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Le monolinguisme


Philogène

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Membre, 77ans Posté(e)
Blaquière Membre 19 162 messages
Maitre des forums‚ 77ans‚
Posté(e)
Le 07/03/2021 à 12:34, Philogène a dit :

Bonjour à tous, je dois chercher la thèse de ce texte mais j'ai du mal à la percevoir. Merci d'avance pour votre aide.

Je suis monolingue. Mon monolinguisme demeure, et je l’appelle ma demeure, et je le ressens comme tel, j’y reste et je l’habite. Il m’habite. Le monolinguisme dans lequel je respire, même, c’est pour moi l’élément. Non pas un élément naturel, non pas la transparence de l’éther mais un milieu absolu. Indépassable, incontestable. Hors de lui je ne serais pas moi-même. Il me constitue, il me dicte jusqu’à l’ipséité du tout, il me prescrit, aussi, une solitude monacale, comme si des vœux m’avaient lié avant même que j’apprenne à parler. Ce solipsisme intarissable, c’est moi avant moi. A demeure. Or jamais cette langue, la seule que je sois ainsi voué à parler, tant que parler me sera possible, à la vie à la mort, cette seule langue, vois-tu, jamais ce ne sera la mienne.

Jamais elle ne le fut en vérité. Tu perçois du coup l’origine de mes souffrances, puisque cette langue les traverse de part en part, et le lieu de mes passions, de mes désirs, de mes prières, la vocation de mes espérances. Mais j’ai tort, j’ai tort de parler de traversée et de lieu. Car c’est au bord du français, uniquement, ni en lui ni hors de lui, sur la ligne introuvable de sa côte que, depuis toujours, à demeure, je me demande si on peut aimer, jouir, prier, crever de douleur ou crever tout court dans une autre langue ou sans rien en dire à personne, sans parler même. Mais avant tout et de surcroît, voici le double tranchant d’une lame aigüe que je voulais te confier presque sans mot dire, je souffre et je jouis de ceci que je te dis dans notre langue dite commune : « Oui je n’ai qu’une langue, or ce n’est pas la mienne."

Je me demande si Derrida ne veut pas s'inventer une originalité magnifique et souffrante (ipséité, solipsisme) : "Ma seule langue n'est pas la mienne" à partir d'une banalité, à savoir qu'une langue (fût-elle notre seule) ne nous appartient pas et toujours préexiste à nous.

Une langue, quelle qu'elle soit (même la plus rustique, la plus intime, la plus ménagère*) est une représentation totale du monde. Il ne nous revient que de trouver -ou plutôt fabriquer- notre propre image à l'intérieur de cette langue. (Avec ses ingrédients !). Ce n'est peut-être qu'un effet de notre prétention que de croire que notre image serait plus grande ou différente en multipliant les langues. Je crois qu'elles (ces images de nous) seraient toujours sinon identiques, équivalentes.

L'universel prend-il sa source ailleurs que dans le très particulier ?

 

* @riad**je crois bien que "couscous, tagine, allahakbar et din amouk" (si je me souviens bien) pourraient te permettre d'être un toi absolument unique et rendre compte de toute ta richesse ! T'as vraiment fait une bêtise de jeter tes vieux poèmes ! :smile2: Je blague : ils sont toujours en toi !

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Membre, 48ans Posté(e)
Fraction Membre 7 003 messages
Maitre des forums‚ 48ans‚
Posté(e)
Il y a 2 heures, Annalevine a dit :

Puisque j’en suis à disserter sur l’Ordre que la langue ( en général) induit lorsqu’elle demeure la langue d’un maître, je me suis aperçu, vous concernant, que, parfois, j’avais moi aussi envie de vous rappeler à l’Ordre. 

C’est la finesse propre à Derrida de dire : attention je porte moi aussi l’Ordre de la langue apprise. C’est la prudence à observer vis à vis de soi : est ce que moi aussi je rejoins parfois l'armée des Orques ?

Vous pratiquez une langue qui ne respecte pas l’Ordre. Du coup pour vous comprendre il est nécessaire de renoncer à ses réflexes et de vous considérer avec un esprit vierge.

Parfois je suis obligé de rouvrir mon dictionnaire pour vous comprendre. Vous employez les mots différemment. C’est intéressant pour le lecteur. Vous étendez le champ des compréhensions possibles.

Ce que vous m’apprenez sur moi-même : je dois faire attention de ne pas rejoindre l’armée des fantassins chargée de faire respecter l’ordre. 

Je veux prendre soin de rester libre. Vous me rappelez à ma propre exigence ne jamais rejoindre une horde.

Bonjour,

Vous me prêtez une posture dissidente.

Mais qui dit "dissidence" dit "ordre établi".

Or, selon moi, c'est cet ordre établi qui est imputable d'arbitrage, d'axiomatique, et de présomption.

 

Loin de moi l'idée d'un hyper-relativisme où tout se vaudrait, mais je postule que la cohérence consciente est plus plastique et adaptable que l'inertie institutionnelle.

Les institutions sont inscrites dans un scénario transcendantal, civilisationnel, si bien que le recul critique de leurs subordonnés est difficile, et la récursivité institutionnelle est précaire et autoritariste.

Je l'ai déjà défendu sur le forum de science, et la réponse, bien que respectable, a été globalement décevante et non proportionnée.

 

On ne change pas le monde, on ne change pas les gens.

C'est à eux de faire leur révolution, et c'est à chaque dissident de la stimuler, tantôt de façon académique, tantôt de façon subversive.

Cordialement, Fraction

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Invité riad**
Invités, Posté(e)
Invité riad**
Invité riad** Invités 0 message
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il y a 20 minutes, Blaquière a dit :

* @riad**je crois bien que "couscous, tagine, allahakbar et din amouk" (si je me souviens bien) pourraient te permettre d'être un toi absolument unique et rendre compte de toute ta richesse

J'avais un ami marocain-bèlge qui a grandi en Belgique et qui ne parle pas l'arabe, il est venu en 2004 pour investir dans son pays d'origine, un jour il m'a raconté qu'il parlait avec la femme de ménage qui (qui ne parle pas français) il voulait lui dire "robinet" mais il ne savait pas comment le dire en arabe, alors il s'est dirigé vers la cuisine et il a montré le robinet, et là, la femme de ménage lui a répondu : "robinet?", lui il croyait qu'il y a un équivalent arabe au mot "robinet", et la femme ne savait pas que "robinet" est un mot français, et ça à créer un quart d'heur de malentendu.

