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Criterium

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Tout ce qui a été posté par Criterium

  1. Criterium

    Journal extime.

    Merci à vous ! Ça me fait plaisir de partager ces univers nébuleux... Je préfère quand même qu'ils fassent rêver qu'agacent! C'est vrai que c'est plus facile de développer les personnages secondaires dans des textes plus longs, et dans certains on pourrait parfois y voir (mais pas toujours exposées si clairement que ça) quelques petites touches machiavéliques... comme il y en avait dans "Mandragore" par exemple. Nous verrons où mèneront les prochaines idées et inspirations... pour le moment ce sont juste quelques futurs textes courts sur des brouillons. Alors à bientôt...
  2. @ la douce brise matinale.
  3. Petit passage sur ce topic. — Je crois que j'ai dû en respirer le parfum qui virevoltait vers çà et vers là sur les autres sections du forum. Pour moi cela change selon les années et les découvertes. — En ce moment : Il est plutôt fruité et doux, pas trop fort et surtout n'a pas — je trouve — ce côté artificiel qu'ont souvent tout ce qui se rapporte aux fruits rouges. Que révèle-t-il de moi ? J'imagine que j'aime bien les cerises. Mais les magiciens d'Ikea qui nous guident vers les bougies parfumées à chaque fois, sans faute ! ... subjuguant nos derniers semblants de volonté... Effroi.
  4. Criterium

    Journal extime.

    Je me souviens bien que 'ça' avait commencé au printemps. — Des détails restaient, m'en fournissaient tous les indices : la lumière, les feuilles qui revenaient aux arbres et cachaient à nouveau pudiquement les maisons les unes des autres, les pépiements des oiseaux dès les premières heures du matin... une légère brise par la fenêtre, fraîche, pleine de promesses, et qui venait jusqu'au bureau pour me caresser l'épaule. C'était là que j'avais l'habitude, chaque matin, d'y écrire les rêves dont je me souvenais — puis, soit aussitôt, soit un peu plus tard le soir, je rédigeais une nouvelle entrée dans ce journal intime. Les pages alternaient donc entre l'onirique et le réel. Le tout donnait l'impression que j'y intercalais des poèmes. Peut-être était-ce cette façon de suivre deux mondes à la fois qui par moments affectait ma façon de penser ; pourtant, j'étais une personne pragmatique, pas du tout portée aux hallucinations. Je savais quand même bien différencier le réel de l'irréel ! En retournant à n'importe quelle page au hasard, il restait facile de savoir (à supposer que je ne m'en souvienne pas) si une scène avait été vécue ou rêvée. Par contre, je trouvais cela intéressant de voir à quel point certains fils de la pensée semblaient moins discontinus que l'état de conscience : on les voyait se suivre, lentement, presque indépendamment, dans une image ou dans un symbole, faisant écho à telle ou telle situation ou rencontre... Plusieurs fois je me suis interrogée sur ce "moi" inconscient qui maniait les symboles dans mon dos, à son rythme, pour soudainement me les chuchoter un jour à l'oreille de sa voix intérieure : — "Pense à ci, pense à ça ; peut-être ainsi...". — Certains pensent que la conscience est une illusion en "plus" ; pour moi il s'agissait plutôt d'une illusion en "moins". J'allais me mettre à écrire. Mais au lieu de cela, je vis quelque chose sans immédiatement saisir quoi. Mes mains tremblèrent. Une crainte vague, pas encore affirmée. Je venais de réaliser qu'il y avait un imprévu. Quelque chose qui n'était pas à sa place. J'attendais un instant, immobile, pour saisir quoi exactement. — Une lente remontée des eaux profondes. Au début simple impression ; rapidement, réalisation concrète — et effrayante. Je m'aperçus que je n'avais aucun souvenir d'avoir rédigé la page précédente. Celle d'une scène bien réelle ; un café avec E., une ruelle à l'autre bout de la ville, des interrogations sur quelques personnes dont je ne reconnaissais que quelques noms... Des lieux, des faits ; — Sauf que... je n'avais jamais écrit cela et je n'avais jamais vécu cela. Je feuilletai le journal, recherchant dans les autres entrées si la mémoire me jouait des tours. Tout d'abord, pas d'impression similaire ; je me souvenais bien de ci, de ça... Là, un rêve sur un arrêt de bus auquel chacun attendra au moins une fois dans sa vie ; à côté, les rencontres que j'avais faites au dernier jour d'une conférence professionnelle... Tout ça me restait clair à l'esprit. — Jusqu'à ce que... là encore, une page complètement oubliée, et de la vie réelle qui plus est ; aucun souvenir pour aucun des événements qui y sont racontés. Je ne les avais jamais vécu. Des gens inconnus, des lieux inconnus. Impossible, je m'en serais souvenue. C'était comme si on me faisait une blague — quelqu'un avait modifié ou ajouté à mon propre journal. — Quelqu'un mais qui ? Je guettais les lettres, comme si elles allaient se mouvoir d'elles-mêmes. Mais c'était ridicule. Alors je prenais plutôt une loupe, et examinais chacune des caractéristiques de mon écriture manuscrite. La forme des a, la forme des r. Les hampes, les boucles. La taille ; les quelques ligatures auxquelles on ne pense pas, mais que la main trace automatiquement — le "th", le "fi", et d'autres encore. J'avais beau ciller les yeux et mesurer au millimètre près les majuscules — littéralement : j'avais sorti une petite règle —, tout était exactement comme il devait l'être. C'était bien de ma main. Ou alors... tout était un peu trop parfait pour être normal. — Ça ne pouvait être que de la main de quelqu'un qui sût imiter mon écriture à la perfection, donc. Puisque ça ne pouvait être moi-même, ni même ce moi inconscient qui aurait confondu rêve et réel — et sans laisser de trace mentale. Je passai en revue la liste des personnes auxquelles j'avais adressé des lettres manuscrites. Les suspects. Ma famille, quelques ami∙e∙s, et puis bien entendu mon compagnon. — Lui ? ...mais alors ? — Ça m'apparaissait clairement : ça ne pouvait être que lui. Il connaissait ma graphie, il venait me rendre visite régulièrement ici, et c'était bien la seule personne qui aurait pu y rester des heures dans ma chambre sans que je ne me méfie. Il avait donc le moyen et l'opportunité... Je ne savais pas qu'il était capable d'imiter d'autres écritures à la perfection... lui avec ses pattes de mouches, si petites et si distinctives... s'était-il aussi entraîné à imiter des signatures ? — Le moyen et l'opportunité... Par contre, quel pouvait bien être son motif ? Et quitte à me faire une blague, pourquoi comme cela ? C'était une invasion de ma vie privée, c'était particulièrement irrespectueux, cruel, et une manière de me rendre folle — ce qui ne correspondait pas à sa personnalité... pas vraiment ? ... ou alors, peut-être, parfois, certains indices... Il allait falloir que je ré-interprète tout, que j'examine les vieux souvenirs, que j'entrevoie la possibilité que lui aussi ne soit pas vraiment lui-même, en tout cas pas celui que j'avais connu. Par ailleurs : n'était-il pas censé venir me voir — aujourd'hui ? - Je me rappelai d'une invitation au restaurant puis à regarder un film chez l'un ou chez l'autre. ∭ J'entendis les battements, vifs, brefs, d'une main qui toquait trois fois à la porte. L'on s'étonne parfois que les animaux de compagnie devinent avant même de les voir l'arrivée d'untel ou d'un autre ; certains supposent l'odorat ou la prescience. Pourtant, si l'on y faisait particulièrement attention, l'on s'apercevrait que nous possédons nous-mêmes cette faculté — il suffit d'y rester réceptive. À un mouvement d'air à peine perçu, j'avais deviné que l'on allait toquer. À la durée de l'intervalle entre chaque coup, j'avais deviné que c'était lui. De pas très légers, je sautillai jusqu'à la porte, lui ouvrit en grand — c'était bien lui — et nous nous fîmes une bise. Il était grand, brun, il avait vêtu une belle veste ; une chemise bleue, l'air un peu taciturne qu'il avait toujours. Je le trouvai une fois encore beau et élégant. — "Bonjour Mademoiselle", me fit-il comme d'habitude, d'un ton à la fois doux et taquin. — Émotion soudainement duelle. Comme si deux fils en moi se suivaient en parallèle, et qui rendaient impossible de simplement l'expliciter en disant juste "ambivalente". Une partie de moi le revoyait, lui, comme bien souvent lorsque nous nous reposions les yeux l'un sur l'autre en nous retrouvant, comme à la première fois ; l'évidence. L'attirance. Les couples amoureux ont parfois ce bon signe : à un regard échangé, l'on revoit toutes les raisons pour lesquelles nous sommes ensemble. Bref, en quelques mots : je suis toujours amoureuse. — Le second fil, c'est celui du décorticage logique et nerveux du matin-même : l'intrusion et l'énigme des entrées supplémentaires dans mon journal intime... et puis la déduction que ça ne pouvait être que de lui — sans en être tout à fait sûre... — un horrible mauvais tour, une ombre noire. Je ne lui dirai rien pour le moment, mais... j'étais méfiante. J'analysai à nouveau chacun des traits de son visage, tentant d'y surprendre une trace d'ombre. C'était difficile, puisqu'il n'était pas du genre expressif... Il remarqua mon petit jeu — j'étais restée immobile trop longtemps sur le seuil de la porte — et observait en retour mes yeux méfiants. — "Tu as l'air bien féline aujourd'hui". Il m'avait vu comme un chaton s'apprêtant à sautiller. L'image me fit rire ; le voile de méfiance s'estompa un instant, et la première émotion prit le dessus pour le moment. Alors seulement, nous nous éloignâmes d'ici, pour rejoindre les longues rues de la ville. Néanmoins je l'épiais tout le long du trajet, pour voir si j'allais surprendre sur son visage un indice trahissant ses indiscrétions secrètes. Je guettais. Le son des échos de nos pas le long des vieilles ruelles ; le brouhaha des passants aux heures vespérales. Nous nous rendîmes dans un restaurant japonais dans lequel nous avions nos habitudes. Le chef, toujours très jovial, nous reconnut tout de suite, et lança une salutation tonitruante comme il avait l'habitude de le faire avec certains clients. Une personnalité très solaire... il s'affairait derrière le comptoir avec de grands couteaux et des gestes sûrs. Sa femme avait un caractère beaucoup plus retenu, une voix plutôt fluette mais mélodieuse ; elle tenait tout particulièrement à être celle qui apportait aux tables les baguettes et une soupe au miso. Elle nous reconnaissait et nous faisait de grands sourires ; puis, elle prenait soin de nous laisser tous les deux tranquilles dans un coin tamisé de la salle — nous qu'elle voyait comme le "joli petit couple". Je jouai un moment avec les baguettes. Il l'interpréta comme un appétit enthousiaste ; il me fit à nouveau la remarque tendre que je pouvais survivre juste avec du poisson cru, comme s'il y avait un trait félidé qui re-surfaçait régulièrement en moi lors de ces occasions. Et effectivement, au début, la conversation fut enjouée et légère. Quelques nouvelles depuis la dernière fois ; quelques idées, et puis les mots sur les moments que chacun avait vécu de son côté les derniers jours, d'autres choses lues et vues. Tout se déroulait agréablement. J'orientai cependant la conversation ensuite vers l'écriture manuscrite. Soit pour laisser un indice subtil que j'avais bien remarqué quelque chose, et que je préférerais qu'il aborde le sujet de lui-même, si c'était bien lui qui s'était "amusé" à modifier certaines pages de mon journal. Soit pour percevoir s'il m'avait caché d'autres graphies, d'autres talents d'imitation. Je connaissais bien ses petites lettres si serrées ; certains de ses carnets ou documents professionnels donnaient une sensation d'être griffonnés hâtivement par une personnalité nerveuse et à demi-maladive. D'autres lui avaient déjà fait la remarque ; moi pas ; au contraire, je l'acceptais comme il était, je trouvais quelque chose de beau dans ces immenses pages couvertes des petits caractères. La seule fois où ça me posait problème, c'était si l'on rédigeait une liste de courses... là, je tenais à être celle qui prenait le stylo. Sous les assiettes de sushis, et au-dessus de la nappe vermeille, il y avait de fines feuilles de papier en guise de sous-plats. — Nous avions tous les deux toujours un stylo sur nous, je le savais. Alors je griffonnai une lettre majuscule, un grand "T". — "Comme ton initiale, comme Toi", fis-je, joueuse. — Je lui demandai s'il s'était déjà essayé aux belles majuscules cursives, ou s'il se rappelait des leçons d'enfant — n'avait-il pas lui aussi eu un professeur sévère tenant à bien voir la différence entre un "C" et un "T" majuscule ? - C'était une invitation ouverte à ce qu'il me griffonne quelques symboles. Je l'aiguillai subtilement jusqu'à ce qu'il tente d'imiter mon écriture, afin de voir comment il le ferait. Enfin, il tenta l'exercice. Un trait un peu trop lent, suivant le tracé de mon modèle. Je contemplai, un instant pensive, sa version de ces grandes lettres. C'était proche. C'était vraiment très proche. Là, un petit tremblement ; là, une hésitation sur le trait. Proche — mais pas exact. Si les modifications avaient été de sa main, soit il ne me montrait pas l'étendue réelle de ses capacités, soit il y avait passé des heures et sans commettre une seule erreur. Or c'était impossible ; avait-il passé des heures dans ma chambre sans je ne le remarque ? La seule éventualité aurait été qu'il se lève en pleine nuit et écrive dans l'obscurité, sans me réveiller, les soirs où nous dormions ensemble. J'aurais quand même — je pensais ! — remarqué une insomnie taquine ou un somnambulisme... ! — Mais alors quelle explication ? — "Ça va ? Tu es songeuse...", remarqua-t-il. — "Moui..." Il savait que j'avais parfois des petits moments d' "absence". Un long silence ; le regard fixé vers le lointain, scrutant toutefois un monde intérieur. Ça ne le dérangeait pas ; il restait tranquille, me laissait silencieuse, attendait que le moment passe. Il savait bien que ça n'était ni un ennui ni une façon de lui faire la tête, mais juste l'une de mes particularités, donc ça ne le déstabilisait pas ; il se contentait d'attendre. Le poisson était délicieux, et nous finîmes avec un saké chaud qui me mit des couleurs aux pommettes. ∭ En pleine Nuit. Un réveil en sursaut — comme dans ces rêves où l'on a l'impression de trébucher, et juste au moment de toucher le sol un soubresaut nous fait aussitôt rouvrir les yeux. La pièce était encore dans la pénombre ; à peine un fil de lumière sur les murs, un reflet du clair de lune. À peine un moment après s'être redressée, un doute méfiant s'invitait dans mes pensées, prolongeant un rêve oublié mais désagréable... Je cillai l'obscurité, redoutant de voir une silhouette obscure penchée à mon bureau, modifiant mes lettres. S'il y avait là un démon, je l'avais déjà affublé du nom du "Cacogramme". — Mais rien de tel. Mon compagnon dormait profondément, allongé du côté du lit à côté du mur. S'il s'était levé je l'aurais sans doute senti s'extirper de la couverture. Toutefois... une vérification s'imposait... Je me levai sans un bruit. Lui dormait encore, j'entendais sa respiration régulière. J'allai directement vers le tiroir qui abritait le journal, prenant bien soin de vérifier si les petites précautions que j'avais prises avaient quelque chose à me dire. Car dans un interstice du tiroir, j'avais inséré un petit bout de papier, soigneusement replié sur lui-même ; on ne l'aurait remarqué qu'en sachant qu'il se trouvait là. Si quelqu'un d'autre avait ouvert le tiroir, le papier serait tombé sur le côté. Je vérifiai — il était bien à sa place. Autre précaution : les quelques objets du tiroir avaient été placés dans un désordre organisé et millimétré. L'angle d'un stylo s'alignait parfaitement à 45° avec celui d'un papier à lettre coloré, d'autres marqueurs — des feutres-pinceaux aux couleurs métalliques que j'aimais beaucoup — étaient eux aussi soigneusement orientés les uns par rapport aux autres. Toute tentative de fouille aurait quelque peu déplacé l'arrangement, tout en restant invisible pour le non-initié. Là encore, tout demeurait à sa place. Je respirai. Soulagée. Je m'emparai du journal et m'approchai du rayon de lune, cherchant la dernière page. — Choc. Quelque chose n'allait pas — je me mis à trembler. Il y avait une entrée supplémentaire. Celle-là, cette fois, commençait par un rêve que je ne me souvenais pas avoir fait. Celui-ci n'était décrit que par quelques bribes... Des lieux de passage, des espaces liminaires, des transitions et des seuils : un grand couloir, qui finalement était une ruelle de la vieille ville ; un souterrain peut-être ; personne. Un restaurant vide. Des lumières restées allumées par endroits, qui alternaient entre ombres et couleurs. Personne. Le hall d'un manoir, trop long, s'étendant sur des centaines de mètres — trop loin — avec toujours le même tapis rouge bordeaux, les mêmes boiseries, et des portes fermées... Tout cela m'évoquait toutefois une sensation de déjà-vu... L'entrée se terminait par une note étrange : "Je me réveille. Je vais à ** aujourd'hui ; j'ai rendez-vous avec X." — Datée du lendemain. Enfin : d'aujourd'hui, étant donné qu'il devait être minuit passé... à vrai-dire, quelle heure était-il... deux heures, quatre heures ? ... aucun son et aucune manière de vraiment le savoir. Je ne savais pas où j'avais mis ma montre, dans le tas d'habits à côté du lit... et les aiguilles étaient trop petites, il aurait été difficile de les décrypter à la lueur de la lune... alors c'était toutes les heures à la fois... En tout cas, je ne savais pas que j'allais aller à cet endroit, ni qui était X. — Et lui — est-ce qu'il dormait encore ? — J'avais presque envie de le réveiller pour lui crier dessus — il avait dû voir mes petites préparations, les déjouer, et écrire un message cryptique dans la nuit, juste sous mon nez, pour me rendre folle. Est-ce qu'il me manipulait ? Est-ce qu'en fait il me haïssait ? — En même temps, je n'arrivais pas à vraiment le croire ; et puis je n'avais pas envie de faire une scène en plein milieu de la nuit — et si ça n'était pas lui... encore moins envie de passer pour une folle, déjà qu'il supportait tant de mes marottes... Ou alors... j'en avais donc une de plus ; peut-être en sus de ces moments d'absence, j'avais des pauses mnésiques, des sautilles, des interruptions. Peut-être ? ... Alors je ne fermai plus l'œil de la nuit, me demandant quelle partie de moi avait décidé par avance d'aller à ** — et surtout qui elle espérait y trouver... Une partie intérieure... seulement cela se diluait... ; alors une partie extérieure, plus étendue ? ...aurique ou éthérée, qui se manifestait de cette manière ? ...ou alors un effet de magnétisme... Je ne savais pas ; je ne savais plus.
  5. Criterium

