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L'historien doit-il être neutre ?


Petitpepin

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Posté(e)

Mais nos sociétés sont bâties sur des mythes historiques, des falsifications. L'évangile, le coran... ces falsifications de la réalité objective influent, stimulent au plus haut point nos sociétés et leur influence n'a rien de fragile.

Vrai, mais ici, il n’est ni question de mythologie, ni de religion. Un mythe n’est pas de l’histoire.

Par ailleurs, les religions et les mythes ne reposent pas sur la factualité mais bien sur des évènements qui sont plutôt de l’ordre de l’esprit.

Toute histoire n'est que falsification, elle n'est vraie que quand elle est communément admise par la société, et la société peut admettre des mensonges énormes : la France résistant dans son ensemble lors de la WW II, le bien fondé du capitalisme, l'existence de dieu...

« Falsification » est un terme trop puissant à mes yeux. Je parlerais plutôt d’ « interprétation ». Les vraies falsifications ne résistent pas aux assauts de la partie scientifique de l’histoire.

Je pense que Nietzsche a utilisé le même terme que toi, mais c’était dans un but polémique : il s’agissait d’ébranler l’édifice devenu trop rigide de la conscience historique. Dans tous les cas, c’est tout simplement inconvenant de discuter de tels détail devant ceux qui nous lisent. Tu aurais dû t’apercevoir rapidement que mon propos est essentiellement le même que le tien. C’est souvent l’ennui sur ces forums : les esprits éclairés s’entredéchirent sur des broutilles et pendant ce temps, ils perdent en crédibilité aux yeux de la masse apprenante (et je suis sans doute le premier coupable de cette faiblesse). Nous péchons par fierté, nous ne saisissons pas l’urgence liée à la philosophie.

L'histoire est intimement liée au politique car on ne peut interpréter le présent sans connaître le passé, la connaissance du passé est donc dirigée afin de facilité la compréhension du présent en accord avec la subjectivité idéologique (culturelle, sensitive, rationalisante...) du producteur ou médiateur de l'information historique. La production d'information n'est pas neutre, tout comme les médias, qui ne sont jamais neutres.

Histoire signifie enquête, l'enquêteur n'est pas neutre, il poursuit un but et est plongé dans le bouillon culturel, éthique, moral de sa société. Le premier historien "occidental" Herodote étudiait les peuples du pourtour méditerranéen avec ses yeux, sa sensibilité, de grec ; tout en étant factuelle (autant que le permettait l'époque) son analyse n'en était pas moins distordue par son appartenance aux Grecs.

Précisément, cela rejoint mon propos.

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Membre, 50ans Posté(e)
Crabe_fantome Membre 45 565 messages
Maitre des forums‚ 50ans‚
Posté(e)

Voilà un exemple grossier. Il ne s'agit pas de se mettre la tête dans le sable. Mais dans l’interprétation des faits historiques, il y a des nuances subtiles qui font toute la différence.

Je prends l'exemple de l'histoire du Québec, qui m'est plus familière. Pour un canadien-anglais, la restitution historique de la conquête de la Nouvelle-France par l'Angleterre pourra être présentée comme étant un moment glorieux de l'histoire canadienne, comme étant un événement allant dans le sens de la nature alors que pour un canadien-français, c'est un moment tragique et indécent. Du coup, le deuxième point de vue s'attardera sans doute davantage au fait de la résistance française, puis aux doléances que subit le peuple canadien-français par la suite. Les deux histoires ne répondent donc pas des mêmes besoins en frais de stimulation.

L'exemple grossier m'a été inspiré par l'album d'Astérix "le bouclier arvene"

02c-alesia-asterix.jpg

Pourquoi cette exemple? Parce que c'est l'exemple de la première plus grande défaite "française"... Ensuite parce que c'est un fait qui nous offre un recul de 2000 ans et nous permet de réfléchir sur l'objectivité des faits étudiés au fur et à mesure de l'avancé dans le temps.