L'arabe marocaine n'est pas encore une langue, c'est un chantier de langue en phase de construction, elle est constituée de mots venant de l'arabe, du berbère de l'espagnole et du français, ce n'est pas encore une langue écrite parce qu'elle ne possède pas d'orthographe.

Citation

! T'as vraiment fait une bêtise de jeter tes vieux poèmes ! :smile2: Je blague : ils sont toujours en toi !

Y a pas de mal à jeter nos rêves de grandeur de gamin quand on grandit.

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Membre, 35ans Posté(e)
Loufiat Membre 2 589 messages
Mentor‚ 35ans‚
Posté(e)
Il y a 4 heures, Annalevine a dit :

Réfléchir  sur la langue de la manière que vous le proposez c’est déjà accepter que cette langue soit la sienne. C’est la linguistique en elle-même que Derrida critique.

Mais non, enfin, lisez bon dieu, ce que j'écris, et non ce que vous voulez entendre !

La langue ne peut pas être mienne. La langue pose la question de l'origine, et la question de l'origine pose : la langue. Origine du moi, des désirs, de la vocation de mes espérances... Ainsi la langue, en me constituant, me rend aussi et sans cesse étranger, me rejette sur ses bords, sans que je puisse être en elle ni hors d'elle. Sans elle, je ne suis pas. Mais alors, où suis-je ? qui suis-je ?

Il y a 4 heures, Annalevine a dit :

Votre proposition est déjà soumission à un ordre.

Vous faites respectez l’Ordre, ce qui est la première intention du langage que l’on vous apprend quand vous êtes enfant. Et vous-même comme représentant de l’Ordre qui vous a été assigné vous dites comment je dois lire Derrida, comment je dois penser.

Quand j’écris : doit-on créer son langage, je m’évade de votre Ordre, qui est celui de votre Maître, celui qui vous a assigné un langage, je prend congé de Derrida, et j’explore des voies  qui pourraient être tracées.

Je pense surtout à mon expérience d’enseignant. Certains enfants n’ont pu prendre leur envol qu’en créant un langage à eux, totalement imaginaire, un langage que les gens comme vous s’ingéniaient aussitôt à briser, car ce n’était pas le langage des maîtres. Ce n’était pas le langage de l’ordre.

Vous vous évadez de vos propres chimères Annalevine.

L'ordre et le désordre sont dans la langue.

Vous n'avez pas égratigné la surface du texte.

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Membre, 77ans Posté(e)
Blaquière Membre 19 162 messages
Maitre des forums‚ 77ans‚
Posté(e)
il y a 54 minutes, riad** a dit :

J'avais un ami marocain-bèlge qui a grandi en Belgique et qui ne parle pas l'arabe, il est venu en 2004 pour investir dans son pays d'origine, un jour il m'a raconté qu'il parlait avec la femme de ménage qui (qui ne parle pas français) il voulait lui dire "robinet" mais il ne savait pas comment le dire en arabe, alors il s'est dirigé vers la cuisine et il a montré le robinet, et là, la femme de ménage lui a répondu : "robinet?", lui il croyait qu'il y a un équivalent arabe au mot "robinet", et la femme ne savait pas que "robinet" est un mot français, et ça à créer un quart d'heur de malentendu.

L'arabe marocaine n'est pas encore une langue, c'est un chantier de langue en phase de construction, elle est constituée de mots venant de l'arabe, du berbère de l'espagnole et du français, ce n'est pas encore une langue écrite parce qu'elle ne possède pas d'orthographe.

Y a pas de mal à jeter nos rêves de grandeur de gamin quand on grandit.

oui !

Excellent le coup, du robinet ! :)

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Membre, 77ans Posté(e)
Blaquière Membre 19 162 messages
Maitre des forums‚ 77ans‚
Posté(e)

@Annalevine Moi non plus je ne connais pas beaucoup Derrida.

 Je lis sa vie et je tombe sur ça qui je crois te touche autant que moi. Même si bien sûr il n'est pas question de réduire une pensée à une seule antipathie, à une seule ERREUR. :

Citation

En 1977, il signe les Pétitions françaises contre la majorité sexuelle adressée au Parlement, appelant à l’abrogation de plusieurs articles du Code pénal sur la majorité sexuelle et la dépénalisation de toutes relations consenties entre adultes et mineurs de moins de quinze ans (la majorité sexuelle en France) avec Michel Foucault, René Schérer, Gabriel Matzneff, Tony Duvert, Louis Althusser, Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir, André Glucksmann, Roland Barthes, Guy Hocquenghem, Jean Danet, Alain Robbe-Grillet, Philippe Sollers et Françoise Dolto.

Belle brochette !

Même s'il s'agit de la mode du moment, on aimerait qu'un vrai penseur ne tombe pas dans ces pièges...

Intellectuellement oui, on peut comprendre beaucoup de choses, mais dans la pratique, non ! Il existe une ligne rouge !

 

 

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Membre, 153ans Posté(e)
Annalevine Membre 3 528 messages
Mentor‚ 153ans‚
Posté(e)
il y a 5 minutes, Blaquière a dit :

@Annalevine Moi non plus je ne connais pas beaucoup Derrida.

 Je lis sa vie et je tombe sur ça qui je crois te touche autant que moi. Même si bien sûr il n'est pas question de réduire une pensée à une seule antipathie, à une seule ERREUR. :

Belle brochette !

Même s'il s'agit de la mode du moment, on aimerait qu'un vrai penseur ne tombe pas dans ces pièges...

Intellectuellement oui, on peut comprendre beaucoup de choses, mais dans la pratique, non ! Il existe une ligne rouge !