    Battements.

    Hello ! — Oui, les thèmes récurrents et obsessions... En plus comme je fonctionne pratiquement comme de l'écriture automatique, ils s'invitent et s'installent comme s'ils étaient chez eux, tout le temps, et à chaque fois, ces invités-mystères... Par la porte ou par la fenêtre... Si cela fait un moment, tu as dû voir que ces dernières semaines ont été assez productives ici. Plein d'autres textes de ce style. Merci encore de me lire depuis tout ce temps, ça me fait très plaisir.
  6. Oui, c'est même pour cela que j'en avais entendu parler et tenais à le voir — et c'est quand même une expérience hors-norme, rien que pour cela je le recommande vraiment pour ceux∙celles qui se retrouveraient un soir sans savoir quoi regarder et dans l'état psychologique (ou pharmacologique) adéquat...
  7. Dédicace aux philosophes qui aiment danser.
  8. Criterium

    Battements.

    Rester immobile. Pas un mouvement. Silence — l'attente devient interminable. Dans le noir, j'ai l'impression de percevoir mes os qui grincent, à peine perceptiblement, et pas tout à fait avec un son ; car à chaque fois que je tends l'oreille, je n'entends que les lourds coups du sang qui lentement tambourine en moi. Un rythme annonciateur d'une vague et sourde menace. Plus tard, battra-t-il plus vite... Je ne sais pas. Alors, pour m'accompagner dans cette attente, je me remémore les événements qui m'entraînèrent à me cacher ici, dans un recoin sombre et surélevé d'une vieille loge de théâtre. Au balcon, qui surplombe la scène. — C'était avant-hier ; je marchais dans les environs avec un ami. Nous ne pensions que nous dégourdir les jambes, et profiter d'un verre en terrasse ; alors nous avions traversé toute la petite ville à l'allure si étrange. Tout s'organisait le long d'une rue principale qui aurait pu ou dû s'appeler "Main Street". Là, les façades bigarrées les unes à la suite des autres, alternant les couleurs... Lavande, blé, orange, beige, carnation... Toutes étaient trop pastel, l'on y devinait à première vue les charmes touristiques, imposés plutôt que proposés. Un regard plus tard, les enseignes confirmaient. De temps en temps, le cri d'un goéland ou l'odeur iodée dans un brusque coup de vent rappelait que la ville se trouvait en bord de mer, et que juste quelques rues plus loin, une falaise surplombait la plage. Un lieu tranquille, un lieu de passage. L'un des bâtiments avait une décoration étrange : une étoile à cinq branches, décorée comme si elle fût une rose des vents. La plaque dorée contre le mur ne donnait pas beaucoup d'information : "Centre de Recherches de L** — 468." - Le numéro était étonnant, car il ne correspondait pas à l'adresse ; il devait donc codifier le centre lui-même, et par conséquent en révéler d'autres. — "C'est clairement quelque chose de maçonnique", me dit tout simplement l'ami, comme si c'était évident. Je lui demandai ce qu'il voulait dire et comment il le déduisait, et par quels indices. Il me fit la remarque que j'avais sûrement dû remarquer que dans les environs, l'on trouve parfois la même étoile ornant à quelques belles maisons secondaires, le long des routes menant à des résidences cachées en campagne ; souvent sur le garage, ou sur un mur, là où l'on eût imaginé une fenêtre. Il me dit qu'il suffisait de garder le Nord (comme lui apparemment) pour s'apercevoir que c'était toujours au mur occidental, donc que ça n'était pas une simple décoration, mais bien une marque. Et que les loges de divers Rites sont indiquées, dans l'inventaire, par des numéros à 3 chiffres. Cela était bien connu. — Donc : il y a un groupe et ils se réunissent là le vendredi soir. Ce n'était pas la première fois qu'il m'étonnait de la sorte — mais ce fut celle où je pressentais que j'allais immédiatement agir sur cette information. S'il le savait déjà, je ne le devinais pas encore ; ç'aurait aussi bien pu être une remarque lancée en l'air qu'un message m'étant adressé. Le soir-même, je me retrouvais dans la bibliothèque située juste en face du curieux bâtiment, à étudier des livres sur l'histoire de la région. Je m'aperçus en consultant un vieux plan que le bâtiment avait été un théâtre jusqu'à la guerre, ensuite racheté par un anonyme, sans doute pour s'en faire un hôtel particulier. Depuis, nulle trace, nul commentaire. J'imaginais un britannique excentrique y fonder un centre de recherches spirituelles pour véritablement y abriter une loge peut-être irrégulière. Et, au détour d'un autre vieux plan, j'appris que la cave du théâtre communiquait avec celle du bâtiment d'en face — en d'autres termes, cette même librairie. Coïncidence ? Autre signe ? — Désormais ce qui me restait à faire était clair, presque pré-déterminé. — Voilà la raison pour laquelle pourquoi j'y retournai le lendemain soir, me fit enfermer dans la librairie après son heure de fermeture, et m'aventurai parmi les souterrains jusqu'à trouver l'accès — incroyablement, sans croiser de porte close. D'autres devaient utiliser les mêmes tunnels. Rester immobile. Le silence. L'obscurité qui j'espère perdurera. J'attends. ☆ Trois coups résonnent. Comme les sourds et puissants coups portés à une porte, un peu trop lentement pour augmenter l'effet dramatique ; et en même temps, la résonance qu'aurait eu un bâton cognant l'estrade de la scène. C'est le signal ; la séance est ouverte. Un instant plus tard, je vois quelques silhouettes s'avancer vers la scène, y déposer d'étonnantes pièces de mobilier — deux colonnes en papier mâché, un tabouret portant une pyramide, cinq fauteuils les uns à côté des autres et dont les dossiers sont très hauts ; des outils disposés sur d'autres petites tables que je n'avais pas encore remarquées ; l'attirail nécessaire au cérémonial qui allait s'y jouer. Là-haut dans les pénombres des hauteurs, je peux tout voir, sans que l'on ne me voie ni me discerne. Les ombres, le corps abrité par un tissu, le souffle retenu : suffisamment au loin, contemplant la scène. Les silhouettes se disposent, trouvent leur position d'attente. Comme par écho. Mon ami avait raison ; ils sont vêtus de tabliers portant l'équerre et le compas, et certains portent des symboles en guise de pendeloques à de larges colliers, et les cordons. On frappe — cette fois comme quelqu'un qui nerveusement toquerait à la porte. — "Qui ose frapper à la Loge de manière irrégulière !" tonne une voix de basse. — "C'est un profane, Maître, qui demande à être accueilli au Temple." J'allais assister à une cérémonie d'initiation... Malheureusement je ne connaissais pas suffisamment les différences entre les obédiences pour y identifier les indices permettant d'en savoir plus sur ce rite-ci. En revanche, la disposition des lieux me renseignait déjà assez pour savoir qu'il devait s'agir d'une loge irrégulière. Je n'avais jamais entendu parler d'un Maître s'asseyant sur un fauteuil disposé derrière le voile tendu entre les deux colonnes ; celles-là, je savais bien qu'il s'agissait de Jakin et de Bohas — et le voile, je savais bien que c'était celui d'Isis ; mais justement, devait-il prendre sa place ? Lui, le vieil homme d'aspect austère, à la barbe blanche taillée en bouc ? Et la disposition des objets et éléments de mobilier, qui différait de tout ce dont j'avais eu connaissance jusqu'alors. — Le rituel, quant à lui, conservait son caractère ; toutes les interactions se faisaient à trois — on n'adressait pas la parole à un autre directement, mais chacun prononçait des mots appris par cœur pour demander une "permission" à tel autre de s'exprimer envers autrui. De cela l'on devinait qui étaient le Premier et le Second Surveillant sans même devoir ciller sur leurs ornements. La scène se déroula de manière bien floue — des mots dictés au nouvel adepte, qui les répétait d'une voix ferme ; génuflexions, circonvolutions abritant une histoire dans quelques gestes... Pour qui possédait quelques bases en symbolisme, il était transparent de déceler dans cette danse une sorte d'allégorie du parcours à tâtons du profane — d'ailleurs les yeux bandés — qui cherchait et cherchait, et avait trouvé sa première étape : d'autres marcheurs, suivant une même voie... le symbole d'un certain travail qui devait se faire en groupe... des premiers pas à plusieurs... jusqu'à que cela se produise. Une formule, déclamée sur le même ton que les autres. — La Loi du Silence ; une dague posée contre la poitrine de l'inconnu. — "Ce fer toujours levé pour punir le parjure..." Et soudain, un cri étouffé, comme un raclement de gorge — un nuage rouge qui me voile les yeux... Je ne vois plus... Il me semble être sorti de mon corps tant je me tassai en moi-même, immobile, silencieux, et en réalisant ce qui venait de se produire. Je croyais que ce rite était symbolique ; le serment solennel mais la sentence ne s'appliquant plus, en plein XXIe siècle... et pourtant : pour une raison obscure, l'homme qui venait de lui faire jurer le secret et l'esprit de fraternité, avait aussitôt plongé le glaive dans le corps du profane. Le coup avait été sec et profond ; la lame avait touché le cœur, et il en était mort sur-le-champ. — Je venais d'assister à un meurtre. Durant des heures, cloîtré dans ma cachette, j'attendais impatiemment qu'ils finissent, qu'ils partent, puis patientai encore un peu plus pour s'assurer que les couloirs et les accès se vident... y croiser même un retardataire n'aurait rien auguré de bon, fût-il seul et sans arme. ☆ — "Aucune personne n'a disparu dans la région, et votre histoire est délirante. Il n'y a même pas d'accès entre la bibliothèque et le centre de recherches, qui est un simple club littéraire." C'était peine perdue ; l'on ne m'écoutait pas. Après de nombreuses hésitations, j'avais décidé d'aviser les autorités compétentes, toutefois pas de cette même ville ; redoutant de me retrouver face-à-face avec l'un des inconnus de la veille, j'avais pris la route jusqu'à la suivante — et ç'avait été là que je racontai, étape par étape, ce à quoi j'avais assisté durant la nuit. Les visages restèrent fermés. Je me dis tout d'abord qu'il devait être fréquent que des originaux viennent se plaindre du groupe, par méfiance, par calomnie, par sentiment anti-maçonnique partagé entre conspirationnistes — puis réalisant que je m'incriminais moi-même sans pour autant fournir de preuve... — tout au plus j'espérais provoquer ne serait-ce qu'une vérification, ou une fouille — et finalement, j'en venais même au doute terrifiant que l'homme auquel je m'adressais faisait peut-être lui-même partie du réseau. Il m'écoutait, mais il ne m'écoutait pas pour autant ; il semblait épier autre chose. Cela me mit vite mal à l'aise. Pour lui, je devais être fou ou suspect. Alors je bredouillai une excuse à propos de médicaments, de ne pas être très sûr, d'avoir eu une impression — m'esquivai avant que l'on ne pose trop de questions — me ruai dans ma voiture sans donner d'identité. Surtout pas. À ce moment-là, je m'attendais presque à apercevoir la lumière d'un gyrophare dans le rétroviseur, une centaine de mètres plus loin. Mais rien. Peut-être n'avais-je été qu'un excentrique de plus leur demandant d'aller jeter un œil au lieu. Peut-être le feraient-ils. Pourtant je n'étais pas fou ; j'avais bien vu, sur la scène du théâtre, la représentation sanglante. À vrai-dire... l'avais-je si bien vu ? Ou alors, deviné, peuplant les ombres de vagues fantômes ? Avait-ce été une véritable pièce de théâtre, sans crime, une répétition organisée par un groupe d'amateurs séduits par les cérémonials des loges ? Cela expliquerait le mobilier inhabituel, les longues phrases apprises par cœur, les erreurs possibles dans le rituel... Ou alors, un rêve, un rêve bien étrange toutefois... Cette sorte de rêve dont l'on se demande s'il n'a pas été imposé à nous par une volonté extérieure. Garant le véhicule à l'orée d'un bois, sur une route de traverse, je tentai de joindre l'ami. Aucune réponse. Un répondeur. — "Vous êtes bien au ***". Des doutes qui reviennent. Est-il occupé ? Écoute-t-il ? — Qui écoute ? Alors c'est un message plus cryptique qui est laissé : — "Allô. Tu n'es pas là ? Dommage. J'aurais bien aimé parler d'Oreste et du reste." Je sens que selon sa réponse mes souvenirs se métamorphoseront de nouveau.
  9. La fin du film de BHL: "Le Jour et la Nuit". — Attention spoiler.
  10. Criterium