Les documents sont les mêmes il y a 2000 ans et aujourd'hui, les historiens font donc le même travail que le document soit des ossements retrouvé en Bourgogne ou en Pologne. Et quand bien même les ossements retrouvés en Pologne impliqueraient un traitement de faveur et l'envie de perdre son professionnalisme, les historiens dans 2000 ans retravailleront dessus.

Maintenant tu le trouves toujours grossier ou tu as pris le temps d'y réfléchir?

Pour ce qui est de l'histoire du Canada, je ne vais pas pouvoir te suivre.

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Invité Dompteur de mots
Invités, Posté(e)
Invité Dompteur de mots
Invité Dompteur de mots Invités 0 message
Posté(e)

L'exemple grossier m'a été inspiré par l'album d'Astérix "le bouclier arvene"

02c-alesia-asterix.jpg

Pourquoi cette exemple? Parce que c'est l'exemple de la première plus grande défaite "française"... Ensuite parce que c'est un fait qui nous offre un recul de 2000 ans et nous permet de réfléchir sur l'objectivité des faits étudiés au fur et à mesure de l'avancé dans le temps.

Les documents sont les mêmes il y a 2000 ans et aujourd'hui, les historiens font donc le même travail que le document soit des ossements retrouvé en Bourgogne ou en Pologne. Et quand bien même les ossements retrouvés en Pologne impliqueraient un traitement de faveur et l'envie de perdre son professionnalisme, les historiens dans 2000 ans retravailleront dessus.

Maintenant tu le trouves toujours grossier ou tu as pris le temps d'y réfléchir?

Pour ce qui est de l'histoire du Canada, je ne vais pas pouvoir te suivre.

Ne t'offusque pas du fait que je dise ton exemple grossier. Je suis comme ça en philo: je préfère moins me censurer, de manière à ce que le cœur parle davantage. Quitte à me tromper. J'aime me tromper. J'aime que l'on m'explique que je me suis trompé. Mais bref, en réalité, je suis doux comme un agneau.

Héhé ! Oui, j'ai tout de suite pensé à cet album d'Astérix, qui est d'ailleurs mon favori ! Ce n'est pas tant le sujet de l'exemple que je trouvais grossier que la nature du problème qui en est tiré: l'idée que l'occultation d'un fait historique célèbre et largement reconnu puisse être vivifiant pour un peuple. C'est plutôt dans l'interprétation de ce fait que tout peut se jouer.

Je suis désolé pour le passage à l'histoire canadienne. Mais tu n'as besoin que de savoir 3 éléments: l'existence du peuple canadien-français, du peuple canadien-anglais et la conquête du premier par le second. Je trouvais que les enjeux politiques de cet exemple étaient plus faciles à saisir, vu sa proximité dans le temps et vu sa pertinence encore actuelle. Mais nous pourrions utiliser ce que j'ai dit sur le Québec à propos d'Alésia: l'Empire romain a dû interpréter l’événement sous le signe de la victoire glorieuse tandis que l'interprétation auvergnate a dû appuyer sur le fait de la résistance, sur le caractère tragique, etc.

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Membre, 50ans Posté(e)
Crabe_fantome Membre 45 565 messages
Maitre des forums‚ 50ans‚
Posté(e)

Je ne sais pas si les historiens peuvent interpréter... ou écrire l'Histoire de façon à laisser libre toutes les interprétations possibles auprès des lecteurs.

Pour reprendre l'exemple controversé des chambres à gaz, les historiens attestent ce fait et certains lecteurs vont tout de même interpréter cette attestation comme fausse et donc faire du négationnisme, en se basant donc sur leur propre interprétation... Comme si j'avais lu que la bataille d'Alésia avait été écrite par un certain Ballondebaudrus et que, persuadé que cet infâme romain avait modifié l'histoire, je tenais à faire savoir au monde la triste injustice du peuple auvergnat, en niant l'existence de la bataille d'Alésia.

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Membre, Posté(e)
Petitpepin Membre 783 messages
Baby Forumeur‚
Posté(e)

La nuance marquée par Dompteur exclue le négationnisme du champ des interprétations.

Pour reprendre l'exemple des chambres à gaz, interpréter n'est pas nier qu'il y ai eu des chambres à gaz ; les interprétations autour de ce fait bien établit seront par exemple, d'un côté, "c'est une horreur sans nom, il ne faut jamais plus qu'une telle chose se produise", et, d'un autre côté, "la race Aryenne a fait ce qui était nécessaire et doit poursuivre son œuvre". Les deux observent le même fait ; il paraît différemment.

Malgré ça, je te rejoins, Crabe, dans une certaine mesure :

La nuance que tu marques, Dompteur, est importante, et je comprends ton point de vue. je rajouterai toutefois que la légitimation de l'interprétation nous rapproche un tantinet d'une logique de propagande ( = négationnisme, ou censure du négationnisme... ). On s'expose à un glissement.

Et puis, une fois qu'il est compris que l'historien ne peut pas être neutre, mais peut s'y efforcer, une fois qu'il est établi qu'il y a nécessairement une interprétation et jamais seulement des faits, est-il vraiment utile de la valoriser ?

Précisément, ce n'est pas l'interprétation qui nous rapproche de la propagande, c'est la valorisation de l'interprétation.

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Membre, 36ans Posté(e)
lonkori Membre 1 419 messages
Baby Forumeur‚ 36ans‚
Posté(e)

Toute histoire n'est que falsification, elle n'est vraie que quand elle est communément admise par la société

C'est l'avis d'un amateur, n'est pas ?

As-tu déjà lu des ouvrages d'historiens ? (Autre que Max Gallo, qui est surtout connu pour être un très bon vulgarisateur)

L'historien honnête ne falsifie pas.

Il ouvre les archives et fait avec.

Certaines de ces archives peuvent avoir été falsifié, mais ça reste marginale.

L'histoire enseignée au public peut-être biaisée, utilisée pour servir des objectifs politiques, mais ce n'est pas l'histoire écrite par les historiens.

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Membre, Posté(e)
Pimc Membre 90 messages
Baby Forumeur‚
Posté(e)

C'est l'avis d'un amateur, n'est pas ?

As-tu déjà lu des ouvrages d'historiens ? (Autre que Max Gallo, qui est surtout connu pour être un très bon vulgarisateur)

L'historien honnête ne falsifie pas.

Il ouvre les archives et fait avec.

Certaines de ces archives peuvent avoir été falsifié, mais ça reste marginale.

L'histoire enseignée au public peut-être biaisée, utilisée pour servir des objectifs politiques, mais ce n'est pas l'histoire écrite par les historiens.

un amateur en passe de passer protongue.gif

Il est vrais que ma phrase l'histoire est globalement falsifiée mérite d'être dévelopé :

Elle est fausse car produite par le mensonge : tous les pouvoirs, toutes les guerres qui ont construit notre histoire ont une part de mensonge, part plus ou moins grandes mais surtout mensonges plus ou moins démontés. Les réalités matérielles d'une époque étant bafouées par leurs contemporains, elles seront d'autant plus difficiles à être rapportées dans toute leur véracité par l'historien.

Elle est fausse car les traces des événements, "les sources", sont mensongères (au moins hautement subjectives) : ces sources sont le reflet des mentalités de l'époque mais surtout des enjeux de pouvoirs. Les chroniqueurs d'une dynastie glorifient la dynastie de leur souverain tout en conchiant les dynasties précédente, les textes qui tombent entre les mains des historien sont toujours (volontairement ou involontairement) malhonnêtes.

Elle est fausse car c'est un instrument politique influant sur les rapports de force présents : le passé expliquant le présent il faut trouver un passé qui apporte des arguments favorables à une certaine vision du présent et du futur. Orwell le montre dans 1984, l'histoire n'est pas une réalité factuelle mais une réalité subjective imposée du haut et plus ou moins communément admise par la masse.

Elle est fausse car sujette à la subjectivité de l'historien (et du public) : quelque soit le talent et la rigueur d'un historien celui ci ne peut se départir de sa subjectivité, son cerveau est humain donc faillible au plus au point et incapable de rapporter une réalité dans sa totalité et dans sa véracité. L'historien n'est pas exempt de subconscient et ses recherches sont parasitées (guidées) constamment par sa subjectivité.