 

 

En effet je suis sidéré qu’il ait pu signer une telle pétition. Surtout que vu mon âge je suis en quelque sorte contemporain de cette mode. Et je n’ai jamais pu l’encaisser. Quand je revenais chez moi, dans le train, de Paris vers ma banlieue je lisais dans le Monde les billets de Matzneff et je ne comprenais pas qu’un tel journal accepte de diffuser de tels billets souvent immondes. Je me sentais seul dans ma réprobation.

De la part de Derrida ce n’est pas pardonnable. Du coup je vais passer à autre chose.

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Membre, 35ans Posté(e)
Loufiat Membre 2 589 messages
Mentor‚ 35ans‚
Posté(e)
Il y a 2 heures, Blaquière a dit :

Je me demande si Derrida ne veut pas s'inventer une originalité magnifique et souffrante (ipséité, solipsisme) : "Ma seule langue n'est pas la mienne" à partir d'une banalité, à savoir qu'une langue (fût-elle notre seule) ne nous appartient pas et toujours préexiste à nous.

Je pense que tu approches, mais manques un point.

La langue me préexiste, certes, mais pas comme la maison ou la rivière préexistaient (ce que je comprends grâce à la langue, une fois que je suis plus âgé). La langue ne fait pas que me précéder, elle me constitue, elle est mon "élément". Je reçois un nom avant même de pouvoir nommer, avant même d'être né souvent. Mais en apprenant à parler, je deviens un sujet au sein de relations, une personne devant, avec, contre, etc., d'autres personnes. J'entre, avec la langue, dans la création de relations et des relations de création.

Je vais reprendre un exemple que j'ai déjà pris, par facilité. Tu demandes à un enfant ce qu'il dessine. Peut-être gribouillait-il au hasard, par mimétisme ou autre. Tu ne peux pas le savoir. Mais un jour ta question pour lui devient audible, l'interpelle en effet et il y répond. La question l'a mis face à un problème. "Que dessine-tu ?" alors que lui était, admettons, totalement présent à ce qu'il faisait, sans projet distinct, formulable. Une présence immédiate en quelque sorte. Or ta question a induit quelque-chose, pour autant qu'il y était disposé. Et ce quelque chose ne peut avoir pris, dans un premier temps pour lui, que la forme d'une absence. Il était présent à ce qu'il faisait, mais par ta question il s'est trouvé en présence d'une absence, de sa propre absence sur le plan de la parole, de ce qu'elle désigne en l'occurrence, sa volonté de dessiner quelque chose. Et par sa réponse il affirme et découvre du même coup, sur le plan de la parole, sa propre présence, qui renferme, recouvre en quelque sorte cette présence d'une absence.

Et ainsi il se trouve engagé, petit à petit, sur le chemin de sa propre constitution au sein des relations. Il pourra décréter qu'il veut dessiner ceci ou cela. Il deviendra "créateur", dans cette relation problématique à lui-même (ses projets, etc.) et à l'autre par la parole d'abord, puis par la langue.

Citation

Une langue, quelle qu'elle soit (même la plus rustique, la plus intime, la plus ménagère*) est une représentation totale du monde. Il ne nous revient que de trouver -ou plutôt fabriquer- notre propre image à l'intérieur de cette langue. (Avec ses ingrédients !). Ce n'est peut-être qu'un effet de notre prétention que de croire que notre image serait plus grande ou différente en multipliant les langues. Je crois qu'elles (ces images de nous) seraient toujours sinon identiques, équivalentes.

Oui et non (mon humilité encore). Quand tu écris une représentation totale du monde, tu forces je crois une certaine fixité, tu oublies que la langue n'est pas l'image, elle n'est pas finie et pointe toujours au-delà d'elle-même, comme aussi elle demande sans cesse à être prise et reprise. La représentation totale du monde est l'abstraction que nous faisons à partir d'un phénomène qui lui est toujours en développement. Le sens de cette phrase se crée et se dégage à mesure que j'écris et à mesure que tu lis. Ainsi si c'est bien la langue qui "me dicte jusqu'à l'ispéité du tout", je ne peux jamais saisir la totalité dans "ma" langue, écrite ou parlée. Il me faut la prendre et la reprendre.   

 

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Membre, 77ans Posté(e)
Blaquière Membre 19 162 messages
Maitre des forums‚ 77ans‚
Posté(e)
il y a une heure, Loufiat a dit :

Je pense que tu approches, mais manques un point.

La langue me préexiste, certes, mais pas comme la maison ou la rivière préexistaient (ce que je comprends grâce à la langue, une fois que je suis plus âgé). La langue ne fait pas que me précéder, elle me constitue, elle est mon "élément". Je reçois un nom avant même de pouvoir nommer, avant même d'être né souvent. Mais en apprenant à parler, je deviens un sujet au sein de relations, une personne devant, avec, contre, etc., d'autres personnes. J'entre, avec la langue, dans la création de relations et des relations de création.

Je vais reprendre un exemple que j'ai déjà pris, par facilité. Tu demandes à un enfant ce qu'il dessine. Peut-être gribouillait-il au hasard, par mimétisme ou autre. Tu ne peux pas le savoir. Mais un jour ta question pour lui devient audible, l'interpelle en effet et il y répond. La question l'a mis face à un problème. "Que dessine-tu ?" alors que lui était, admettons, totalement présent à ce qu'il faisait, sans projet distinct, formulable. Une présence immédiate en quelque sorte. Or ta question a induit quelque-chose, pour autant qu'il y était disposé. Et ce quelque chose ne peut avoir pris, dans un premier temps pour lui, que la forme d'une absence. Il était présent à ce qu'il faisait, mais par ta question il s'est trouvé en présence d'une absence, de sa propre absence sur le plan de la parole, de ce qu'elle désigne en l'occurrence, sa volonté de dessiner quelque chose. Et par sa réponse il affirme et découvre du même coup, sur le plan de la parole, sa propre présence, qui renferme, recouvre en quelque sorte cette présence d'une absence.

Et ainsi il se trouve engagé, petit à petit, sur le chemin de sa propre constitution au sein des relations. Il pourra décréter qu'il veut dessiner ceci ou cela. Il deviendra "créateur", dans cette relation problématique à lui-même (ses projets, etc.) et à l'autre par la parole d'abord, puis par la langue.

