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versys

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versys Membre 17 103 messages
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Ce burn-out, Lilian le sentait inconsciemment venir depuis un moment.

A l’âge de cinquante ans, il avait été embauché comme ETAM, Employé, Technicien, Agent de Maîtrise, dans cette boîte du BTP, grâce à ses compétences et son expérience dans ce secteur. On peut dire que les deux premières années, tout se passa bien, le boulot convenait à Lilian qui maîtrisait et assurait sans problème tout ce qui était relationnel clients, fournisseurs, sous traitants, et aussi remise à la direction de tous les métrés chiffrés et commentés devant permettre à établir les devis correspondants. Et bien sûr, logistique des approvisionnements en fournitures, respect des délais de livraisons et solutionnement de tous les problèmes pouvant survenir sur les chantiers.

Lilian assurait tout cela sans trop de difficultés. Mais cette facilité apparente, due en fait à son sens inné d’organisation de son emploi du temps et des priorités, n’échappa pas à la direction de la boîte qui, s’en félicitant d’une part, en déduisit d’autre part que le moment était venu de « charger » davantage Lilian en volume de travail…. réflexe naturel de nombre de patrons qui ont toujours tendance à surcharger de boulot et responsabilités les meilleurs éléments de leurs entreprises. Un premier résultat de cette déduction fut de réduire sensiblement le nombre de chefs d’équipe et de confier « mine de rien » la gestion du personnel correspondant à Lilian. Un deuxième élément fut la décision de prendre des chantiers beaucoup plus importants et techniquement complexes, sans se doter du personnel et surtout des encadrants supplémentaires qu’exigeaient logiquement ces mesures ; dans la tête du patron, c’était « Lilian se débrouillera bien, comme d’hab... »

Et c’est à partir de là que tout dérapa… Car Lilian a toujours à coeur de satisfaire et assurer au mieux les missions et tâches qui lui sont confiées. Mais pour y parvenir, il multipliait ses heures de travail, ouvrait à six heures du mat et ne rentrait pas chez lui avant dix neuf heures environ, se donnant juste dix minutes de pause à midi pour avaler vite fait un sandwich et une canette sur un parking de grande surface.

La conséquence la plus dommageable fut que son boulot devint une véritable obsession qui ne lui laissait pas une minute de répit, ni le jour… ni la nuit…

Car Lilian ne disposait même plus d’un sommeil récupérateur, il dormait en pointillés et ses longues périodes d’insomnie étaient occupées d’une unique pensée « comment je vais faire demain ? »…. idem pour les week-ends « comment je vais faire lundi ? », pareil pour ses congés « comment je vais faire à la rentrée ? » sans lui laisser un moment de répit, un bon moment dont il aurait pu profiter…

Il n’osait pas en parler à sa compagne qui n’avait pas la moindre idée du problème et était occupée par tout un tas de choses annexes. Il se confia à sa fille, elle aussi absorbée par ses problèmes personnels, évoquant même la possibilité d’une démission ; elle lui recommanda plutôt d’essayer de « tenir bon » jusqu’à sa retraite, et ne lui en reparla plus. Dans la boîte, il en parla à la comptable qui ; il le voyait bien, était elle aussi pas mal chargée, il lui dit qu’il se sentait « au bout du rouleau », ne parvenant plus à faire son boulot correctement ; elle parut fort surprise de cette révélation, très loin de l’image qu’il parvenait à renvoyer encore au sein de l’entreprise.

La rupture intervint un beau matin. Lilian accompagnait une équipe de maçons dans un village, sur un chantier sur lequel le client, s’étant déclaré mécontent de la texture d’un crépi sur une partie de mur, avait demandé sa réfection. A l’arrivée de l’équipe, le client se présenta avec, à la main, des photos et documents de tutos puisés sur You tube… fort de ces documents, le client, guide de montagne dans le civil, commença à expliquer à Lilian et au chef d’équipe totalisant trente ans d’expérience en maçonnerie, de quelle façon il devait procéder…. En temps normal, Lilian aurait argumenté patiemment et serait parvenu à un compromis, mais les « temps normaux » venaient d’expirer à ce moment là en même temps que la rupture se matérialisait soudainement dans l’esprit tourmenté de Lilian. La première pulsion de Lilian fut l’idée d’exploser la tronche de ce connard et de l’envoyer bouler, lui et sa paperasse, dans le décor… mais il parvint encore à se dominer et préféra s’éloigner, plantant là le client, le chef d’équipe et les ouvriers qui commençaient à décharger le matériel de leur camion.

