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Al-Andalous : la poésie


satinvelours

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satinvelours Membre 3 006 messages
Forumeur vétéran‚
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L’Andalousie arabe survit dans le marbre de ses monuments mais aussi dans sa poésie.

L’Andalousie se réfléchit au miroir de son double d’Orient. Bien que les menaces, puis la domination berbères proviennent de l’Afrique du Nord, ce ne sont ni le Maghreb ni l’Égypte qui hantent les vers andalous, mais bien la péninsule arabique, à la fois berceau historique, modèle à imiter et rivale à égaler.

La poésie andalouse ne se comprend donc dans son essence, qu’en résonance avec la production classique orientale.

Il y a eu d’abord la structure formelle de la qasîda, puis le ghazal. Mais le génie andalou s’épanouit avec le muwashshah et le zajal.
[ cf. @riad**et son topic musical : le mouachah ] 

Selon une tradition andalouse, le muwashshah aurait été inventé à la fin du XIXe siècle par un poète du prince omeyyade de Cordoue. En fait il est peu probable que le muwashshah soit né de la plume d’un seul artiste. Il serait le résultat de multiples tentatives qui visaient à concilier la lyrique populaire et la poésie classique, la langue courante et l’arabe littéraire, la poésie et le chant.

L’Andalousie est une image. Elle possède un inaltérable pouvoir d’attraction.
La poésie d’al-Andalous est une langue nostalgique et musicale qui redouble et réfracte l’héritage de l’Orient.

 

La poésie andalouse commence à la conquête omeyyade au début du VIII siècle et s’achève en 1492 avec le royaume des Nasrides.

 

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Membre, Talon 1, 78ans Posté(e)
Talon 1 Membre 22 889 messages
78ans‚ Talon 1,
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Elle fut la base de notre Renaissance.

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Membre, Posté(e)
satinvelours Membre 3 006 messages
Forumeur vétéran‚
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Il est en effet difficile de contester l’influence de la lyrique arabe sur la métrique et la thématique des troubadours, et par voie de conséquences sur la poésie médiévale.
Le poème andalou nous toucherait de la façon la plus directe.

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Membre, Posté(e)
satinvelours Membre 3 006 messages
Forumeur vétéran‚
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L’Andalousie omeyyade (711-1031)

Pendant trois siècles, les Omeyyades, Mecquois d’origine, allaient régner sur ce bout du monde, qui leur fut plus fidèle que l’ Orient de leurs origines,

Les poètes andalous  de cette période se posent en dignes continuateurs de la tradition poétique arabe.

En 711 des contingents Arabes épaulés par des supplétifs berbères, traversent le détroit de Gibraltar et se lancent à la conquête de l’Espagne. Très vite, la quasi-totalité de la péninsule est soumise.

Les populations rurales embrassent en grand nombre la nouvelle foi, alors que les grandes villes obtiennent souvent des « capitulations » garantissant aux Mozarabes, ces chrétiens passés sous les joug musulman, la liberté de culte et le maintien de leurs autorités traditionnelles.

La défaite de Poitiers en 732 et les insurrections berbères en Afrique du Nord portent un coup d’arrêt à la conquête arabe. Les musulmans sont contraints de se replier, à plus ou moins brève échéance, sur le territoire andalou.

D’abord dépendance lointaine du califat de Damas, l’Andalousie s’en émancipe très vite sous le règne du prince Abd al-Rahmân dernier survivant de la dynastie Omeyades de Syrie. Celui-ci se réfugie à Cordoue et se proclame émir.

Un de ses héritiers abandonnera l’appellation d’émir (929) pour s’arroger les titres plus prestigieux [al-Nâsir], calife et de commandeur des croyants. Désormais, Cordoue  ne se satisfait plus de son indépendance, elle rêve d’hégémonie.

Et tandis que la chrétienté se morcelle en royaumes féodaux, le califat s’érige en État centralisé.

Cordoue voit fleurir tous les domaines du savoir. Une immense bibliothèque est édifiée. D’après les chroniqueurs arabes sont crédités quatre cent mille volumes. Des savants et des lettrés arrivent  de tout le monde musulman. Le somptueux agrandissement de la mosquée, qui reste l’une des merveilles de l’art arabo-andalou, en témoigne encore.

Sans conteste, le califat Omeyyade de Cordoue est l’État le plus puissant d’Occident et son rayonnement va jusqu’en Asie centrale. 

Cordoue devient l’ensorceleuse, une métropole culturelle.

 

Ibn Darrâdj Al-Qastallî (958-1030)

C’est l’archétype du poète de métier. Inscrit au registre des poètes officiels, il passe près de seize ans au service du premier ministre al-Mansûr.
La fitna (la guerre civile) le chasse de Cordoue.
 Sa poésie s’accorde pleinement au goût de l’époque et conforme le plus souvent au cadre classique de la qasîda.

Le poème est une ode nostalgique à sa ville :

Je dirai au printemps : Recouvre de nuages
Mon lieu natal, et veille à étaler leurs pointes.
Ne lésine pas sur tes dons ; dans leur sillage,
Mes larmes à leur tour couleront sans restreinte.
Que ma passion s’exhale et vole à ton image,
Lorsque les nuées se lasseront de leur étreinte.
Que mon salut fragrant se mêle à tes ondées,
Puissent les miens s’y rafraîchir à volonté,
Et qu’enfin, en mon nom, des averses parsèment
Mes plaintes et mes monts d'étoffes irisées.
Penche-toi sur Cordoue, étreins celle que j’aime,
Cordoue que ma poitrine eût tant voulu presser !

 

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Membre, Posté(e)
satinvelours Membre 3 006 messages
Forumeur vétéran‚
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A peine parvenu à son apogée, le califat s’écroule d’une façon aussi rapide qu’imprévue. Le souverain retranché dans son palais a une part de responsabilité : il laisse s’installer une longue période d’anarchie (la fitna 1009-1031) qui va mettre à bas l'édifice calical : Cordoue est assiégé pendant trois ans par des supplétifs berbères. Il n’en reste plus que des ruines.

La cité qui incarnait un idéal à la fois politique, culturel et religieux ne pouvait tomber sans inspirer le sentiment d’une catastrophe irrémédiable. Il faut entendre les pleurs désespérés d’Ibn Hazm ou l’inconsolable douleur d’Ibn Shuhayd pour prendre la mesure de ce qu’a été la perte du califat.