Oui et non (mon humilité encore). Quand tu écris une représentation totale du monde, tu forces je crois une certaine fixité, tu oublies que la langue n'est pas l'image, elle n'est pas finie et pointe toujours au-delà d'elle-même, comme aussi elle demande sans cesse à être prise et reprise. La représentation totale du monde est l'abstraction que nous faisons à partir d'un phénomène qui lui est toujours en développement. Le sens de cette phrase se crée et se dégage à mesure que j'écris et à mesure que tu lis. Ainsi si c'est bien la langue qui "me dicte jusqu'à l'ispéité du tout", je ne peux jamais saisir la totalité dans "ma" langue, écrite ou parlée. Il me faut la prendre et la reprendre.   

 

si c'est bien la langue qui "me dicte jusqu'à l'ispéité du tout", je ne peux jamais saisir la totalité dans "ma" langue

J'aurais tendance à réagir comme @riad**, là !

'La langue me dicte jusqu'à l'ipséité du tout", qui dit précisément le contraire de ce qui suit me paraît un peu comme du baratin.

"L'ipséité du tout", c'est le monde en soi. Et TOUT le monde. Le fait que tout le monde (tout ce qui existe),existe en soi. Hors de la langue hors de l'esprit qui le pense.

C'est possible. Acceptable.

 Mais le langage, notre langue, qui se veut représenter la totalité du monde (mais qui bien sûr ne le représente pas et n'est qu'erreurs), et à l'intérieur de laquelle nous nous construisons, n'est pas vraiment la totalité du monde. Elle vaut pour lui seulement, et presque le remplace. Elle n'en est qu'un image. Tronquée, imparfaite, bien sûr.

Si c'est elle qui nous dicte (ou nous montre) l'ipséité du tout, puisqu'elle n'est pas le monde en soi, mais seulement le monde -de l'autre- pour nous, c'est donc bien a contrario ! Dans une sorte de no Man's Land, d'espace vacant entre "je" et "moi". (pour clartifier, je dirai que le "je" est hors la langue et le "moi", dans !)  Ce ne peut-être qu'en nous démarquant de la langue, du "pour nous"  que nous pouvons découvrir l'en soi du monde. (La langue serait plutôt à mon avis un obstacle à la découverte de l'ispéité du tout du monde.)

Ce qui est bien dit dans : "je ne peux jamais saisir la totalité dans "ma" langue"

Alors, l'ipséité du tout est découverte par la langue ou hors d'elle ?

Je note quand même que Derrida "pas couillon" parlait de la frange, comme s'il pourvait parler depuis la frontière de la langue : ni dans la langue ni à l'exérieur.

La langue, en fait nous dicte le contraire de l'ipséité du tout ! Elle ne nous dit que le pour nous du tout.

L'idée de la langue comme représentation "globale", totale du monde est une vision très structuraliste. J'assume !

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Membre, 153ans Posté(e)
Annalevine Membre 3 528 messages
Mentor‚ 153ans‚
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Je terminerai mon intervention sur ce fil en notant la dénonciation de l’herméneutique, l’art ou la science de l’interprétation des textes, par Derrida.

Je comprends bien que les lycéens qui soumettent ici leurs questions philosophiques doivent appliquer les règles de l'herméneutique. C’est sur leur capacité à exceller dans cette science qu’ils seront notés.

J’ai déjà mentionné la lutte que je menais à H IV contre mon prof de français. A chaque dissertation je critiquais ses questions. Je lui écrivais : vos questions me conduisent à saccager l’œuvre de l’écrivain. Ce prof fut particulièrement clément avec moi. Il me prit dans un entretien, seul à seul, et me dit : je ne peux pas faire autrement que de vous enseigner ainsi que je vous enseigne. C’est mon devoir, c’est ce que l’EN me prescrit de faire. Mais je comprends votre opposition. Désormais je ne vous sanctionnerai plus, simplement je ne vous noterai plus.

Mais je ne savais pas lui expliquer ma révolte. Aujourd’hui je vois mieux ce qui me rebutait. Pour moi, étant donné sans doute ma sensibilité particulière, l’interprétation ne découvre pas le sens caché d’un texte, l’interprétation impose son sens à un texte. L’interprétation saccage ce que présente un texte, ce qu’expose un texte, pour y installer un sens qui n’est jamais que le sens donné par un groupe social, un individu, à une époque donnée, à un moment historique daté. Pour moi je ne pouvais répondre à un texte que par un autre texte, inspiré. Rendre hommage à un auteur c’était, non pas l’expliquer, mais me mettre à créer, c’était ainsi lui dire : tu m’as communiqué ton souffle créateur.

 

 

 

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Membre, 35ans Posté(e)
Loufiat Membre 2 589 messages
Mentor‚ 35ans‚
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il y a 7 minutes, Blaquière a dit :

J'aurais tendance à réagir comme @riad**, là !

'La langue me dicte jusqu'à l'ipséité du tout", qui dit précisément le contraire de ce qui suit me paraît une peu comme du baratin.

Et merci pour le baratin, qui fait toujours plaisir. Du coup, je m'en vas t'en donner un peu, du baratin.

il y a 7 minutes, Blaquière a dit :

"L'ipséité du tout", c'est le monde en soi. Et TOUT le monde. Le fait que tout le monde (tout ce qui existe,existe en soi.

C'est possible.

Tu compliques inutilement en me faisant dire l'inverse de ce que j'écris. C'est embêtant. 

C'est la langue qui me met en relation à l'ipséité du tout, me "dicte jusqu'à" là. Dire cela, c'est dire que la langue est l'ipséité du tout ? Mais enfin !

il y a 7 minutes, Blaquière a dit :

 Mais le langage, notre langue, qui se veut représenter la totalité du monde (mais qui bien sûr ne le représente pas et n'est qu'erreurs), et à l'intérieur de laquelle nous nous construisons, n'est pas vraiment la totalité du monde. Elle vaut pour lui seulement, et presque le remplace. Elle n'en est qu'un image. Tronquée, imparfaite, bien sûr.

Ce que je dis est bien plus simple.

La langue n'est pas l'image. L'image est totale et globale. Immédiate, instantanée. La parole, la langue écrite ou parlée est un développement. Elle est temporalité. Une syllabe après l'autre. Un mot après l'autre. Une phrase après l'autre. Et ainsi le sens apparaît, se construit.

