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Château d'hémoglobine


Anna Kronisme

Messages recommandés

Membre, [Sans sous-titre - Version Originale Intraduisible], Posté(e)
Anna Kronisme Membre 2 134 messages
[Sans sous-titre - Version Originale Intraduisible],
Posté(e)

- Château d'hémoglobine -

C'était pas la belle vie mais ça y ressemblait.

Le silence avait une gueule d'ange et les boucans sentaient la frelate. Toi, je te regardais marcher comme une enfant trop heureuse, tu chantonnais, légère et insouciante, le cœur à l'extérieur, prête à l'offrir au loup du bois. Lui, il te guettait, la queue en écharpe. Il avait son œil de rouge-gorge, celui qui plaît, celui qui enchante, celui que tu attendais. Pas plus de six phrases pour t'emporter dans son repère, là-bas, au sommet du château-d'eau. Tu n'as pas crié longtemps, il était précis et rapide.

Souviens-toi…

Lorsque nous étions là-haut, tu admirais la vue. J’avoue que tu m’as attendri et moi j'étais un peu comme ces chiens qui se rendent fous en reniflant les herbes sauvages, se roulant dans tous les sens, s’enduisant de l’odeur qui les rendra invisibles, invincibles sur leur terrain de chasse, imperceptibles, même. J’aime les observer et en retirer l’apprentissage ultime. Aussi, je m’étais préparé pour cette chasse, tu fus un de mes plus beaux trophées.

Tes yeux innocents valsaient dans le ciel de fin d’après-midi avec ton sourire rose aux lèvres de tes seize ans. Ta peau de lait, tes cheveux de satin aux reflets de caramel, ton chemisier aux cerises, en coton d’été, tes chevilles si frêles, tes mains si fines. Je ne voulais pas te rendre laide de souffrance.

- Est-ce le moulin de Père Rolland que l’on voit là-bas ? M’as-tu demandé.

- Oui, ai-je dit sans même regarder ce que pointait ton doigt d’ange.

- Vous l’avez déjà visité, vous ?

- Oui.

- Vous m’y emmènerez un jour ? As-tu dit, les yeux suppliants.

- Non, tu sais que tu n’iras jamais.

- Qui sait... C’est bien possible...

Ton regard s’est perdu sur le béton de la haute tour et il m’a semblé y voir un éclair de frayeur. J’ai compris qu’il ne fallait pas que je tarde. Et je t’ai rassurée aussi.

- Tu le sais n’est-ce pas ? Tu sais pourquoi tu n’iras jamais et tu n’as pas peur... non, pas une enfant aussi pure que toi, non, pas toi.

- Si, vous me faites peur…

- Tu crois avoir peur, mais, ce n’est que le désir profond de vivre une expérience hors du commun qui te fait trembler, tu n’as aucune crainte à avoir, tu peux me faire confiance.

- Je voudrais rentrer…

- Ne pleure pas belle hirondelle, tu sais que ce n’est pas possible. Regarde ce que j’ai préparé pour toi. Dis-je en sortant ma lame n°18, la plus effilée que je possédais, rien que pour toi. Elle porte ton nom. Ève…

- Je… je ne comprends pas… je n’ai rien fait… je…

- Chut, dis-je en posant mon index sur ta bouche, tu es celle qui doit purger le monde de sa folie, tu as été choisie. Remercie la grâce d’avoir foi en toi ! Viens, agenouille-toi avec moi, nous allons bénir le feu du sacrifice qui prend vie en toi.

- Ne… ne me faites pas de mal… je vous en prie, je ferai ce que vous voudrez… je serai votre femme si vous voulez…

Tu ne voulais pas t’asseoir près de moi et j’ai alors pu empoigner ta main si froide et si moite. Cette douceur évoquée me fait encore frémir. Toi, de ta voix fluette tu as émis un cri, un chant de colibri, aigu et rafraîchissant. Jamais je n’avais entendu si beau désespoir, j’en retirais un orgueil inégalable. Tes pleurs étaient d’une pureté renversante et j’avais alors pour toi un amour divin. Je t’ai adorée. Nymphe. Mes doigts ont senti la douceur de ta chevelure au doux parfum de camomille, je tirais fort pour les humer de plus près, j’en fermais les yeux, battus par tant d’enchantement. Ton cou, blancheur de matin, était d’une souplesse succulente, Ève s’y enfonçait avec une facilité déconcertante. Vive et sèche, puis calme. Ah ! Ton sang si chaud qui maquillait mes cils ! Ma bouche ! Je le sentais couler avec une lenteur inouïe sur ma poitrine battante, descendant sur mon ventre et enfin sur mon vit. Je bandais comme jamais je n’aurais cru cela possible. Petite hirondelle, tes yeux sont restés ouverts pour mieux contempler celui qui fit de toi une femme. Et même si ton cœur restait désormais immobile, je sais que tu m’as aimé, que tu m’aimes encore. Toi qui as permis à ce loup de naître en moi, moi, cet animal fou d’amour pour toi.

Depuis, l'eau a un goût métallique.

Depuis, les villageois ne te cherchent plus.

Depuis, à te boire, ils ne le savent pas mais, tu vis en eux.

Francesco+Sambo.jpg

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Membre, Jedi pas oui, jedi pas no, 31ans Posté(e)
Jedino Membre 47 969 messages
31ans‚ Jedi pas oui, jedi pas no,
Posté(e)

Pas mal du tout. Tout à fait le genre de petite histoire que j'apprécie beaucoup.

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Membre, [Sans sous-titre - Version Originale Intraduisible], Posté(e)
Anna Kronisme Membre 2 134 messages
[Sans sous-titre - Version Originale Intraduisible],
Posté(e)

Merci Jedino. Tu es fasciné par le meurtre en lui-même ou les personnes qui basculent dans la noirceur ?

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Membre, Privé de désert, 35ans Posté(e)
Kégéruniku 8 Membre 8 036 messages
35ans‚ Privé de désert,
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J'apprécie particulièrement le titre et l'explicit

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Membre, Agitateur Post Synaptique, 55ans Posté(e)
zenalpha Membre 19 362 messages
55ans‚ Agitateur Post Synaptique,
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Perversité du loup qui se délecte d'une innocente abusée fauchée puis d'une eau impure consommée trompant les hommes après la nymphe, les abusant dans leur chair, sans deuil possible, alimentant l'extase abjecte de pénétration des corps et des âmes.

J'espère que cette hirondelle ne fera pas son printemps quel que soit son degré de folie.

Voyage rôlesque dans un cerveau abject prolongé d'une Eve transperçant la pomme d'Adam.

Croquer la pomme me semblait une erreur plus humaine.

Excellent texte qui suggèreque que le Lumbrosco pétillant de bonne facture est une très saine boisson à partager.

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Membre, Jedi pas oui, jedi pas no, 31ans Posté(e)
Jedino Membre 47 969 messages
31ans‚ Jedi pas oui, jedi pas no,
Posté(e)

Merci Jedino. Tu es fasciné par le meurtre en lui-même ou les personnes qui basculent dans la noirceur ?

Ce qui me fascine, c'est la noirceur. Les meurtres, ce sont des affaires plaisantes (tant qu'ils restent histoires).

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Membre, Poisson rouge très très méchant, 38ans Posté(e)
Loopy Membre 3 109 messages
38ans‚ Poisson rouge très très méchant,
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Contrairement à Kégé, je ne suis pas fan du titre (ou alors il y a quelque chose dedans que je n'ai pas saisi)... Mais le texte ! ... C'est marrant, parce qu'intuitivement j'aurais placé l'histoire au moyen âge malgré quelques... Anachronisme... (je te jure j'ai pas fait exprès :D ). Peut être parce que ça m'évoque des tableaux un peu sinistres représentant, dans la vision très éclésiastique de l'époque, le malin, satan, etc...

En général j'aime le décallage, parler des choses les plus abjectes avec douceur. J'aime aussi les évoquations en filigrane, l'explicit, certes, mais aussi le subtil. Si on lit un peu entre les lignes, si on dépasse un peu le malaise de tant de sang et d'horreur, j'ai l'impression qu'il y a des paraboles plutôt bien senties.

N'en fallait pas plus pour me toucher...