C’est au début du XIe siècle que l’on trouve les premiers exemples de muwahshahât

Ibn Shuhayd (992-1035) 

Fils et petit fils de ministres,  il est né pour continuer cette charge. Mais la guerre civile éclate et compromet son avenir politique. La défaite définitive des Omeyyades sonne le glas de ses ambitions politiques. Il ne se vouera plus qu’à la production littéraire.

Son penchant pour la débauche et son amour du vin lui valent la réprobation de son entourage et un séjour en prison. On le disait plus « attaché au verre qu’à l’oiseau à la branche. »

Il évoque ses soirées de mauvais garçon et ses réveils avinés au chant du coq :

Debout, le coq vient de chanter, bats le rappel,
Et retrempe ton cœur dans le jus de la treille.
Médite tout ton soûl sur la dive merveille ;
Les livres desséchés ne livrent rien de tel.

L’aiguière s’est mise à genoux sous nos ordres,
Et les plis du cristal se teintent de ses pleurs.
Le chant plaintif  du luth chassait ma sombre humeur ;
Je me pâmais ; l’extase accroissait mon désordre.

...

La déchéance de Cordoue, la ville de son insouciante jeunesse, l’affecte profondément et lui inspire des vers amers.

« Ce dont j’ai à me plaindre est la plus étrange des curiosités et la plus curieuse des étrangetés : c’est un secret tyrannique un mal fatidique, qui tire de moi une odieuse endurance et des larmes en abondance, pour une vieille à l’haleine fétide, édentée et puante, que l’on nomme Cordoue. »

Ah vieillarde ! Malgré ta face décrépite,
Tu gardes à mes yeux des reflets d’opulence.
Tu as bien forniqué avec ceux qui t’habitent,
Ma putain accomplie, chargée d’ans et de science !
Toute faible qu’elle est, Cordoue vous embobine,
Et nous tournons comme des chameaux autour d’un puits.
Les sages ont fait vœu de plaire à la coquine,
Laquelle ne se voue qu’à ses propres envies.
Cuenca ne lui arrive pas à la cheville ;
Denia n’approche pas de ses coquetteries.
J’ai sombré en ce lieu sous le poids des ennuis.
Que je l’aime ! Ah, combien ma peine est infinie !

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Membre, 76ans Posté(e)
Blaquière Membre 18 862 messages
Maitre des forums‚ 76ans‚
Posté(e)
Il y a 2 heures, satinvelours a dit :

« Ce dont j’ai à me plaindre est la plus étrange des curiosités et la plus curieuse des étrangetés : c’est un secret tyrannique un mal fatidique, qui tire de moi une odieuse endurance et des larmes en abondance, pour une vieille à l’haleine fétide, édentée et puante, que l’on nomme Cordoue. »

Ah vieillarde ! Malgré ta face décrépite,
Tu gardes à mes yeux des reflets d’opulence.
Tu as bien forniqué avec ceux qui t’habitent,
Ma putain accomplie, chargée d’ans et de science !
Toute faible qu’elle est, Cordoue vous embobine,
Et nous tournons comme des chameaux autour d’un puits.
Les sages ont fait vœu de plaire à la coquine,
Laquelle ne se voue qu’à ses propres envies.
Cuenca ne lui arrive pas à la cheville ;
Denia n’approche pas de ses coquetteries.
J’ai sombré en ce lieu sous le poids des ennuis.
Que je l’aime ! Ah, combien ma peine est infinie !

Ce mot horrible et fascinant

de fétide

Je l'ai trouvé parfaitement

représenté

Par l'odeur d'une plante :

la rue.

J'y mets le nez dessus

et chaque fois je sursaute :

Est-ce possible ?!

On la dit abortive

et c'est un minimum !

Les romains s'en sont servi

De condiment...

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Membre, Posté(e)
satinvelours Membre 3 006 messages
Forumeur vétéran‚
Posté(e)
Le 13/07/2020 à 14:22, Blaquière a dit :

Ce mot horrible et fascinant

de fétide

Je l'ai trouvé parfaitement

représenté

Par l'odeur d'une plante :

la rue.

J'y mets le nez dessus

et chaque fois je sursaute :

Est-ce possible ?!

On la dit abortive

et c'est un minimum !

Les romains s'en sont servi

De condiment...

La rue ! La première fois que j’ai approché cette plante, que je trouvais jolie, son odeur m’a saisie. Une odeur vraiment désagréable. Fétide, oui, c’est le mot. Elle garde toujours des vertus médicinales. En homéopathie par exemple.

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Membre, Posté(e)
satinvelours Membre 3 006 messages
Forumeur vétéran‚
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Ibn Hazm (994-1064)

Fils de ministre, il doit fuir Cordoue avec sa famille car la guerre civile fait rage. Il participe aux tentatives de restaurations Omeyyades, ce qui lui vaut plusieurs séjours en prison.
Son idéal l’oppose radicalement au dynaste des Taïfas qu’il qualifie de « bandits de grand chemin ». En réponse, les Abbâdides font brûler ses livres à Séville.

Désespéré par la ruine du califat, il se retire et ne se consacre plus qu’au travail intellectuel.

L’œuvre de Ibn Hazm peut être comprise comme un effort désespéré pour relever l’idéal brisé de la communauté que devait incarner le califat.

Son ouvrage le plus célèbre reste le Tawq al-Hamâma (Le collier de la colombe – El collar de la paloma, une « élégie andalouse » en prose classique, mêlée de vers). Ce récit forme un véritable code de l’amour, empreint d’idéal platonique. Il contient quelques une des plus belles pages d’amour de la poésie arabe. Écrit à l’âge de 35 ans sur les ruines encore fumantes du califat l’ouvrage a valeur de testament.

Le livre donne sa forme définitive à l’expression de l’amour chaste, sublimé et de la volupté (Luis Antonio de Villena fera, de cette tension de l’écriture amoureuse, en 1980, la matière de ses propres poèmes).

La ruine du califat lui inspire ce poème
 

Adieu, demeure aimée, las, nous t’avons quittée,
Demeure laissée  vide, esseulée, désertée.
Qui croirait à la vue de cette triste terre
Qu’elle ait pu fructifier et rendre aussi prospères
Maintes générations ? Ô fatale demeure,
Nous n’avons point voulu délaisser tes malheurs –
Plût au ciel que ton seul but eût été notre tombe !
Les arrêts du Seigneur imposent leur rigueur ;
À ses ordres, bon gré, mal gré, chacun succombe.

Que mon corps est lassé, que mon cœur est fébrile !
Mon âme est orpheline, et mes entrailles brûlent.
Quelle peine à pesé, quel chagrin épuisé,
Quel amour tourmenté, quel exil déchiré,
Avec autant de force ! Ô siècle, demeurez !
Ô pleurs, coulez toujours ; ô mal, sois plus cruel !
Je pleurerai ce siècle aussi longtemps qu’un ciel
Couvrira les passants sous son toit azuré,
Tant que le sol poudreux ignorera nos traits.

 

Les poèmes qui suivent sont extraits du Collier de la colombe.

La preuve du chagrin, c’est la brûlure au cœur,
Les larmes sur les joues qui coulent, puis s’en vont.
Si le cœur de l’amant cache encore son secret,
Les larmes de ses yeux le montrent, le dévoilent.
Quand la larme jaillit au bord de la paupière,
C’est qu’un cœur trop malade a la fièvre d’amour.

 

Dans sa démarche qui ondule, elle est pareille
Au narcisse qu’on voit frémissant au jardin,
La boucle à son oreille… ou au cœur de l’amant
À chaque pas le pince et lui dit son murmure.
Elle va ou plutôt elle vole  comme colombe,
Dont l’effort ne trouble en rien cette beauté.

 

Tu es venue, et mes yeux se sont rafraîchis ;
Il brûlaient tant aux jours où tu disparaissais !
Résigné, j’offre à Dieu, pour le passé, constance,
Au bon vouloir de Dieu, louanges et merci.

 

Si je ne peux plus croire à notre réunion,
Et s’il m’est interdit d’approcher ma maîtresse,
Alors, du moins, fais-moi une fausse promesse :
Peut-être, en me berçant  d’espoir et d’illusions,
Feras-tu que mon cœur, blessé par ton dédain,
Voudra se raccrocher à un souffle de vie.
Ceux qui ont soif se consolent, s’ils voient au loin
Luire un éclair dessus la terre inassouvie.

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satinvelours Membre 3 006 messages
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Les rois des Taïfas (1031- 1090)

La destitution du calife ouvre la voie à l’intronisation des Mulúk aI-Tawâ’if que les Espagnols appellent Los Reyes de Taïfas.

Ces « rois » de clans règnent sur des provinces aux frontières incertaines et se livrent des luttes  confuses et fratricides. Parmi les plus importants royaumes se distinguent ceux de Saragosse, d’Almería, de Valence, de Grenade, et surtout celui des Banû ’Abbâd de Séville, qui domine la majeure partie de l’Andalousie.

Toutes ces dynasties souffrent d’un manque de légitimité. Aussi ne prennent-t-il jamais ouvertement le titre de « roi ». La plupart se prévalent en revanche de leur « arabité » quand bien même leur ascendance serait de souche berbère ou autochtone. Le lignage arabe et la tradition orientale forment toujours le point de référence pour les habitants de l’Andalousie.

Ces références ne remettent pas en cause la mixité sociale : la communauté juive joue un rôle beaucoup plus important dans l’économie des échanges, l’administration et la vie culturelle et rien n’empêche, d’autre part, les populations de pratiquer des dialectes romans concurrement à l’arabe, comme cela était aussi le cas au Maghreb avec le berbère.

C’est à cette époque que se situe la naissance de la toute première poésie lyrique en langue mozarabe, aux origines de la poésie espagnole et de la lyrique européenne.

Cet idiome régional qui se développe aux côtés de l’arabe classique charrie de nombreux vocables romans et berbères. Le zajal, forme populaire de poésie strophique, en est imprégné.

La culture andalouse n’a jamais été aussi florissante qu’en ces temps de troubles. Les dynastes Taïfas rivalisent entre eux pour attirer dans leurs cénacles savants et poètes qu’ils rémunèrent avec ostentation. L’exercice de la science renforce leur prestige, et l’éclat de la poésie magnifie leurs réalisations ou exalte leur superbe.

Ainsi le siècle des rois Taïfas constitue une période faste pour la poésie.

En ce siècle si fécond, l’influence orientale ne diminue pas. Néanmoins une voie proprement andalouse, qui fait du thème de la nature sa spécialité, s’affirme progressivement.

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satinvelours Membre 3 006 messages
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Ibn Zaydûn et Wallâda  (1003-1070 et m.1091)

Fils d’un membre du conseil gouvernemental de Cordoue, Ibn Zaydûn reçoit une excellente éducation. A vingt ans, il est un poète célèbre, un politique influent, et l’amant de la femme la plus enviée de son temps : Wallâda, fille de calife. Sa beauté et son éloquence font de son salon l’endroit le plus recherché de Cordoue.

Leur amour est d’abord sincère et passionné. Mais leur relation devient plus orageuse, à mesure que s’entremêlent intrigues politiques et jalousies. L’irrémédiable se produit quand Ibn Zaydûn commet une infidélité avec une femme de chambre de Wallâda.

Une cabale montée par ses ennemis le jette en prison. Il s’en évade et trouve refuge auprès des princes abbâdides de Séville.

Ce sont les plaintes sincères de ses amours à jamais perdues qui le feront passer à la postérité.

 

Wallâda 

Tout honneur pour Dieu seul ! De délice en délice,
Moi, je vais mon chemin et me grise d’orgueil,
Tendant à mon amant mes deux joues en calice,
Et offrant à qui veut mes deux lèvres vermeilles.

Ibn Zaydûn 

Entre nous deux, dis, le veux-tu, l’impérissable,
Le secret qui se tait quand les autres secrets
Ne savent pas se taire ? Ô toi dont le bonheur
Se paye de ma vie, fût-elle inépuisable
Au prix de ton bonheur, je la refuserais.
Sache-le, et c’est tout : tu peux charger mon cœur
D’un fardeau impossible à d’autres, je tiendrai.
Montre-moi ton dédain, je le supporterai.
Prends des air supérieurs, patient je resterai.
Domine-moi, je me soumets. Fuis, je te suis.
Un mot, et je t’écoute. Un ordre, et j’obéis.
...