Et c'est tout ce que je pointais. La langue n'est jamais une "représentation totale" actualisée du monde, comme peut l'être l'image. Elle est toujours incomplète, se faisant, se déroulant et "ouvrant sur". Elle pointe toujours en-deça et au-delà d'elle-même. Si je dis "l'arbre est en fleurs", je pointe au-delà. Si ce n'est cet arbre-, c'est l'image de l'arbre en fleurs dans ton imaginaire. La langue ouvre d'une part sur le monde, d'autre part sur l'imaginaire. Quand je lis un roman, il provoque l'imagination. La langue crée une voie et une scène intérieure où se meut ce vers quoi elle pointe. Où se meut. Mouvement, temporalité. L'action s'enchaîne comme les mots s'enchaînent. Il y a entre l'action et la parole une relation particulière. C'est par la parole que j'apprends que les actes peuvent avoir un sens. C'est par la parole que le problème du sens des actes peut apparaître. J'entreprends de dessiner ceci ou cela. Hors de la parole, qu'y a t-il ? L'instantanéité oui, mais point de sens et pas plus d'action, encore moins de critique. La parole appelle toujours une réponse, même quand elle vient du maître. Une parole n'est jamais définitive. Son sens n'est jamais strictement déterminé. Pour qu'il le soit, il faut faire un immense effort. Mais rien n'empêchera le prochain d'entendre d'une nouvelle façon ce que j'aurai dit, et de tout démolir.

il y a 19 minutes, Blaquière a dit :

Si c'est elle qui nous dicte (ou nous montre) l'ipséité du tout, puisqu'elle n'est pas le monde en soi, mais seulement le monde -de l'autre- pour nous, c'est donc bien a contrario ! Dans une sorte de no Man's Land, d'espace vacant entre "je" et "moi". (pour clartifier, je dirai que le "je" est hors la langue et le "moi", dans !)  Ce ne peut-être qu'en nous démarquant de la langue, du "pour nous"  que nous pouvons découvrir l'en soi du monde. (La langue serait plutôt à mon avis un obstacle à la découverte de l'ispéité du tout du monde.)

Tu confonds image et langue, puis tu attribues à la langue les défauts de l'image. Et ce qui est remarquable, c'est que c'est exactement le procédé du structuralisme. Ce qui est dans la temporalité, le développement (la langue, l'histoire, l'action, les relations, etc.), il en fait une image. Littéralement : si j'étudie un texte, un mythe par exemple, selon la méthode structurale, je dois le représenter spatialement, annuler toute temporalité et faire des relations et des successions, des rapports, des différences spatialisées. Donc vraiment alors, j'étudie la langue comme une image, soit un tout fermé, clôt, un "en soi". Et de là, je décrète la fermeture du langage, je dénonce l'enfermement dans la langue...

C'est une confusion, qui conduit à un contre-sens plus que malheureux. Confusion et contre-sens qui devient manifeste quand tu dis que la langue est un obstacle à la découverte de "l'ipséité du tout", quoi que tu veuilles dire par là (je ne suis pas bien sûr...). Tu supposes donc que si tu n'avais jamais parlé, tu en saurais davantage sur "l'ipséité du tout" ? Demande donc à un chat ce qu'il en pense. Et il me semble, sauf erreur, que c'est bien par la langue que tu dénonces encore, par exemple, la réification, les pièges de la grammaire, etc., non ? Aurais-tu jamais pu faire une poterie sans la médiation par la parole, et réaliser quelles sont les caractéristiques de la terre, et l'intérêt de telle méthode, etc. ?

Cette dévalorisation "l'air de rien" de la parole, c'est quelque chose de très commun à votre génération. Est-ce par hasard si ce "moment" de la pensée occidentale est corrélé à la constitution d'un monde radicalement centré sur l'image ? et où le sens devient un problème accablant pour tous et toutes ? (Sauf ceux qui sont plus doués, oui, les forts, qui peuvent continuer à jouer avec les membres décomposés de ce qui faisait la vie. Mais je parle des autres, ceux qui sont moins forts.) Combien ne savent plus dire ? N'ont pas les mots, ou sont avec les mots exactement dans le rapport d'images, de petits fragments inertes juxtaposés arbitrairement ? Et quel rapport alors avec la violence ? Avec l'hétéronomie, l'aliénation ? Avec la destruction systématique de toute norme, de toute lisibilité, du sens des actes, du fait que vivre puisse avoir un sens ? Est-ce un hasard que l'absurde devienne au même moment, une philosophie ?

Eh bien au moins, tout ça converge en ceci : la langue qu'il faut abattre. Dont il faut dénoncer l'affreuse aliénation qu'elle constitue. Ce qui n'est jamais en fait qu'une justification intellectuelle de l'ordre matériel des choses. Ainsi quand on t'explique que les couleurs n'existent pas. Que c'est une illusion du cerveau. Or qu'y a t il de plus fondamental ? De plus tangible et définitif ? Eh bien, "la science". C'est à dire les appareils dont la réalité est plus vraie que les couleurs. Et voilà le fin mot de cette philosophie. Justifier dans la parole ce qui arrive dans les faits. Leur co-destruction réciproque. La vie devient fragmentaire, absurde, incohérente, désespérante. Mais les forts en jouissent d'autant plus fort.

(Voilà, pour du baratin !)

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Membre, 77ans Posté(e)
Blaquière Membre 19 162 messages
Maitre des forums‚ 77ans‚
Posté(e)
Il y a 11 heures, Loufiat a dit :

Et merci pour le baratin, qui fait toujours plaisir. Du coup, je m'en vas t'en donner un peu, du baratin.

Tu compliques inutilement en me faisant dire l'inverse de ce que j'écris. C'est embêtant. 

C'est la langue qui me met en relation à l'ipséité du tout, me "dicte jusqu'à" là. Dire cela, c'est dire que la langue est l'ipséité du tout ? Mais enfin !

Ce que je dis est bien plus simple.