Elle est fausse car parcellaire : Toute connaissance historique n'est que parcellaire, voire totalement superficielle, la "guerre des Gaules" est transmise à partir d'une unique source : le livre de César.

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Invité Dompteur de mots
Invités, Posté(e)
Invité Dompteur de mots
Invité Dompteur de mots Invités 0 message
Posté(e)

un amateur en passe de passer protongue.gif

Il est vrais que ma phrase l'histoire est globalement falsifiée mérite d'être dévelopé :

Elle est fausse car produite par le mensonge : tous les pouvoirs, toutes les guerres qui ont construit notre histoire ont une part de mensonge, part plus ou moins grandes mais surtout mensonges plus ou moins démontés. Les réalités matérielles d'une époque étant bafouées par leurs contemporains, elles seront d'autant plus difficiles à être rapportées dans toute leur véracité par l'historien.

Elle est fausse car les traces des événements, "les sources", sont mensongères (au moins hautement subjectives) : ces sources sont le reflet des mentalités de l'époque mais surtout des enjeux de pouvoirs. Les chroniqueurs d'une dynastie glorifient la dynastie de leur souverain tout en conchiant les dynasties précédente, les textes qui tombent entre les mains des historien sont toujours (volontairement ou involontairement) malhonnêtes.

Elle est fausse car c'est un instrument politique influant sur les rapports de force présents : le passé expliquant le présent il faut trouver un passé qui apporte des arguments favorables à une certaine vision du présent et du futur. Orwell le montre dans 1984, l'histoire n'est pas une réalité factuelle mais une réalité subjective imposée du haut et plus ou moins communément admise par la masse.

Elle est fausse car sujette à la subjectivité de l'historien (et du public) : quelque soit le talent et la rigueur d'un historien celui ci ne peut se départir de sa subjectivité, son cerveau est humain donc faillible au plus au point et incapable de rapporter une réalité dans sa totalité et dans sa véracité. L'historien n'est pas exempt de subconscient et ses recherches sont parasitées (guidées) constamment par sa subjectivité.

Elle est fausse car parcellaire : Toute connaissance historique n'est que parcellaire, voire totalement superficielle, la "guerre des Gaules" est transmise à partir d'une unique source : le livre de César.

Excellent post. Nous avons un nouveau philosophe digne de ce nom parmi nous !

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Membre, 89ans Posté(e)
Rasibus Membre 4 080 messages
Baby Forumeur‚ 89ans‚
Posté(e)

Un historien ne peut pas être neutre ! Ne serait-ce que par le choix des sujets qu'il étudie...

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Membre+, Un manuscrit dans une main, une boussole dans l'autre, 40ans Posté(e)
Noisettes Membre+ 10 398 messages
40ans‚ Un manuscrit dans une main, une boussole dans l'autre,
Posté(e)

Un historien de doit en aucun cas prendre notre grille de valeur morale pour étudier les mœurs de la période qu'il étudie. Il doit rester objectif sur les questions qu'il étudie.

la "guerre des Gaules" est transmise à partir d'une unique source : le livre de César.

La guerre des Gaules de césar est une source historique qui est étudier par les historiens mais ils savent aussi que cette ouvrage est orienté politiquement, mais il existait plusieurs peuples Gaulois que l'archéologie a fait connaître avec comme base cet ouvrage.

L'histoire repose sur beaucoup de choses, des textes littéraire, des objets du quotidiens découverts par les archéologues, des sources démographiques comme les registres paroissiaux et j'en passe. L'histoire n'est pas parcellaire, elle se fait avec les outils dont disposent les historiens et comme tout domaine de recherches, les connaissance augmentent avec les découvertes.

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  • 2 semaines après...
Invité Dompteur de mots
Invités, Posté(e)
Invité Dompteur de mots
Invité Dompteur de mots Invités 0 message
Posté(e)

La nuance que tu marques, Dompteur, est importante, et je comprends ton point de vue. je rajouterai toutefois que la légitimation de l'interprétation nous rapproche un tantinet d'une logique de propagande ( = négationnisme, ou censure du négationnisme... ). On s'expose à un glissement.