    Malle à portraits

    Bonjour Elfière Ce portrait poignant... les rires d'enfants se sont éloignés, ce poème-ci semble s'être échappé de l'autre topic... Je trouve que le vers "Je n'ai plus faim d'ici" est particulièrement fort. Ce sont des portraits bien effrayants que tu as dressés pour nous !
  11. Pour ceux que cela intéresse pour le rapport en hébreu : il provient d'une association formée ad hoc et cela est sa seule publication. Voici le site. Le rapport a récemment été traduit dans beaucoup de langues et publié de manière synchronisée sur diverses plateformes. À mon avis il s'agit peut-être en fait d'une étude sociale — suivre qui et où se promène un rapport lambda écrit par des personnes lambda et en se demandant qui va retrouver le site principal ou qui va même vérifier qui en est à l'origine. Mais que cela soit le cas ou non, sur Forumfr, on aime farfouiller les documents. — Qui a écrit le rapport ? Dr. Pinki Feinstein. — Psychiatre, fondateur du "Psycho Intuitive Center" à Tel-Aviv, qui n'a pas de site, mais apparemment organisait des ateliers de "peinture spirituelle" déjà en 2010. Il a publié des livres de développement personnel. Irit Yankovich. — Avocat. Niveau licence en biologie. Son motto "La source du mal c'est la bureaucratie". Rotem Brown. — Avocat en droit commercial et immobilier. Itai Yaffa. — Avocat. Il est précisé qu'il a rejoint le comité pour "comprendre les motifs sous-jacents au processus d'intimidation national". Prof. Natti Ron'el. — Criminologiste à Bar-Ilan University. Il se spécialise en "criminologie positive" qui se focalise sur la rédemption par la "grâce" et au changement intérieur, motivé par les traditions spirituelles — en ses propres termes. Dr. Etti Elisha. — Criminologiste. Très fréquent co-auteur avec le précédent. Dr. Galit Tzefler Naor. — Médecin généraliste, mais introuvable sur Internet (pour le moment, je testerai avec des termes hébreux plus tard si j'en ai l'envie). Ella Naveh. — Activiste en épidémiologie (niveau d'études: Master), luttant contre la pollution. Prof. Ester (Etty) Einhorn. — Professeur en économie à Tel-Aviv University. Eithan Marshand. — Étudiant en quatrième année de médecine. Conclusion : que l'on penche vers une opinion ou une autre, je crois qu'en creusant un peu l'on trouve facilement que ce rapport et ce comité n'est pas très convaincant.
  12. Criterium

    [QUIZ] Les protéines

    Je viens de terminer ce quiz. Mon score 100/100 Mon temps 32 secondes  
  13. Criterium

    [QUIZ] Les protéines

    Je viens de terminer ce quiz. Mon score 72/100 Mon temps 118 secondes Ouch, quelques erreurs que je n'aurais pas dû faire...
  14. Criterium

    BDSM

    — Mais qui l'a inspirée ? En tout cas voici-voilà une belle plume, mais qui aujourd'hui (enfin, hier !) a dû couler sur les peaux comme de la cire un peu trop chaude... Et c'était une jolie idée que tu as eue de jouer également sur les mots d'anglais dans tes rimes ; le mélange donne comme une actualité qui aide à tout de suite s'imaginer le grand pole. Oserai-je dire que tu dresses la scène dans nos esprits. — C'est désormais révélé : l'artiste aux alcools forts aime évidemment et le plaisir et la douleur.
  15. Je baragouine le breton. Un tamm hepken.
  16. Criterium

    Sémaphore.

    — "Vous avez entendu ce qu'on nous a dit... oui, vous avez forcément entendu... Vous et nous l'avons tous... mais qu'est-ce que cela voulait vraiment dire ; car, c'est certain, ces mots... Il y avait quelque chose de caché derrière... Ils ne voulaient pas dire la chose qu'ils prononçaient, il y avait un autre message en filigrane... c'est certain... mais lequel ?" — "Une stéganographie, un message codé..." — "Mais vous y comprenez quelque chose, vous ? ... Car nous, nous n'y entendions rien... juste cette certitude que les mots signifiaient autre chose." — "J'ai beau chercher, je ne trouve pas." — "Pourtant vous avez, vous aussi, tout de suite compris qu'il y eût là une allusion, un sous-entendu, une insinuation... une allégorie peut-être... un intertexte..." — "Si seulement nous étions plus doués, plus cultivés, plus subtiles ; si seulement nous avions cette faculté, nous saisirions peut-être ce genre de double-entendre... ou une référence, qu'il fallût posséder... mais sans cela, que fait-on ? - Le message était certainement donc une sorte de shibboleth mental, une manière de faire le tri... Eh bien : si c'est le cas... alors voilà que nous venions d'être triés... classés... éloignés... Nous : les profanes." — "Vous rejoignez les rangs de la foule... mais pourtant nous avions bien saisi qu'il y eût là un message... faut-il y voir... que c'est quand même un bon début..." — "Vous ne serez pas jaugés sur les potentiels, mais bien sur les faits... or les faits, c'est que l'on a beau chercher... nous ne trouvons pas... Si seulement nous n'avions rien perçu : là, nous aurions pu rester ignorants et tranquilles. Mais voilà, il fallait avoir cette intuition... ouvrir la boîte de Pandore... Nous sommes tout autant ignorants — et désormais n'en dormirons pas de la Nuit..." — "Nous non plus..." — "Essayons quand même ; aidez-moi, peut-être que tous ensemble nous réussirons à voir plus clair... Rappelons-nous, quels étaient ses mots exacts..." — "Ils ne nous reviennent que bien vaguement... D'ailleurs en quelle langue étaient-ils..." — "Je ne sais pas, je ne sais plus." — "Peut-être que l'on les a prononcés comme pour bien nous faire comprendre que nous n'étions pas initiés... peut-être que le second message fut justement de nous dire que nous n'étions pas faits pour saisir le second — le troisième ? — message..." — "Oui, ça doit être quelque chose comme cela... Ça se lisait dans les yeux... Alors ça n'était pas un sésame... mais une porte que l'on referme." — "Un vent qui souffle et ne fait qu'effleurer le voile d'Isis entre les deux colonnes... ou une clef que l'on nous agiterait sous les yeux... Quelle cruauté toutefois ! Vous rappeler vos insuffisances et votre hâte... Ce serait comme un franc-maçon qui vous fait trois bises mais les suit d'une claque... Mais personne ne ferait ça... Ça serait ridicule. Alors il doit bien s'agit d'encore autre chose." — "Vous pensez... aux 'services' ?" — "Oui, peut-être... ceux-là agiteraient sans cesse des petites choses brillantes, comme des hameçons... guettant la lueur d'un regard... pêchant en eaux troubles... Et puis comme chaque coven, chaque loge, chaque centre reçoit tôt ou tard la visite d'un de leurs 'ambassadeurs'... Ça pourrait être..." — "Mais alors ce serait en guise de porte, un trompe-l'œil... un mensonge... pour voir qui fronce les sourcils... même sans y trouver le sens caché : on aurait alors évidemment remarqué ce quelque chose chez nous, et puis chez vous... Plutôt qu'un mot donné, un mot pris de force... une piqûre... Nous voilà non seulement rappelés à nos défaillances et lacunes, mais voici qu'en plus 'on' en a fait une note mentale... Et bien... Si cela ne nous suffisait pas... Bien évidemment que nous n'en fermerons pas l'œil de la Nuit..." — "Vous pensez que ç'aurait pu être un déguisement ? Après tout... certains initiés ne veulent pas être reconnus, alors laisser planer le doute... un mensonge inoffensif, pour paraître faire partie des 'autres'... ce serait tout naturel... Faudra-t-il effectuer quelque tour de passe-passe, quelque joute verbale à double-sens... donner un signe... mais en étant bien certains que l'on le façonne, que l'on le sertisse de la bonne manière... Car il ne faudrait pas que ce soit clinquant, ça oh non... quelque chose de subtil... un fil plutôt fin, à saisir ou non... et comme cela nous serons peut-être un peu plus fixés... peut-être..." — "Oui... peut-être... approcher nos 'aimants'. — Mais comment ? ..." — "Comment allez-vous ? Vous ne dites plus rien ; c'est un tel Silence, soudainement!" La conversation muette fut interrompue par une voix qui semblait trop forte, et trop proche, malgré le fait qu'elle soit prononcée avec douceur. Trop réelle. Toutes les voix intérieures, pudiques, firent aussitôt le silence... Et alors, petit à petit, les autres sons ré-émergèrent : les tintements des verres qui se rencontrent, le brouhaha des conversations ; la lumière tamisée des grandes pièces du lieu ; et puis toutes ces silhouettes, grandes, fines, qui se déplaçaient avec grâce d'un groupe à l'autre. Les hommes en smoking, les femmes en robes noires. — Était-ce donc là où je me trouvais... Je cherche des yeux la personne ayant fait une allusion mystérieuse...
  17. Un papillon sur l'épaule. (1978). — Un homme fait escale à Barcelone. Il descend à l'hôtel. Tout va changer et devenir étrange lorsqu'il entend des bruits suspects en provenance de la chambre d'à côté, et décide d'y entrer. Il devient de plus en plus convaincu que tout le monde lui ment, et que chacun à quelque chose à cacher. J'ai aimé, d'autant plus que le mystère n'est pas explicité — ce qui fait que certains détestent ce film, comme s'il était "inachevé", et d'autres au contraire préfèrent justement qu'il reste tant de ces non-dits et de ces possibles (et dont je fais manifestement partie). Un beau jeu d'acteur de Ventura. Des ruelles magnifiques également. Ça reste un classique, que je recommande. Pour ma part je le classe clairement dans la catégorie des films d'espionnage, bien que cela puisse surprendre certains.
  18. Criterium

    La gemme.

