Julie au Pays des Mères-vieilles

1. Au fond du trou ...

La tête de Julie commençait réellement à lui peser, là, assise contre cet arbre, prêt de sa soeur qui bouquinait. La chaleur faisait ruisseler la sueur sur sa peau légèrement halée, et le p'tit jus de carotte glacé qu'elle ingurgitait régulièrement n'y faisait rien : non, vraiment, la chaleur était accablante. Franchement, quelle idée de venir lire sous ce soleil de plomb ? Déjà que la notion même de la lecture relevait davantage pour la jeune fille d'un labeur que d'un réel plaisir. Elle avait déjà donné : au collège, puis au lycée, puis à l'université (bon, pas plus de quelques jours, c'est vrai). Désormais, les livres, elle les lisait sur grand écran, c'était bien suffisant.

Alors qu'elle tordait cette idée dans tous les sens que son esprit était apte à suivre, un lapin blanc fila à toute berzingue sous son jolis minois. Enfin, ce qui ressemblait à un lapin blanc, car si la jeune fille avait réussi à distinguer deux longues oreilles situées à peu près au dessus de la tête de ce qu'elle prenait pour un petit animal à fourrure, quelque part dans son corps, un groupement de neurones s'étonnaient tout de même qu'un lapin pu mesurer dans le mètre soixante-dix, avoir les traits d'une jeune femme et les cheveux longs. Mais ce qui mit définitivement la puce à l'oreille de Julie (tant et si bien qu'elle s'en gratta le lobe) c'est lorsque le lapin reprit sa course de plus belle, battant follement de ses chaussures à talons hauts, en s'exprimant distinctement et à haute voix : "Ahhh, je vais être en retard à la fête !!!" ...

Notre jeune héroïne ne put résister à une curiosité aussi soudaine et affamée : elle arracha son vélo à l'arbre et s'élança dans la travée laissée par l'étrange et talonnée créature aux longues oreilles. Elle pédala aussi rapidement qu'elle le pu, puis accéléra prodigieusement (lorsqu'elle cessa d'agripper frénétiquement les poignées de freins) mais ce fut peine perdue : la vitesse de la jeune femme-lapin était tellement phénoménale qu'elle la perdit rapidement de vue.

Cependant, toujours décidée, Julie continua de remonter le long de la faille qui rejoignit bientôt la route, qu'elle suivit sur plusieurs dizaines de mètres. Son périple et la piste s'arrêtèrent soudainement - mais de concert - devant une bouche d'égout en plein milieu de la route. Celle-ci était bien évidemment ouverte (la plaque avait été repoussée sur le côté), et forcément sombre. Julie pris soin de déplier un mouchoir en papier sur le sol, puis s'agenouilla délicatement. Elle tendit lentement la tête, distinguant de manière croissante une obscurité intense qui laissait de moins en moins paraître quoi que ce soit. Mais, alors que la déception le disputait à la perplexité dans les vastes plaines émotionnelles de la jeune fille, soudain le sol bondit et s'inclina brusquement, un peu à la manière d'une crêpe s'élançant d'une poêle bien chaude et bien décidée à réaliser un salto avant sans se gauffrer. Le mouchoir (et accessoirement Julie) glissèrent inexorablement vers le trou, et alors, un peu à la manière d'une crêpe s'élançant d'un immeuble de deux cent étages (mais cette fois sans idée préétablie sur la finalité de son geste), ils entamèrent une chute efreinée (enfin, le mouchoir sembla adopter une attitude plus prudente dès les premiers mètres) vers un sol qui n'était apparemment pas pressé de venir à leur rencontre.

Alors que les parois défilaient sous ses yeux, et qu'en toute logique rien de bon ou moelleux ne semblait se profiler dans son futur proche, Julie ne put réprimer un certain ennui. Sa descente lui fit penser à un trajet en ascenseur, mais sans cabine, ce qui lui offrait le luxe d'observer le paysage, certes, un peu dissimulé dans l'obscurité, mais tout de même présent. Non, en fait, décida-t'elle, cela ressemblait plus au métro. Avec très peu de stations. Et moins bondé. Aussitôt, une crainte la saisit : "Mon passe ! Zut, pourvu que je ne rencontre pas de contrôleurs !". Puis quelque mètres plus bas (ou quelques secondes plus tard, ce qui ne change pas grand chose à l'histoire), elle considéra le problème dans son ensemble : "Je ne sais même pas dans quelle zone je peux bien être ! Je pourrais peut-être expliquer au monsieur que j'ai raté ma station, et que je n'ai pas pu descendre depuis ?". Au pire, elle pourrait toujours s'en remettre à son sourire charmeur, à quelques oeillades timides et innocentes, et à la posture adéquate pour faire passer la pilule. Cette pensée lui fit reprendre confiance, et un sourire malicieux vint illuminer ses lèvres fines : elle avait enfin l'impression de reprendre le contrôle de la situation.

Aussi, alors que son chemin vertical l'entrainait depuis quelques dizaines de mètres maintenant au travers de tout un fatras d'objets - des livres, des casseroles, un grille-pain, un pneu, des pots de fleurs, un abdoflex, des carottes, ... - apparus comme par magie (et tout-à-fait incongrus dans un trou d'égout, du moins pour ce qu'elle savait de ce type de lieu et du sens d' "incongru"), elle ne sourcilla que très peu. Elle tenta même d'attraper un pot de Nutella qui passait par là. Sans succès. Lorsqu'elle longea une série de miroirs fixés à la paroi, elle en profita pour arranger sa coiffure et lisser sa jupe, et inversement. Elle rata une petite cuillère au passage, mais cela ne fit qu'amenuiser ses regrets au sujet du pot. Au final, Julie arborait une mine des plus radieuses - eu égard à sa situation - et l'impression de confiance était toujours là, intacte. Et elle se prolongea encore.

Du moins, presque totalement durant les six derniers mètres ...

... à suivre (ou pas) ...

Alice au pays des merveilles revisité je trouve.

soir ma Luce!!!!!!!

fred............

Allô Fred! :blush: