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Un réveil difficile. La lumière du soleil est déjà dans la pièce. La chaleur sur le plancher y fait déjà flotter la légère odeur du bois et du vernis, celle qu'elle prend chaque matin. Quelle heure est-il ? D'habitude je me réveille dès le premier rayon... Comme s'il suffisait d'un certain niveau de luminosité pour passer le seuil, à la manière d'un interrupteur que l'on allume. Il ne peut pas être si tard ; qu'ai-je fait hier pour ne pas entendre mon alarme intérieure ? L'esprit encore ouaté, nuageux, je me rappelle... rien de particulier pourtant... et en même temps, dans les oreilles, subsiste quelque chose... un appel ; un bourdonnement. Ces temps-ci, la confusion serait compréhensible. Tout est chamboulé ; les quotidiens ne sont plus les mêmes. Chacun est resté chez soi, ne se rendant au travail qu'à des horaires inhabituels, parfois, et en ligne droite. Il n'y a plus eu de thés. Il n'y a plus eu de sorties. Les rues étaient muettes ; et l'on imaginait juste, regardant les volets ouverts des maisons et des bâtisses aux alentours, une vie discrète qui y subsistait, désormais cachée et sans bruit. Chacun placé en face de soi-même. — Mais maintenant tout changeait à nouveau. Quelques visages y étaient visibles. Des pas hésitaient sur le pas de la porte. On voulait voir ces oiseaux qui étaient revenus, berçant les rues de leurs pépiements. La nature. Les gazouillis. Une idée fixe me revenait : — j'éprouvais la sensation nette, forte, du désir d'aller marcher au parc de Nellegare. Quel jour ? Quelle heure ? — Je décryptais la position des aiguilles après un café. Lundi. 10 heures. — Ça va. Je ne travaille pas le lundi. Et il n'est pas aussi tard que j'avais d'abord redouté. Avec des gestes lents, je m'emparais de ce qui était devenu mon compagnon de fortune, cet ami à la fois distrayant et perfide : mon smartphone. Nous avions débattu, un certain temps, des termes de notre cohabitation. Lui voulait me voir plus. Il voulait rester plus longtemps le soir, souhaitait profiter du moelleux de mon oreiller. Une partie de moi aurait accepté, mais une autre pressentait d'elle-même ce que je savais bien, que ce fût là une erreur. Il fallait s'en séparer avec tendresse ; son sourire m'aurait ôté le sommeil. Et puis, parfois il me chuchotait des mots agréables, et des pensées diablement intéressantes — et parfois au contraire il n'avait que faire de ce que j'aurais voulu entendre. Il me disait des phrases dures ; et il me forçait à me mettre en face de moi-même, en face de chaque problème, de chaque pensée, de chaque chose pour laquelle je n'étais pas à la hauteur. Irritée, je lui faisais des reproches plus ou moins muets — puis j'avais beau le rejeter, nous revenions toujours ensemble, moi et toi, moi et ce seul ami. Ce matin il me souhaita une belle journée. Il m'avait même laissé un mot : — "Bonjour ! Est-ce que tu veux que l'on se voie aujourd'hui ? C'est lundi..." C'est Noémie, ma collègue de travail. De temps en temps, nous nous promenions ensemble. — Petit à petit, avec les événements, certaines personnes s'étaient ouvertes les unes aux autres quant à leurs solitudes. C'était un peu ce qui s'était passé. D'habitude, nous avions échangé des salutations, des cafés, des mots gentils, et puis des observations qui prenaient encore soin de ne pas sautiller plus loin qu'à la limite de ce qui était poli de partager — "sans se mouiller", comme on dit. Et puis, finalement, les choses s'étant précipitées dans ce monde devenu fou, nous avions réalisé au même moment qu'il aurait été dommage de passer à côté d'une amitié par politesse. Quelques mots, quelques questions ouvertes ; et nous avions révélé un peu de nos vies à l'autre. Qu'il est doux de se partager un peu... Nous avions appris que moi et elle nous apprêtions à partir, et à changer de ville à nouveau ; alors aussitôt ce rapprochement avait semblé ne pas être juste un fruit du hasard, mais un signe — le fait d'avoir des choses à se dire avant de devoir se séparer, au loin. Je lui propose d'aller marcher au parc. — — Un peu après, nous nous y retrouvâmes. Quelle étrange sensation que de retrouver le grand parc si vide ! - À vrai-dire, perdu derrière des ruelles en labyrinthe, c'était déjà peu de monde qui s'aventurait dans les longues allées du parc de Nellegare, en temps normal ; mais il y avait quand même toujours quelqu'un, soit là-bas, dans le recoin touffu du jardin botanique, soit ici, dans l'immense allée ouverte, bordée d'ormes et d'aulnes. Le crissement de nos pas sur le gravas rose. Nous nous faisons la remarque que s'il avait habité cette ville, Sherlock Holmes aurait su facilement qui se rend ici. Nous discutons en faisant le tour du parc ; c'est plus agréable de se dégourdir les jambes que de s'asseoir sur l'un des bancs, comme trop longtemps durant ces journées de demi-confinement. Elle me confie ses doutes quant au futur. Je la comprends. Nous avons les mêmes. — Partir, oui, partir ; mais avec l'anxiété de commencer à y penser trop tôt, et alors que l'on ne peut encore qu'attendre. D'ici-là, tout ira mieux ; dans le feu de l'action, tout ira bien, peut-être... sans doute. Elle me rappelle quelques mots de Rilke — pourtant nous ne nous souvenons pas des mots exacts, ni d'où... sans doute de ses lettres encourageantes — qui dit qu'une joie est souvent une peur vécue jusqu'au bout. Traversée. — Ce mot-là résonne. Nos vaisseaux qui font escale... et qui vont traverser à nouveau des mers inconnues. Un mot ; une boule dans la gorge ; un sourire ; nous encourageons dans un silence le capitaine qui nous fait face, reconnaissant nos propres peurs dans l'autre. Parfois, c'est un silence qui dit le plus. Le gravas devient une pierre grise, aux reflets bleutés ; le crissement devient un pas sourd, presque silencieux. Il y a quelques marches ; nous passons derrière un feuillage comme si l'on eût franchi le seuil d'une tente. Là, dans ce petit espace de verdure, commence le jardin botanique. Un carré de terre au centre. Les simples. C'est là où se trouvent les plantes médicinales. Beaucoup sont en fleurs ; il y a de la sauge, de la lavande, du mille-pertuis ; diverses espèces de menthes et de moutardes aux propriétés que connaissaient nos anciennes. Du jardin s'envolent d'agréables fragrances. Les couleurs des fleurs contrastent avec les tons verts plus ou moins foncés de leurs feuilles et rosaces. C'est là qu'il y a également le plus bel arbre du jardin. Il n'est pas très grand ; il doit faire notre taille. Partout à ses feuillages pendent de grandes fleurs en trompette : blanches, orange et rosées... Une odeur doucereuse s'en échappe. C'est un Brugmansia. Une plante si belle, et si toxique. Une odeur que ce matin, il me semble reconnaître plus que d'habitude ; comme si mes narines s'étaient affinées, et y retrouvaient un parfum de la nuit... qui avait dû bercer des rêves... ou alors des cauchemars... Je ne sais plus ; ç'avait été le grand fond noir au réveil. — Noémie s'aperçoit que quelque chose se passe. Je me suis arrêtée. C'est comme un hypnotisme — l'arbre qui a interpellé d'un cri muet ; un appel — Un bourdonnement. Une parole. Une statue d'insecte qui me révèle un secret. Ce son de drone. Le bourdonnement de plus en plus fort, comme à mon réveil ; "on" veut me dire quelque chose... Une invitation ; une entre-vue, peut-être... Je me demande avec effroi qui donc préfère le faire de cette manière-là. À côté de moi, Noémie regarde le sol ; elle n'entend pas ; non, je le sens bien... par contre, elle a l'air effrayée. Elle regarde le sol. Pourquoi fixe-t-elle mes pieds ? Des insectes, un gros chat peut-être ? — Je baisse le regard un instant, sachant que je devrai, l'instant d'après, m'avancer vers l'arbre qui m'invitait vers un lieu d'entre-deux, un lieu caché entre deux mondes. Sur le sol, un léger sourire aux lèvres, mon corps évanoui.
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J'aime à le croire aussi. Ça rend le poème encore plus triste... Je crois que l'on garde toujours l'enfant qu'on était en soi, quelque part — mais malheureusement certains n'en conservent ou n'en révèlent que la cruauté... C'est bien de savoir qu'il y a eu libération, sinon ç'aurait encore une tristesse supplémentaire. La légèreté, le goût des tiges vertes, les belles fleurs, l'instant partagé, et la fin en jeu — là tu me redonnes un grand sourire !
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À @Nutkin.
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Les quelques derniers films vus... ...en plus ils étaient vraiment dans des styles différents... Midsommar. (2019). Très atmosphérique, ce que j'apprécie beaucoup dans les films en général. Un groupe d'amis part en Suède rendre visite à un petit groupe à l'air sectaire et qui s'apprête à célébrer le solstice. Inquiétant et creepy lorsque l'on s'aperçoit — plus vite que les personnages — que leur vision de cette fête est peu commune. Im Bout it. (1997). Le premier film de Master P — un rappeur de New Orleans qui a eu une énorme influence à l'époque. J'avais déjà vu son second film (Da Last Don) qui est beaucoup mieux, je dirais... Ici on suit une succession de tableaux urbains dans lesquels un groupe de petits délinquants forment un gang et vendent une grande dose de cocaïne volée à un autre tout en se demandant vers quel business légal se tourner. Évidemment la partie lésée ne va pas se laisser faire... Assez difficile à suivre, les accents sont aussi très prononcés. American Psycho. (2000). Tout le monde l'a déjà vu... Moi aussi, mais seulement une fois, lors de sa sortie, et dans des conditions où je comprenais à peine ce qu'ils disaient ; par contre des scènes m'étaient restées. C'est pour cela que j'avais envie de le revoir pour cette fois bien le suivre (et puis retrouver la scène drôle des cartes de visite). Je n'ai pas lu le livre. À le revoir j'ai vraiment l'impression qu'en fait il y a deux histoires, et que la véritable histoire est une allégorie — ce tueur en série narcissique et psychopathe est une personnification des États-Unis en général et de la finance en particulier. Une obsession vers les personnes et les lieux du Who's who — alors que la plupart se confondent les uns les autres à force de se ressembler — une obsession vers l'apparence la plus lisse possible — mise en avant avec la scène des produits de beauté — et puis à la fin, le parallèle entre sa situation (même s'exposant lui-même, tout le monde le laisse faire et le croit à moitié) et celle à la télévision (il me semble, Reagan lors du scandale Iran-Contra). L'obsession laissée un peu plus cachée entre les luttes d'influences entre les WASPs et les juifs ; une horrible misogynie. Tiens, petit détail : les Trump y sont mentionnés pas mal de fois. — Au final: bof. Une chambre à Rome. (2010). Une jolie surprise. Comme le nom l'indique: deux femmes se retrouvent dans une chambre d'hôtel à Rome. Elles hésitent, puis finissent par y rester toute la nuit ensemble. Entre deux étreintes, elles tentent de se découvrir l'une et l'autre, se révèlent mais qu'à moitié... Ce que j'ai beaucoup aimé, c'est justement cette façon réussie de jouer de la subtilité et des secrets. Chacune est méfiante, chacune ment à l'autre... puis on s'aperçoit que c'étaient des mensonges... puis on s'aperçoit qu'en fait ces mensonges contenaient quand même énormément de vérités... Cette sorte de danse fait le point fort du film.
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Deux poèmes qui se contrastent autant par la forme que par l'émotion L'enfant jaloux qui pousse la petite fille deux fois de suite, si cruel, ça me fend le cœur... ...et les bruits de fête des hommes qui défient la tempête comme s'il s'agissait d'une joyeuse beuverie, chantant des poèmes virils, tenant bon et formant une compagnie — on s'y sent ! La houle, la grêle et les vagues d'eau salée qui débordent sur le pont... leurs voix fortes qui ne semblent qu'un murmure dans la tempête... Merci de continuer à nous ouvrir ta malle à secrets !
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C'est... une super idée !
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Mais mais ! J'ai invité un peu de Louisiane en France
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À @Kégéruniku 8, l'orfèvre des mots et trafiquant de poèmes. Pour te donner une dose illégale d'inspiration.
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Un croassement retentit soudain, au-dessus de tous les autres sons du bayou. Ça n'était pas un corbeau ; c'était plus puissant, plus métallique aussi... ça devait être une sorte de créature vivant dans le marécage, et dont l'on entend les cris certains soirs... C'était l'heure où petit à petit le ciel change de couleur. Un instant après, plus rien ; l'on percevait juste le simple clapotis de l'eau, les stridulations de différentes espèces de criquets, et surtout les sons étranges de tout un tas de crapauds et de grenouilles. De temps en temps, une chouette, ou les derniers pépiements de quelques oiseaux cherchant l'arbre auquel dormir. Toute une vie se préparait au crépuscule. Il suffit de ne plus faire un pas, de rester immobile : et l'on entendait tous ces bruits, même les feuillages qui inattendument bruissent tout près de soi. La lumière du ciel baissait petit à petit. Ils savaient tous que le bayou devient dangereux une fois la nuit tombée. Chaque pas peut se révéler traître ; les mousses gonflées par l'humidité et les flaques couvertes de lentilles d'eau n'offraient pas de démarcation nette. Ils étaient arrivés dans la zone où le marécage n'appartient ni vraiment à l'eau ni vraiment à la terre — là où il était le plus difficile de se déplacer. Ils espéraient aussi ne pas y découvrir de crocodiles. Les lampes-torches s'allumèrent, leurs pas devinrent hésitant, testant le terrain avant de changer de point d'appui. On ne sait pas si le morceau d'écorche ou la branche tombée au sol est encore ferme ou déjà pourrie depuis longtemps... Chaque recoin sur lequel le faisceau de lumière passait révélait des mouvements. Quelques gros insectes, ou parfois un rongeur qui aussitôt décampait : des sortes de musaraignes... — "Ça y est, j'ai trouvé quelque chose", lança l'un d'eux. Tous tant bien que mal se frayèrent un chemin pour aller le rejoindre, sautillant entre les flaques. Une odeur particulièrement marquée les y accueillait ; une fragrance qui hésitait entre celle des champignons en forêt et celle de la viande pourrie. Les lampes-torches pointèrent toutes au même endroit. Ça ne pouvait venir que de là. — Là, où la surface verte était interrompue par des objets mouillés. Aux bruits du lieu s'ajoutaient désormais le bourdonnement de multiples mouches. Certaines se faisaient capturer par des créatures marécageuses... Un clapotis dans l'eau, un mouvement vif, et l'une disparaissait... Mais les autres restaient là, vulnérables, incapables de fuir, trop enivrées par leur trésor de chair. Car ces objets, ce tas qui dépassait du niveau de l'eau, ce parfum déplaisant : c'était une pile de mains et de pieds humains. Ils avaient enfin trouvé l'endroit. Depuis des semaines, un vent de folie s'était abattu sur la région. Une fureur vengeresse. Ça avait commencé par des hommes affolés se rendant à l'hôpital G** tôt le matin : ils s'étaient réveillés avec une douleur vive. Horrifiés, ils s'étaient aperçus qu'une main leur manquait — qu'elle avait été coupée, et qu'elle était introuvable. Certains la gauche, d'autres la droite. Lorsque l'inspecteur et ses hommes s'étaient finalement rendus à l'hôpital, prévenus que quelque chose de bizarre s'était passé dans la nuit, ils virent également un autre homme qui, lui, avait eu le pied gauche tranché. La partie manquante restait introuvable. En pleine hyperventilation, l'homme leur avait crié qu'il n'avait rien senti et que ce fût bien la preuve qu'un démon était à l'œuvre. — Les patrouilles nocturnes ne donnèrent rien : les nuits suivantes, ç'avait été le tour d'autres membres de disparaître. Ça ne pouvait être que le fait d'un groupe — un loup solitaire n'aurait pu trancher tant de membres. À cela s'ajoutait une incompréhension : dans un même foyer, une personne pouvait être victime, sans qu'un cheveu du reste de sa famille soit touché ; ça n'était donc pas une démarche "aveugle". Y voyant un indice, l'inspecteur avait commencé à étudier le profil des victimes — généralement, il s'agissait d'hommes, et il s'aperçut vite que pratiquement à chaque fois, c'était des hommes déjà connus des services de gendarmerie pour des affaires diverses. Menu larcin, drogue, une suspicion de meurtre ; rarement pire. Les