La langue n'est pas l'image. L'image est totale et globale. Immédiate, instantanée. La parole, la langue écrite ou parlée est un développement. Elle est temporalité. Une syllabe après l'autre. Un mot après l'autre. Une phrase après l'autre. Et ainsi le sens apparaît, se construit.

Et c'est tout ce que je pointais. La langue n'est jamais une "représentation totale" actualisée du monde, comme peut l'être l'image. Elle est toujours incomplète, se faisant, se déroulant et "ouvrant sur". Elle pointe toujours en-deça et au-delà d'elle-même. Si je dis "l'arbre est en fleurs", je pointe au-delà. Si ce n'est cet arbre-, c'est l'image de l'arbre en fleurs dans ton imaginaire. La langue ouvre d'une part sur le monde, d'autre part sur l'imaginaire. Quand je lis un roman, il provoque l'imagination. La langue crée une voie et une scène intérieure où se meut ce vers quoi elle pointe. Où se meut. Mouvement, temporalité. L'action s'enchaîne comme les mots s'enchaînent. Il y a entre l'action et la parole une relation particulière. C'est par la parole que j'apprends que les actes peuvent avoir un sens. C'est par la parole que le problème du sens des actes peut apparaître. J'entreprends de dessiner ceci ou cela. Hors de la parole, qu'y a t-il ? L'instantanéité oui, mais point de sens et pas plus d'action, encore moins de critique. La parole appelle toujours une réponse, même quand elle vient du maître. Une parole n'est jamais définitive. Son sens n'est jamais strictement déterminé. Pour qu'il le soit, il faut faire un immense effort. Mais rien n'empêchera le prochain d'entendre d'une nouvelle façon ce que j'aurai dit, et de tout démolir.

Tu confonds image et langue, puis tu attribues à la langue les défauts de l'image. Et ce qui est remarquable, c'est que c'est exactement le procédé du structuralisme. Ce qui est dans la temporalité, le développement (la langue, l'histoire, l'action, les relations, etc.), il en fait une image. Littéralement : si j'étudie un texte, un mythe par exemple, selon la méthode structurale, je dois le représenter spatialement, annuler toute temporalité et faire des relations et des successions, des rapports, des différences spatialisées. Donc vraiment alors, j'étudie la langue comme une image, soit un tout fermé, clôt, un "en soi". Et de là, je décrète la fermeture du langage, je dénonce l'enfermement dans la langue...

C'est une confusion, qui conduit à un contre-sens plus que malheureux. Confusion et contre-sens qui devient manifeste quand tu dis que la langue est un obstacle à la découverte de "l'ipséité du tout", quoi que tu veuilles dire par là (je ne suis pas bien sûr...). Tu supposes donc que si tu n'avais jamais parlé, tu en saurais davantage sur "l'ipséité du tout" ? Demande donc à un chat ce qu'il en pense. Et il me semble, sauf erreur, que c'est bien par la langue que tu dénonces encore, par exemple, la réification, les pièges de la grammaire, etc., non ? Aurais-tu jamais pu faire une poterie sans la médiation par la parole, et réaliser quelles sont les caractéristiques de la terre, et l'intérêt de telle méthode, etc. ?

Cette dévalorisation "l'air de rien" de la parole, c'est quelque chose de très commun à votre génération. Est-ce par hasard si ce "moment" de la pensée occidentale est corrélé à la constitution d'un monde radicalement centré sur l'image ? et où le sens devient un problème accablant pour tous et toutes ? (Sauf ceux qui sont plus doués, oui, les forts, qui peuvent continuer à jouer avec les membres décomposés de ce qui faisait la vie. Mais je parle des autres, ceux qui sont moins forts.) Combien ne savent plus dire ? N'ont pas les mots, ou sont avec les mots exactement dans le rapport d'images, de petits fragments inertes juxtaposés arbitrairement ? Et quel rapport alors avec la violence ? Avec l'hétéronomie, l'aliénation ? Avec la destruction systématique de toute norme, de toute lisibilité, du sens des actes, du fait que vivre puisse avoir un sens ? Est-ce un hasard que l'absurde devienne au même moment, une philosophie ?

Eh bien au moins, tout ça converge en ceci : la langue qu'il faut abattre. Dont il faut dénoncer l'affreuse aliénation qu'elle constitue. Ce qui n'est jamais en fait qu'une justification intellectuelle de l'ordre matériel des choses. Ainsi quand on t'explique que les couleurs n'existent pas. Que c'est une illusion du cerveau. Or qu'y a t il de plus fondamental ? De plus tangible et définitif ? Eh bien, "la science". C'est à dire les appareils dont la réalité est plus vraie que les couleurs. Et voilà le fin mot de cette philosophie. Justifier dans la parole ce qui arrive dans les faits. Leur co-destruction réciproque. La vie devient fragmentaire, absurde, incohérente, désespérante. Mais les forts en jouissent d'autant plus fort.

(Voilà, pour du baratin !)

Waouh ! il est magnifique ton baratin !  :hi:

J'édite !

 D'accord c'était minable de parler de baratin !

Mais si tu relis bien ce que j'ai dit c'est peu ou prou ce que tu dis aussi.

Moi vouloir détruire le  langage ?  Certainement pas : on n'a guère que ça à se mettre sur la langue...

Mais il n'y a pas que le langage (que je confond volontiers avec l'esprit ou l'esprit "rationnel"). Il y a quelques jours, ici sur le forum il était question de l'origine de l'homme,  il est certain que c'est le langage qui nous invite à différentier les vrais humains de ceux qui les ont précédés. Mais je me suis demandé (ça a été dit d'ailleurs) si le langage n'a pas suivi l'habileté, n'a pas découlé d'elle. Plutôt que de dire que sans le langage la poterie n'existerait pas. Ce que tu sembles suggérer.  Et que dans un premier temps à te lire j'étais près d'accepter.

Ce qui est sûr c'est que des animaux dépourvus de langage évolué  ont déjà une certaine habileté. L'outil (à partir d'un certain niveau de complexité) serait alors un moyen terme entre "l'ipséité du tout" et le langage. Un pré-langage.

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Membre, 77ans Posté(e)
Blaquière Membre 19 162 messages
Maitre des forums‚ 77ans‚
Posté(e)
Le 07/03/2021 à 12:34, Philogène a dit :

Bonjour à tous, je dois chercher la thèse de ce texte mais j'ai du mal à la percevoir. Merci d'avance pour votre aide.