    Le marcheur exténué dut prendre une décision. Soit s'arrêter et mourir ; soit continuer jusqu'à ce que ses jambes flanchent, refusent de le porter, choir et puis mourir ; entre les deux l'issue serait la même... c'était davantage le choix de ce qu'il voulait faire de son esprit et de sa douleur. En quelque sorte, sacrifier l'un pour l'autre ou vice versa. — Il regarda autour de lui avec des yeux neufs, le temps de quelques pas. L'étrange contrée à perte de vue. La terre ocre et grise ; les sols stériles ; quelques buissons d'épines çà et là, des rochers poussiéreux mais aux couleurs fantastiques — gris, bruns, marrons et rosâtres... — et puis, là-haut, au loin, la grande chaîne des montagnes. Passant de colline en colline, il pensait voir en chaque relief qui avait l'air un peu irrégulier la main de l'homme. Peut-être était-ce vrai ; la trace de civilisations anciennes... — mais à chaque fois, point de hameau, point de ville. Seuls les indices d'un passé. Oui. Il faudrait continuer. Il ne pouvait pas s'arrêter comme ça, et capituler. Les muscles de ses jambes en auraient peut-être été réconfortés, mais s'il cessait de marcher ils deviendraient durs comme la pierre — et lui deviendrait une statue, s'ankylosant, desséchant au soleil pendant que son esprit apprendrait à se haïr. Impossible. Il était un homme qui n'arrêtait jamais. Son âme n'aura point à rougir. — Là-bas, par-delà la prochaine butte, il y a peut-être un village. — — — Il se réveilla en pleine nuit. L'air était frais ; il se tenait enveloppé dans un tissu fin — vermeil et brodé de fils d'or. Derrière lui, il sentait la fermeté d'un grand mur de terre cuite... Ses pieds, ses mollets, ses cuisses étaient encore endolories, pleines de courbatures ; pourtant, il réalisait qu'il était sauvé. Il n'avait plus faim. Avait-il mangé ? Avait-il bu ? Il n'en avait plus souvenir ; sans doute... Il se sentait très bien, juste si fatigué... Il n'était pas mort. Essayant de jouer avec sa mémoire, il ne put qu'apercevoir à nouveau les étendues presque désertiques où il avait tant marché... Quelque part non loin de lui, il entendait le clapotis de l'eau, comme une source qui riait dans le langage des ondines. Sa mélodie le berçait — son corps si affaibli — les paupières lourdes — et il se rendormit aussitôt... Il se réveilla à nouveau. Le premier rayon de soleil l'accueillait ; était-il donc couché vers l'Orient ? — c'était là-bas un magnifique point de lumière, qui surgissait au-dessus de la montagne, et baignait petit à petit toute la plaine de son agréable chaleur... Le point semblait être une gemme qui projetait ses reflets d'ambre. Il ne savait pas s'il avait dormi quelques heures ou pendant des jours entiers. Mais maintenant à la lueur du matin, il découvrait le lieu où il s'était comme transposé. Le mur était décoré de motifs irréguliers en lignes droites et en angles, comme si on y avait gravé un immense labyrinthe — ou un texte avec un alphabet secret. À côté de lui, un bol fumait... Un thé herbal que quelqu'un avait dû venir de lui verser, juste avant l'aube. Il y posa les lèvres. L'arôme était délicieux, aux notes terrestres... Il y reconnaissait l'odeur des arbustes qui poussaient là-haut, loin dans la montagne... Un peu plus loin, quelques habitations, de la même couleur que le sol ; peut-être était-ce pour cela qu'il n'avait pas réalisé qu'il s'était approché d'un endroit peuplé. Il devait se trouver dans un village. Le mur contre lequel il s'était assoupi, c'était celui d'un temple. Un homme apparut et s'approcha de lui. Il était vêtu très simplement, d'un vêtement rouge bordeaux, taillé à la manière d'une tunique longue. Il était difficile de lui donner un âge ; sa barbe et ses cheveux étaient courts, et parsemés de noir, de gris et de blanc. C'était comme s'il se tenait entre plusieurs mondes. Il avait la peau hâlée de quelqu'un qui avait résisté de longues années au soleil, et le regard bienveillant, le visage calme et immobile : l'air d'un homme qui a beaucoup vécu. — "Bienvenue au temple de Soukoun, voyageur." Ils parlèrent. — Qu'était ce village ? Il n'avait pas de nom ; c'était simplement le village du temple, où vivaient quelques personnes, et où passaient les paysans et les marchands en route vers Aksor. Ainsi il n'était pas perdu... Mais il avait dû marcher des semaines... Tôt ou tard, d'autres voyageurs feraient halte ici, ou à l'autre village, un peu plus grand, qui se trouvait juste derrière la prochaine colline. Il soupira, soulagé, et remercia le prêtre — car il devait être une sorte de prêtre ? — en devinant qu'il lui devait d'avoir survécu. L'homme le guida tout autour du lieu. Il n'y avait que quelques habitations, et cette grande bâtisse : le temple, dont tous les murs étaient gravés. Du dehors, les murs étaient clairs, simples, de la même couleur que la terre de la région ; à l'intérieur pourtant ! — que de richesses et que de couleurs ! Ils se déchaussèrent et entrèrent. Les murs intérieurs étaient drapés de tapis aux motifs géométriques, certains aux tons rouges, d'autres aux tons verts des plus riches prairies ; le long des cloisons de la pièce principale étaient disposés de riches coussins brodés d'or, formant une longue file de fauteuils sans pieds, à la manière d'un diwan. Plusieurs autres personnes vêtues similairement conversaient à voix basse, très posément, comme s'ils avaient tout le temps du monde. Avant de les rejoindre, le voyageur remarqua la grande colonne qui semblait plantée là, vers le milieu du mur du fond, mais qui n'y était pas pour supporter la toiture en toile, mais plutôt un autre tapis encore plus richement décoré, et scintillant d'innombrables broderies en or et en métaux précieux. — "Qu'est-ce là ?" demanda-t-il en découvrant le tapis tant mis en valeur. — "Venez, je vais vous montrer." Ils se dirigèrent vers la colonne. D'ici, l'on pouvait voir qu'au centre du tapis étaient également tissées des petites pièces de métal, trouées, et serties de pierres précieuses. Elles étaient magnifiques, et luisaient de couleurs étonnantes à chaque nouvel angle. Pourtant — malgré ce spectacle — on ne voyait qu'elle : au centre, parmi tout cet entourage, l'une des lueurs scintillait encore plus. Un diamant immense. Taillé si finement que chacune des innombrables facettes capturait le moindre brin de lumière. Il n'avait jamais rien vu de semblable. Et là, à l'intérieur de la gemme, comme un portail vers un autre monde, un monde de lumière. Celle-ci y prenait un léger reflet vert. Ce n'est pas le vert de l'herbe ou des arbres ; c'était le vert pur, franc, qui devenait presque une autre couleur transcendante, au-delà de l'arc-en-ciel. Avec comme une phosphorescence. — "Voici Soukoun." — "C'est donc votre Dieu ?" Le prêtre rit. La remarque avait dû lui sembler ridicule ; le voyageur se prit à espérer qu'il ne lui avait pas fait offense. Mais la réponse fut bienveillante : — "Vous avez dû explorer trop de pays ravagés par l'idolâtrie. Il n'y a de Dieu que Dieu. Ses créatures et ses gemmes sont à Lui/Elle, sont de Lui/Elle, mais elles ne sont pas Lui/Elle. — Non, cette pierre s'appelle Soukoun, elle fut la fondation de ce temple. Venez — si cela vous intéresse, il y a un grand homme ici qui pourra vous en raconter toute l'histoire. Venez donc." Ils rejoignirent les autres hommes dans un coin de la pièce. Tous l'accueillirent avec joie : ils lui dirent qu'il était leur vénérable invité. Ils lui offrirent la place d'honneur : le fauteuil juste dans l'angle. Ainsi, il avait vue sur toute la pièce, et pouvait s'entretenir autant avec ceux à sa gauche qu'à sa droite. Tous lui montrèrent maints égards ; tous l'assurèrent de leur hospitalité. S'il souhaitait manger — s'il souhaitait boire — il n'aurait qu'à le dire. — "Vous êtes arrivé à nous au seuil de la mort, comme si vous nous fûtes confié..." La voix féminine le surprit. Il s'aperçut que parmi tous ces hommes, il y avait aussi une femme, et c'était elle qui venait de parler. Son visage aux cheveux courts était très androgyne ; ses traits étaient fins et anguleux et laissaient planer le doute. Elle revêtait la même tenue que les autres, rien ne la différenciait d'eux. Ça n'étaient que la voix, les joues glabres, le pli de l'œil qui le révélaient. À côté d'elle était assis un vieil homme dont la barbe était devenue d'un blanc éclatant, et à l'air vénérable, mais aux yeux toujours aussi vifs et bienveillants que ses compagnons plus jeunes ; cela rendait son âge impossible à évaluer. Celui-ci fut présenté comme étant Rasham, le sage aux cent histoires. — "Nous avons une manière particulière de raconter les histoires sacrées", prévint-il. Deux hommes et la femme se levèrent sans un mot, et se tinrent au milieu de la pièce, immobiles, les bras de long du corps. Un long silence se fit. — Lorsque Rasham reprit la parole pour me conter l'histoire de la gemme, je compris. Il disait quelques phrases, dont certaines avaient dû être mémorisées depuis l'autre bout de sa vie. Après quelques mots, le silence était complet durant un instant — mais les trois personnes qui étaient debout dansaient... Ils alternaient postures et déplacements... Avec des mouvements qui, bien plus que faisant écho à l'histoire, la poursuivaient, la continuaient — et y ajoutaient une incroyable subtilité qui n'avait bel et bien besoin d'aucun mot. Car ça n'était pas une simple histoire ; c'était une danse. Le récit alternait entre les mots du sage, et les pas des danseurs. Les gestes, selon un alphabet inconnu, comme les motifs des murs gravés, valaient chacun mille mots. Ce fut ainsi que fut contée l'origine de Soukoun — moitié phrases moitié mimes. Elle se déroulait à peu près ainsi : Il était une fois un paysan pauvre dans un village perdu dans ces montagnes. Une nuit, il rêva qu'un message lui serait confié. Il pensa le voir dans le reflet de l'herbe, dans le chuintement du vent, dans le cri d'un animal, dans les danses d'un arbuste en feu ; mais à chaque fois subsistait le doute — il ne savait pas si ç'eût vraiment été là le message qu'il attendait. Ainsi passèrent les années... Au fur et à mesure du dur labeur les illusions se dissipèrent ; il croyait de moins en moins souvent entendre l'appel, voir quelque chose, bien qu'au fond de son cœur il demeurait convaincu de la réalité de son rêve. — Ce fut vers la fin de sa vie que soudain, un soir, promenant son regard vers l'horizon, il aperçut un signal qui immédiatement lui parut évident. Cet éclair soudain ; ce grondement sans tempête ni orage ; l'aveuglante lumière et la longue griffure dorée, en ligne droite, tracée le long du ciel ; c'était l'évidence même. Alors, il abandonna tout ce qu'il était en train de faire, et marcha, marcha, marcha jusque là vers où la lumière avait touché la montagne. Son corps âgé n'eut aucun mal à aller de lieue en lieue — car n'avait-ce pas été ça, la mission pour laquelle il s'était préparé toute une vie ? Là-bas, dans un grand cercle de terre brûlée, noirâtre, flottait une odeur de soufre et d'ozone. D'autres fragrances indescriptibles aussi, qui prenaient à la gorge, et parlaient d'autres mondes. Et, au milieu du rond noir : un gros cristal opaque, blanc et aux reflets verts. Il y posa la main : la pierre était encore chaude. Un groupe de villageois l'avait suivi et l'aida à ramener l'étrange cristal. Tous étaient fort impressionnés par l'aspect de la roche tombée du ciel. Il en émanait quelque chose qui ne paraissait pas de ce monde. Le paysan âgé décida qu'il s'agît là d'un présent divin, destiné à la plus personne la plus éminente qu'il connût : leur Roi, leur Guide, leur Prêtre — car il était tout cela à la fois : le grand Solom. Recevant cette pierre, le roi couvrit le paysan et sa famille de richesse, ainsi que tout son village, afin qu'il prospère. Mais, bien au-delà des matériaux qui ne facilitent que ce monde, il leur fit un don en retour : il inscrivit leur nom dans le Grand Livre de leur Histoire. Nul n'oublierait Arz du village de Marab. Réunissant les sages de leur contrée, le roi écouta tous les conseils quant à ce qu'il conviendrait de faire de la pierre. On s'aperçut vite que derrière la surface rendue opaque par le feu et la poussière, il s'agissait en fait de la gemme la plus précieuse que l'on eût connue. Il fallut dépêcher des messagers dans les montagnes les plus reculées pour trouver l'artisan possédant le plus grand don, afin de tailler la pierre pour lui faire revêtir sa véritable splendeur. L'ouvrage prit plus de trente ans. — Ce fut un Solom âgé, au faîte de sa gloire et au crépuscule de sa vie, qui retrouva enfin la pierre magnifiquement taillée et put y lire, face-à-face, les lettres secrètes. Il en découvrit le Nom ; il le confia à un temple secret. Ce temple, cet ordre, c'était eux — et c'était ici. Le Soukoun. Le récit terminé, les danseurs se retirèrent. — Ils revinrent un peu plus tard, accompagnés d'autres personnes qui portaient un grand récipient en métal. Ils le déposèrent dans le coin de la pièce, au milieu de tous les hommes assis sur le sol ; alors chacun se plaça en cercle tout autour. L'histoire avait-elle duré des heures ? Lorsque le couvercle du récipient fut soulevé, ils s'aperçurent tous d'à quel point ils avaient faim. Un arôme de cardamome et de carvi s'invitait dans la pièce ; il provenait du riz parfumé, lequel entourait une sorte de pâte brune. Quelques-uns marmonnèrent quelques mots à voix basse ; peut-être une prière, ou simplement un remerciement envers la terre et le monde ; puis tous commencèrent le repas. On prenait le plus simplement du monde un peu de nourriture dans la main droite, et on mangeait ainsi ; le tout se faisait en silence. La pâte se révéla être une sorte de mélange, rappelant l'houmous mais contenant certainement de la viande pilée et des olives. Le tout était épicé et délicieux. Chacun mangea à sa faim. Après le repas, ils firent passer quelques bols d'eau pour s'y rincer les mains, puis une sorte de bout de tissu pour les essuyer. Puis on amena le thé à nouveau, et les grandes branches d'arbustes très feuillus ; tous en roulèrent quelques feuilles pour les mâcher. — "C'est une plante qui aiguise l'esprit", lui dit-on. Il faut la garder du côté de la bouche, et par intermittence, mâcher ce qui devenait une petite sphère pour en extraire petit à petit toutes les bénédictions. Il goûta au feuillage — étrangement cela n'avait pas tant que cela le goût de la chlorophylle ; mais davantage, celui du café et de l'anis. — Les esprits vivifiés, leurs conversations reprirent. On indiqua au marcheur qu'il pourrait se rendre le lendemain à l'autre village par-delà la colline, où les marchands se déplaçaient plus souvent. Ce n'était pas très loin, et s'il avait survécu jusqu'ici en passant par les plus grandes montagnes, les déserts et les regs du pays, il lui serait enfantin de s'y rendre. Ils lui dirent aussi que parfois venaient jusqu'ici toutes sortes de personnes en recherche spirituelle, et souvent par d'étranges hasards ; à certains de ceux-là, ils apprenaient le langage secret des pas de danses, et les exercices qui, en domptant le souffle, domptent l'esprit. S'apercevant que le mystérieux marcheur possédait lui aussi cet étrange signe — comme un aimant dans le cœur vers les choses cachées — ce qui s'était même inscrit dans sa chair par une ligne naturelle particulière au niveau du poignet gauche — les prêtres lui révélèrent quelques bases sur cet alphabet des mouvements. Ils lui apprirent que la plupart de ces gestes étaient en fait des hiéroglyphes vivants ; et, comme les hiéroglyphes, ils pouvaient parfois s'interpréter de manière symbolique, et d'autres fois signifiaient une syllabe précise, ou encore un son ; d'autres fois encore, chaque positionnement d'une partie du corps correspondait à une consonne précise et le danseur alors devenait lui-même, en entier, un trilitère... L'apprentissage complet de ce système demandait neuf ans. — Il manifestait beaucoup d'intérêt, et écoutait avec attention ce que les autres lui révélaient. Il était plaisant d'entrevoir une lueur de leurs mystères, contée par leurs voix calmes et sereines. Ce fut ainsi jusque bien tard dans la nuit que la conservation continua... L'entière journée était déjà passée, sans que quiconque ne pensât à la mesurer... — Il s'endormit au-dehors, bercé par les sons du vent ; les muscles relâchés, entièrement re-vivifié par son escale. Il pourra repartir dès l'aube... même avant. ...Au petit matin, l'on se rendit compte que le destin se poursuivait. Que rien n'arrivait véritablement par hasard. Que derrière des coïncidences se cachaient des lignes qui auraient pu paraître parallèles, mais qui véritablement s'entrelaçaient depuis longtemps. Le marcheur était déjà reparti. Malgré le visage horrifié de certains hommes, celui du vieux sage restait calme... — lui plus que tous les autres, l'avait depuis longtemps vérifié et vécu. Il ne subsistait déjà plus une seule trace de doute en lui. — Car, au faîte de la colonne portant le somptueux tapis aux pièces précieuses, il manquait quelque chose. Le diamant vert, le Soukoun, n'était plus là.
  19. Criterium