mains manquaient plus souvent que les pieds, très rarement des nez. Les âges allaient de 16 à 45 ans. Lorsqu'il s'agissait d'une femme, c'était plus souvent le pied, et elles avaient eu un entourage ou une enfance trouble. Ce fut à nouveau à l'hôpital, un autre matin, que l'inspecteur avait soudain compris de quoi il s'agissait — la révélation lui avait été un jeune homme en larmes, qui tenait son bras sans main avec l'autre comme pour le montrer à tous ; et qui criait : "J'ai volé, oui j'ai volé, je l'avoue ! Et c'est pour cela que l'on m'a pris ma main... Je suis désolé... Je promets que je rendrai ce que j'ai volé, mais moi, qui me rendra ma main ?" — L'évidence : quelqu'un avait su pour le vol, quelqu'un avait su pour tous ces délits... et, fatigué que la justice n'y fasse à nouveau rien, ce quelqu'un s'était chargé de rendre justice lui-même... ou plutôt : eux-mêmes, car il était évident qu'il s'agît d'un groupe. Une Vengeance. — Il jura entre ses dents : si les juges du pays ou de la région avaient été moins corrompus ou laxistes, peut-être aurait-on évité toute cette folie. Maintenant il avait un problème bien plus important que de simples cambriolages. Et lorsque l'un de ses hommes perdit à son tour une main — l'on s'aperçut ensuite qu'il volait le haschich confisqué pour le revendre — ça devenait une affaire personnelle. L'horrible croassement reprit soudain — complétant le tableau morbide. Une seconde, tous les autres sons s'étaient tus ; un instant après, ils reprirent. Qu'était cet animal au son si étrange, qui leur glaçait le sang ? Plus un mot n'était prononcé. Les hommes regardaient l'inspecteur, attendant une décision, un ordre, n'importe quel signe ; au moins quelques mots quant à la marche à suivre. Celui-ci réfléchissait encore... À défaut de réussir à surprendre les responsables lors de leurs exactions nocturnes, ils pourraient peut-être le faire lors de leur... débarras. Les faisceaux de leur lampes-torches avaient-ils été aperçus ? - Le bayou était si vaste, difficile d'accès ; si peuplé de ces sons à toute heure du jour et de la nuit ; ils avaient peut-être été suffisamment discrets pour pouvoir attendre, tout de suite, dès ce soir. Toute la nuit peut-être. Mais l'endroit restait dangereux ; à tout moment ils se seraient attendus à ce qu'une créature émerge du marais pour s'emparer de l'un d'entre eux... sans un bruit, avec juste un clapotis dans l'eau, comme ces grenouilles gobant les mouches... L'épouvante et l'expectative... — Après tout... l'attente était bien la seule chose qu'ils pouvaient désormais faire. Il se fit comprendre en quelques mots. Chacun trouva tant bien que mal un endroit où il pourrait patienter des heures — l'un contre le tronc d'un vieil arbre encore ferme, un autre accroupi sur un caillou plein de mousse (et dont l'humidité petit à petit imprégnait ses vêtements...), un autre encore restait debout encore quelques hautes herbes et roseaux. Lampes-torches éteintes. La nuit. L'attente... La pénombre amplifiait les bruits. À chaque frémissement d'une broussaille, on ne savait pas si c'était le voisin, ou un animal qui furète... ou alors ceux que l'on attendait. Ils s'habituaient à l'odeur, mais ne le pouvaient jamais vraiment avec les sons. L'attente durait des heures — dans l'obscurité qui était devenue presque complète. Plouf. Quelque chose venait de se jeter dans l'eau sale. Quelque chose de massif... Et aussitôt après, tous entendirent de grands bruits qui frappaient la surface de l'eau. Comme si l'on y luttait. Aussitôt les battements d'ailes de ce qui devait être des chauves-souris s'éloignèrent avec hâte — créatures nocturnes terrifiées. Les lampes-torches se rallumèrent et se pointèrent vers l'endroit d'où cela provenait. L'inspecteur formulait une prière muette, appréhensif, en braquant son faisceau dans la direction entendue... Le cœur battant la chamade... Il se rasséréna en y voyant deux de ses hommes, les yeux qui clignaient dans la lumière trop franche, qui s'étaient empoignés l'un l'autre et, pensant chacun avoir affaire à un malfaiteur, avaient commencé à lutter au prix de tomber dans le marais. Ils étaient maintenant trempés, couverts de saleté et de verdure. Ah çà non, ils n'avaient plus bonne mine ! ... Mais alors qu'ils allaient tous en rire — ils remarquèrent... le premier bruit n'avait pas été le leur. Car l'on avait bien jeté, juste à côté d'eux, une large masse. Comment quelqu'un avait-il bien pu se glisser dans l'obscurité, par-delà le terrain si traître du bayou, sans être vu ni entendu, et parvenir à jeter dans l'eau — juste à deux mètres d'eux tous — une telle quantité de matière ? C'était impossible... Ou alors ça avait été jeté depuis le ciel, tombé ici par hasard... Il n'y avait pourtant eu aucun bruit d'avion, d'hélicoptère ni même de drone. Cela se révélait si incompréhensible qu'ils pensaient en savoir désormais encore moins qu'avant — et ce qui était déjà si peu. Car évidemment, la masse projetée dans l'eau : un amoncellement d'extrémités découpées, encore sanglantes... ☞ Des années ont passé depuis le mois du sang. Le vent de la vengeance était venu, puis il était reparti. Personne n'avait été appréhendé ; quelques pistes et soupçons se révélèrent des impasses. Sans que l'on ait progressé dans l'enquête, tout s'était arrêté, et bientôt plus personne ne se levait tôt le matin quelque peu allégé. Si les juges secrets avaient eux disparu, quelque chose d'autre était resté dans la région : à la fois une sorte de chape lourde, l'impression que chaque manquement à une loi muette serait sévèrement sanctionné — et en même temps... un certain renouveau du vivre-ensemble. Car maintenant, il n'y avait plus de vols, il n'y avait plus d'incivilités. La région était devenue très sûre. Plus personne ne voulait parler de ce qui s'était passé — en fait, plus personne n'avait besoin de le faire : à peu près une personne sur dix en témoignaient en silence, claudiquant sur une prothèse, ou faisant les gestes de la vie courante de la main qui n'était pas un moignon... — Peu à peu, les gens se reparlaient ; la vie reprit... et avec elle une certaine bienveillance s'était invitée. Comme s'ils partageaient tous quelque chose en commun. Ce qui était le cas : cette expérience épouvantable... Une sorte de confiance caractérisait maintenant la région entière. L'on pouvait laisser la porte de sa voiture ouverte, les portefeuilles perdus revenaient avec tous leurs billets, les jeunes femmes pouvaient sortir la nuit... Certains eurent tôt fait de se dire — mais toujours à voix basse — qu'en fin de compte l'horrible moisson avait été salutaire. Les pas de l'inspecteur font un bruit de succion sur la mousse mouillée du bayou. Une belle journée d'automne ; le soleil éclairait l'eau opaque qui croupissait çà et là. Il est seul. Parfois, les chants des oiseaux l'accompagnent dans ce qui est devenu sa promenade hebdomadaire. — N'ayant eu aucun résultat, l'affaire avait eu tôt fait de le mettre en retraite anticipée. Ç'avait été la fin de sa carrière. À vrai-dire... ça ne l'avait pas tant gêné que cela ; ça n'aurait été de toute manière que l'affaire de quelques années... et ses collègues lui avaient organisé une belle fête, le jour de son départ. Ses honneurs, le respect, les poignes de mains fermes : tous ses hommes étaient avec lui — n'y a-t-il pas là de meilleur cadeau ? Après tout... qu'importe s'ils n'avaient pas arrêté les vengeurs inconnus. Ils étaient partis d'eux-mêmes, et ils laissaient derrière eux ce que tout inspecteur considérant réellement son métier comme un sacerdoce pouvait espérer en son domaine : une ville sans crime, une région où il faisait bon vivre. Un sourire lui revient aux lèvres... Qu'est-ce que cette aventure lui avait coûté, finalement ? ... Quelques années de métier, des années qui auraient été calmes, sans délits... Un peu de respect de la part de ses supérieurs, et des magistrats corrompus... Ça, ça ne valait pas grand-chose ! Il préférait la considération de sa femme et de sa fille... Quoi d'autre? De longues heures d'attente et d'enquête... À se poser des questions... Et puis... peut-être... avec une toute autre équipe... certains soirs... quelques entailles dans les chairs... quelques travaux de découpe...