Je suis monolingue. Mon monolinguisme demeure, et je l’appelle ma demeure, et je le ressens comme tel, j’y reste et je l’habite. Il m’habite. Le monolinguisme dans lequel je respire, même, c’est pour moi l’élément. Non pas un élément naturel, non pas la transparence de l’éther mais un milieu absolu. Indépassable, incontestable. Hors de lui je ne serais pas moi-même. Il me constitue, il me dicte jusqu’à l’ipséité du tout, il me prescrit, aussi, une solitude monacale, comme si des vœux m’avaient lié avant même que j’apprenne à parler. Ce solipsisme intarissable, c’est moi avant moi. A demeure. Or jamais cette langue, la seule que je sois ainsi voué à parler, tant que parler me sera possible, à la vie à la mort, cette seule langue, vois-tu, jamais ce ne sera la mienne.

Jamais elle ne le fut en vérité. Tu perçois du coup l’origine de mes souffrances, puisque cette langue les traverse de part en part, et le lieu de mes passions, de mes désirs, de mes prières, la vocation de mes espérances. Mais j’ai tort, j’ai tort de parler de traversée et de lieu. Car c’est au bord du français, uniquement, ni en lui ni hors de lui, sur la ligne introuvable de sa côte que, depuis toujours, à demeure, je me demande si on peut aimer, jouir, prier, crever de douleur ou crever tout court dans une autre langue ou sans rien en dire à personne, sans parler même. Mais avant tout et de surcroît, voici le double tranchant d’une lame aigüe que je voulais te confier presque sans mot dire, je souffre et je jouis de ceci que je te dis dans notre langue dite commune : « Oui je n’ai qu’une langue, or ce n’est pas la mienne."

Je pense que je viens de comprendre la sens (ou la fonction) de ce texte. Et le fait qu'on le propose aujourd'hui à des élèves. Il n'est pas question du langage mais du français.

Derrida y dit que le français en lui est une imposture qui lui a volé toutes ses potentialités autres.

 C'est mal d'être français, mal de parler français...

Par deux fois :

1) "cette seule langue, vois-tu, jamais ce ne sera la mienne."

2) « Oui je n’ai qu’une langue, or ce n’est pas la mienne."

 

A part ça, ce qui me gène un peu c'est la fascination pour les paradoxes ! Est-ce que ces paradoxes donnent  ou tuent le sens  ? En tout cas ils fascinent.

On traverse en restant sur le bord, on y parle sans parler, confie sans mot dire, on y souffre et jouit...

"En même temps" !

C'est là qu'on est en plein déconstructivisme il me semble.

 

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Membre, Posté(e)
Demsky Membre 11 701 messages
Maitre des forums‚
Posté(e)
Le 07/03/2021 à 16:14, Mal-Voyant a dit :
Si une idée ne semble pas bizarre, il n'y a rien à espérer d'elle !
Citation

Je ne peux pas assimiler la langue que je m'entends parler.

Citation

Il est possible, selon Jacques Derrida, d'être en même temps monolingue et plurilingue. C'est non seulement possible, mais universel. D'une part on ne peut parler d'une langue que dans cette langue (pas de métalangage) et d'autre part ma langue propre est la langue de l'autre. Je ne peux pas assimiler la langue que je m'entends parler.

Tout cela vaut universellement, mais Jacques Derrida raconte son expérience à lui : il prend l'exemple de sa biographie, il se lance dans son autobiographie.

 

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Membre, 153ans Posté(e)
Annalevine Membre 3 528 messages
Mentor‚ 153ans‚
Posté(e)

Faire croire que la contestation de l’utilisation de la langue est identique à une contestation de la langue elle-même est de la pure mauvaise foi. Que la langue soit un instrument de pouvoir est une constatation aussi vieille que le monde. Dans le monde judéen cette constatation a donné naissance à la kabbale (une contestation de l’ordre rabbinique), au mythe du golem et plus récemment à ce concept marxiste : l’idéologie dominante est celle de la classe dominante. Derrida s’inscrit dans cette tradition-là.

Le dominant, le maître, utilise la langue pour imposer le sens. Le sien. Et celui qui reçoit la langue souvent ne le voit pas, n’en prend pas conscience. La langue, à l’origine, est d’abord un rapport de confiance entre le dominant, le parent, le prof, le grand frère, le patron, etc. et l’élève, l’apprenant. C’est à la faveur de cette relation de confiance que le dominant impose le sens, le sien. Ou ne l’impose pas en livrant les clefs à son élève. Le fait d’être dominant, en soi, n’est pas un mal social, tout dépend de la manière dont le dominant utilise son pouvoir.

Les explications de texte proposées par l’EN sont une technique pour imposer un certain ordre, un certain sens. Il n’existe pas de Raison en soi, mais une raison induite par la façon dont la langue est utilisée.

Quand nous commençons à construire une réflexion sur la langue dans laquelle l’autre n’est pas, ou n’est plus présent, nous faisons de la langue un instrument d’aliénation.

Le problème, c’est que, dans une réflexion solitaire, l’autre disparaît. Apparaissent alors des théories grandioses qui sont socialement inopérantes faute d’avoir inclus dans ses réflexions la présence de l’autre. Le cimetière des ismes ne cesse de s’étendre en raison de cette disparition de l’autre, en tant que présence et non en tant que concept, dans les réflexions de tous ordres.

Quand nous enseignons l’histoire nous rencontrons sur notre route le siècle des Lumières et les philosophes qui aidèrent le nouveau monde à accoucher. Les philosophes des Lumières pensent le monde en y incluant toujours l’autre, d’où une philosophie qui est toujours une philosophie politique.

Aujourd’hui la philosophie ou tout autre mode de pensée reconstruit ou construit le monde à partir de soi seul. Il ne s’agit pas d’un individualisme forcené, il s’agit d’un aveuglement. L’autre toujours est pourtant là, même quand il est renvoyé à la non-existence.