Pour Lilian, le point de non retour, de rupture, venait d’être atteint, faisant définitivement basculer sa vie professionnelle, mais pas seulement, vers « autre chose »...

Lilian quitta les lieux, à pied, déposant au passage les clés de son véhicule de fonction sur le siège de celui ci. Il partit d’abord vers le centre, puis tourna dans la première rue à droite et sortit rapidement du village, se trouvant en errance en pleine campagne. Il faisait froid mais beau en ce matin de janvier. Le seul désir de Lilian était de mettre un maximum de distance entre lui et ce maelstrom insurmontable qui le détruisait et qui, en fait, venait de le détruire…

Sur le chantier, le chef d’équipe, voyant la voiture de Lilian toujours garée à proximité, ne prit pas immédiatement conscience de sa disparition, sauf que, ayant besoin de consignes sur la marche à suivre, il s’approcha du véhicule et le trouva vide, avec les clés sur le siège. Il chercha partout où portait son regard dans les rues, puis dans le jardin du client, en fait personne n’avait la moindre idée de l’endroit où pouvait se trouver Lilian. Il l’appela alors sur son portable… pas de réponse. Il appela aussi la boîte au cas où quelqu’un serait passé le prendre pour le conduire sur un autre chantier. L’info de cette disparition incongrue de Lilian ne manqua pas de surprendre tout d’abord, puis d’inquiéter la direction qui envoya sur place un autre chef d’équipe chargé de commencer à faire quelques recherches sur les alentours, en vain…

Sur le coup de midi, la direction se résolut à appeler au domicile de Lilian, tombant sur sa compagne que l’info de sa disparition consterna d’abord, déclenchant sa colère ensuite… « j’arrive », déclara t elle à la collaboratrice du directeur dans ses petits souliers. Et elle débarqua dans les bureaux de la boîte, accompagnée par sa sœur, demandant d’abord comment il était possible qu’une entreprise « égare » les membres de son personnel, demandant ensuite quelles dispositions avait prise cette entreprise pour le retrouver, sur le ton tranchant et vindicatif qu’elle affectionne quand les choses dérangent son quotidien et échappent à sa conception très personnelle de la normalité…

Elle laissa la collaboratrice à ses explications embarrassées et elle et sa sœur prirent la direction de la gendarmerie la plus proche. Les gendarmes prirent l’affaire au sérieux, la traitant en tant que « disparition inquiétante » et envoyèrent immédiatement un équipage pour une première recherche. Lilian était porteur de deux téléphones, ce qui devrait permettre une géolocalisation rapide.

Sauf que, en effet, les deux téléphones, professionnel et personnel, de Lilian se mirent à sonner frénétiquement l’un après l’autre. Lilian balança le premier de toutes ses forces au milieu d’un champ, et le second d’un revers de main dans les eaux d’une rivière depuis un pont.

L’errance de Lilian dura toute la journée et c’est vers dix sept heures qu’un équipage de gendarmerie trouva Lilian, prostré, épuisé et en larmes, assis contre le tronc d’un arbre en retrait de la route. Une recherche rapide leur permit de l’identifier comme l’individu signalé disparu depuis le matin. Son état de délabrement physique et psychique imposait de le conduire aux urgences du centre hospitalier le plus proche. Lilian se laissa emmener sans problème. A leur arrivée au CH, les gendarmes donnèrent au médecin urgentiste les détails utiles à expliquer l’état de Lilian. Le médecin conclut à un « épisode dépressif sévère », prescrivit l’ hydratation et un premier traitement d’anxiolytiques et ordonna son transfert vers le CHP le plus proche, Lannemezan.

Ce CHP est établi sur un vaste domaine ; les pavillons recevant les malades sont disséminés sur un parc arboré parfaitement entretenu sur lequel s’élevaient des arbres majestueux, offrant le contexte de sérénité apaisante requis en pareil lieu. Lilian fut tout d’abord accueilli au service d’urgence psychiatrique de cet hôpital. Il fut examiné par le médecin chef de service qui prescrivit un premier traitement de Clonazepam puis, après deux jours en observation, un placement pour une première période de dix jours en pavillon.