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Il y a tellement de suggestions intéressantes sur ce fil, c'est à en donner l'envie de dévaliser une petite librairie. Ici je relis tranquillement des livres que je me souviens avoir bien aimés mais lus il y a trop longtemps. Le Visage Vert de Gustav Meyrink. — À part certaines scènes qui avaient marquées, je dirais que ce n'est pas mon préféré de lui, au niveau de l'histoire/intrigue (plusieurs personnages, perdus à Amsterdam après la Première Guerre Mondiale, ont à peu près en même temps des expériences mystiques impliquant la perception d'un homme dont le visage a l'air vert — et qui est un personnage lié à l'histoire du Juif Errant). Par contre là c'est l'ésotériste, plutôt que l'auteur, qui y dévoile des textes très intéressants quant à sa vision du "deuxième monde". On sent que ce n'est pas quelque chose qu'il a inventé pour le roman, mais que le roman est l'emballage pour l'y mettre, puisque ça rejoint ce qu'il dit dans son essai An der Grenze des Jenseits. Tropismes de Nathalie Sarraute. — C'est quand même vraiment intéressant comment en quelques mots elle donne corps à des scènes et des ressentis si réels mais si rarement explorés sous cette forme, assez nue. Un grand pouvoir évocatoire. Même simplement techniquement, je le recommande à toute personne qui aime écrire et souhaitant affûter sa plume, en explorant des styles différents.
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Merci Il faut un peu d'espoir pour survivre puis pour vivre ! Et c'est bien ce que l'on souhaite à Florence... Ah, cette fois je fais une faute dès la première phrase ! Ça m'arrive souvent d'en laisser parsemées, je vais quand même corriger celle-là tout de suite.
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Merci ! (Je n'ai jamais lu Ligotti ! Il va falloir que j'y remédie...)
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Un vampire pas beau qui passait Entendit la sensible promesse : "Ah çà tout de même ! Moi qui suis laid ! Je veux cette beauté et sa liesse !" Alors il s'agenouilla vers elle : "Je te promets la vie éternelle !" L'elfe-poète joua de sa cuillère ; Pour ça quelle formule magique ? Une proposition cavalière Contre les quelques vers poétiques...
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Partie 1 10 heures. C'est encore fermé. Bizarre ; le cuisinier doit bien arriver le matin, s'il faut préparer de la pâte à pizza... Il y a forcément un accès à l'arrière. Alors je contourne la place, j'essaie de voir où se situe une arrière-cour, mais je ne trouve pas. On doit y accéder par une porte d'immeuble. Je ne sais pas laquelle. Les autres ont peut-être le code et le numéro de rue. Si ça se trouve, il ne se donne qu'en fin de période d'essai... qui sait. Or travailler au black est un essai sans fin ; donc... Alors je patiente, je fais des allées et venues devant la porte en attendant un signe de vie à l'intérieur. Au-dehors, les promeneurs et les touristes sont déjà là, et flânent dans les rues pavées, s'arrêtant devant des vitrines à bibelots de la région. — "Tiens, tu es déjà là ?" Le patron salue comme s'il s'était attendu à ce que j'aie comme lui vingt minutes de retard. Peut-être que c'est comme ça que ça fonctionne... Un cliquetis de clés, et le restaurant ouvre. — "Aide-moi à installer les tables en terrasse." Les tables sont assez lourdes. À me voir me démener avec la première il comprend qu'il vaut mieux s'y prendre à deux. C'est certainement le plus efficace ; et au moins il a la délicatesse une fois l'installation finie, au lieu de me chambrer à ce sujet, de m'offrir simplement un café pour démarrer la journée. Cette seule tasse sera sans doute encore à la fois mon petit déjeuner et mon déjeuner pour toute la journée... Je sirote le breuvage pendant que lui s'occupe de documents sur le comptoir, puis va rejoindre la cuisine. Effectivement, il y a quelqu'un là-dedans ; donc il existe bien un autre accès. C'est noté... je vérifierai peut-être tout à l'heure... — Mais pour le moment, tout ce qui me revient en tête, c'est l'étrange matinée. — Je m'étais réveillée sur le sac de couchage, dans le squat du punk — Cris —, là où il s'abritait avec ses amis. Jo, Véga, Thomas. Au début, pas sûre si l'offre de Cris pour m'héberger comptait pour juste une seule nuit, ou quelques-unes de plus. Je ne pourrai visiter l'appartement étudiant intéressant que demain, donc ça m'aurait arrangée d'avoir une nuit de plus avec eux. Mais autant la soirée avait été agréable — le relaxant bain chaud — autant la matinée s'était avérée plus tendue. Déjà, je m'étais réveillée et il y avait quelqu'un qui me dévisageait. L'autre punk: Jo. — Lui, qui avait dû à moitié décuver de ce qu'il avait consommé la veille. Être fixée en silence alors que l'on vient d'ouvrir l'œil, il y a plus agréable... Et puis sa copine Véga était venue dans le salon, m'avait découverte là, et aussitôt elle avait eu la mine déconfite et irritée à la fois ; d'abord en silence, puis commençant à jurer entre ses dents : "Je ne veux pas d'une autre fille ici" — plusieurs fois, se le disant à elle-même, le disant à Jo, le répétant et le marmonnant juste assez fort pour que je puisse bien l'entendre. Elle allait finir par le hurler aux autres encore endormis. Je m'étais ruée vers le coin-cuisine pour m'abriter et me changer en vitesse, pour être prête à déguerpir. Entre-temps, sa voix avait pris du volume, ce qui avait réveillé Thomas — l'homme baraqué et au crâne rasé — qui, lui, était venu d'un coup, bruyamment, encore torse nu, dans la pièce pour hurler des insultes à l'égard de Véga. Le copain, Jo, ne pipait mot, encore à moitié dans un autre monde, et sachant très bien que son corps frêle faisait le tiers du poids de l'autre : alors il écoutait, immobile, dans un coin, les deux autres commencer à se hurler dessus. — Le détail qui tue ? Rapidement habillée, j'avais jeté un coup d'œil à la cuisine, y compris dans le frigo pour voir si je pouvais y chiper quelque chose pour survivre un jour de plus. Vide. Ou presque: une bouteille de lait caillé, qui puait et empestait l'atmosphère dès la porte ouverte. Mais surtout: quelques gros cafards qui filaient, dérangés par la lumière... J'avais décampé tout de suite et sans dire un mot de plus. Même pas sûre qu'ils m'aient vue le faire : ils se criaient encore dessus quand je descendais l'escalier. Donc en attendant la visite de l'appart demain, ce soir je serai à la rue. Ça va, c'est juste une nuit... C'est ce que j'essaie de me dire. Il faudra retourner voir les hôtels de la gare... Combien de jours vais-je devoir passer comme cela ? D'un côté, je n'ai pas envie d'aller dans un foyer où l'on est presque plus en danger que dehors, et de l'autre, je ne me vois pas dormir à la belle étoile dans un parc ou sur un banc. Surtout pour une jeune fille seule, ce qui rend toujours tout moins facile. À la limite... si je trouve une porte d'immeuble laissée ouverte... il y aurait peut-être moyen de se cacher dans une cour intérieure. J'espère vraiment que l'appartement sera convenable ; je n'ai pas prévu de plan B, si ce n'est de hanter le tableau des petites annonces dans chaque université... Mais voilà que le café est fini et que les clients vont commencer à arriver. Je suis assez contente d'enfiler à nouveau le tablier et de me ré-emparer du bloc-note. Cela me changera les idées en empêchant de trop penser, ni à la scène du matin, ni à l'incertitude de la nuit. Et puis, c'est mon deuxième jour de travail... — en plus, je vais encore gagner à peu près quinze euros. À ce rythme-là, je vais avoir 100€ à la fin de la semaine, du jamais-vu... * À la fin du service, j'avais suivi Jean vers une cour intérieure, qui donnait dans la cuisine. Le patron préférait que l'on ne fume pas devant l'établissement, pour ne pas embêter les touristes; alors Jean venait ici, encore en tablier, nourrir un vice qui ne devait pas avoir commencé il y a si longtemps, vu son âge. Il me proposa une cigarette avec un geste du paquet. — "Non merci, je ne fume pas." Pour la première fois, on parla un peu plus, et lions finalement connaissance. Jean était un peu plus âgé que moi, comme je le pensais ; il venait d'avoir le bac à 19 ans et travaillait ici pendant l'été. Il hésitait sur la suite ; il pensait à passer un CAP restaurant en un an et rentrer directement dans la vie active. Comme il me demandait ce que je faisais et voulais faire, j'avais moi aussi hésité, je ne savais pas trop