    L'au revoir.

    Ça me fait plaisir que tu as aimé celui-ci particulièrement.
  20. Criterium

    Contours.

    J'aime bien que cela te fasse imaginer tant de possibles. Les traboules, la vieille ville — tu as dû le voir, c'est une sorte de lieu "liminaire" qui revient me hanter sans cesse. C'est devenu presque un mélange de beaucoup de villes différentes. — Mais là, tu as raison, puisque je me souviens clairement que quand j'ai commencé ce texte en 2017 c'était bien Lyon que j'avais le plus en tête pour ce "décor".
  21. Criterium

    La traque.

    Bonjour ! Je tiens à te remercier à nouveau parce que cela me fait plaisir que tu aimes prendre le temps pour lire mes petits textes déposés. Malgré tous les écrits j'ai moi aussi encore le démon de l'auto-critique, donc chacune de tes lectures m'aide. — En plus dans la quantité se dévoilent des thèmes récurrents et donc quelque part mes névroses... J'espère que les prochaines ne te décevront pas ! Dans les styles qui suivent je pense qu'il y en aura certains qui te plairont et d'autres moins. (en même temps, je m'aperçois que dit comme ça c'est évidemment un truisme).
  22. Criterium

    Ce qui est caché.

    Une lettre. Un appel. — Les mots tracés par une main qui tremblait. Mon cher Guillaume, La santé de votre sœur s'est malheureusement bien appauvrie. Le docteur Roux a dit qu'il s'attendait au pire... Il n'a pas su dire s'il s'agissait de l'affaire de quelques jours, mais je dois vous avouer que je le crains. Venez vite au domaine de Mauséjour. Nous y sommes tous réunis. Francesca est déjà arrivée. O.~~~ La signature de mon oncle était toujours aussi illisible. Je ne m'étais pas du tout attendu à recevoir ce mot. Les affaires m'avaient rappelé à Paris il y a de cela quelques jours ; une semaine et demie tout au plus. Les voyages m'amenant vers trop de destinations lointaines, et ma disposition trop taciturne, avaient fait en sorte que les nouvelles de la famille ne me parvenaient que bien rarement, d'habitude. Je savais que ma sœur avait eu quelques problèmes de santé par le passé, sans jamais vraiment savoir qu'ils fussent si préoccupants... Malheureusement... c'était plus grave que prévu. Elle avait la constitution fragile ; elle avait dû attraper quelque chose qui l'avait épuisée et abîmée. Mais à ce point-là ? Étaient-ce donc réellement ses derniers jours ? - Je n'arrivais pas à me l'imaginer... Le mot, si pressant, sa réception inattendue, l'écriture tremblotante : tout cela me faisaient réaliser que c'était sérieux, et qu'il était important que je m'y rende tout de suite. Je n'étais pas d'un naturel expressif ; le mot fut lu et relu sans ciller. Pourtant... en reposant le papier sur le bureau, à côté de l'enveloppe déchirée — ma main avait tremblé. ★ La voiture parcourait la campagne, gravissant puis re-descendant les collines, le long de cette route ressemblant à une suite de dos d'ânes géants. Lors de la montée il fallait faire attention aux angles morts ; on ne savait jamais si un autre véhicule allait soudain se révéler dans le champ de vision ; c'était du reste assez rare, une fois si loin de Paris. Après chaque montée, une fois arrivé au sommet, l'on avait la récompense : la vision d'un fabuleux paysage boisé, onduleux, jusqu'à l'horizon. Quelle vue ! — À cette heure-ci, toutes les couleurs semblaient plus saturées : le bleu franc du ciel, le vert des arbres, les gradients jaunes des champs et le gris de l'asphalte. Et, à perte de vue sur l'autoroute : presque personne. Ah, on était bien loin de la circulation francilienne... La voiture continuait ainsi, de colline en colline, passant parfois à côté de villages qui semblaient vides, et s'approchant de la frontière. Il y en avait encore pour quelques heures. — Enfin : la forme qui se découpait sur l'horizon, révélée derrière une montagne, soudaine. — La flèche pointue de la tour de l'une des bâtisses... La pierre vieillie et devenue presque noire. C'est Mauséjour ! Je garai la voiture sur le côté du bâtiment principal. Ancienne métairie au XVIIIème — enfin, à l'époque, l'on l'appelait sans doute une borderie ou un "lieu" — tombée en désuétude, rachetée au XIXème par un anglais excentrique qui l'avait entièrement rénovée pour lui donner l'air d'un manoir, puis acquise par la famille lorsque cet anglais, n'ayant pas eu d'héritiers, en fit le don entier à un ami... collègue, camarade, confrère ? ... leur relation ne m'avait jamais été nettement définie ; notre grand-père. Il s'était installé dans la bâtisse, y avait fait déménager toutes ses affaires, et se consacra après une retraite anticipée entièrement à la vie locale. Depuis longtemps, cette terre ne produisait plus ; il avait pourtant jalousement gardé le domaine. Le "domaine" — c'était comme cela qu'il appelait ce lieu, comme pour en rendre le nom-dit plus signifiant, car rarement prononcé. L'après-midi touchait à sa fin. Le ciel se couvrait déjà. Je contournai rapidement le bâtiment pour me retrouver dans la cour pavée qui formait une sorte de "centre" du domaine, une petite place entre les dépendances. Elle était étonnamment vide, cette fois. — C'était là que se trouvait la porte d'entrée. Lourde et imposante. Alors, enfin : je toque. On m'ouvre. Aussitôt — en voyant sur le seuil Francesca — ma compagne — dont les yeux étaient rougis, et juste à côté d'elle, notre tante dont le menton s'était gravé de plis trahissant la douleur, je comprends : je suis arrivé trop tard. Je regarde O., debout, très droit, stoïque dans le coin de la pièce — nous avons cela en commun. Dans un sanglot, elles me confirment la triste nouvelle : ma sœur est morte. ★ Tard dans la soirée. Les femmes se sont retirées. Il ne reste que moi, mon oncle, mon cousin Xavier et le docteur Roux. Le reste de la famille n'était pas encore arrivé. Dans la pièce que mon oncle avait convertie en étude, nous buvions à petites gorgées un digestif — chacun avait choisi un alcool fort différent. Le mien était un bourbon. Mon oncle et le docteur jouaient aux échecs. Je regardais les pièces, essayant de prédire les coups qui allaient suivre. J'étais initié ; mais mon oncle bien plus, car il avait acquis un titre, il y a très longtemps. Parfois j'avais l'impression de ne comprendre le coup seulement qu'une fois qu'il fût joué, ce qui était tout autre chose que de le prédire... Xavier fumait à la fenêtre. Seul le son des pièces en bois ajustées sur l'échiquier rompait parfois le silence — et si peu. C'était comme si nous attendions tous qu'un autre prenne la parole pour enfin parler de la disparition. Ce fut mon oncle qui rompit le silence, lorsque Xavier revint se pencher sur l'échiquier pour suivre ce qui s'y était passé. — "Quand même, pourquoi s'était-elle mise en tête ces fadaises occultes..." Je ne compris pas tout de suite l'allusion. Pourtant, les autres avaient eu l'air de tout de suite saisir, de savoir de quoi il retournait. Devant mon expression médusée — mais presque à contre-cœur — ils m'expliquèrent que depuis quelques mois, ma sœur, dont je savais bien qu'elle s'était toujours intéressée à beaucoup de choses spirituelles mais douteuses — les artistes ne sont-ils pas toujours un peu perchés ? — avait commencé une pratique soutenue d'exercices physiques très particuliers, en connexion avec ses recherches ésotériques. Un début de folie. Il s'avère qu'elle était convaincue que notre grand-père faisait partie d'une confrérie qui avait compté dans ses rangs le riche anglais, ce qui expliquerait l'héritage ; et de plus, qu'ils avaient réussi à mettre la main sur un trésor. Quoi exactement — elle ne l'avait jamais su ; mais dernièrement, elle s'était convaincue qu'il ne s'était pas agi d'un trésor physique. Au lieu de pièces d'or enterrées dans une cassette au jardin, elle imaginait une sorte de gemme spirituelle. Ç'aurait été une simple histoire comme une autre — de nos jours, qui ne connaissait pas quelqu'un qui croyait encore trouver le reste du trésor de Blanche de Castille à Rennes-le-Château, ou encore les archives secrètes des Templiers dans quelque château cathare ? — si ça n'avait pas eu des conséquences aussi tragiques : les exercices corporels, les heures passées à méditer ou à tenter de contrôler sa respiration selon diverses techniques, tout cela avait grandement affecté sa santé déjà faible. De temps en temps, elle s'arrêtait en plein milieu d'un couloir ou d'une pièce, et faisait des sortes de passes, ajustant ses mains dans diverses configurations. Quand ils lui avaient posé la question sur la nature de ce nouvel exercice, elle avait répondu : "Je veux savoir si je suis dans l'astral." — Cela avait donc bien fini par affecter également sa santé mentale... Petit à petit, elle s'était amaigrie puis était tombée malade. Juste un rhume, et un surménage ; auxquels s'étaient adjoints une fièvre et des arythmies. Puis cela s'était empiré. Cette image de la folie qui s'était invitée au domaine me resta à l'esprit même en rejoignant Francesca dans ma chambre. ★ La nuit semble ne jamais en finir. Me suis-je réveillé si tôt ? Pourquoi est-ce que les ombres semblent si noires ? Suis-je seul ? ... Ma chambre est au premier étage, tout au bout du long corridor qui mène à cette aile de la bâtisse. Je prends toujours celle-ci ; elle est isolée de tout, parfaite pour travailler en silence si besoin est. Le lit aux draps bleus. La grande armoire en face qui projette ses ombres sur un recoin. La fenêtre à droite qui ne laisse entrer qu'un bien mince rayon de lune. Tout est calme ; tout dort. Il n'y a aucun bruit. Il fait nuit, et la nuit semble ne jamais en finir. Pourtant, comment expliquer cette sensation oppressante qui s'y est invitée... ...comme si toutes les choses m'observent... les objets, l'armoire qui me dévisage. Le clair de lune qui cache un rôdeur. Un sombre pressentiment. — — Et soudain, je m'aperçois, voulant briser cette illusion en me relevant, que mon corps ne m'obéit pas. Pas un membre ne bouge... Je suis paralysé. L'oppression est de plus en plus forte. Le silence de la pièce devient presque un murmure... Je suis incapable de bouger ! Et la nuit qui n'en finit pas ! Là... au chevet de mon lit... une silhouette noire... une présence ! Terrifié, ma respiration s'accélère. Je peux encore respirer, mais je ne peux rien faire d'autre — je suis cloué au lit, les yeux rivés vers l'apparition... impossible de regarder ailleurs... Suis-je en plein cauchemar — et pourquoi celui-ci paraît-il si réel ! Oui, je suis forcément en train de faire un cauchemar. Tant bien que mal, je régule ma respiration petit à petit... la sensation oppressante reste, mais elle me prend moins à la gorge au fur et à mesure que je me répète : pas d'inquiétude, ce fantôme n'est pas réel, tout cela n'est qu'une paralysie du sommeil. La silhouette reste immobile, droite ; elle prend les contours d'une femme, j'ai l'impression que c'est une sorcière qui m'observe, guettant le bon moment pour se jeter à ma gorge et me prélever le sang. Je m'aperçois que la dame en noir a le visage jeune — et puis je la reconnais tout d'un coup : c'est ma sœur décédée. — "Tu vois mais tu ne vois pas. Tu cherches mais tu ne cherches pas. Ne t'en rends-tu pas compte ?" Les mots n'ont pas été prononcés, mais comme un bourdonnement intérieur qui est pourtant tout