 

Par Dieu, nul cœur touché de votre souvenir
Qui ne voulût voler vers vous, les ailes battant de désir ;
Si la brise au matin, d’un souffle, daignait me porter à vous,
Un homme harassé par le sort reviendrait vers vous.
Mais qu’un jour exauçât de mon désir les vœux,
De tous les jours créés, ce serait le plus généreux.
Ô grâce délicieuse, ô splendeur, et charmant
L’âme : vienne l’heure où s’unissent les amants !
La tendresse longtemps a réservé une aire
Où vous et moi en familiers allions de pair.
Mais désormais je chante un règne révolu :
A vous l’indifférence, à moi l’amour perdu.

 

J’ignorais lorsque je t’ai faite reine de mon cœur
Que je cherchais moi-même ma propre mort.
Puisses-tu vivre ! Le désir après la séparation
M’anéantit. L’union pourrait-elle me ressusciter ?

 

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satinvelours Membre 3 006 messages
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Al-Mu`Tamid Ibn`Abbâd (1040-1995)

Il est le dernier des princes abbâdides qui régnèrent sur Séville. Sa devise d’adolescent, « être sage, c’est ne pas l’être ». En 1069 il accède au trône et continue la politique expansionniste de son père. Il annexe Cordoue (1069) puis occupe Murcie (1078).

C’est un poète avisé, un critique sévère et un mécène généreux. Il choisit ses ministres parmi son entourage : Ibn`Ammâr qu’il nomme un premier ministre. Il se fait accompagner dans les campagnes militaires par ses poètes et musiciens préférés.

Mais la pression des armées chrétiennes oblige al-Mu`tamid à faire appel aux Almoravides. Si l’Espagne reste musulmane, le roi de Séville est exilé à Aghmât, au sud du Maroc, et ses deux fils à l’instar des autres roitelets des Taïfas sont tués.

Les quelques visites qu’il reçoit dans sa geôle saharienne, comme celle de son fidèle ami Ibn al-Labbâna, ne le préservent pas du désespoir. Il meurt après quatre ans de captivité.

Nil n’aura incarné mieux que lui l’idéal du prince andalou : ce caractère où se rencontrent l’éloquence et la véhémence, la noblesse d’âme et la grandeur du sang le rend cher aux Arabes d’Occident. 

Le célèbre chroniqueur al-Marrâkushî (m.1249) dira comme sous le coup de l’évidence: « De tous les bienfaits dont l’Espagne a été comblée depuis sa conquête jusqu’à ce jour, al-Mu`tamid n’en est pas un parmi d’autres, il en est le plus grand. »

Le poème ci-dessous dit bien l’insouciance de ses années de jeunesse 

À la lueur d’une chandelle
Qui dissipe l’ombre rebelle,
De même que ma main fait fuir
La misère sans coup férir,
Nous veillions selon mon vouloir,
Nous veillions sans cesser de boire,
Mais la coupe qu’elle m’offrait
Ne valait pas ses baisers frais.
La lueur du cierge venait
De son visage illuminé.
Quant à la chaleur de la flamme,
Ma chaude haleine en était l’âme.

Le poème suivant écrit à la mort de ses deux fils tués par les Almoravides

Qui parle de résignation ?
Il n’est pas de consolation.
Je pleure, et pleurerai toujours
Jusqu’à ce que cessent mes jours.
Las, deux astres ont chu à terre :
Al-Fath et Yazîd, les deux frères.
Jamais on ne vit leur pareil.
Voyez les planètes en deuil
Lacérer chaque nuit leurs joues,
La pleine lune parmi nous
Déplorer la mort des deux astres,
Et le ciel pleurer le désastre
De leur disparition insigne.
Voudrait-on que je me résigne ?
Mon cœur ne saurait consentir
À s’incliner devant le pire.

Écrit dans sa prison d’Aghmât 

Le monde immonde, je le sais,
Ne voudra pas nous exaucer.
Alors, demeure circonspect
Dans ta conduite et tes requêtes.
C’est que le monde séducteur
Se pare d’un manteau trompeur
Au lisérés vermeils et or ;
C’est qu’il fait miroiter encor
En son commencement l’espoir,
Tandis que la fin laisse choir
Un habit de poussière mort.
 

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satinvelours Membre 3 006 messages
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Ibn`Ammâr (1031-1078)

Il naît dans une famille paysanne de l’Algarve, il fait quelques études à Cordoue puis se lance à l’aventure, décidé à faire fortune.

À force de prospecter, il finit par frapper à la bonne porte en l’occurrence celle des princes de Séville, où il devient l’ami intime du prince héritier al-Mu`tamid. 

A la mort d’Ibn Zaydûn il devient vizir et s’empare de Murcie au nom de al-Mu`tamid.

Maître de Murcie, il trahit son ami et se proclame souverain indépendant de la ville, mais ne parvenant pas à consolider son emprise, il est livré par ses ennemis au souverain de Séville.

 Il cherche la clémence d’al-Mu`tamid :

 

Pour peu que tu me gracies, on verra
Que ton âme est généreuse et clémente.
Pour peu que tu me châties, ce sera
Pour des raisons claires et éclatantes.
Si une voie se révèle meilleure,
Tu la verras, guidé par le Seigneur ;
Car nul n’est plus proche de Lui, ô roi.
Grâce ! oserai-je en appeler à toi ?
Ne prête pas créance à mes rivaux,
Dussent-ils me fustiger à grands mots.
Mes ennemis ne sauraient que médire
Sur une faute évidente ; à vrai dire,
Je suis coupable. Or, cette faute claireM
Coule d’un roc, se répand et se perd,
Au regard de ta clémence exemplaire.
J’ai l’espoir que tu sauras rejeter
Les germes que mon rival a plantés
Avec un soin et une joie amers.

 

Il cherchera en vain cette clémence, al-Mu`tamid, dans un accès de rage, lui tranche la tête d’un coup d’épée.

 

Ibn Hamdîs (1055-1132)

Né à Syracuse, il est témoin des luttes qui déchirent la Sicile arabe et les premières victoires des armées normandes. L’avenir sombre qui se dessine le pousse à l’exil, il a 24 ans, il ne reverra plus son île natale

De Sicile il se rend à Séville. Il côtoie les plus brillants poètes de son temps à la cour d’al-Mu`tamid. Pourtant, la nostalgie ne le quitte jamais. Son île natale s’assimile au jardin perdu de l’Éden dont il aurait été chassé comme « un Adam déchu de son paradis ».

La Sicile est la bien-aimée qui le hante, elle est la destination ultime de son voyage.