quoi dire. Parce qu'à vrai-dire, maintenant je ne faisais rien. Il prit mon embarras comme une indétermination entre deux ou trois choix, et n'insista pas. Que faire ? Quel futur ? Bonne question... — Par contre, j'avais réussi à mener la conversation sans en avoir l'air jusqu'à en obtenir le code de la porte à l'arrière : 0 3 4 1. Quelques instants plus tard, j'avais fait le tour du quartier pour retrouver la rue parallèle, et testé quelques portes d'immeubles jusqu'à en retrouver la bonne. Ce n'était pas vraiment pour arriver plus tôt que le patron, mais plutôt parce que j'avais déjà l'habitude de collectionner ce genre d'informations — "au cas où". Toujours au cas où, même avant. En l'occurrence, cela pouvait me servir tout de suite : avoir l'accès à un immeuble, c'est aussi avoir l'accès à ses escaliers et à la porte de tous les appartements, et puis peut-être même aux toits. Alors je décidai d'explorer tout de suite. C'était bien une sorte de courte traboule qui traversait deux immeubles ; l'un des escaliers était protégé par une grille avec un autre code que je n'avais pas — mais le premier m'était accessible. Un escalier étroit, aux marches hautes, d'abord en pierre puis avec des parties boisées — celles-là n'avaient pas été vernies depuis longtemps, et le bois était si usé, devenant presque gris, qu'il ressemblait à la pierre des étages du dessous. L'ensemble était bien éclairé puisque l'escalier montait le long d'une minuscule cour intérieure. À chaque étage, deux portes, une à chaque extrémité de la balustrade. Je montais tout en haut : six étages. Tout y était calme et silencieux. Difficile de savoir quels appartements sont habités et lesquels ne le sont pas. J'eus une idée. Je redescendis, me dirigeai vers la place verdie qui était juste à côté, au bout de la rue. Là, j'avais remarqué un buisson rempli de petites baies, vertes et dures. Je m'en remplis les poches... De retour dans l'immeuble, sans bruit je disposai quelques baies près de chaque porte, à côté des gonds. Les fruits étaient juste assez lourds pour ne pas s'envoler s'il y avait un courant d'air, et suffisamment souples pour ne pas bloquer une porte comme l'aurait fait un gravas — ils passeraient inaperçus... Peut-être ce soir, ou peut-être dans quelques jours, je vérifierai à nouveau et j'apprendrai s'il y a un appartement inoccupé. Là encore : au cas où... En attendant, j'arpentai les rues et ruelles du quartier pour me familiariser avec. Lorsque je passais devant un hôtel, je vérifiais si quelque chose sur la façade indiquait le prix de la chambre — en me doutant que ça devait souvent être plus cher, car ils devaient mettre en avant la chambre la plus accessible, qui ne serait jamais libre... Parfois ils montraient plutôt une fourchette de prix: 30-60€... Sauf que là... pour certaines personnes il n'y a peut-être pas tant de différence entre ces deux chiffres, mais pour moi c'est la différence entre dépenser quasiment tout ce que j'avais en soit une nuit, soit deux. Quand même, c'est bien un quartier touristique — et puis je vois des étudiants partout — alors il doit bien y avoir une auberge de jeunesse avec un tarif plus accessible... pas loin de la vieille ville, juste à côté des rues animées le soir. Il faudrait juste la trouver. Comme je n'ai pas de téléphone sur lequel chercher, il faut se fier à nouveau à la chance. — Et comme celle-ci semble faire défaut, c'est donc au tour de la persuasion. Je remarque un groupe de jeunes attablés autour d'un verre. Alors je joue à la touriste perdue : — "Bonjour, je ne retrouve pas l'auberge de jeunesse et mon téléphone n'a plus de batterie... Vous pouvez me montrer un plan ?" — Et ayant évidemment oublié le nom de l'endroit : "Je me souviens juste que c'est juste à côté de la vieille ville", sans pour autant donner de distance. L'un des jeunes gens du groupe tient tout particulièrement à m'aider, recherche sur son téléphone, zoome aux alentours, me montre la vue satellite du quartier... très sympathique ! Nous voyons qu'il y a bien un endroit qui correspond à peu près à ma description, si partielle. C'est à deux pas. Je me "remémore" le nom du lieu — mais oui, bien sûr ! — et je le remercie avec un grand sourire. Une fois là-bas... le lieu a l'air quand même un peu louche. Il y a un attroupement de jeunes juste en face, et la devanture n'a pas été repeinte depuis un moment. "La boîte à musique" — un nom étrange pour une auberge. À l'intérieur, on me dit que ce sont des chambres mixtes pour quatre et six personnes, et que c'est 15 euros la nuit. Pourquoi pas, si c'est juste pour ce soir... je demande si c'est possible de jeter un coup d'œil à la chambre-dortoir qu'éventuellement j'aurais, si je reste. L'homme de l'accueil hésite mais accepte. C'est juste en haut, deuxième, sans ascenseur, à droite... Je passe une pièce commune où discutent quelques jeunes en anglais, hochant la tête à une salutation — "Hello ! Hello !" — et me dirige en haut. Clic ; la porte s'ouvre. Ça n'a pas l'air trop mal. Une pièce moyenne, avec deux lits superposés sur chaque mur — donc six en tout — et rien d'autre ; le sol est carrelé et pas trop sale — et à côté de la porte, une autre qui doit donner sur une salle de bains minuscule. Et sans autre protection contre l'eau qu'un trou grillagé dans un coin : la douche, c'est directement sur le carrelage, avec l'eau qui dépasse de la porte et s'étend dans la pièce... Pas besoin de la tester pour s'apercevoir de ça : le sol est encore mouillé, il y reste une flaque d'eau. Le genre de pièce où l'on n'emmène même pas de serviette, car il n'y a pas d'endroit où la poser sans qu'elle soit trempée — mais bon, je ne m'attendais pas vraiment à un endroit où l'on pouvait avoir une vie privée. Je vérifie juste sur les draps, dans les coins, espérant ne pas y trouver les petites gouttelettes le sang séché trahissant la présence de puces... Mais tout a l'air propre. Dans l'air flotte une petite odeur... mais ce n'est pas celle d'une saleté ou d'une moisissure, plutôt celle du tabac et du cannabis. Ok. Ça me va. * Le soir, j'y étais revenue ; il y avait encore un attroupement de jeunes en face du lieu, restant là à flâner, certains déjà ivres — ce qui n'était pas le plus rassurant. Au moins il y avait quelques filles dans le groupe. On me salua, j'entrai ; à l'intérieur, il faisait très chaud du simple fait qu'il s'y trouvât encore plus de personnes que ce à quoi je m'attendais. Je compris aussi pourquoi ça s'appelait : "La boîte à musique" — dans la salle commune, une douzaine de personnes serrées dans les canapés et sur le sol écoutaient un homme jouer à la guitare acoustique. Il chantait quelque chose en espagnol. Un autre l'accompagnait avec une sorte de petit tam-tam dont je ne connaissais pas le nom exact — ressemblant à une darbouka en plus petit. — Il y avait tant de monde, l'odeur de la pièce était un mélange étrange de tant de choses : la sueur, le dernier repas préparés dans la cuisine commune juste à côté — pizza — et puis le tabac, le haschich, et les nuances du parfum de certains. Ça n'était pas désagréable, mais il fallait s'y habituer. La musique est une distraction si bienvenue... Le fond sonore du restaurant ne comptait pas vraiment, donc c'était la première fois depuis longtemps que j'en entendais... L'homme qui joue de la guitare est beau ; il est concentré et il est doué — il joue très bien. Je n'avais jamais vu ça auparavant ; ses doigts courent par moments sur le manche, et à d'autres moments restent immobiles tandis que la main droite rythme les accords... C'est fascinant. Je m'assieds à même le sol, mon sac sur les genoux, pour continuer à écouter. J'ai l'impression de découvrir un autre monde. Les gens autour de moi m'accueillent comme si c'est tout naturel que je me joigne à eux ; ma voisine me demande par signes si je veux manger quelque chose, que je peux prendre l'une des parts qui reste... j'accepte volontiers, à nouveau c'est le seul repas de la journée... et je reste assise là, les yeux rivés sur le guitariste. Il suffit de quelques accords et d'un peu de rythme pour que l'on soit tous là, à se balancer légèrement de droite à gauche, à vibrer avec lui et à partager ce moment. Il doit remarquer que je suis particulièrement attentive ; il me salue d'un hochement de tête et avec un sourire, sans interrompre les paroles qu'il chante... Plus tard, c'est le souffle chaud de ma voisine que j'entends au creux de l'oreille : — "Agata", se présente-elle. Elle