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Membre, [Sans sous-titre - Version Originale Intraduisible], Posté(e)
Anna Kronisme Membre 2 134 messages
[Sans sous-titre - Version Originale Intraduisible],
Posté(e)

Perversité du loup qui se délecte d'une innocente abusée fauchée puis d'une eau impure consommée trompant les hommes après la nymphe, les abusant dans leur chair, sans deuil possible, alimentant l'extase abjecte de pénétration des corps et des âmes.

J'espère que cette hirondelle ne fera pas son printemps quel que soit son degré de folie.

Voyage rôlesque dans un cerveau abject prolongé d'une Eve transperçant la pomme d'Adam.

Croquer la pomme me semblait une erreur plus humaine.

Excellent texte qui suggèreque que le Lumbrosco pétillant de bonne facture est une très saine boisson à partager.

Lumbrosco pétillant... Ah ! L'Italie... ! <3

Merci zenalpha, pour ta lecture analytique et pertinente.

Et pour ne pas faire (trop) d'erreur, convient-il peut-être de ne pas croquer la pomme jusqu'au trognon... histoire de ne pas avoir de pépins (dans la bouche).

Contrairement à Kégé, je ne suis pas fan du titre (ou alors il y a quelque chose dedans que je n'ai pas saisi)... Mais le texte ! ... C'est marrant, parce qu'intuitivement j'aurais placé l'histoire au moyen âge malgré quelques... Anachronisme... (je te jure j'ai pas fait exprès :D ). Peut être parce que ça m'évoque des tableaux un peu sinistres représentant, dans la vision très éclésiastique de l'époque, le malin, satan, etc...

En général j'aime le décallage, parler des choses les plus abjectes avec douceur. J'aime aussi les évoquations en filigrane, l'explicit, certes, mais aussi le subtil. Si on lit un peu entre les lignes, si on dépasse un peu le malaise de tant de sang et d'horreur, j'ai l'impression qu'il y a des paraboles plutôt bien senties.

N'en fallait pas plus pour me toucher...

Pour le titre, tout restera un mystère pour toi... ce que l'on ne saisit pas n'est pas encore prêt à être saisi.

Tu es touché où, exactement ? :blush:

Non, ne réponds pas... je t'en prie. ^^

Merci pour tes mots, Loopy.

J'apprécie particulièrement le titre et l'explicit

Merci à toi, Kégéruniku.

Ce qui me fascine, c'est la noirceur. Les meurtres, ce sont des affaires plaisantes (tant qu'ils restent histoires).

J'ai dû voler une peau de loup et sacrifier une jeune vierge pour donner un semblant de véracité à mes propos...

L'imagination ne fait pas tout.

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Membre, Biscotte, 38ans Posté(e)
zera Membre 6 818 messages
38ans‚ Biscotte,
Posté(e)

Ce texte est pour ma part, saisissant...

Merci pour ce partage Anna Kronisme.

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Membre, Agitateur Post Synaptique, 55ans Posté(e)
zenalpha Membre 19 362 messages
55ans‚ Agitateur Post Synaptique,
Posté(e)

Lumbrosco pétillant... Ah ! L'Italie... ! <3

Merci zenalpha, pour ta lecture analytique et pertinente.

Et pour ne pas faire (trop) d'erreur, convient-il peut-être de ne pas croquer la pomme jusqu'au trognon... histoire de ne pas avoir de pépins (dans la bouche).

Erreurs qu'il n'a pas commises.

Mieux vaut le meurtre parfait que l'amour partagé, fût il détourné (la pauvre étant mineure).

En tout cas, cette jeune fille apprécierait de sentir le moindre pépin dans sa bouche, du moins je le crois.

Quoi qu'il en soit, la pomme a ce mérite scientifique.

Elle met en évidence la sélection naturelle de Darwin.

Au départ, il faut le savoir, les pommes des arbres tombaient dans toutes les directions.

Seules les pommiers dont les fruits tombaient en bas eurent la possibilité d'ensemencer le sol de joyeux pépins qui permirent à la vie d'éclore et de se révéler.

Et elle met en évidence que les erreurs légères tombent à la même vitesse que la faute lourde par le principe de gravité.

Seule l'atmosphère interfère et il est vrai que l'atmosphère du récit est lourde pour le véritable amour je pense.

Comme disait Chirac, Mangez des pommes. !

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