Même la philosophie occidentale, à l’origine, est née de la politique, de la manière dont les Grecs libres de la cité discutaient de la chose publique. Les sophistes savaient bien que la langue était un instrument de domination. Que la langue soit utilisée pour dominer ne jette pas le discrédit sur la langue en soi, mais sur la manière dont elle est utilisée.

Il y a aussi beaucoup d’incompréhension. Dire que les couleurs n’existent pas dans le réel observable n’est pas dire que c’est une illusion. C’est dire qu’il existe un monde qui reste à découvrir, c’est ouvrir le champ de la recherche possible.

La science telle qu’elle est souvent comprise par le public est confondue avec la technique. Le monde de la recherche fondamentale n’est pas le monde de la recherche appliquée. Mais le public pense comme pensent les ingénieurs. Encore une aliénation par le langage. C’est le sens induit par les techniciens qui s’impose au public sans même que celui-ci s’en rende compte.

En confondant science et technique le public pilote un réductionnisme désolant.

 

 

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Membre, 48ans Posté(e)
Mal-Voyant Membre 109 messages
Forumeur activiste‚ 48ans‚
Posté(e)
il y a 35 minutes, Demsky a dit :

 

Mieux vaut cent moutons menés par un lion que cent lions menés par un mouton.

 

 

La dilution des peuples dans un monde sans frontières est le meilleur moyen de susciter de l'inquiétude et de déclencher des conflits.

 

 

Seule la force fait reculer la violence.

 

 

Trop de gens aujourd'hui me semblent conditionnés par l'air du temps, l'effet de mode, le politiquement correct. Je crois au gélie Français, qui passe par la capacité de notre pays à imaginer, à créer, à utiliser sa riche histoire pour la mettre au service de son avenir.

 

Le chef doit chérir sa liberté. Son inspiration, son charisme, son courage lui doivent tout.

En aucun cas il ne saurait être entravé intellectuellement. Il importe, à l'épreuve du pouvoir (et quel que soit le pouvoir), de rester un esprit libre.

 

 

 

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Membre, 35ans Posté(e)
Loufiat Membre 2 589 messages
Mentor‚ 35ans‚
Posté(e)
Il y a 6 heures, Blaquière a dit :

Waouh ! il est magnifique ton baratin !  :hi:

J'édite !

 D'accord c'était minable de parler de baratin !

Mais si tu relis bien ce que j'ai dit c'est peu ou prou ce que tu dis aussi.

Moi vouloir détruire le  langage ?  Certainement pas : on n'a guère que ça à se mettre sur la langue... 

Mais il n'y a pas que le langage (que je confond volontiers avec l'esprit ou l'esprit "rationnel"). Il y a quelques jours, ici sur le forum il était question de l'origine de l'homme,  il est certain que c'est le langage qui nous invite à différentier les vrais humains de ceux qui les ont précédés. Mais je me suis demandé (ça a été dit d'ailleurs) si le langage n'a pas suivi l'habileté, n'a pas découlé d'elle. Plutôt que de dire que sans le langage la poterie n'existerait pas. Ce que tu sembles suggérer.  Et que dans un premier temps à te lire j'étais près d'accepter.

Ce qui est sûr c'est que des animaux dépourvus de langage évolué  ont déjà une certaine habileté. L'outil (à partir d'un certain niveau de complexité) serait alors un moyen terme entre "l'ipséité du tout" et le langage. Un pré-langage. 

Tu es sans conteste un amoureux de la langue des plus passionnés qu'il m'ait été donné de lire, je le sais bien en te faisant ce texte. C'est pourquoi aussi je pense que tu ne peux pas ignorer le faisceau de coïncidences qui vont vers la destructuration systématique de la langue depuis la deuxième moitié du XXe, toujours avec de bonnes raisons.

Mais a-t-on vu que la critique du pouvoir symbolique de Bourdieu par exemple soit parvenue au moindre résultat ? Si, ce qu'elle a fait, au-delà du petit de cercle des initiés, c'est ancrer que la langue soit un marché comme les autres où se reproduisent des inégalités sociales. Pourtant Bourdieu s'appuie bien sur des constatations et opère un véritable dépassement de la linguistique, ses travaux sont d'une grande qualité.

Mais le fait est qu'on ne peut plus avoir une discussion sur le langage, la parole ou, à ce titre, la vérité, sans que tous viennent y planter les crocs, encore et toujours avec de bonnes raisons. Je me permets alors de douter que ce soit seulement une coïncidence. Comme je me permets de douter que Foucault et Derrida soient par hasard signataires de la pétition que tu as déterrée.

Au contraire je constate une implacable cohérence dès lors qu'on place ces tendances les unes au regard des autres et des évolutions les plus lourdes sur la même période. Ce monde exige en effet de l'individu qu'il renonce à la parole. Il exige que la vérité soit une fadaise, que la langue ne soit plus le lieu de la vie humaine où se joue la vérité de l'existence mais un puzzle qu'on décompose et recompose selon les besoins du moment.

Ou comment faire de nécessité vertu.

Car le même phénomène se réalise, c'est curieux, sur d'autres plans. Le droit et l'art, par exemple, sont également systématiquement désarticulés. Et bien sûr les attaques sont toujours parées des attributs de la liberté et de la vérité. Pas folle la guêpe ! Cependant nous nous comportons bien exactement comme des charognards qui terminent de grignoter la carcasse de cette civilisation.

Et on se retrouve avec des universités pleines d'analphabètes où en licence et en master il faut passer au cas par cas des heures à apprendre aux étudiants à écrire, à renouer le lien avec la parole. Parce que c'est la condition sine qua non, que les plus avancées sont si prompt à oublier.

Bien sûr, la langue n'est pas tout ! Mais je veux dire, c'est là une évidence absolue ! Alors qu'est-ce qu'elle est ? Quel est son pouvoir propre, quel est son importance spécifique dans nos vies ? Quelles sont ses caractères propres ? Quel est son possible ?

Si on commençait par là ! Par s'assurer de bases solides à ce niveau. Et c'est un mensonge éhonté de dire que c'est faire violence. Car quel plaisir au contraire de voir s'illuminer l'autre. De le voir en quelque sorte revenir à la vie.

Pour la poterie, je ne parlais pas de l'homme préhistorique mais de toi.

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