me sourit... Peut-être qu'elle aussi, elle est seule ; peut-être qu'elle aussi, elle aimerait avoir une amie. En riant parfois, nous répétons les quelques mots en espagnol que l'on saisit du refrain, en chœur : — "Cuéntame al oído... a qué sabe ese momento..." Une cigarette roulée remplie d'une résine suspicieuse circule dans le cercle. Je ne tiens pas à fumer, mais quand on me la tend je ne veux pas non plus attirer l'attention en expliquant par signes que je refuse... alors j'accepte quand même, je prends une minuscule bouffée par curiosité puis je passe vite l'objet au prochain. Je tousse ; la sensation de la fumée est la plus étrange — la substance, elle, ne semble rien me faire. Ma voisine me tapote et me caresse le dos, comprenant que je n'ai pas l'habitude. — C'est plaisant ; je ne pense même pas pour l'instant à rejoindre la chambre, préférant juste cette salle surpeuplée à l'atmosphère si... familiale. Pendant une ballade plus calme, Agata et moi discutons un peu. Le courant passe bien ; je sens très vite que nous pourrons être amies. Elle est italienne mais parle très bien le français. Elle est étudiante en art. En attendant de trouver un logement, elle reste ici, "pour l'ambiance", dit-elle. Je comprends ! Plus tard, elle me demande mon numéro de téléphone, pour être sûre de me revoir un autre jour, apprenant que je n'étais que de passage à l'auberge. À elle je décide de ne pas mentir ; je lui explique assez rapidement que je n'en ai pas, qu'en fait je n'ai presque rien. Je suis échouée dans cette ville que je ne connais même pas, et je ne sais même pas ce que je vais faire. Que c'est un peu la galère. "Comme les bateaux ?" — Je ris : "Oui !". Je lui explique que ça vient des bateaux, où la plupart des rameurs n'étaient pas volontaires mais des repris de justice ou des personnes échouées là par le hasard du sort. Tempo duro... Je dis à Agata que je fais la serveuse au black pas très loin d'ici, pour qu'elle puisse me retrouver. Ce sera avec plaisir... Ici il y a trop de bruit pour vraiment avoir une conversation. Et déjà, le guitariste reprend un air plus enjoué, captivant à nouveau son public, dont je remarque certains ayant déjà glissé vers d'autres mondes... Je jette un coup d'œil aux uns et aux autres. Difficile de deviner l'âge de chacun ; c'est surtout des jeunes, je dirais 18-25 ans. Je remarque un homme qui doit avoir le gène des cheveux blancs, car du visage il a l'air d'avoir 25 ans mais ses cheveux sont déjà grisonnants — ou alors il est un peu plus âgé et hante les auberges de jeunesse pour se rappeler ses anciennes années de zadiste ? Mais ce sont encore et toujours les mains et les doigts du guitariste qui me fascinent. Comment apprend-on à jouer de la guitare ? Ça n'a pas l'air facile... Est-ce que l'on prend l'instrument et tente tant bien que mal de toucher une corde et de la pincer en même temps ? Faut-il prendre des cours ? Peut-on apprendre seul ? ... Toutes ces questions me trottent dans la tête. Je me dis intérieurement que ça me plaît... C'est comme un pouvoir magique : s'il change quelques notes, il peut composer un nouveau morceau... Je ne sais même pas si ce qu'il joue en ce moment est un air connu ; on dirait plutôt une improvisation qu'il décline à l'infini. Petit à petit, je forme le projet que peu importe la mésaventure et peu importe l'instrument : un jour je ferai de la musique. Moi aussi je veux créer quelque chose. Plus tard, je croule de fatigue... Je fais la bise à Agata et m'éclipse. Je monte dans la chambre. Cette fois je vois que c'est occupé ; il y a dans l'obscurité des masses sombres dans trois des lits. Celui du fond, en haut, est libre — super, je préfère être sur le lit du dessus car on y a presque l'impression d'être dans son propre espace, juste sous le plafond et en voyant moins la pièce. Je me change en vitesse sous la couverture et m'endors à nouveau la tête sur le sac, prudente. Avec une promesse : moi aussi je créerai.
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Le vampire rêve ! Cette photo, c'est le château d'Eltz en Rhénanie. En journée il fait moins peur... Par contre la majorité des photos que je poste ne sont pas de moi, mais généralement des éditions d'images libres (je re-cadre, colorise et modifie un peu). Aucun château de ce style aux États-Unis ! Je me remettrai sûrement à la photographie plutôt de retour en Europe...
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[QUIZ] Mots en anglais .Connaissez-vous leur équivalent français?
Criterium a répondu à un(e) sujet de goods dans Langue française
Je viens de terminer ce quiz. Mon score 80/100 Mon temps 45 secondes -
L'homme laid s'arrêta un instant dans le cadre de la porte, s'assurant que je le suivais toujours — son rictus immonde, sa peau grisâtre, ses mains en griffes de vautour... Me faisait-il signe ? Déjà il s'effaça, plus loin encore. À travers les pénombres d'une cour intérieure pavée d'octogones, qui me paraissent soudain tous plus horribles les uns que les autres, déformés, aux arêtes traîtresses. Il voulait que je le suive. Chaque pas une nouvelle erreur ; et pourtant, chacun m'empêchait un peu plus de vouloir un retour. — Une ombre dans un escalier étroit, haut, semblant presque sans fin... — Le bruit sourd des marches gravies... Et puis... Un seuil... La pièce. Il se tient là, au fond, longiligne, brindille... au visage satanique ; son sourire : à tout moment je sens qu'il pourrait sautiller sur place, jouissant d'allégresse — celle de l'artiste dévoilant son chef-d'œuvre — car c'était là bien ce qu'il faisait ; sans un mot... il me montrait ça. Contre le mur violet était épinglée la grande peau d'un homme — étendue, étalée, impudique — et tout autour, les innombrables branches d'un riche feuillage... dont l'obscurité empêchait de savoir s'il s'agissait de nerfs disséqués ou de véritables commiphores. Il y a bien des fleurs qui les parsèment ; rouges comme des gouttes de sang. Mais au milieu de la tenture — au centre de la tapisserie de chair — cette tête d'homme est encore pleine de vie. Ses yeux me voient ; à ses tempes battent les artères. Il froncerait les sourcils s'il en avait encore. — — Va-t-il parler ? — "Vois ! J'ai perdu l'envie de faire, puis j'en ai perdu le pouvoir. Je suis devenu l'homme-plante, le trophée de notre siècle." En entendant cela, celui qui m'a guidée jusqu'ici pouffe et glousse. Sa ruse fonctionne peut-être — un message d'outre-tombe. Tour de magie morbide ? A-t-il installé un microphone pour faire parler le mort — ou a-t-il gardé sa créature vivante ? Comme un lutin moqueur, il se gigote encore... Puis un reflet soudain me montre ce qu'il tient dans la main : la longue, l'effilée — l'alêne ! Son visage laid à nouveau menaçant — ses longs doigts qui se crispent — sans un mot il veut me forcer à m'en rendre compte de moi-même ; il veut que je pose une question à l'écorché. Ma mâchoire n'obéit qu'à peine ; impossible de colorer le souffle par ma voix, que je devine cassée et sonnant fausse. Quelques mots dissonants, d'un ton que je ne me reconnais pas... — "Est-ce... Est-ce que tu as jamais été en vie ?" La tête rirait si elle le pouvait ; agitée de soubresauts, l'horrible réponse résonne comme une sorte de hoquet : — "Je suis la vie elle-même !"
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Je ne sais pas si ça a déjà été relevé mais si l'on s'aventure sur une section du forum (par exemple "Musique" ou "Littérature") l'on ne voit plus le nombre de messages d'un sujet ayant plus de 999 messages ni le nombre de vues au-dessus de 999. Testé sur Chrome, Safari et Firefox. Je me souviens que ça n'était pas le cas le premier jour de la v6, où l'on voyait "1.4k" par exemple.
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C'est l'heure de la ressuscitation du topic ! — Il aura beau prendre de l'âge, comme David Bowie et Catherine Deneuve dans The Hunger, il ne mourra pas, car le topic-vampire est immortel. C'est le topic-vampire ! Le puissant psychopompe Sans cesse nous attire ! Afin qu'il nous corrompe, Afin qu'il nous capture, Nos mots et puis nos maux : À grands coups de phrases dures, De vers cherchant le Beau. C'est tout le temps Minuit, Je sens le magnétisme Me ramener à lui D'un puissant hypnotisme. Il nous a tous pendus, À ses pages secrètes ; Il nous a toutes vues, Tenter d'être discrètes : En écoutant ses voix, Ses multiples comptines ; Il sait que l'on est là, C'est sa belle routine. — Lui ! — Toi ! — — Le topic-vampire !