à fait distinct, articulé quelque part en moi. Cette sensation m'étonne et me distrait soudainement de celle de l'effroi... — — Je me réveille en sueur. Il me semble que les battements de mon cœur sont trop forts, presque comme des palpitations ; je sens dans le fond de ma gorge les mouvements de l'artère qui palpite. Un instant, je reste immobile, redressé sur les draps presque humides, à me concentrer sur mon rythme cardiaque trop élevé. Est-ce un effet de l'alcool ? Ou alors une apnée du sommeil ? — J'ai appris que les deux peuvent entraîner ces sortes de tachycardies au réveil, surtout en période de stress. Les événements ont dû m'affecter plus que je ne l'eus supposé. Pourtant, l'image si nette de ce qui avait presque en phase de devenir un cauchemar ne disparaissait pas ; plutôt, comme les rares rêves qui marquent profondément l'esprit, chaque minute en ancrait davantage le souvenir — qui se concentrait maintenant sur une simple scène, sur un simple visage : celui de ma sœur, et ses mots cryptiques qu'elle m'adressa. ★ — O. avait réagi en fronçant les sourcils, étonné de ma demande. "Je ne pensais pas que vous vous intéressiez à tout cela, vous qui êtes si cartésien", m'avait-il dit. Sans doute pensait-il que ce n'étaient pas les documents eux-mêmes qui éveillaient mon intérêt, mais que j'avais tout simplement juste caché à quel point la disparition de ma sœur m'avait affecté, et que je cherchais plutôt, à travers la compulsion de ses effets personnels, à en retrouver la présence, à la sentir près de moi une dernière fois. Mais il avait accepté. Il m'avait confié la grosse clef de sa chambre du troisième étage. J'eus un frisson en pénétrant dans la pièce. La clef dans la serrure avait fait un clic sinistre. C'était surtout le fait de me retrouver juste en face du grand lit, maintenant plié au carré et recouvert d'une toile blanche en dentelle ; là ; le lieu où, j'imagine, elle avait passé ses dernières heures. Il y a quelques jours, cette pièce à la vie tranquille... puis la tragédie... l'agonie qui devait avoir eu lieu juste là... — La dernière personne à s'être rendue ici devait être le docteur Roux, avec... la morte... Mais point de sentimentalisme. Je chassais ces pensées de mon esprit ; je n'étais pas venu ici pour faire le deuil. Malgré le fait que c'était complètement absurde — les rêves et les cauchemars ne pouvaient être que les produits inconscients d'une journée qui refont surface comme des images — j'avais retenu de ma paralysie nocturne l'image de la silhouette noire : ma sœur... et surtout ses mots, que j'interprétais comme un message qui m'était destiné, et que j'avais à retrouver quelque chose dans ses affaires. Évidemment, ça n'avait été que le produit de mon propre inconscient ; je savais donc qu'il avait dû en fait s'agir d'une intuition, qui me disait que je devais vérifier par moi-même l'histoire que l'on m'avait faite de ses derniers jours. — Et dussé-je ne rien apprendre de plus, je savais que parmi ses livres d'ésotérisme il devait bien s'en trouver un ou deux se rapportant aux paralysies du sommeil, et à leurs apparitions. Au pire, cela me fera de la lecture ! Cela relativiserait un peu mon expérience de la nuit. Les étagères de sa bibliothèque personnelle étaient couverts de volumes douteux. Il n'y avait pas énormément de livres, mais les seuls qui ne se rapportaient pas à son sujet de prédilection étaient des manuels de botanique. — Sur son bureau, un petit tome avec une belle reliure ; le premier tiers était écrit à la plume, d'une graphie manuscrite délicate. C'était son journal intime. Je le parcourus en diagonale — ce qui me faisait déjà bizarre — mais n'y vit rien de particulier. Elle y détaillait ses promenades en campagne et dans les sous-bois ; parfois, avec une feuille séchée entre les pages, comme pour un herbier. Quelques poèmes, aussi. Aucune référence à un quelconque trésor. Les dates ne se suivaient pas toujours à intervalles réguliers — puis, s'éloignant de plus en plus... le journal devenait cette longue suite de pages qui resteraient blanches... — Je le refermai et fouillai le reste du bureau. Au fond d'un tiroir, je retrouvai un petit coffret, qui contenait quelques bijoux et quelques cristaux. Rien de bien remarquable. J'allais le remettre en place, quand je remarquai soudain que la profondeur du coffret ne correspondait pas à la taille de la pièce en bois qui en constituait le fond. Ce type de facture ne pouvait s'expliquer que s'il s'y trouvât un compartiment secret. Scrutant avec peine chacune des veines du bois sur les différentes facettes du coffret, durant de longues minutes, je réussis enfin à remarquer une minuscule anomalie — presque une sorte d'aiguille, de la même couleur que les veinures — qui se révéla avoir du jeu dans une direction. Avec la pointe d'un stylo, j'actionnai le mécanisme. Il cliqueta — il ouvrait une sorte de tiroir très étroit dans le double-fond de l'objet. À l'intérieur : un carnet, couvert d'une écriture fine que je reconnaissais. C'était l'autre journal intime de ma sœur. Le premier, laissé bien en vue, parlait de choses bien anodines. Celui-ci, par contre, ne concernait que ses recherches et ses exercices étranges. Les dates étaient toutes récentes, et celles-ci étaient quotidiennes. Des techniques de pratyahara yoga, concernant la préparation du corps pour entrer dans un état méditatif, puis le dessin "par l'esprit" de formes mentales. Une suite codée de mouvements de danse, rédigée dans un vocabulaire gurdjieffien. Différents essais de régimes alimentaires dangereusement pauvres ; jeûnes et thés herbaux. Si elle ne s'était nourrie que de cela, je comprenais pourquoi sa santé déjà fragile avait dû flancher de plus en plus. Une technique de dissociation, effrayante : se tenir immobile devant un miroir, trop près, dans l'obscurité, et jusqu'à ce que le reflet devienne un Autre et se déplace. Des remarques incompréhensibles sur les "canaux" du corps humain, de chaque côté de l'épine dorsale, dont l'excitation permettait la pratique du yoga du rêve. Je décidai de garder le petit carnet et d'essayer de mieux le comprendre. C'était forcément là qu'elle aurait pu déguiser un secret ou un indice. ★ — "Pourquoi lis-tu encore tous ces vieux papiers... Tu te fais du mal..." Francesca ne voyait pas d'un bon œil ma nouvelle lecture. Le regard chargé d'un reproche, à la fois comprenant que ce fût peut-être là ma manière particulière de faire le deuil, et à la fois ne comprenant pas tout à fait que je ne pusse le vivre un peu plus à sa manière, avec des larmes plutôt que des obsessions. Ne me laissant pas le temps de répondre, elle se rendit à la salle de bains pour prendre une douche. Elle ne comprenait pas que je passe tant de temps à relire les entrées presque incompréhensibles du journal secret, tentant d'y trouver quelque double-sens caché. Le bruit de quelque chose qui venait de vibrer, sur les draps. Qu'était-ce ? Ah : son smartphone, d'habitude jalousement gardé... Sans chercher à lire le message qui venait de s'y afficher, j'y découvris pourtant quelque chose de suspicieux et de déplaisant qui me fit m'en emparer. "Mais quand vas-tu lui dire ? Vous ne pouvez pas rester ensemble comme ça..." — de la part de son amie Sophie. Le genre de message que les couples n'aimaient pas découvrir dans le téléphone de l'autre ; surtout les couples vivant loin de l'autre une partie de l'année, à cause des voyages professionnels de l'une des deux parties. Je me demandai si c'était bien comme ça que j'allais apprendre une infidélité. Juste après la mort de ma sœur. Le bruit de la douche continuait ; je décidai de faire exception à mes règles, et déverrouillai le portable pour lire le reste de la conversation. Il y avait trop de messages pour tous les lire, mais ce fut facile d'avoir une vue d'ensemble de ce qui se passait. Il n'y avait pas eu de tromperie. En fait, c'était peut-être pire ; j'y découvrais que Francesca voulait partir depuis longtemps, avait hésité, puis finalement pris la décision de rompre, et puis qu'aussitôt après lui étaient parvenues les nouvelles inquiétantes sur la santé de ma sœur. Et maintenant, elle avait écrit : "Je ne peux pas partir tout de suite et le laisser seul face à ça... Il a quand même été là pour moi, pour X. - Nous nous séparerons après...". — À vrai-dire, cela faisait revêtir du sens à tout un tas d'indices, accumulés inconsciemment, qui ré-émergeaient avec des interprétations plus transparentes. Là encore, je pris la nouvelle stoïquement. Pas un mot, pas une larme ; juste un petit pincement au cœur, comme si l'on serrait un peu plus le boulon d'une vis, pour limiter le jeu. Ce serait donc comme cela que tout finirait... Je me replongeai avec d'autant plus de concentration dans les notes griffonnées du carnet. ★ Francesca est partie. — Nous n'avions pas parlé des messages, et elle n'avait rien révélé quant à sa décision déjà prise. Mais cette fois je savais. J'avais le pressentiment — si fort qu'il semblait prémonitoire — que ce serait en fait la dernière fois que nous nous verrions. Ainsi meurt à feu doux une relation de cinq ans... Ce serait sans doute dans quelques semaines, sans pouvoir se revoir ; mes affaires à Paris qui coïncideraient toujours avec ses disponibilités, les heures libres jamais les mêmes ; et je recevrai au mieux une lettre, au pire un long e-mail. Je décidai de rester quelques jours de plus. J'avais passé les appels nécessaires afin que les affaires ne nécessitent ni ma présence, ni ma supervision, pour une semaine supplémentaire. Quoique tout le monde fut content que je prenne ce temps — les réunions familiales n'étaient pas mon fort ni dans mes habitudes — l'atmosphère demeurait pesante. Le silence, les chuchotements ; l'omniprésence de l'absence. — Mon oncle voyait d'un œil de plus en plus mauvais mon intérêt pour les affaires de la morte. Ce soir-là, il m'invita à l'affronter aux échecs. Je savais que c'était un prétexte ; ni lui ni moi n'avions d'illusions quant à l'issue de la partie, il était évidemment un joueur bien plus fort que moi. De plus, il avait gardé toutes ses pièces ; sa manière de faire en sorte que la partie fût équilibrée fut juste de choisir une ouverture très lente. Sans doute pour toutes ces raisons, personne ne portait grande attention à notre partie ; de temps en temps Xavier passait, jetait un coup d'œil sur la position, puis s'éloignait sans un mot, se demandant sans doute dans combien de coups je perdrai la dame. Entre deux conseils murmurés sur la meilleure position d'un cavalier et sur la valeur très relative des pièces mineures, O. me parlait discrètement et avec des allusions voilées sur les recherches que j'avais commencées. Il me mit en garde — qu'il ne faut pas trop s'approcher d'un trésor quel qu'il soit. Je lui demandai en pointant un cavalier : — "À cause des gardiens ?" — Lui faisait non de la tête : "La menace est plus forte que l'exécution" — un principe échiquéen bien connu — "et parfois, même s'il n'y a rien derrière, il suffit que l'autre en soit convaincu pour que même une menace de menace fonctionne... Disons que... Gardez des yeux dans le dos." L'allusion était un peu trop claire. On aurait dit que mon oncle soupçonnait un membre de la famille d'avoir contribué à la fin tragique. Quelqu'un