 

Du sein d’un nénuphar aux feuilles arrondies ,
Une fleur écarlate a  jailli en diadème :
Ainsi, par quelque faille, un coup de lance sème,
Le sang au beau milieu des cuirasses verdies.
Exilé comme moi, fils du même pays, 
Nous en fûmes chassés par le destin haï !

-

Ô jardin de clos de nos rencontres
Par feux d’exil maintenant écarté
Rends- moi, ces arbres éclatés
Et leur parfum d’un éternel là-bas !

Liqueur de miel à ses lèvres cueillie,
Puisée aux fraîcheurs d’un cristal de neige !
Pitié pour moi, que la passion assiège :
Je suis la proie de tourments infinis !

L’archer tire, hélas ! il reste impuissant
À toucher d’un trait la cible lointaine.
Comment suivrai-t-il, rivé à la plaine,
L'astre, gazelle au matin bondissant ?

-

Il est une bougie dressée
Comme une lance faite de flammes :
Lorsqu’elle embrase ses entrailles
Ses yeux coulent en larmes d’or,
Sa lumière circule la nuit
Comme la joie dans la colère.

-

Je suis devenu un secret dans l’opacité de la nuit,
Voile sur les profondeurs cachées du cœur,
Dis à l’obscurité qui s’éternisa
Qu’en elle mes yeux ont vu l’inouï.

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satinvelours Membre 3 006 messages
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Ibn Al-Labbâna (1039-1113)

Orphelin de père, il reçoit le sobriquet d’Ibn al-Labbâna, le « fils de la laitière », d’après l’humble métier qu’exerçait sa mère. Pour assurer son éducation, ses proches endurent des privations, d’autant que ses débuts sont difficiles : il échoue à la cour de Almería, puis celle de Tolède et de Badajoz, avant de trouver finalement une place de choix dans l’entourage du roi de Séville al-Mu`tamid.

Avec le temps se noue entre le monarque et le fils de la laitière une sympathie qui dépasse la cordialité de complaisance : entre ces deux passionnés de poésie s’établit cette sorte d’harmonie sublime, que l’on appelle communément l’amitié.

Lorsque le prince déchu se retrouve emmené dans les chaînes dans sur une galère almoravide, c’est Ibn al-Labbâna qui sait le mieux exprimer la tristesse des Sévillans, massés pour un dernier adieu à leur souverain sur les berges du Guadalquivir.

 

Rien ne demeurera en ma mémoire, fors
Ce matin sur le fleuve, et leur départ à bord
De navires gréés, creux comme des tombeaux
Où giseraient des morts. Et les gens, près de l’eau,
Pleuraient, versaient un flot perlé à fleur d’écume.
Et les femmes, ne cachant plus leur amertume,
Montraient à tous leur face entaillée par les pleurs
Et comme chiffonnée par le pli du malheur.
Qui vous ramènera à moi, ô fils prodigue,
Sang de Mâ’ al-Samâ, eau du ciel qui t’irrigue,
Quand la pluie se refuse à étancher mon âme ?
Comme approchait l’adieu, les hommes et les femmes
Hurlèrent leur douleur et s'offrirent d’un cri
À racheter leur roi, à sacrifier leur vie.
Les vaisseaux s’en allaient, voguant au gré des plaintes,
Comme vont les chameaux bercés par des complaintes.
Que de larmes se sont mêlées à l’onde amère !
Que de cœurs déchirés partirent aux galères !

 

Il continue par la suite à correspondre avec son ami et lui rend plusieurs fois visite  dans sa lointaine prison saharienne. Cette constance lui vaudra d’incarner dans la mémoire andalouse la figure même de la fidélité.

 

Non. Les fers qui le lient n’auront pas desserré
Nos liens. Mon cœur battait pour lui ; lui m’entourais.
Ainsi, la fleur séjourne dans son tendre calice
Jusqu’à ce qu’une main cruelle s’en saisisse.

-

Derrière les murs d’une prison avare,
Ton cœur si généreux semble mûrir en jarre.
Autour de ta Ka`ba, âme d’élection,
Puissé-je sans arrêt mener ma procession !

 

À la suite de l’exil d’al-Mu`tamid, il quitte Séville et trouve refuge à Majorque, qui échappe au joug almoravide. L’allégresse du lieu réveille son inspiration.

 

Les ondées répandues sur leurs lieux familiers
Ont vêtu le pays d’un manteau d’allégresse.
La palombe irisée lui offrir son collier ;
Au paon, il emprunta sa traîne enchanteresse.
Et le ruissellement des cours d’eau verse un vin
Que la cour évasée des domaines retient.

-

Quel cœur tendre sur moi va te faire pencher,
Te montrer sur ce lit un papillon en feu ?
Mon œil n’obéit plus : vois ce flot de mes yeux
Où je me noie pour toi, sans corde où m’accrocher.
Je suis comme la flèche envolée et perdue,
Et toi comme le cœur que l’on n’atteint jamais.
Était-ce tromperie que ce salut discret
Où se lisait une promesse non tenue ?
Tu es la mort, le rêve. En toi, à parts égales
Et l’ombre du nuage et le feu de midi.
À la lance souplesse et couleur tu as pris,
Sauf en sa pointe, noire et non pas d’un bleu pâle.
On te disait forêt profonde, mais alors
Tu chantas, et ce fut : « La colombe cendrée ! »
Ô beau corps élancé, rend moi le réconfort !
Ton regard est plus prompt que la flèche lancée !
Si j’étais magicien, sachant comment te prendre,
Je ferais que ton cœur pu m’aimer quelque temps,
Goûter, comme je goûte, à l’amour, ce tourment,
Et se montrer ainsi plus pitoyable et tendre.

 

C’est à Majorque qu’il périt, vraisemblablement au cours d’une expédition menée par le comte de Barcelone et les Pisans ; leur attaque dévaste l’île et met fin à la dernière Taïfas.

 

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satinvelours Membre 3 006 messages
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Les Almoravides (1090-1145)

À partir de 1090–1092, l’Andalousie est intégrée à un vaste empire qui s’étend du sud du Sahara occidental à la vallée de l’Èbre, et des côtes de l’Atlantique au Maghreb central. La capitale de l’Islam d’Occident n’est plus Cordoue, ni Séville, mais Marrakech. 

Les Almoravides, que l’on appelait aussi les « Voilés », car leurs hommes portaient le voile de bouche des Sahariens, se proposent d’alléger la fiscalité, mais surtout de restaurer les valeurs morales de l’islam ; ce programme semble d’abord bien accueilli par la population andalouse.

Si les Andalous jouissent, sous les Almoravides, d’une sécurité qu’ils ne connaissaient plus, il en va tout autrement pour les poètes. Les nouveaux maîtres du pays, sultans, vice-rois et gouverneurs, sont de rudes berbérophones auxquels les subtilités de la poésie arabe reste souvent peu accessibles.

Il reste aux poètes, il est vrai, la possibilité de se rabattre sur les membres de l’aristocratie urbaine.
Si l’époque est difficile pour les poètes, elle ne laisse pas à désirer en matière de poésie, contrairement à l’opinion courante des critiques.

Tout d’abord le siècle almoravide voit la consécration de la poésie strophique. Cette forme éminemment andalouse finit par vaincre toutes les réticences. Les formes strophiques andalouses commencent à se diffuser au-delà de la péninsule.

Pour les Almoravides, l’état de grâce sera éphémère. Sur le continent, des foyers d’agitation et d’effervescence mystiques éclatent au sud et à l’est de l’Andalousie. De l’autre côté de la mer, à partir des années 1120, un groupe de tribus berbères du Haut Atlas marocain, les Almohades, se donne pour objectif politique de renverser le pouvoir almoravide. Forte de leur doctrine religieuse réformatrice, cette collectivité affirme avec intransigeance l’unité de Dieu (d’où leur appellation « d'unitaires », al- Muwashhidûn.

La contestation interne mine le rapport de force qui prévalait contre la chrétienté. De revers en revers le régime almoravide se délite ; on voit se succéder des pouvoirs instables, éphémères et circonscrits. De ce point de vue, le juridisme a succombé à deux courants qu’il avait combattus : la théologie et le soufisme.

Mais on ne saurait ignorer un autre aspect des choses. Une part de la société andalouse, fière de son caractère arabe, cosmopolite et citadine, ne se fait pas à ces Sahariens raides et bigots qu’elle considère toujours comme des « étrangers » pour ne pas dire des « barbares ». La rigueur berbère n’a triomphé qu’en apparence de la lascivité andalouse ; c’est plutôt le prosélytisme almoravide qui s’amollit progressivement et finit par succomber à la douceur de vivre de la péninsule.

Les Almoravides, qui ambitionnaient de purifier l’islam andalou, échouèrent en terrain conquis.

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satinvelours Membre 3 006 messages
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Ibn Bâdjdja (1085-1139)

Le célèbre Avenpace.

Après la prise de Saragosse par les Almoravides en 1110, le jeune Ibn Bâdjdja bénéficie de la protection du gouverneur auquel il dédie ses poèmes et dont il devient ministre.

Des divergences politiques lui valent d’être accusé de trahison et d’hérésie. Il connaît un temps la prison. Puis il se réfugie à Séville, où il commence un second vizirat de vingt ans auprès du vice-roi almoravide de la province. Il meurt à Fès en 1139.

Malgré ses lourdes fonctions administratives Ibn Bâdjdja déploie une activité intellectuelle de grande envergure dans le domaine des mathématiques, de la botanique, de l’astronomie, de la grammaire ou encore de la musique. Mais c’est la philosophie qui le rendra célèbre. La qualité de ses commentaires d’Aristote fait de lui le véritable pionnier de l’aristotélisme dans l’Espagne musulmane.

Sa pensée sera une source d’inspiration importante pour Maïmonide et Averroès, et marquera durablement de son sceau les théologie médiévales.


Porte haut tes couleurs et sans frein
enivre-toi du soir au matin.

Que ton poignet s’entoure d’éclairs :
L’or fauve bruisse dans l’argent clair,
Sous un fil de gemmes tressées d’air
Qu’une brune souriante nous sert.

Sa main qui versait le fluide vin
trouble l’eau stable d’un brasier feint.

Voici poindre une lueur aurorale
Lorsque la brise aux jardins s’exhale.
Dans la nuit, nul besoin de fanal ;
Laisse le vin éclairer la salle,

Tandis que pleure la pluie, non moins 
que les pleurs nous sourient du jardin.

Les joyaux éclatants de grandeur,
Une main en fit les riches heures
De son règne ; nul roi n’eut son heur ;
C’est un astre embaumé de senteurs.

Comme Ali, comme Omar, tu obtins
par le fer, honneur, foi et destin.
 

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satinvelours Membre 3 006 messages
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Ibn Khafâdja al-Andalusî (1058-1138)
Il naît à une vingtaine de kilomètres de Valence. Au tourbillon de la cour et des cénacles, il préfère toujours ses bosquets, ses ruisseaux et ses promenades solitaires. La nature offre aux âmes sensibles un réconfort contre la fausseté des hommes !

À la veille de la trentaine il fait taire sa plume. Ce silence, qui dure une quinzaine d’années peut être lié aux événements tragiques qui endeuillent Valence. L’entrée en scène du Cid Campeador en 1086, son joug arbitraire et  brutal, puis, succédant à sa mort, l’incendie de la ville par les chrétiens avant que la cité ne soit reprise par les musulmans en 1102, tous ces incidents auraient-ils révulsé  le poète au point de le mener au mutisme ?

Dans le recueillement de la nature il s’abandonne à des rêveries profondes. Le frémissement de la ramure, l’éclat d’une goutte de rosée, le rougeoiement du crépuscule, les méandres d’une rivière serpentine, la moindre sollicitation des sens confirme une intimité silencieuse et apaisante entre le poète et son environnement.

Quel bonheur que le vôtre, ô gens d’Andalousie !
Ces ombrages riants, ces cours d’eau assoupis,
Ces rivières, ces frondaisons, ces lieux bénis
Ramènent le jardin d’éden en nos contrées.
Par élection, c’est ce pays que j’élirais.
N’ayez crainte, demain, d’entrer dans la fournaise :
Quel paradis s’évanouirait devantles braises ?

Celui qu’on surnomme « le paysagiste » tient avant tout à la densité avec laquelle il combine, parfois de façon hermétique, des images devenues classiques. C’est la confusion de ces réalités et leur superposition métaphorique qui donnent lieu aux noces cosmiques entre la nature, le vin et le poète.