A son arrivée en pavillon, il reçut un traitement complémentaire par injection, et découvrit sa chambre qu’il partageait avec un autre malade, Raoul, un échalas qui marchait en traînant les pieds et parlait presque sans arrêt d’une voix désagréable, posant des questions en ajoutant un v après les t genre « pourquoi tvu es là ? », « tvas pas une clope ? »… Raoul bénéficiai de deux heures de promenade par jour dans le parc, qu’il consacrait exclusivement à le recherche frénétique de cigarettes qu’il mendiait à chaque personne qu’il croisait.

Un soir, Lilian qui parlait le moins possible, par dégoût et épuisement, répondit pour la première fois à Raoul qui demandait encore « pourquoi tvu es là ? » - A cause de mon boulot, répondit Lilian. Raoul dit alors « ah ouais…. y a que les cons qui bossent !! »… il aurait mieux fait de la fermer, Lilian lui sauta dessus, enserrant son cou avec ses deux mains comme des serres et lui arrachant la moitié d’une oreille avec ses dents.

Alertés par les hurlements de Raoul, deux infirmiers firent irruption dans la chambre et parvinrent non sans mal à desserrer l’étreinte de Lilian, pendant qu’un troisième lui administrait une piqûre qui l’assomma presque instantanément.

Lilian fut placé en cellule d’isolement et de contention. Le médecin chef de service, informé de l’évènement, réalisa que son pavillon et la structure du CHP Lannemezan en général n’étaient pas adaptés à son cas tel qu’il évoluait. Cette évolution justifiait plutôt le placement de Lilian en UMD, Unité pour malades difficiles. Il prit l’avis de ses collègues psychiatres et informa de ses conclusions la direction de l’ hôpital.

La décision tomba dans la journée, envoi de Lilian vers l’UMD d’Aragnouet Saux, tout au fond de la vallée d’Aure, en pleine montagne. Ce choix surprit le chef de service… comment peut on envoyer encore des malades dans cet hôpital ? et comment un tel hôpital peut il être encore ouvert ? En fait, la fermeture de l’hôpital d’Aragnouet Saux était programmée depuis longtemps, mais un petit groupe de sommités médicales en psychiatrie tiraient toutes les ficelles administratives possibles pour retarder cette fermeture, avec, à leur tête, son directeur, le Pr Lambert.

Le cerveau est l’organe le plus complexe et méconnu, beaucoup de subtilités de son fonctionnement restent mystérieuses, que dire alors de la comprèhension de ses dysfonctionnements ? Car si on parvient à les identifier et à mettre un nom dessus, dépression, schizophrénie, troubles bipolaires, paranoïa, psychoses et névroses sévères, etc., les traiter et les guérir sont très souvent hautement improbables. Pas étonnant donc que ces particularités font de la spécialité psychiatrique une des plus fascinantes pour certains praticiens.

La tendance aujourd’hui consiste à privilégier les traitements chimiques administrés par voie orale ou injectables.

Toutefois, certains praticiens restent attachés aux méthodes plus « traditionnelles » et radicales, au point de continuer à les pratiquer en recherchant à les pousser toujours plus loin de façon à aboutir à des résultats enfin probants…

Le Pr Lambert et quelques disciples se distinguaient et persistaient dans ces pratiques, persuadés d’être dans le vrai et d’obtenir grâce à elles des résultats intéressants. C’est pourquoi, au sein de l’hôpital d’Aragnouet Saux, certains malades continuaient à subir des électrochocs sans anesthésie, des lobotomies consistant à enfoncer des tiges métalliques à travers l’orbite jusqu’à certaines zones du cerveau, des SMT, Stimulations Magnétiques Transcraniennes consistant à envoyer des impulsions magnétiques elles aussi localisées dans le cerveau, et autres pratiques moyenageuses. Les malades les plus agités se voyaient attachés à leurs lits vingt quatre heures sur vingt quatre, tous recevant des Benzodiasépines, Halopéridol et autres substances surdosées systématiquement. L’ UMD Aragnouet Saux, d’une capacité potentielle totale de quatre cent malades, n’abritait qu’une vingtaine de patients au moment des faits.

