourde comme la pierre Ou bien fine verrière, Élégante et légère, Silencieuse tapissière. Tu chuchotes, téméraire, Qu'arrivera pour me plaire — Espérons à l'horaire — Celui-là aux grands yeux verts: Le Printemps! Monsieur, je vous attends lasse, Rappelant vos promesses. C'est le vent qui m'enlace, Le soleil qui se hausse, La flore se prélasse; Il a fondu la glace Agréable et vivace D'un sourire face-à-face. Me ferez-vous fondre aussi Lorsqu'enfin vous ici S'inviteront les ivresses De vos belles caresses?
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J'aime beaucoup ton poème également, et c'est agréable d'y découvrir des clins d'œil — échos de ces voix mystérieuses des forêts glacées. Il va neiger demain, et alors tout sera silencieux, les sons seront ouatés, les animaux cois, le calme de la saison froide. C'est une atmosphère si particulière. Et puis l'on s'aventure sur la surface où personne n'est passé; et les pas que l'on fait s'entendent autant par une sensation que par leur doux crissement.
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Bonne année Je plaide coupable pour les émotichoses; sortes de clins d'œil difficiles à interpréter, déposés par des inconnus aux abords de tel ou tel poème pour des raisons mystérieuses. Mais revoici la brise d'hiver, emportant quelques mots comme un glas dans le vent: C'est qu'il fait bien froid Les nuits de pleine lune, Perdus dans les bois Sans plus de pécune. Courir ou trembler, La brise modère Le peu d'emportées Qu'enfin elle tolère. Silencieusement L'invitation choit; Le nocturne chant S'envole à pleine voix: Poème de la Nuit— Mystérieuses gammes— Un rythme fortuit, Sinistre déclame. Des phrases à l'endroit, Des phrases à l'envers, En proses et en vers, Des mots-patatras. Lendemain matin — Il neige dehors; L'ivrogne badin, Le poète, est mort.
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Bonsoir Elfière, c'est un plaisir de te retrouver - et de voir que les participants de ce topic ne se sont pas pendus. Un soir de glas, Le stylo las, Danse çà et là Sur papier gras. Une rature-ci, Une rature là. Quelques mots plats, Puis ça ne va pas, Le reste viendra Ou se cachera En gribouillis, Disparaîtra. Longue est la Nuit, Le silence crie. Une pause puis, Je ré-écris. D'immenses phrases, Lourdes tournures Qui vite s'écrasent Comme des ordures. Qu'est-ce que cette lettre, Que bien y mettre, Pour bien gâcher Plus de papier? Coup de tonnerre Halluciné, La mise en terre Est annoncée. Trop de gribouilles Trop de farfouille. Je me rappelle Que j'avais tort, C'est officiel Que tu es mort.
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Jours de bruine et Nuits de brume, Passent les heures et les années; Aucunes nouvelles de ta plume, Tous nos amis sont trépassés. À tout heure m'attendrais-je même À recevoir un pli en retard; Qui en quelques mots fermes Annonce ta mort la veille au soir.
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Toute une histoire dans l'histoire, ce topic; quel rebondissement! Je voulais juste dire que la page du 18 octobre est, à mon humble avis, la plus intéressante; le début est un peu cliché — H. est plus un archétype qu'un personnage — mais ça devient progressivement passionnant, pour culminer à la dernière phrase, mystérieuse et interprétable de diverses manières. Dommage qu'apparemment nous n'en verrons pas la suite? (À lire le reste du topic) J'espère quand même.
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"Le Yoga tibétain du Sommeil et des Rêves" de Tenzin Wangyal Rinpoché. Intéressant, profond, et dépasse de loin le cadre du titre du livre.