Le mimosa, au-dessus de nos têtes,
Avait tendu son dôme de ciel frais,
Tandis qu’en bas circulaient des comètes
Emplies de vin. Un cours d’eau entourait
L’arbre épanoui, comme une Voie lactée ;
Et maintes fleurs y miraient leurs étoiles.
À voir le fût et l’onde, une beauté
Naissait, fluette et ceinte d’azur pâle.
Et les coupes, escortant l’épousée,
La célébraient par leur ronde nuptiale,
Tandis que la promise ôtait son voile
Sous l’arc des fleurs répandues sans compter.

-
Dans ce désert où nulle étoile ne perce,
Dans cette nuit où aucun astre ne verse, 
Seul Sirius flamboie, comme étincellerait
Dans la paume d’un nègre un dinar doré.

-
Maintes gouttes durcies ont servi de parure
À la Terre, et la grêle orné son encolure.
Pourtant, ne sont-ce pas autant d’éclats de glace
Qui viennent concasser la rocaille à coups durs
Et couvrir la contrée d’une douleur vivace ?
Si la Terre avait ri de vêtir des festons
Tissés d’astres, le ciel s’assombrit, furibond,
Comme si, là-dessous, un immense adultère
Eût forcé les grêlons à lapider la Terre.

-
Je la visitai à l’aube. La nuit était une parcelle d’ambre
Enflammée et l’éclair un jaillissement de feu,
Le vent frappait les hanches des collines
Et embrassait  les lèvres des fleurs.

Ou qu’elle soit, son visage dévoile
La Ka`ba de la splendeur,
J’ai pour elle un regard païen
Qui adore le feu de ses joues

Sincère est ton amour, mais je m’étonne
De l’éloignement qui est notre destin.
Comme si nous étions sur orbite, en rotation,
Tu t’éclipse dès que j’apparais.

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satinvelours Membre 3 006 messages
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Ibn Al-Zaqqâq (1094?-1133?)

Il s’est fait connaître avant tout par ses descriptions de la nature. Certains chroniqueurs prétendent qu’il n’est autre que le neveu maternel du grand poète Ibn Khafâdja, qui l’aurait initié aux règles de l’art.

La lyrique d’Ibn al-Zaqqâq largement inspirée de la manière du célèbre paysagiste, s’avère cependant moins précieuse et plus épurée.

Comme d’autres poètes de Valence, il privilégie la structure arabe classique aux formes strophiques.

 

Ce jardin aux violettes fragrantes
S’emplissait des odeurs entêtantes 
Exhalées de ses brocarts et soies.
Voici que du lait nourricier choit
Sur ses nénuphars et ses narcisses.
De peur qu’un désastre ne sévisse,
Tout autour du jardin, les nuages
Tirent d’un coup l’épée des orages.

-

Je n’aimais le soleil
Loin du monde
Que pour devenir par amour pour elle
Une exception dans le monde.

 

Ibn Quzmân (1080?-1160)

Il était selon ses propres dires un grand gaillard aux yeux bleus.

Son génie c’est d’avoir mis au point une écriture nouvelle qui réponde à son projet lyrique. Il est vrai qu’avant lui on avait récité des zajals en Espagne, mais il a rénové profondément le genre.

La poésie d’Ibn Quzmân mène une charge contre le puritanisme almoravide et le conservatisme arabe.

Son zajal nous donne à voir l’écart entre l’idéal prôné par les Almoravides et la réalité sociale : le poète conspué doit fuir, mais la prostituée elle, pourra continuer son travail, mais le couple soi-disant pieu poursuivra ses petits jeux sordides.

 

Le vrai paradis c’est le vin
L’amour des belles, c’est divin.

Je me lie et je romps, selon ma fantaisie,
Tantôt avec des gars, tantôt avec des filles.
À force d’écluser, on vit ce que l’on vit.

Vos beaux conseils n’y feront rien,
Car mes vices me font du bien.

Moi, j’aime boire et me soigner à ma façon.
À quoi riment vos reproches ? C’est ma passion.
Plus on me l’interdit, plus j’aime la boisson.

Permis ou proscrit, c’est tout un,
À moi, bouteille et verre plein !

-

Elle me plaît, ta taille faite au tour,
Il me plaît bien, ton regard de velours,
Elle me plaît, ta pommette d'amour,
J’aime bien quand ta joue grenadine rougit
Et que tes yeux me lancent leur éclat.

Serais-tu gemme ou émeraude verte ? 
Es-tu cannelle, es-tu ambre, peut-être ? 
Qui es-tu, du sucre, une douceur offerte,
Un soleil, un matin, une lune surgie,
Ou contiens-tu un peu de tout cela ?

 

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satinvelours Membre 3 006 messages
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Les Almohades (1147-1223)

Après une occupation brutale de l’Ifriqiya, les Almohades imposent leur joug sur l’Andalousie au milieu du XIIe siècle. Ils détrônent les souverains locaux défendus par une partie des populations, notamment juives et chrétiennes, et tacitement soutenus par les États chrétiens.

Réunifié, l’Islam péninsulaire ne règne plus que sur un territoire diminué. Mais contrairement au pouvoir almoravide, les Almohades affirment une souveraineté entièrement indépendante des anciennes puissances orientales et se proclament califes.

Suit une période assez brève de zèle religieux et d’austérité, mais le puritanisme des Almohades va, comme chez leurs prédécesseurs, s’émousser au contact des délices andalouses. La culture peut dès lors poursuivre son œuvre.

Cette période faste du règne Almohade est couronnée par de grands travaux d’urbanisme et d’architecture, dont témoigne encore la hautaine Giralda de Séville.

Toutefois l’affrontement avec la chrétienté demeure vivace. Tant que les Etats catholiques restent divisés, les Andalous gardent l’avantage : en 1195 à Alarcos, ils remportent une retentissante victoire contre la Castille. À force de subir l’exode et les conversions forcées, les communautés juives et chrétiennes d’Andalousie finissent par être écartées.

Néanmoins les minorités continuent malgré tout à mettre en rapport les cultures. Dès le XIIe siècle, dans Tolède reconquise, des traducteurs juifs et modéjares (c’est-à-dire musulmans sous autorité chrétienne) font passer en latin une série d’ouvrages grecs conservés en traduction arabe, dont  la Physique d’Aristote. D’autres traductions font connaître à l’Occident les avancées arabes en mathématiques, en astronomie, en médecine mais aussi l’œuvre d’Averroès qui aura un impact déterminant sur la pensée occidentale.