Il neigeait le jour du transfert de Lilian ce qui mettait les trois ambulanciers en charge d’assurer ce transfert de mauvaise humeur, l’UMD se trouvant à une altitude élevée laissant présager des conditions de route compliquées , l’ambulance n’étant pas 4X4. Plus on montait en altitude et plus on avait à faire à une véritable tempête de neige…. Jusqu’au village d’Aragnouet, le route était salée et déneigée, mais ce n’était pas le cas pour le dernier tronçon en lacets permettant l’accés à l’hôpital, et, comme il le redoutait, le chauffeur de l’ambulance dut poser les chaînes sur les roues avant du véhicule dans des conditions dantesques de vent et de neige, les flocons projetés à l’horizontale faisant l’effet d’autant de piqures sur la peau… Le chauffeur connaissait la route, heureusement, car les conditions de visibilité jusqu’à l’entrée de l’établissement étaient limite… Un gardien vint ouvrir l’énorme portail métallique et l’ambulance s’avança jusqu’à l’entrée.

Lilian ne vit pas grand-chose de l’extérieur de cet hôpital, la neige serrée et la brume nuageuse ne le permettaient pas. En fait, la bâtisse impressionnante était implantée sur un grand terrain en pente légère. D’énormes sapins espacés offraient de l’ombre en été et un espace de promenade agréable clos d’un énorme mur de quatre mètres de haut. Le bâtiment de quatre étages en pierres noires était une aberration architecturale, entre le château de Dracula et Alcatraz…

Lilian, sous l’effet de calmants, fut conduit dans sa chambre individuelle par deux infirmiers baraqués qui rangèrent ses quelques affaires dans un placard. Un repas frugal lui fut servi. Les chambres des dix huit patients présents à Aragnouet Saux étaient regroupées dans un couloir du premier étage, là où se trouvaient aussi les salles de soins et les bureaux des médecins du directeur et administratifs. Les salles de détente, de télévision, le réfectoire, les cuisines, les locaux techniques et ceux destinés au personnel se situaient au rez de chaussée ; du coup, seuls ces espaces de vie étaient chauffés, mais les convecteurs électriques qui avaient pris le relais de l’ancien et obsolète chauffage central au fuel, avaient le plus grand mal à apporter un peu de douceur dans ces locaux aux plafonds de plus de trois mètres de haut, aux menuiseries d’origine en bois et en l’absence de toute isolation élémentaire.

Par contre, le paquet avait été mis sur l’équipement en caméras de surveillance, toutes articulées et zoomables individuellement, présentes dans chaque chambre, couloirs et espaces de vie ainsi qu’à l’extérieur.

L’accès entre le rez de chaussée et le premier étage était assuré par un escalier et un grand ascenseur, mais seuls les infirmiers et le personnel technique possédaient les clés de la grille métallique qui condamnait l’accés à l’escalier et le code d’utilisation de l’ascenseur. Chaque déplacement de malades entre les deux niveaux était donc systématiquement encadré par le personnel soignant. Personnel soignant présent également dans chaque espace de vie et de détente du rez de chaussée à partir du moment où il était occupé par seulement un malade. Du coup, le personnel soignant, administratif et technique totalisait plus de trois fois le nombre de patients présents.

Les matinées étaient consacrées aux soins et consultations. Les repas de midi et du soir étaient pris au réfectoire.

Dans les espaces de détente, les malades avaient bien sûr la possibilité de communiquer entre eux, sous l’oeil vigilant des infirmiers et des caméras, s’ils n’étaient pas « assomés » par les cocktails de médicaments.

Le matin, Lilian avait été conduit dans le bureau de consultation du Dr Bartes, son psychiatre référent ici. L’entretien avait duré une heure environ au cours duquel il avait exposé les raisons qui l’avaient mené à ces extrémités, à ce désespoir, à l’abandon de toute perspective positive, laissant la place aux ruptures et ouvrant la porte aux comportements du déséquilibré qu’il était devenu. Finalement, cet entretien permit à Lilian de faire un point, de prendre la mesure du gouffre dans lequel il était tombé « tête la première »… Le Dr Bartes écouta patiemment, sans l’interrompre, en prenant des notes, posant juste une ou deux questions pour éclairer certains points ou relancer le récit de Lilian qui avait parfois du mal à s’exprimer de façon claire, soumis à un ressenti douloureux et handicapé par les traitements qui freinaient le déroulement naturel de ses pensées. Pour conclure l’entretien, Bartes lui dit qu’il commencerait une série d’examens puis de traitements adaptés dès le lendemain.

