Les Luminaires
- OOOOOH LE MONSTRE ! OOOOOH L'ASSASSIN !
Il venait d'arracher sadiquement la tête du cafard. Il riait. Il riait fort. Il riait de son air supérieur.
- A MOIIIII ! A L'AIDEEEEE !
Le boucher s'installa avec joie sur le bas-côté, à l'occasion d'un petit rocher.
- Allons, calme-toi. Regarde, c'est tout à fait comestible. En veux-tu un morceau ?
- Je ne discute pas avec une chose comme vous !
- Vas-tu cesser tes jérémiades ? Personne ne s'intéresse à tes appels ridicules. Viens donc manger plutôt.
- JAMAIS !
Il continuait son festin, lentement, très lentement. L'horreur sur le visage de son camarade ne faisait que croître son plaisir à la dégustation.
- Dis-moi, pourquoi t'alarmer autant pour une simple petite bête ?
- Tu oses le demander ?! TU OSES ? Mais c'est un animal, c'est vivant !
- Tout comme toi et moi, en effet. Et donc ?
- Et donc ? Et donc il a souffert, il a dû sentir tes crocs répugnants s'enfoncer dans sa chair alors qu'il était encore qu'à l'agonie !
- J'aime ton humour ! Allez, installe-toi et raconte-moi.
Il s'installa, ne raconta pas.
- Alors, c'est quoi l'histoire ? Une fixation à la freudienne ?
- Vous voulez rire ? Je suis un végétalien, moi, Monsieur ! Je respecte la Vie, et celle-ci, avec un grand V !
- C'est beau, j'irais presque croire que tu y crois. Es-tu seulement sérieux ?
- Plus qu'il ne le faut !
- Pauvre homme.
Un autre cafard fuyait sur le côté. Il tendît sa main, manqua de le saisir.
- Eh mince !
- Arrêtez de les martyriser ! Je ne supporterai pas un autre acte barbare !
- Que vous faites l'enfant, dites-moi. Mais allez-y, expliquez-vous ! Que mangez-vous, si vous ne mangez pas la vie ?
- Les plantes ne souffrent pas. Il n'est pas bien honteux de se nourrir avec. Regardez ces animaux ! Regardez leurs yeux !
- Je dois dire que je n'ai rien vu. Mais je n'ai sans doute pas fait attention.
- Vous êtes sans coeur !
Un silence se roula sur l'herbe.
- Hop ! Te voilà, toi !
- AH NON ! POSEZ-LE !
- Donnez-moi une bonne raison.
- Regardez-le ! Il cherche à fuir, à quitter vos mains salies pour retrouver la vie !
- Je jure avoir déjà vu un arbre prendre ses jambes à son coup, ma foi.
- HERETIQUE !
- Ne tombons pas dans les insultes, je vous prie. Nous sommes au-dessus de ça, tout de même. Nous sommes des êtres humains.
- Vous êtes au mieux un sanglier ! Poilu et sans finesse.
- C'est cela. Mais donc, vous assumez parfaitement tuer des êtres vivants, du moment qu'ils ne poussent pas des cris, ne peuvent pas faire mine de se sauver et n'ont pas des yeux drôlement apitoiements, en tous les cas dans notre représentation ?
- Vous philosophez, et philosophez bien mal.
- Je ne soulève que l'hypocrisie de votre démarche, rien de plus. Assumez-vous donc ! Un organisme se nourrit d'organisme. Qu'il soit de feuille ou de poil, la différence n'est que dans le mensonge que vous cherchez à vous faire. Démontrez-moi seulement qu'un arbre ne souffre pas quand il est à moitié scié.
- Vous êtes écœurant.
- Bien assez pour accepter mon état et manger de la chair. Il existe une différence entre tuer et torturer. Demandez-donc aux carottes ce qu'elles pensent d'être scalpées, découpées en morceaux avant d'être dévorées! HAHAHA ! J'ai au moins la décence de le tuer avant de le manger, moi. Mais vous, vous ne pouvez pas affirmer qu'elle est morte. Il vous la faut bien, il vous la faut en couleur. N'est-ce pas ?
- Je ne soutiendrai pas votre position désuète et cruelle.
- Ah ! Le sentimentalisme !
Il se mit à arracher une herbe.
- Aïe !
Une autre.
- Aïe !
Et une autre.
- Aïe !
Et encore.
- Vous n'entendez pas leurs cris stridents ? Vraiment ?
Et encore.
- Ah mais... J'oubliais ! Ce ne sont là que des plantes. Insensibles. Dénuées d'émotions. Dénuées d'un joli cerveau bien moulé. Incapables de se mouvoir. Incapables de mimer ce que tout être vivant, absolument tous, recherche : survivre. Humain, trop humain, cela vous dit quelque chose ? J'ai de l'empathie, mais uniquement pour mon semblable. Les autres, ils peuvent bien être exterminés. Faites ce choix s'il vous plaît, mais cessez d'insulter la vie par votre bêtise. Si vous voulez justifier votre hypocrisie, assumez-le au moins et jouez de vos arguments égoïstes, mais ne tentez pas de faire verser une larme par la niaiserie. Car la Vie ne se résume pas à l'animalité. En réalité, elle n'en est ni le départ ni l'essentiel.
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