Et puis, une fois qu'il est compris que l'historien ne peut pas être neutre, mais peut s'y efforcer, une fois qu'il est établi qu'il y a nécessairement une interprétation et jamais seulement des faits, est-il vraiment utile de la valoriser ?

Précisément, ce n'est pas l'interprétation qui nous rapproche de la propagande, c'est la valorisation de l'interprétation.

C'est une bonne intervention, puisqu'elle m'a fait réfléchir.

L’idée est ici qu’il est admis que l’historien ne peut être objectif mais qu’en même temps, il doit s’efforcer de l’être. Autrement dit, que l’objectivité doit être l’idéal de l’historien.

Je réponds donc à ceci et, pour démontrer ma bonne volonté, je vais même jusqu’à fournir des sous-titres.

***

A. Les deux artisans de l’histoire

Je vais distinguer d’abord d’une part l’historien dont le travail consiste à amasser des pièces à conviction et à en faire l’analyse scientifique : datation, origine, parcours historique, traduction, etc. Et d’autre part l’historien qui trace le canevas historique à proprement parler, celui qui raconte une histoire de l’Histoire (pour autant que l’Histoire avec un grand « H » existe effectivement), à partir des pièces à conviction amassées par le premier. Or, c’est surtout le deuxième que nous visons lorsque nous affirmons que l’histoire ne peut être objective, car le travail de celui-ci a une portée morale, ce qui n’est pas le cas du premier. Lorsque le premier écrit, c’est essentiellement pour rendre compte de ses découvertes alors que le deuxième va souvent prendre un recul supplémentaire qui le place d’emblée dans une position interprétative, par exemple en écrivant sur un sujet tel que l’histoire de la France, pour lequel on peut évidemment prendre une multitude de points de vue.

Cette deuxième sorte d’historien qui interprète les pièces à conviction déborde certes les limites ordinairement fixées par la discipline stricte de l’histoire, bien qu’il puisse fort bien y appartenir en bonne et due forme. Mais ce peut aussi être un philosophe, un sociologue, un anthropologue, ou n’importe quel homme ordinaire qui s’intéresse au cours des choses humaines. Ces penseurs-là ont précisément le mandat d’interpréter les faits de l’histoire, de les lier de manière à en tirer un sens qui puisse être intelligible pour le reste de la société. Et leur travail est tout aussi essentiel à la mise sur pied de la conscience historique que les historiens appartenant au premier groupe.

B. Analogie des points de vue individuel et collectif

Nous avons distingué deux catégories d’historiens mais à vrai dire, le plus souvent, elles se fondent en un seul individu. D’ailleurs, il faut absolument réfléchir ce problème sous la double loupe de l’individuel et du collectif : ce qui est vrai pour une société est vrai pour l’individu. Ainsi notre intellect occupe-t-il tour à tour tantôt le rôle d’enquêteur historique et tantôt celui d’interprète de notre histoire. Nous amassons des données sur les évènements qui gravitent autour de notre vie, puis nous les interprétons et cette interprétation vient en quelque sorte se greffer au système général de nos pensées et de nos actions.

C. Origine et sens de l’histoire

Si on y réfléchit bien, toute cette activité d’extraction de faits et d’interprétation ne peut d’ailleurs avoir de sens qu’en fonction de la portée morale qui s’en dégage. Pourquoi a priori nous intéressons-nous à l’histoire, tant individuelle que collective ? Parce qu’elle nous apprend des choses sur nous-mêmes. D’ailleurs, les premiers historiens le furent sans doute par accident, parce que l’histoire leur servait de source afin d’alimenter une réflexion quelconque. Et je ne parle pas ici de fondateurs tels que Hérodote ou Thucydide, mais bien plutôt de leurs ancêtres qui les premiers eurent l’idée de colliger les faits du passé, de manière plus ou moins anarchique. Par exemple : des chasseurs consignant leurs expériences de chasse ou de migration pour en tirer des leçons.

D. Spécialisation subséquente du discours historique

Ce n’est que par la suite que l’on a circonscrit le type particulier de l’historien (justement chez les grecs, en particulier avec les deux individus cités), rendu nécessaire pour assurer la cohérence et la rigueur générale du discours historique. À partir de là, une compétition s’est installée entre l’historien à proprement parler et l’interprète: le second s’est vu tenu par le premier à rehausser son discours. L’historien s’est mis à agir comme gardien de la rigueur historique et a pris le rôle de soldat de première ligne qui va à la rencontre des matériaux historiques. Un peu de la même manière qu’est né en Grèce (à la même époque d’ailleurs) le type particulier du philosophe, comme gardien des matériaux philosophiques et de la rigueur de la spéculation philosophique générale. L’interprète a dorénavant la double mission de relever le défi posé par l’historien puis de poser son interprétation.

Donc, le type de l’historien s’affirme et délimite jalousement son terrain de chasse, de manière à écarter les bouffons, ce qui est d’ailleurs fort utile. Mais le danger est alors évident : il consiste en ce que les hommes en viennent à estimer que le rôle de l’historien est le plus important de la chaîne qui le lie à l’interprète, quitte à faire de l’histoire un savoir insensé, sans portée morale; un savoir ne servant qu’à engraisser la panse de la pédanterie bourgeoise.

E. Portée morale de l’objectivité

La différence entre une histoire livrée objectivement et une histoire livrée sous l’égide d’une interprétation tient dans la différence qu’il y a entre décrire « comment les choses sont » d’une part, et d’autre part « comment elles devraient être ». Mais, à un niveau de recul supplémentaire, l’on se rend compte que l’objectivité apparente du savoir cache en fait aussi un parti pris moral : celui consistant dans la divinisation du présent. Vous voulez éteindre les élans révolutionnaires d’un peuple ? Alors implantez solidement dans les esprits l’idée de l’objectivité historique. Mais éclairons cela à l’aide de l’analogie proposée plus haut : vous voulez éteindre les élans révolutionnaires d’un individu ? Alors implantez en lui l’idée de l’objectivité du déroulement de sa vie. Comment un homme en vient-il à se révolter ? Il examine le cours de ses jours et se dit « il aurait dû en être autrement ». Dites-lui au contraire que « les choses sont ce qu’elles sont » tout en lui niant la possibilité de les interpréter à l’aune de ses instincts et vous étouffez du coup ses élans.

C’est d’ailleurs pour cela que Nietzsche disait que la philosophie de Kant était une philosophie de fonctionnaire : parce que Kant élève l’objectivité phénoménale aux dépens de ce qu’il appelle « la chose en soi » - qui n’est, chose évidente pour les esprits éclairés, qu’un travestissement dialectique recoupant ce que l’esprit peut avoir d’obscur, de terrible, d’inconscient, de révolutionnaire.

F. Sur la démocratisation de l’interprétation historique

Mais on opposera à tout ceci que les historiens ne nient pas le droit à chacun d’interpréter l’histoire mais qu’ils ne font seulement que défendre la rigueur du discours historique. Sauf que l’effet brut de ceci est que la scène publique se vide de toutes les tentatives interprétatives, qui sont plutôt reléguées à la sphère privée. Or, puisque la sphère privée est essentiellement composé du vulgaire, et que le vulgaire n’interprète pas les faits de l’histoire puisqu’il est incapable de s’élever à cette hauteur, il en résulte que la plupart sombrent le dogme objectiviste et présentiste dont je parlais plus haut, dogme qui dit que « les choses sont ce qu’elles sont ». L’histoire devient alors dans l’esprit général un savoir désincarné, un ornement dont on se sert pour « faire distingué ».

En guise d’ultime protestation, on ajoutera sans doute, comme le fait Petitpepin, le risque qu’il y a à verser dans la propagande. Mais c’est fermer les yeux sur le fait qu’il y a actuellement toute une atmosphère de propagande qui flotte sur la société, une propagande qui fait tout pour ramener l’homme au présentisme. Alors, faudrait-il donc chérir ce présent ? Très peu pour moi !