qui avait dû croire s'être approché suffisamment près des richesses pour se dire qu'il pût passer à l'action, et pouvoir être le seul à s'en emparer. Mais c'était absurde ; qui aurait pu faire cela s'il n'y avait même pas de trésor physique ? Notre famille n'était quand même pas si bête ni terre-à-terre, et, j'osais l'espérer, pas si cupide. — "Mais enfin, pour cela il faudrait quand même qu'il existe, sinon c'est absurde, un malentendu, une erreur horrible." ★ Les exercices commençaient enfin à porter leurs fruits. J'avais réussi à passer le "seuil" : chaque nuit, jamais au moment de l'endormissement mais toujours à une heure proche du réveil, je réussissais à induire un état paralytique. Entre la veille et le sommeil. Cette paralysie à l'origine des pires cauchemars ; mais j'avais appris à la connaître, et ainsi je ne ressentais aucune peur en entendant le son — comme une cascade — qui annonçait la survenue d'une Présence. Au début, je la voyais, elle encore : la silhouette fine et grande d'une femme — mais dont le visage restait caché par une obscurité ou un flou, par-delà lequel je ne pouvais rien distinguer. Une fois, cependant, elle avait à nouveau pris les traits de ma sœur, qui m'exhorta à continuer sur cette voie. Les ombres de chaque recoin de la pièce la nuit semblaient toujours autant cacher quelque chose, l'atmosphère n'avait pas cessé d'être oppressante. Généralement, même en réalisant qu'il ne s'agît là que d'un symptôme — pourtant si réel — du phénomène, cette sensation finissait par prendre le dessus ; et alors, je me réveillai à nouveau, le plus souvent dans la réalité. Quelques fois cependant, j'eus une succession de ces expériences oniriques, les unes après les autres, pensant à chaque fois me réveiller mais replongeant dans l'état paralytique. Petit à petit, j'essayai de "tenir" un peu plus longtemps dans le monde du rêve — sentant que si je pouvais y rester un peu plus, je pourrais alors enfin comprendre l'expérience qu'elle aurait pu en avoir. Cette nuit-là — une autre nuit qui semblait ne pas en finir... je sentis que j'avais réalisé une progression. Pour la première fois, j'avais acquis quelque chose en plus. Jusqu'alors j'étais resté dans la pièce, tout au plus aperçu le corridor par la porte ouverte (alors que je prenais bien soin de fermer chaque soir ma chambre). Cette fois, pourtant... J'avais la faculté de me mouvoir. Je me frottais les mains l'une contre l'autre, comme il était prescrit. Elles n'étaient pas vaporeuses, ni éthérées ; je les voyais bien, c'étaient mes mains, fermes, physiques, tout à fait réelles. Pourtant la pièce baignait encore de cette sorte de phosphorescence blanchâtre qui indiquait qu'il s'agît bien là du monde du rêve. Je fis quelques pas. Le sol était ferme ; le plancher faisait le même bruit sourd, le même léger grincement. Tout était réel — et tout était rêvé. La porte était grande ouverte ; le corridor long et sombre. Une ombre s'anima très légèrement. J'eus une grande frayeur — je pouvais entendre le battement de mon cœur comme un tambour à chaque oreille — en m'apercevant que dans un recoin, la silhouette noire et longiligne de ma sœur me dévisageait à nouveau. — "Là-bas", fit-elle sans mouvoir les lèvres, avec un léger geste de la main pour indiquer le bout du couloir. Je m'y aventurai ; la lueur du clair de lune, inexplicablement, parvenait jusqu'ici alors qu'il n'y avait pas de fenêtre de ce côté ; et l'angle de la lumière n'était pas tout à fait correct, il semblait dévoiler l'endroit sous un autre jour. — C'était bizarre. Le corridor est bien plus long qu'il ne l'est dans la vie réelle. Je commençais à comprendre ce que voulaient dire certains occultistes qui parlaient d'un "deuxième monde" dans lequel il faut "renaître". Ça n'était ni une image poétique sur le fait de devenir soi-même, ni une naïve croyance à la métempsycose ; c'était un manuel... pour s'aventurer sur un autre plan. Comme si, au-delà du temps, et de l'espace (largeur, longueur, profondeur), il y avait une autre chose... une autre dimension, un autre axe à parcourir, sur lequel l'on pouvait se mouvoir — à la condition d'être "initié" ; et dans cet état d'entre-deux qui survient à la mi-conscience. Car je réalisai soudainement qu'il y avait des incongruités entre les deux plans. Le corridor était trop long. Mais surtout : il y avait une porte supplémentaire. Par contre, elle était fermée. ★ — "Laissez-moi vous aider à mettre tout cela dans la voiture." Mon cousin Xavier m'aida à apporter quelques affaires jusqu'au coffre. À chaque fois que je venais ici, je devais ramener quelques-unes des affaires que j'y avais laissé il y a quelques années. C'était là le principal désavantage d'un métier qui amène à voyager : le fait de devoir déménager, de ne pas pouvoir tout amener ; mais comme ce domaine existait, au lieu de tout trier et de tout jeter, j'avais acquis — moi comme tant d'autres — un espace à la cave pour y stocker des cartons. La condition était de ne pas les y oublier, et de faire ainsi : ramener quelque chose à chaque fois, pour peu à peu libérer de l'espace et ainsi permettre cet arrangement à d'autres. Je retournai à la chambre. Mon oncle y était, et me tendit le petit carnet. Son air semblait désapprobateur, presque déçu ; mais derrière cette déception je voyais bien que c'était de l'inquiétude qu'il cachait. — "Je le reconnais. Je préférerais que vous ne le gardiez pas, et que vous le remettiez là où vous l'avez trouvé, et avant que quelqu'un d'autre ne l'apprenne." Je commençais à comprendre pourquoi l'on m'avait pressé de retourner m'occuper de mes affaires à Paris. Ç'avait été subtile au début, des questions professionnelles ; de longues discussions à l'étude avec quelques autres membres de ma famille, et puis O. qui tenait toujours à en apprendre un nouveau détail. Comme le docteur Roux était revenu, lui aussi s'y joignait. Puis ç'avait été presque un peu trop, comme si certains s'étaient donné pour but de m'éloigner de Mauséjour. "Pensez à Francesca qui doit se sentir bien seule, à vous attendre..." — nous ne vivions pourtant pas ensemble, et désormais cette remarque ne m'occasionnait qu'un demi-sourire, depuis le message découvert. — Non, maintenant j'étais convaincu que mon oncle, s'apercevant de ma façon dangereuse de faire le deuil et craignant sûrement que je ne suive ma sœur dans sa folie, voulait que je retourne à la vie active en ville, plutôt que de rester ici et de décrépir petit à petit — il ne voulait sûrement pas assister une seconde fois au même spectacle de déclin. Ou alors... je commençais tout autant à entrevoir l'autre possibilité, celle qu'il existât réellement un trésor, physique ou non, et dont la clef était cachée quelque part dans ces expérimentations — soit un indice crypté dans un poème ; soit sur un autre plan — ce qui était incompréhensible : là, dissimulé derrière cette porte supplémentaire, qui n'apparaissait dans le couloir du domaine que dans l'état d'entre-deux entre veille et sommeil, durant lequel l'occultiste se sépare du corps physique. J'avais l'impression que l'on me mettait à la porte avant que je ne pusse trop en apprendre. Et l'on avait réussi : je repartais le jour-même. ★ Quelques jours plus tard, à mon bureau, j'expédiai les affaires les plus pressantes. J'étais revenu à Paris et je n'avais depuis reçu aucune nouvelle, ni de la famille, ni de Francesca. J'avais essayé de poursuivre les quelques exercices étranges, plutôt tard le soir, mais à chaque fois une grande lassitude m'empêchait de m'y concentrer tout à fait, et depuis j'avais été incapable de conjurer à nouveau l'état de paralysie du sommeil. De plus, y aurais-je parvenu, où m'y rendrais-je ? Ce n'était pas ici que j'allais résoudre l'énigme. Et puis, c'était aussi une sorte de peur sourde, causée par la surpopulation de cette ville, cette absence de solitude lorsque les rues ne dorment jamais tout à fait... Inconsciemment, je devais craindre d'y retrouver d'autres promeneurs oniriques ; certainement bien plus entraînés que moi dans ce type de projection astrale, ce qui me rendrait vulnérable à... je ne savais pas exactement quoi, au juste... ; mais tout le monde a eu en tête cette appréhension vague, celle de ne jamais pouvoir se convaincre tout à fait qu'il fût impossible qu'en mourant d'une certaine façon dans un rêve l'on pourrait mourir dans le monde physique... En temps normal, j'aurais peut-être oublié mes expériences ; mais ce qui me revenait invariablement à l'esprit, plus même que l'effrayante silhouette de ma sœur défunte, c'était cette vision du dernier jour, ce corridor trop long et cette porte en trop. J'avais beau me dire que c'était une illusion due au rêve, une illusion dont l'apparence trop réelle avait convaincu et trompé tous ceux qui en avaient fait l'expérience, quelque part la magie opérait malgré moi — le plancher laqué éclairé d'un clair de lune, les boiseries des murs, la pénombre grisâtre : tout me semblait encore avoir été trop réel pour être le simple fruit d'une illusion. Tout en souhaitant retourner à Mauséjour sous quelque prétexte plus ou moins justifiable, le travail et les affaires m'en empêchaient désormais. Alors je résolus, durant mon peu de temps libre, à défaut de pouvoir me séparer à nouveau de mon corps, de rencontrer quelqu'un avec qui je pourrais en parler. Peut-être que mettre des mots dessus, voire de comparer deux expériences, pourrait m'en apprendre plus sur ce dont il s'agissait vraiment. Et en même temps... comment le faire ? Je me voyais mal me rendre à une réunion de tireuses de cartes parlant de l'astral dans un salon de thé, et je me voyais tout aussi mal rejoindre un groupe de jeunes psychonautes — ceux qui sans le chercher, trouvaient d'autres voies pour se séparer du carcan terrestre. À qui en parler ? ★ — "Il paraît... que certains trésors ne sont pas cachés sur le plan physique, alors qu'ils sont pourtant bien réels." — "...vraiment ? Où avez-vous entendu cela ?", fis-je si étonné que le sujet se fût orienté de lui-même dans cette direction. — "Je ne sais plus où, ni si je l'ai lu ou entendu, mais je me souviens bien de quelques exemples." — "Je suis tout ouïe : je trouve cela passionnant... et inattendu..." — "Alors ce sont par exemple certains anciens textes hindous, dont la légende voudrait que personne n'en connaissait réellement l'auteur, puisqu'ils ne nommaient qu'un interprète : un jour, un pauvre paysan s'aventure dans les collines et se perd. Il trouve parmi les rochers, quelques pierres de jolie forme ; il se dit qu'il les ramènera à sa femme pour lui faire un cadeau inattendu. Il les enveloppe dans un bout de tissu, et retrouve tant bien que mal son chemin, après de longues heures. En dépliant le tissu, surprise : les pierres ont comme 'émané' lettres et symboles, imprimés sur la trame. Et ils forment des phrases de sagesse..." — "Un trésor donc..." — "Oui ; je crois qu'un auteur du début du XXème siècle, fasciné par les travaux de Marie Curie, a émis l'hypothèse que les lettres avaient en fait été gravées dans la pierre avec une sorte d'encre radioactive, qui avec les heures a imprimé le message sur le tissu. Il pensait que c'était bien là une preuve de l'existence de l'Atlantide ; que c'était un texte d'une civilisation disparue." — "Enfin, si