L’après midi, Lilian fut accompagné dans la salle de détente du rez de chaussée. Quelques malades étaient là, certains prostrés, le regard fixe, un autre tournant autour de la pièce d’un pas traînant, en marmonnant à voix basse et incompréhensible. Deux jouaient aux cartes silencieusement, tout cela sous l’oeil vigilant de deux infirmiers qui ne perdaient rien des comportements de chacun. Une femme d’une trentaine d’années était assise dans un fauteuil, un livre à la main. Lilian vit alors une petite bibliothèque derrière elle, il s’en approcha et prit un livre, un peu au hasard, « La gloire de mon père. » de M. Pagnol… ça ou autre chose… La femme leva les yeux en le voyant s’approcher, « Bonjour » lui dit elle, Lilian lui répondit du bout des lèvres et s’installa dans le seul fauteuil, à côté. Il ouvrit son livre et commença à parcourir les premières phrases, sans vraiment « imprimer » ce qu’il lisait, il leva les yeux, la femme le regardait toujours en souriant et lui demanda « tu es là depuis quand ? » -Depuis hier lui dit il.

En tout, ils étaient huit malades dans cette pièce, Lilian demanda à sa voisine,

- On est pas plus nombreux ?

La femme perdit son sourire et lui dit que les autres étaient soit attachés dans leurs lits, soit refusaient de descendre.

- Je m’appelle Léa, et toi ?

- Lilian… il y a longtemps que tu es ici ?

- Quelques mois… et si je sors, c’est pour partir en taule… mais on serait mieux en taule… ici, ça craint…

Son débit était lent et elle accrochait sur quelques mots, et elle parlait doucement, à l’évidence, elle ne souhaitait pas être entendue des infirmiers surveillants qui n’étaient jamais loin. Lilian fut assez intrigué par ses révélations mais compris qu’elle ne souhaitait pas lui en dire plus pour le moment. Il prit son repas du soir près d’elle et échangèrent très peu jusqu’à l’heure du coucher où ils furent raccompagnés dans leurs chambres après la distribution rituelle de cachetons.

Nuit « calme » sous sommeil artificiel… Le matin, Lilian fut accompagné en salle de soins pour quelques examens, prise de sang, tension, électrocardiogramme et électroencéphalogramme sur un fauteuil métallique surprenant, muni de tout un tas d’accessoires. Ce dernier examen dura plus d’une demi heure, très désagréable, il était équipé de capteurs craniens et d’un casque qui envoyait des impulsions visuelles et sonores durant toute sa durée. Après quoi, on le soumit à quelques tests, en particulier de mémoire. L’après midi, il ne vii pas Léa et reprit la lecture de son livre. A l’extérieur, la tempête s’était calmée mais la neige continuait à tomber.

Le lendemain matin, retour dans la salle de soins. On l’installa de nouveau sur le fauteuil métallique. Le Dr Bartes fit son entrée dans la salle et s’approcha de lui en souriant, « J’ai examiné les résultats de vos examens d’hier, mais nous avons besoin d’affiner nos investigations pour complèter votre dossier et observer votre réceptivité à des méthodes qui donnent d’excellents résultats dans votre cas. ». Une seconde blouse blanche apparut alors et s’approcha « Je vous présente le Pr Lambert, directeur de cet hôpital, lui dit Bartes, il souhaite assister à ce nouvel examen ». Lambert lui adressa un regard froid à travers ses petites lunettes rondes. « Commençons » dit il. Les deux médecins rejoignèrent alors une petite pièce vitrée attenante dans laquelle on voyait plusieurs écrans d’ordinateurs. Deux infirmiers lui posèrent de nombreux capteurs sur le crâne, puis installèrent une sangle métallique immobilisant sa tête, très rapidement, ils immobilisèrent aussi ses poignets et ses chevilles par d’autres sangles métalliques et lui firent une nouvelle injection dans le bras. « Tout ira bien, ça ne va pas durer longtemps » lui dit l’un d’eux.