En poésie, le mot d’ordre est celui de la continuité. Certains poètes prolongent chacun à leur manière la politique des siècles précédents. Seule l’efflorescence de la poésie soufie nuance ce constat. À l’instar des mystiques orientaux, les gnostiques andalous investissent le champ de la poésie profane pour y faire fructifier leur symbolisme ésotérique.

Pour ces poètes, la poésie ne sert pas à enjoliver une pensée dont la dialectique serait explicitée ailleurs. Elle est vitale à l’exercice de la pensée mystique, elle est le langage privilégié qui lui permet de pressentir et de suggérer, dans un même élan, ces verites spirituelles qui, par nature, échappent à la formulation.

L’utilisation exclusive du zajal chez certains démontre combien cette forme dialectale est devenue familière dans le paysage lyrique andalou. Ibn Khaldûn appellera ces poèmes « poème Zajalesques ».

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satinvelours Membre 3 006 messages
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Al-Rusâfî (m. 1177)

Jeune, il quitte sa bourgade natale d’al-Rusâfâ, près de Valence, pour s’installer à Málaga.

Lorsqu’il se rend à Gibraltar pour acclamer l’arrivée du calife almohade Abd al Mu’min, il compose un vaste panégyrique qui aurait pu lui assurer une confortable carrière auprès de la nouvelle dynastie. Il préfère vivre modestement de son métier de ravaudeur.

Par prédilection pour la forme classique, il ne compose ni muwashshah, ni zajal. En revanche, il s’attelle parfois à de vieux thèmes bédouins, comme la traversée à dos de chameaux, et essaie de renouveler ce thème antique par des images modernes. 

 

Voyageurs obstinés de nuit, ils se procurent
Sans coupe ni cristal le vin du sommeil pur.
Ils se sont tant courbés, tant couchés sur leur bête
Qu’ils semblent embrasser les mains de leur monture.
Pressant et refoulant la torpeur qui les fête, 
Ils en ont distillé l’essence dans leur tête.

 

Sa poésie florale s’inscrit, quant à elle, dans la continuité de celle d’Ibn Khafâdjâ. C’est dans sa boutique au cœur du souk de Málaga, qu’il compose le plus souvent, entouré de confrères et d’amis.

Et lorsque sa poésie résonne des échos du souk, rend compte de ses métiers, raconte les efforts des travailleurs, c’est comme si le petit peuple andalou venait se mêler, discrètement, à la longue récitation classique qui semblait l’ignorer.

 

Gazelle, tes doigts filent sans cesse
Les fils d’une gaze versatile ;
Ainsi file la pensée habile
Le long des gazhals qu’elle faufile.

Voici que ses doigts pleins d’allégresse
Jouent de la navette et du métier ;
On voit les jours se jouer sans pitié
Des événements qu’ils vont lier.

Mais sitôt qu’il tombe de faiblesse,
Ses yeux se fatiguant de tisser,
– Ah, que ne donnerais-je pour ces
Deux beaux yeux de tisseur harassé –

Ses mains tirent  sur d’obscures laisses,
Tandis que ses pieds confus s’emmêlent
Ainsi qu’un faon se prend sans appel
Dans les filets qu’un chasseur lui tresse.

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  • 3 semaines après...
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satinvelours Membre 3 006 messages
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Ibn Sahl (1212-1251)

Né d’une famille juive de Séville, Ibn Sahl passe l’essentiel de sa vie dans sa ville natale, habitée par la poésie à laquelle il se consacre pleinement.

Jeune encore il se convertit à l’islam. Il est vrai qu’en ces temps troublés, de nombreux juifs et chrétiens étaient contraints à renier leur foi et que les conversion à l’islam pouvaient paraître suspectes. Mais il n’y a aucune raison de douter de la sincérité de sa conversion tant  son dîwân exprime une profonde conviction musulmane.

Peu avant que Séville ne tombe aux mains de Ferdinand III, il s’exile à Minorque puis à Ceuta, où il travaille auprès du gouverneur en qualité de secrétaire. Celui-ci le charge, avec son fils, de porter un message aux émirs hafsides de Tunis. Ils embarquent à bord d’une galère, mais périssent dans une violente tempête.

Le poème ci-dessous est une muwashshaha

 

Sait-elle la gazelle enclose dans son pré,
Qu’elle a forclos un cœur gîtant dans sa clairière,
Qui bat, brûle et palpite ainsi que frémirait
Un tison sous les doigts de la brise légère ?

Lune, vous vous levez au moment du départ,
Un astre sur le front m’entraîne dans l’abîme.
Pardonnez ma passion ; elle naît du regard ;
Mais c’est votre beauté aussi qui la ranime.
Navré d’amour, cueillant les plaisirs les plus noirs,
Je ne jouis en son nom que d’une ombre sublime...

Les roses impromptues que je sème à mon gré
Naissent à chaque fois que je la considère.
Ah, par quel interdit, ces roses empourprées
Se refusent au jardinier qui les vénère !

Un feu incandescent a étouffé mes pleurs ;
Le voici qui s’embrase à foison et m’assaille.
Ô flamme, sur ses joues, tu souffles la fraîcheur,
Mais ton brasier fait rage au fond de mes entrailles.
Je l’aime et je la crains, esclave de son cœur ;
Devant le lion cruel, la gazelle tressaille.

Lorsqu’elle m’apparut, enseigne au vent, parée
De ses charmes, les yeux farouches, l’âme fière,
Je m’écrirai : Puisque ce cœur fut capturé,
Accorde-moi la part du pauvre, ô ma guerrière !

 

Il est tenu pour l’un des plus grands en son art, il porte, de ce fait, à leur achèvement formel et historique la lyrique de l’amour andalou, mélange de classicisme et de romantisme qui fut l’une des gloires poétiques de l’Espagne musulmane.

 

À la coupe j’ai bu l’étoile qui flamboie
Et, sur le cou, baisé de la lune l’éclat.
Tant que je ne l’ai vue, de désir je me meurs ;
La rencontre obtenue, je suis mort de bonheur.
Dans l’un et l’autre cas, je suis mort, et après ?
La mort même a laissé l’amant  qu’on délaissait...

Mon sang, ce sont mes pleurs, ruisseau, vermeil éclat.
Les astres de la nuit tiennent veillée funèbre ;
« Il est mort », ainsi crie le corbeau des ténèbres.
Je l’évoque, lointaine, et tombe à deux genoux :
Elle tout près, que deviendrais-je, selon vous ?

 

 

 

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