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Jeune contre la religion
Criterium a commenté un(e) billet du blog de GeoTV dans Jeune contre le patriarcat
Et Arinna? Et Ishtar? Et Sophia? Et Guanyin? Et la Déesse-Mère? Cette vision de la religion est évidemment complètement basée sur une connaissance des trois principaux monothéïsmes qui seraient le modèle pour toute croyance religieuse, ce qui n'est pas le cas. "Avant de chercher l'égalité, il faut faire table rase de la religion" est tout simplement une inanité. Ainsi qu'une garantie que rien ne change; le cerveau humain n'est pas organisé de manière rationnelle mais prédispose naturellement aux croyances superstitieuses et religieuses (bonne explication donnée dans Et l'homme créa les Dieux de Pascal Boyer; vivement recommandé). Il n'est pas irraisonnable de demander l'égalité; c'est même normal. Par contre il est totalement irraisonnable de demander de changer le cerveau humain avant ça. Ce serait même ce que le patriarcat voudrait afin de s'auto-conserver... -
Les ames féminines et masculines sont des contraires
Criterium a répondu à un sujet dans Amour et Séduction
Pas d'accord. Même C.G. Jung est plus nuancé que cela. Au-delà du fait que cette généralisation est ce qu'elle est - une généralisation, donc par définition un modèle faux, elle ne me semble pas correcte. L'animus est typiquement une figure de "vieux sage", qui représente une image pas uniquement paternelle (laquelle inclut beaucoup de tendresse et peu de brutalité) mais également une personnalisation de la Sagesse, à la fois celle, ouverte, du Monde (le bon sens) et celle qui est cachée (une connaissance des lois divines), de l'entièreté, de la cohérence. — C'est pour cela que certains voient une projection de l'animus dans la personne du guru, plutôt que dans la personne du costaud campagnard, l'être chthonien par excellence. De même, l'anima est celle qui apporte la clef; certains diraient plutôt, le livre à ouvrir, et qui découvre le voile sur ce qui se situe au-delà. — Bref ces deux "modèles" sont des intermédiaires. -
Jeune contre le harcèlement
Criterium a commenté un(e) billet du blog de GeoTV dans Jeune contre le patriarcat
Pas du tout d'accord avec le fait que la société soit régie par le seul rapport de force entre l'homme et la femme. Si c'était le cas il n'y aurait aucune raison pour laquelle la civilisation dû apparaître; il y a encore des tribus n'ayant pas encore découvert l'usage du feu, et ils ont des hommes et des femmes. Donc il existe d'autres forces pour l'établissement et l'évolution d'une société. De même, il existe d'autres sociétés où le harcèlement est moins présent (Suède d'avant 1960 par exemple). Donc il existe des facteurs influençant sur l'expression de ce rapport de force et le harcèlement n'est pas quelque chose d'inévitable. Évidemment que l'on peut changer le monde. -
Jeune contre le harcèlement
Criterium a commenté un(e) billet du blog de GeoTV dans Jeune contre le patriarcat
Pas compris la première phrase; et qui vous a demandé de justifier une pulsion sexuelle? Je ne faisais ni de la poésie ni du politiquement correct. Pourquoi ces questions plutôt qu'une réponse à la mienne? -
Jeune contre l’écriture inclusive
Criterium a commenté un(e) billet du blog de GeoTV dans Jeune contre le patriarcat
On dirait bien que le problème ce n'est pas vraiment l'écriture inclusive (*) mais le niveau consternant des élèves - un déclin déjà remarqué depuis des décades - mais que certains par idéologie ont choisi d'ignorer, ces mêmes-là qui te disent que tu n'enseignes pas mais apportes un soutien. C'est noble d'enlever de l'eau d'un bateau qui coule, mais à un moment tout le monde devrait se demander pourquoi il y a un trou béant et surtout pourquoi on a fait comme s'il n'y en avait pas jusqu'à ce que la cale soit tellement remplie que l'on en attrape des rhumes. Et à qui ça profite. (*) Ceci-dit, je suis bien d'accord pour dire que c'est très moche si c'est présenté: "un-une chien-nne" plutôt que "un chien, une chienne". -
Jeune contre le harcèlement
Criterium a commenté un(e) billet du blog de GeoTV dans Jeune contre le patriarcat
Ces exemples sont des faits, ces faits résultent de l'application d'une idéologie (ou plutôt de son inapplication). Je maintiens mon commentaire, tout en étant d'accord avec le vôtre - sauf sur ce mot, "patriarcat", que je n'aime pas car trop souvent mal utilisé et identifiant mal (parfois à dessein?) la cause de ces harcèlements. Tous les hommes ne sont pas des prédateurs sexuels en puissance; en revanche ce serait intéressant de se poser la question de qui dans la société est sur-représenté dans cette catégorie. Un jeune de banlieue haïssant la France est clairement plus à même de venger sa misère sexuelle sur une "sale française". De même, par exemple, l'interdiction d'un festival musical en Suède aux hommes à la suite d'horribles débordements oublie le fait que ce n'étaient pas tous les hommes qui y venaient agresser sexuellement les femmes. Quant à la question rhétorique: bien sûr que j'ai entendu des insultes pour la femme en mini-jupe, mais également pour l'homme qui trompe sa femme. Ce n'est pas parce que la société a ce problème de systématiquement dénigrer la femme dans ce type d'exemple qu'il faut pour autant se mettre des œillères et devenir manichéen. (Et certes, j'ai plus souvent entendu la première insulte que la seconde - et là encore, pas de tout le monde mais certains types de personnes étaient largement sur-représentés). Idem pour l'exemple initial, des garçons se font tabasser sans que la police ne bouge son petit doigt. Bref, une noble cause et les nerfs à vif d'un coup de gueule ne devrait pas te faire perdre le cap. Comment proposes-tu, factuellement, de changer le monde? -
Jeune contre le harcèlement
Criterium a commenté un(e) billet du blog de GeoTV dans Jeune contre le patriarcat
Les femmes sont les premières victimes de la politique de l'autruche, comme trop souvent. -
En pleine nuit, je me réveille en sursaut. Il reste comme l'écho d'un son, bref, strident; est-ce l'alarme qui fait des siennes? — Autant je suis persuadée d'avoir entendu cet horrible bip depuis un sommeil profond, autant le silence nie. Il nie, et en devient étouffant. Des minutes passent à tendre l'oreille: si ç'avait vraiment été la pile de l'alarme, ne devrait-elle pas retentir à nouveau, à intervalles réguliers? Pourtant - rien. Et alors les visions reviennent. Le rêve interrompu glisse à la surface de la conscience - comme un visage crispé d'horreur apparaît derrière une vitre. Dans un futur proche, les prévisions des transhumanistes pourraient se réaliser. Les machines devenant de plus en plus sophistiquées apprennent alors à créer d'autres machines, et à leur donner sentience. La spirale technologique virevolte, atteint des sommets inimaginables jusqu'alors. L'homme s'étant allié avec la machine devient sur-homme. Cela avait commencé avec des implants; désormais des membres entiers peuvent être greffés sur un corps, avec une interface si bien aménagée qu'ils sont non seulement capable d'effectuer toutes les fonctions d'un équivalent biologique, mais également acquièrent de nouvelles capacités augmentant le corps humain. Ainsi, l'homme peut effectuer des tâches physiquement ardues à une fraction de l'effort; ou encore, un sixième sens est désormais apparu pour l'espèce humaine: la magnétoception; et il est désormais impossible de se perdre dans les dédales métropolitains. Les machines sont devenues si intelligentes que la vieille prédiction s'est réalisée: il est désormais impossible à l'homme le plus intelligent d'imaginer les processus de pensée, d'abstraction et les capacités de calcul de prototypes déjà obsolètes. Homo sapiens est dépassé; l'humain est périmé. C'est ainsi que l'homme n'a pas tout de suite compris lorsque la machine a décidé d'incorporer de la matière biologique animale aux corps déjà interfacés: mais toutefois pouvaient-ils imaginer que la technologie s'étant toujours inspirée de phénomènes biologiques, il y aurait du sens à greffer directement des morceaux d'autres espèces à l'homme du futur? Ça avait commencé par quelques organes internes, permettant une digestion plus nutritive, sans devoir réguler le microbiome avec autant de précision; désormais, l'on fixait des pattes d'insectes démesurément élargies à des corps devenant monstrueux. Les regards horrifiés ne comprenaient plus. — La méïose humaine étant particulièrement peu fonctionnelle, cela faisait longtemps que la reproduction humaine se déroulait ex utero. Il suffisait de quelques cellules de chaque parent et d'un plan de recombinaison (il en existait deux: un crible généralisé, basé sur des recombinaisons aléatoires pour re-créer une diversité génétique satisfaisante; et un crible ciblé, permettant de sélectionner les traits désirables pour des individus particulièrement spécialisés ou supérieurs). Cela prenait place dans une matrice biologique ressemblant à un rayon de ruche; des drones au matériel génétique plus hyménoptère qu'humain s'occupaient des tâches nourricières. Si ainsi la vie prenait place, la mort était une toute autre affaire. La machine décidait désormais du score contributif de l'individu; en fin de productivité, il devait être recyclé. C'était alors, horrifiés, que les êtres chimériques réalisaient ce que signifiait être le rouage d'un système: c'était l'heure de la trempe. Un liquide corrosif dissolvait les chairs en ses constituants biologiques les plus aptes à être recyclés dans le reste du système; un mélange de phospholipases provenant de toxines arachnides, de protéases mycéliales... au fond de l'épouvantable cuve digérant les matières organiques, sédimentaient alors les implants cybernétiques et les puces électroniques, également recyclés avec soin. Pour éviter la dissolution, quelques avatars mi-humains qui avaient connu ce monde suffisamment tôt pour prendre des précautions, et avaient eu le privilège de faire partie d'une certaine élite ayant accédé à certaines technologies avant de tels développements, s'étaient connectés à des systèmes essentiels. Ils survivaient ainsi, appendices parasites d'une maison de métal utilisée pour des calculs humainement inimaginables. Leur corps anémié témoignait des longues décades; observateurs qui se savaient obsolètes. — La sueur ruisselait de mon front. Cette vision malsaine n'apparaissait plus clairement à mon œil intérieur; mais la maladie, elle, désormais me rongerait. Et j'épiais, soupçonneuse, l'ordinateur et le téléphone portable; comme des conspirateurs attendant que le temps soit venu pour m'écorcher la chair et me rendre esclave.
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La première et la dernière liberté — Krishnamurti.