G. Le défi de l’histoire

Au final, ma pensée est que l’interprète de l’histoire doit prendre la place qui lui revient : la place maîtresse. Mais que par contre, il doit absolument relever le défi qui lui est posé par l’historien car autrement, sa tentative sera tôt ou tard vouée à l’échec, comme sont vouées à l’échec toutes les formes de propagandes qui se fondent sur des déformations ou des approximations grossières. Le long terme réclame du solide.

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Membre, Posté(e)
Petitpepin Membre 783 messages
Baby Forumeur‚
Posté(e)

La barre qu’il me faut maintenant au moins égaler, Dompteur, est bien haute. Je m’efforcerai de faire honneur à ton intervention.

Mes principales remarques partiront du point C, relatif à l’origine et au sens de l’histoire.

Pourquoi a priori nous intéressons-nous à l’histoire, tant individuelle que collective ? Parce qu’elle nous apprend des choses sur nous-mêmes. D’ailleurs, les premiers historiens le furent sans doute par accident, parce que l’histoire leur servait de source afin d’alimenter une réflexion quelconque.

1. La morale de l’histoire

a) Une raison de connaître l’histoire peut en effet être d’en apprendre plus sur nous-mêmes, et, lorsque c’est possible, de tirer la morale de l’histoire. En fait cela revient à une introspection collective. Or, si tel est bien l’enjeu, une exigence de vérité soutient et accompagne le travail de l’historien ainsi que celui de l’interpréteur (si tant est qu’ils soient distincts). La valeur d’une morale élaborée à partir du savoir historique est directement dépendante de la véracité des faits exhumés. Autrement, la morale précédant le récit historique, il s’agit de propagande - propagande car la prétention à la vérité historique est feinte et vise à tromper. Une histoire comme on en trouve dans les fables de Lafontaine, explicitement inventée afin d’illustrer une morale, n’est évidemment pas de l’ordre de la propagande au sens où nous l’entendrons ici.

b) Dans le cadre d’une histoire introspective, les questions posées à l’Histoire correspondent à un système de valeurs. Les problématiques soulevées ne seront pas les mêmes selon les civilisations ou les époques, selon les questions que l’on se pose, selon ce à quoi on fait présentement face. Pensons à l’excellent Machiavel dont les conseils s’appuient sur de solides connaissances historiques. Cherche-t-il à dénombrer les morts dans telle ou telle bataille ? Non, il cherche à savoir comment remporter une victoire, comment pacifier une province fraichement conquise, comment désamorcer les complots etc. Ce que j’essaie de montrer ici, tu l’auras compris, c’est que la récolte des faits desquels on extrait éventuellement une morale est suscitée par des questions qui ne sont pas neutres. Mais ces questions peuvent donner lieu à une véritable recherche historique durant laquelle l’historien s’efforce d’être objectif. En fait, ce sont précisément ces questions chargées en idéologie qui poussent à la neutralité ! Cela, tu le perçois peut-être déjà, contrevient à ton assertion en E :

La différence entre une histoire livrée objectivement et une histoire livrée sous l’égide d’une interprétation tient dans la différence qu’il y a entre décrire « comment les choses sont » d’une part, et d’autre part « comment elles devraient être ». Mais, à un niveau de recul supplémentaire, l’on se rend compte que l’objectivité apparente du savoir cache en fait aussi un parti pris moral : celui consistant dans la divinisation du présent…

La divinisation du présent ne pousse pas à l’objectivité, au contraire ! Pour quelle raison irions-nous alors chercher des réponses dans le passé ? Non, à la limite, diviniser le présent peut pousser à rendre compte d’exploits extraordinaires qui méritent de traverser les générations et de résister à l’épreuve du temps. Alors on enrobe le récit de toutes sortes d’ornements agréables à l’esprit, on caricature et l’on fait des acteurs des Dieux qu’il s’agit d’inscrire définitivement au panthéon de l’humanité. En revanche, chercher des réponses dans le passé suppose chercher à savoir ce qui s’est réellement passé, comme j’ai essayé de le montrer, en sorte que des questions évidemment orientées suscitent toutefois une exigence de véracité.

Avant d'aller plus loin il me faut savoir si nous sommes d'accords sur ces points et sinon répondre à tes objections.

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