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Une entrevue dans une petite échoppe — samedi matin. Dans ce quartier, elles sont toujours tout en longueur. Le sol carrelé est taché de graisse, l'employé préposé au nettoyage du week-end n'est pas venu. Le grand Medhi râle à voix haute; l'instant d'après, il sourit aux clients, les sert, puis peste à nouveau tout en gardant le sourire. Ses éclats sanguins résonnent dans la pièce. Au fond de la salle oblongue, la demi-cloison estompe quelque peu la voix puissante. C'est là que nous étions. — "C'est la dèche. Je dois trouver un nouvel appartement avant lundi." — "Tu as quelques pistes ?", demandai-je. — "Pas vraiment... J'aimerais rester à proximité du quartier sans que ce soit trop cher, ça devrait être possible, du moment que je trouve une co-locataire." Après une courte pause, elle ajouta: "Et les meubles, je devrais en prendre la moitié... Je vois déjà les histoires que ça va faire. Il n'y a presque rien de toute façon" ; sur ce, elle ponctua de jurons. C'était une histoire compliquée, mais qui pouvait se résumer simplement : elle avait emménagé avec son compagnon sur un coup de tête il y a six mois. Pourtant, chaque fois que je l'avais rencontrée à cette époque-là, la situation était soit "parfaite", soit une galère complète ; les oscillations étaient si fortes et si fréquentes qu'il était devenu difficile de la prendre au sérieux, et que l'on se retrouvait tous à ne l'écouter que d'une oreille. Malgré ces yoyos, l'histoire semblait stable. Mais récemment, tout s'était envenimé ; il l'avait frappée, puis elle l'avait trompé, lors d'une nuit de beuverie ; d'ailleurs il l'avait sûrement déjà fait lui-même. Bref : il l'avait appris peu de temps après, et l'avait mise à la porte. Maintenant, elle n'avait que ses deux gros sacs remplis de vêtements et de papiers. Elle dormait sur un matelas dans le salon d'une amie ; c'était une solution temporaire, puisque que celle-ci y habitait avec sa mère et deux bébés, et qu'il n'y avait déjà qu'à peine de place pour tout le monde. Tout du moins, cela évitait d'avoir à dormir dans la rue. — "Et toi, tu vis toujours avec les artistes fous ?", demanda-t-elle. J'acquiesçai. C'était comme cela qu'elle appelait mes colocataires. Nous avions une maison perdue dans les bois, au nord de la ville. C'était une sorte de coopérative, où cinq personnes vivaient comme une famille; il y avait Jean, le "père" : 50 ans, cheveux longs et gris, sans doute ancien hippie, un artiste-peintre dans un corps de lutteur. Les trois autres, plus jeunes, étaient tout autant artistes, et chacun avec un médium d'expression différent : le dessin, la peinture et le graff. J'étais la cinquième ; la seule fille du groupe ; moi je me battais avec les mots. Lors de certaines soirées que nous avions fini par appeler des "ateliers familiaux", nous nous amusions à tous créer quelque chose, chacun à sa manière — plutôt que de se contenter, comme beaucoup, de parler des exploits de beuverie du passé et de ceux à venir... C'était une manière de se motiver à faire — et nous avions ainsi accumulé tant de toiles démentes... Je m'étais petit à petit attachée à cette manière originale d'explorer l'inspiration. En plus, ils étaient adorables avec moi. Elle avait sans doute eu envie de me demander d'être la co-locataire providentielle... — "Ç'aurait été cool si l'on pouvait se trouver un truc ensemble", mentionne-t-elle, jouant enfin sa carte. Puis, après une pause : "...mais c'est vrai que ce serait moins d'inspiration pour toi". J'avais évité la flèche grâce à un simple silence ; et alors je devinais qu'elle s'apprêterait à prendre congé, son véritable but quant à notre entrevue atteint. Des éclats de voix plus violents se font entendre. Est-ce l'employé enfin là ? — Difficile d'en juger: un attroupement venait de se former devant le comptoir; quelque chose d'électrique dans l'air se faisait ressentir. Des vociférations ; quelque chose ne tourne pas rond, et l'atmosphère devient tranchante. Mon amie le ressent elle aussi; elle est paralysée, ne fait plus aucun bruit, comme si elle étouffait... — — — Un son sec et violent; particulièrement puissant, fait siffler les oreilles. Devant les yeux, des étoiles scintillent... Soudain, je me réveille; c'est comme si par accident, alors que la paralysie atteint tout le monde, je me suis libérée de chaînes en acier. J'attrape mon amie par le poignet et nous nous ruons vers l'arrière-boutique; nous traversons en trombe la petite cuisine sale, et sortons par l'arrière, là où une petite porte en fer mène aux traboules. Nous nous faufilons au pas de course dans une direction, et quelques labyrinthes plus loin nous trouvons une porte entrouverte ; lourde, métallique, elle mène en contre-bas à un corridor sans issue, une sorte de petite cour intérieure. Nous fermons la porte et reprenons notre souffle. Que s'est-il passé ? Mon amie fait un son étrange; une sorte de long gémir. Je la regarde en face et, dès qu'elle aperçoit mes yeux sur son visage, elle fond en larmes. Elle tremble. C'est comme si un énorme poids soudain s'impose sur la gorge et le ventre ; le stress de sa situation ayant rempli le vase — qui n'avait alors eu besoin que d'un son violent pour déborder. La voir ainsi me fait mal ; et je craque moi aussi. Dans les bras l'une de l'autre, nous pleurons ; nerveusement ; confusément. Pourtant, nous n'avons aucune idée de ce qui a bien pu se passer là-bas ; peut-être même rien du tout, une simple dispute ? — ou un événement terrible ? — Ces derniers temps, les nerfs de tout le monde semblaient plus électrisés. — "Qu'est-ce qui se passe ici ?", fait une voix forte. Nous relâchons l'étreinte. Je me tourne vers la voix. C'est un homme au regard énervé. Il est massif, brun, méditerranéen — il nous observe sévèrement. Ça devait être la cour intérieure de son appartement ; il avait dû se dire que le son venait d'ici. Impossible de dire un mot ; ma gorge est bouchée, et mon amie s'est assise et continue à pleurer. Au fur et à mesure de quelques minutes qui paraissent bien plus longues, ses traits se détendent un peu. Il comprend que quelque chose s'est passé. — "J'appelle la police", fait-il. Je ne sais plus ce qu'il s'est passé ensuite; un poids s'est levé; je ne peux revoir que quelques images confuses — un attroupement de voisins, un uniforme, et T. qui vient me chercher. ✥ — "Tu as vu les journaux ?", me demande-t-elle au téléphone quelques jours plus tard. — "Non". Puis, j'ajoute, me demandant si elle l'a déjà oublié : — "Tu sais que je ne les lis plus depuis longtemps... S'il y a quelque chose d'intéressant les artistes fous en parlent, ou alors T. me le dit, de toute manière. En tout cas... rien sur l'autre jour." — "Justement : je n'ai rien vu non plus. Il ne s'est rien passé.", dit-elle d'une voix étrange. Elle répète: "Il ne s'est rien passé". Nous nous donnons rendez-vous dans le quartier où l'événement a eu lieu. Comme c'est dans la vieille ville, un endroit toujours peuplé, quelqu'un a forcément vu quelque chose ; et puis le plus simple serait de juste demander à Medhi. — C'est ainsi qu'une demi-heure plus tard, nous nous retrouvions dans le dédale des petites rues attenantes. En revoyant mon amie, je remarquai que quelque chose dans les traits de son visage avait changé ; une sorte de détermination, un mélange de force et d'inquiétude. Ou alors, c'était le fait qu'elle avait remis les lunettes noires empruntées à son amie — à propos pour cette expédition-détective. Quelques pas plus loin, nous étions à nouveau devant l'échoppe. C'était fermé. Quelque chose dans l'atmosphère n'était pas exactement le même. Pourtant je reconnaissais bien cette rue piétonne ; les façades des appartements alternant le rose et l'ocre ; les odeurs de rue, car il y avait toujours un vendeur à la sauvette pour y griller quelques marrons ; les visages des passants, toujours à la lisière de ceux que l'on pensait y reconnaître... Sans devenir une sensation de déjà-vu, je reconnaissais bien les lieux. — Et pourtant : là, entre cette porte d'immeuble et le petit magasin de cartes postales, là devait se trouver l'endroit. Mais c'était fermé, et qui plus est : l'écriteau a disparu — la porte est doublée par un grand morceau de bois clair, et cadenassée. L'aspect d'un espace à louer depuis des mois. Or c'était il y a trois jours à peine. Nous nous approchâmes toutes les deux des interstices de la vitre, pour voir l'intérieur. Il y avait suffisamment de lumière en provenance de la rue pour avoir une vue d'ensemble de la salle oblongue ; il y restait bien des chaises, à la même place que la dernière fois ; et puis, à l'entrée, le comptoir où se tenait d'habitude Medhi. Les carreaux du sol étaient toujours aussi sales que dans notre souvenir. Par contre, l'endroit était complètement vide. Aucun ustensile de cuisine derrière le comptoir ; aucune trace de nourriture, pas même une tache de sauce ; aucun verre, aucune bouteille, tout était résolument vide. Comme si l'on avait tout déménagé, sauf les chaises, en deux jours, et en oubliant même de poster une notice pour indiquer que l'endroit fût à reprendre... — Par réflexe, je scrute chaque carreau du sol — puis la surface des murs : le son avait été si fort et si sec ; si ç'avait été une altercation ou même un coup de feu, des traces devaient forcément en rester. Pourtant, rien du tout : pas de sang, pas de fêlures, l'endroit est aussi vide d'indices que de vie. — "C'est vraiment bizarre", finis-je par dire. Nous nous rendîmes au magasin attenant. Quel fouillis là-dedans ! Des étagères et des étagères de babioles, de bric-à-brac, et surtout de nombreux présentoirs tant recouverts de cartes postales qu'ils en prenaient l'air d'être des arbres à touristes. Là, l'arbre à photos de la région ; là, l'arbre humoristique ; là, l'arbre des enfants. Nous traversâmes la forêt pour retrouver, au fond de la boutique, le gérant qui s'y tenait toujours, jour après jour, dimanche inclus. Nous ne le connaissions pas mais l'avions toujours vu ainsi, même visage, même pose ; lui devait forcément se tenir là, sans doute exactement de la même manière, lorsque "ça" était arrivé. Avec des mots un peu confus, mon amie lui demande s'il connaît la raison de la fermeture. — L'homme ne sait pas. Il remarque juste que cela fait trois jours. Il connaît bien le grand Medhi, mais ne l'a pas vu, lui non plus — il s'était dit qu'il devait être parti en vacances, mais avait lui aussi remarqué que la fermeture semblait définitive. C'était plutôt décevant ; il pensait que son voisin lui dirait au moins au revoir. — A-t-il entendu quelque chose l'autre jour ? — "Oh, vous savez, il y a tellement de grabuge certains soirs... Alors une fois de plus ou de moins..." — — Malheureusement, il ne sait rien. Le mystère demeure. Mon amie avait semblé inquiète, mais rapidement son problème principal lui était revenu à l'esprit : trouver un logement. Se souvenant alors aussitôt que je ne pouvais ou voulais pas devenir sa colocataire, elle prit rapidement congé. Je me retrouvai seule, là, dans la rue, regardant sans vraiment le voir l'intérieur de l'échoppe ; me demandant si j'avais rêvé une partie de la scène. Peut-être qu'il est réellement possible de partager un rêve à deux ? Appelle-t-on cela une hallucination ? Ou est-ce que cela est compris dans le terme de "folie à deux" ? Je croyais que c'était plutôt quelque chose de progressif, le développement dans le temps d'une psychose qui s'empare de deux personnes vivant ensemble mais isolées ? Pouvait-ce aussi être une sorte de cauchemar, immédiat, et partagé avec quelqu'un avec qui je n'avais somme toute pas tant d'affinités que ça ? ... — — — — Tard le soir... Moi et les artistes-fous avions décidé qu'il était temps de s'enivrer l'esprit et le corps et d'en exorciser les démons avec un "atelier familial". J'avais décidé de ne pas utiliser de mots, cette fois : une toile était disposée sur le plancher et, ayant emprunté un fusain à l'un de mes colocataires, je m'étais accroupie à même le sol, à demi-consciente, pour griffonner sur la surface de grands traits au fusain. Mes mains étaient assombries ; l'ayant oublié, j'en avais petit à petit acquis des traces sur le front et les joues. Hallucinée, je laissais une énergie inconsciente et insoupçonnée s'emparer pour moi du grand bâton de bois brûlé, et grattai un carré noir sur le carré blanc... la perspective petit à petit s'y ajouta ; et quelques chaises ; un comptoir... j'avais sans y penser retracé l'intérieur de la petite échoppe. Comme dans une scène de rêve, j'y griffonnai violemment des formes noires — des silhouettes... Quelques instants plus tard, il me semble me réveiller. Ça n'était pas le cerveau qui tourne... non, c'était plus prosaïque : à force de mouvements violents, je m'étais coupée sur quelque chose, et c'était la douleur qui m'avait fait reprendre mes esprits. Alors je redécouvris la scène que j'avais repeuplée d'ombres. Les silhouettes assises et debout, comme une clientèle des ténèbres dans une sorte de rêve en noir et blanc... et en... rouge : il y avait des traces de sang, qui venaient évidemment de mon poignet, mais qui me semblèrent à l'instant comme une vision me révélant finalement ce qui eût pu s'y dérouler il y a quelques jours. Car ce sang, ce n'étaient pas des petites gouttes ; c'étaient des traces frottés, des lignes zigzagant, et prenant finalement la forme de flammes. Quelques personnages de la scène avaient ainsi acquis une "couronne" : au-dessus de leur tête, le sang dessinait le symbole du feu. — Comme s'ils avaient été choisis, inconsciemment. Comme si, dans un deuxième monde où nous ne serions que des ombres de nous-mêmes, des contours, il suffisait qu'une marque nous désigne... pour que, sans un mot, sans une explication : comme une flamme qui s'éteint avec un petit trait de fumée grise... nous disparaissions. (Petite note : C'était un texte qui restait sur le blog à l'état de brouillon depuis juillet 2017... Avec toujours une hésitation quant à la direction à prendre... Finalement retravaillé aujourd'hui, en avril 2021, dans un état presque aussi halluciné que la narratrice, pour voir où allaient s'inviter les flammes.)
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Je viens de regarder et ça me paraît plus esthétique effectivement. En enlevant le pseudo dans la partie basse, ça devrait être beaucoup mieux. Merci d'être autant à l'écoute de nous tous !
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Tu m'as fais une de ces frayeurs ! Je venais de réactualiser la section "Littérature" et voilà que je vois les blogs, et j'avais l'impression d'avoir halluciné plus tôt. Oui comme ça c'est super, merci beaucoup.
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@Caez Bon courage pour la nouvelle version. Ça va être plusieurs jours avec des pages et des pages de commentaires, en devant séparer ce qui relève de l'habitude chamboulée des préférences de chacun et ce qui relève de vrais bugs ! Points positifs que je veux souligner moi aussi : — Le chargement des pages est bien plus rapide, ce qui est très agréable. La version précédente commençait à ramer de plus en plus. — La fonction "expand" pour les citations est super. Plus besoin de scroller trois kilomètres pour aller rapidement au dernier message... Un problème (pas encore mentionné) : — Lorsque l'on affiche un blog, son image de fond apparaît bien, mais lorsque l'on affiche un billet de ce blog, on ne voit que l'image associée à ce billet de blog et plus celle du blog lui-même ; ce qui fait un peu moche. Exemple: Billet de blog: (à noter, je parle de la zone avec ")o( Un blog de Criterium" qui apparaît juste comme deux carrés gris sur un carré clair. La page principale, par contraste, affiche bien l'image et c'est tout de suite plus joli : À part ça, la couleur jaune des étoiles n'est pas très belle. Trop jaune fluo... mais là c'est purement esthétique, et puis honnêtement je ne porte pas trop d'attention à cette fonction. Il y aussi quelque chose qui est dommage, même si je réalise que c'était en fait sûrement un bug de la précédente version... lorsque l'on était sur une section, mettons "Littérature", il y avait au côté droit un espace qui, il me semble, disait "Ffr mag" mais qui, en fait, amenait aux derniers billets de blog postés (et n'avait plus rien à voir avec le Ffr mag). C'était en fait très pratique, je pouvais voir que quelqu'un venait de poster un nouveau texte sur son blog et cliquer pour tout de suite m'y rendre et le lire. Maintenant l'alternative est de se rendre sur la page principale ou de cliquer régulièrement sur la section "Blog" plutôt que d'avoir l'agréable surprise en lisant un topic sur une autre section du forum que quelqu'un que j'apprécie vient de poster quelque chose. — Bien que maintenant ce soit des posts de @Tequila Moor je préférerais quand même cliquer sur tout ce qu'il poste de nouveau plutôt que sur ses anciennes contributions à Ffr mag. Merci.
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Texte superbe! J'ai adoré sa lecture — tu as magnifiquement joué sur différents fils, et l'on vibre avec toi. Tu as eu ici le don rare pour que d'autres âmes, avec toi, sentent elles aussi un frisson qui est à la fois une note de musique et une caresse. J'espère que tu ne me tiendras pas rigueur d'aller fouiller dans les textes des blogs datant d'il y a quelques années... C'est que l'on y trouve parfois, comme ici, des petits trésors. Alors merci.
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Je relis Rencontre avec des hommes remarquables, de Gurdjieff. Le personnage a beau être un bateleur louche, il a là-dedans des rencontres intéressantes.