c'était vrai, le message n'aurait pas été écrit en sanskrit..." — "À vrai-dire on ne sait pas dans quelle langue le texte a été transmis. Ç'aurait pu être une autre ; après tout il y a des langues qui restent comme 'figées' dans leur forme classique pendant des millénaires, justement pour être transmises par-delà le temps — le latin par exemple... mais aussi, et bien plus : l'ancien égyptien, l'arabe, le vieux-tibétain... Il y a dû en avoir d'autres." — "Le vieux-tibétain... je crois avoir lu quelque part que le Bardo-Thödol aurait aussi été 'révélé' plutôt qu'écrit." — "Oui, tout à fait ! En fait, chez les tibétains, c'est même une spécialité... il y a même des comités qui se réunissent pour déterminer si tel ou tel texte ésotérique est bien re-découvert ou une invention. Le problème de la langue s'y pose aussi, puisque généralement ils sont écrits sous forme de symboles cryptographiques, qui seraient des langages non-humains, à re-traduire. Certains grands hommes auraient ainsi eux aussi 'caché' des écrits pour qu'ils soient retrouvés plus tard, sans qu'il n'y ait de transmission directe... par exemple le roi Trisong Detsen, et puis beaucoup d'autres dont je ne me souviens pas du nom. Je ne suis pas une spécialiste." Décidément, le gin-tonic servi à l'occasion d'un tête-à-tête avec cette femme rencontrée par hasard prenait une toute autre saveur. ★ Le soleil était monté bien haut dans le ciel dégagé, et une brise soufflait légèrement. Les feuillages bruissaient, et quelques oiseaux voletaient autour de l'auberge en chantant. J'avais accepté le rendez-vous surtout parce qu'il se tenait loin de la ville, à la périphérie d'un hameau en campagne. Je tenais à ce qu'il se fasse ailleurs ; ce n'était pas la crainte d'être vu, et reconnu, avec cette compagnie hétéroclite, mais plutôt la crainte d'être interrompu si jamais une conversation devenait trop intéressante. C'était celle que j'avais rencontrée par hasard qui m'avait appris l'existence de ce groupe, bien qu'elle ne pût se joindre à nous cette fois-ci. Au début, je craignais un peu qu'il s'agît là d'une sorte de secte ; mais je m'étais vite aperçu que ça ne pouvait pas être le cas, puisqu'il n'y avait ni leader, ni conformisme de pensée — et ils venaient tous de milieux trop différents pour que cela ne collât ensemble. Nous nous étions installés à une grande table en terrasse ; nous avions commandé du thé, et certains avaient aussi pris des petits gâteaux. Là, nous étions juste entre nous, et nous pouvions discuter pendant plusieurs heures. En fait, chacun était venu y chercher quelque chose, chacun y avait sa propre quête ; c'était en cela qu'un fil commun nous rendait similaires. Parfois, certaines interprétations différaient de manière irréconciliable — et pourtant il n'y avait pas de discorde. Sans qu'une seule voix ne s'élève nous nous écoutions tous. Je reconnus l'expression qu'avait utilisé ma sœur dans l'une de ses notes : chacune de ces personnes avait développé un "centre magnétique". — Et du coup, nous nous attirions. Petit à petit, ils avaient formés ce groupe. Il y avait plusieurs étudiantes qui parlaient de magie et du Tarot. Il y avait cet homme avec un accent indéfinissable qui aimait jouer avec les mots, comme pour trouver des liens entre les choses par le seul fait de les nommer. Il me faisait penser à Burensteinas par cet aspect-là, un alchimiste moderne dont j'avais entendu quelques phrases. D'ailleurs, lui aussi s'appelait Patrick. Un étudiant, le plus jeune d'entre nous, au visage encore enfantin et qui posait des questions naïves à tous : Marc. Un homme plus âgé, avec un air de troubadour des temps modernes, en chemise médiévale. — Parfois il semblait chercher du regard les étudiantes ; d'autres fois il nous régalait d'anecdotes sur sa jeunesse, à expérimenter toutes sortes de substances. Et puis deux couples qui se connaissaient déjà bien, parlaient de manière presque anodine. Mais s'ils se retrouvaient ici, en notre compagnie, c'était bien qu'ils en savaient plus. Il y avait juste une certaine pudeur qui les faisait écouter plus que de dire. — Moi, parmi eux... Je me sens à la fois presque intrus — on y était à des lieues de mes amitiés habituelles — et pourtant on m'y avait accueilli tout de suite, avec une acceptation dans laquelle je ressentais beaucoup de tendresse. Je parlais peu, ne sachant pas trop quoi dire. Moi aussi, une certaine pudeur m'empêchait de révéler certaines choses ; impossible, par exemple, de parler des exercices mentaux qui avaient poussés ma sœur vers la mort. Ce n'était pas même qu'ils fussent potentiellement dangereux ; c'était aussi et surtout qu'ils me semblaient trop pratiques, et puis trop personnels. Ça n'était plus du ressort du jeu de mots, ou du tirage divinatoire — ils étaient des mouvements et des procédés directs, réels, et suivis d'effets. — Il ne s'agissait plus d'une simple méditation, ni de la question récurrente dans celles-ci : ne plus maintenir de pensées, ou au contraire cristalliser l'attention sur une seule ? Tant de conversations intéressantes, et pourtant, mon silence, une solitude qui demeurait, car je m'apercevais que personne n'avait réellement vécu le type de projection qui m'avait hanté mes nuits à Mauséjour. — Ou alors, ils n'en parlaient pas ? Peut-être que cela ne se révélait qu'en tête-à-tête. Mais j'avais tout de même l'impression que malgré leur intérêt — et bien au-delà, malgré leur complète croyance — envers la pensée magique, j'avais été l'un des seuls à en avoir franchi le seuil physique, plutôt qu'appris le bagage théorique. ★ Je faisais les cent pas dans mon bureau, ne sachant plus si la porte fermée devait s'ouvrir, ou si le véritable trésor ne s'était jamais tenu derrière elle ; car peut-être qu'il était véritablement quelque chose que l'on ne pût voler, ni sur le plan physique ni sur le plan astral — peut-être qu'il s'était agi du regard de ma sœur. Je commençais à acquérir la conviction qu'il ne s'était pas simplement agi d'une collection de notes sur des exercices mentaux difficiles à revivre, et qui pourtant avaient aussitôt fait effet sur moi, et ce, dès la première nuit. Non ; il y avait autre chose. — "On" m'y avait aidé, aussi inexplicable que cela pût paraître. Et ce "on" ce devait bien être "elle". — Le trésor a-t-il été mon initiation ? Mes pas résonnaient dans la nuit, une syncope lourde dans la petite pièce à peine éclairée. J'avais besoin de bouger, pour revivifier mes pensées. Car, si je commençais à croire en cette nouvelle possibilité, je devais alors admettre quelques autres inductions. La première, c'était que, au-delà de la mort, elle m'avait véritablement touché du regard. Donc : elle était morte, mais elle vivait. Que ce fut dans mon esprit, comme un souvenir réanimé en phase de rêve, ou alors en tant que véritable entité séparée de son corps, avait commencé à m'apparaître comme un simple détail ; à peu près la même chose, telles deux facettes d'un même phénomène, observé et simplifié d'un point de vue différent. — Mon cœur n'était plus triste, de cette tristesse qu'il n'extériorisait pourtant que si rarement — car je savais qu'elle vivait. La deuxième conséquence, si tout cela était vrai, c'était que mon oncle O. devait savoir quelque chose de plus ; sa crainte par rapport au carnet, ses mots à double-entendre, ses manœuvres de maître d'échecs... : tout cela me portait à croire qu'il savait ce que ces techniques signifiaient ou apportaient, au-delà des risques sur une constitution fragile. Il avait au minimum eu l'intuition qu'il s'agît là d'une clef — et au plus, il était lui-même... initié ? ...à quelque chose. — Je revoyais son image, me confiant la clef de la chambre. — C'était avec lui qu'il convenait de parler. Nous devions absolument nous en entretenir. J'espérais surtout que nous pourrions nous comprendre l'un l'autre ; certains types de connaissances ne se transmettent que très mal par les mots. N'était-ce d'ailleurs pas la raison pour laquelle tant de ces livres spiritualistes semblent si contradictoires, et si détachés des expériences réelles ? Si à cela l'on rajoute les bateleurs en tout genre, les prestidigitateurs et les illusionnistes, le fil de la vérité s'embourbe, et devient comme un câble enterré en campagne dont l'on aurait perdu le tracé. Tout au plus aurait-on pu espérer découvrir une baguette de sourcier, puis tomber sur le fil ainsi guidé, c'est-à-dire quasiment par hasard. Je réalisai aussi qu'une troisième conséquence, c'était que ma sœur avait peut-être eu raison à propos de l'anglais excentrique et de notre grand-père. Peut-être qu'eux aussi connaissaient cette voie. Ça devait être pour cela qu'il avait tenu à conserver tout le domaine au complet ; qui sait quels autres couloirs s'étendaient plus loin qu'ils ne le dussent ? Qui sait si les bois aux alentours n'étaient pas eux aussi plein d'un autre secret ? — Je commençais également à soupçonner que ç'avait peut-être été lui qui avait initié ma sœur, durant une terreur nocturne d'enfant. — Il y avait peut-être une chaîne secrète et dont nous formions les maillons. En réalisant cela tout d'un coup, ma décision fut prise. — Dès demain, je me rendrai au domaine. Avec aussi à la fois un espoir et une inquiétude... je vérifiai à nouveau le courrier... j'espérais ne pas y découvrir un billet écrit à la hâte... m'annonçant une nouvelle tragédie... ★ ★
  23. Est-ce que tu as aimé ce film ? — Je ne l'ai pas vu, mais j'ai un peu peur que cette histoire intéressante (j'avais suivi les faits dans Ars Technica) subisse le traitement habituel et à l'américaine... The Wind. (2018). Un couple de colons américains s'est installé dans un lieu solitaire, une immense étendue où le vent souffle sans cesse. Un jour, ils sont rejoints par un autre couple, plus jeune, qui deviennent leurs seuls voisins à des kilomètres. Est-ce la solitude ? Ou est-ce que le vent a en lui quelque chose de malsain ? — Autant j'ai aimé les passages très atmosphériques du film, autant je n'ai pas tant aimé que ça le reste ; il y a un peu de vide narratif, et l'insertion de flashbacks les uns dans les autres pour donner la sensation qu'il n'y ait pas de chronologie ne marche pas toujours forcément aussi bien que ça l'aurait pu... L'actrice principale (Caitlin Gerard) y joue vraiment bien, ce qui est important puisque tout passe par elle.
  24. Criterium

    Nos entre-deux.

    Merci ! C'est vrai que j'aime bien jouer avec les temps ; au-delà de l'impression un peu différente donnée par un paragraphe au présent ou au passé, je trouve que le passage d'un temps à l'autre peut donner des effets intéressants — par exemple, se retrouver au présent après un paragraphe au passé donne une sensation d' "actualisation", une petite secousse... alors que le contraire opère comme un nouveau recul. Parfois aussi en jouant du contraste entre le présent "classique" et le présent "général" pour dénoter ce qui est resté vrai même quand la scène est située dans le passé... Si seulement il y avait aussi un aoriste en français il y aurait encore tant d'autres jeux possibles ! Mais c'est vrai qu'avec trop de ces "secousses", ça peut faire bizarre pour le lecteur... Ce qui est arrivé, donc il y a dû en avoir trop ici.
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