Lilian ressentit alors un léger picotement dans les bras et les jambes, tout d’abord plus génant que vraiment désagréable, mais, progressivement, ces picotements se transformèrent en impulsions de plus en plus puissantes donnant l’impression de « racler » de l’intérieur l’ensemble des artères et des veines de son organisme, générant des douleurs atroces dans tout son corps, ses hurlements de douleur ne semblaient pas émouvoir les médecins penchés sur leurs écrans… il perdit connaissance rapidement…

Il se réveilla dans sa chambre attaché sur son lit, une douleur continue parcourant les muscles de ses quatre membres, comme si il avait été soumis juste avant à des efforts dépassant ses capacités. Une perfusion suffisait à ses besoins vitaux.

Ce n’est que deux jours plus tard qu’il put se lever, prendre son repas de midi au réfectoire et passer un moment dans la salle de détente où il retrouva Léa et c’est à travers son regard qu’il réalisa qu’il commençait à changer et à devenir petit à petit le « zombie » standard à l’image de ceux qui hantaient ces lieux. Seuls Léa et lui parvenaient encore à échapper à cette fatalité, mais pour combien de temps ?…

-Pauvre Lilian, lui dit Léa, je vois que tu as fait connaissance avec les traitements maison…. ils sont en train de nous transformer en légumes…. la seule façon de s’en sortir, c’est de se barrer d’ici…. mais comment ?

Lilian ne répondit rien mais comprit à quel point elle avait raison et à quel point il y avait urgence à trouver la solution qui leur permettrait d’échapper à cet enfer, tant qu’ils en avaient les possibilités physiques et cognitives. Au bout d’un moment de réflexion, il déposa un baiser léger sur le front de Léa et lui souffla « Tu as raison... » Mais il était fatigué et demanda à être raccompagné dans sa chambre ; une fois seul, il réfléchit.

Il échafauda un plan complètement improbable d’un bout à l’autre. Le lendemain, il commença à l’exposer à voix basse à Léa, leur conversation prenant, aux yeux des surveillants, l’apparence d’un badinage innocent. Au début, Léa ouvrit de grands yeux incrédules, puis comprit que c’était sérieux et…. faisable…. Ils se mirent d’accord sur un timing et le plan prit la forme définitive telle qu’ils l’avaient imaginé.

Deux jours plus tard, Lilian descendit à la salle de détente vêtu d’un blouson chaud et de ses chaussures de marche, expliquant qu’il avait froid. Au bout d’un moment, il demanda à revenir dans sa chambre. Il avait observé que, dans l’escalier qui menait à l’étage, le palier intermédiaire et la dernière volée de marches n’étaient pas couverts par les caméras de surveillance. Arrivé dans cette zone, il se retourna brutalement vers l’infirmier qui le suivait et le projeta en arrière dans les marches. L’infirmier ne parvint pas à retenir sa chute et sa tête heurta violemment l’angle de la première marche du palier. Pour faire bonne mesure, Lilian se précipita sur lui et lui asséna de toutes ses forces des coups à la tête avec ses chaussures de marche… après quelques derniers spasmes, il ne bougea plus… Lilian lui enleva sa blouse blanche et la revêtit, il prit son trousseau de clés et remonta vers la grille qui donnait accès au couloir des chambres, il l’ouvrit. Toutes les clés étaient numérotées et chaque porte portait un numéro correspondant. Lilian se dirigea vers le local d’entretien dans lequel il trouva les produits qui devaient lui permettre de poursuivre son plan, en l’occurrence deux bidons de cinq litres de white spirit. Il les ouvrit et commença à répandre le contenu de l’un d’eux dans le local qui occupait une place centrale dans le couloir. Il renversa le contenu du deuxième bidon à l’extrémité du couloir. Dans la blouse de l’infirmier il trouva un paquet de cigarettes et un briquet, facile… tous les infirmiers étaient fumeurs. Puis il se dirigea vers la chambre de Léa et l’ouvrit. Léa l’attendait, elle aussi avait revêtu sa doudoune et ses chaussures, elle avait également pris une grosse écharpe. En ressortant dans le couloir, Lilian mit le feu au white-spirit répandu, puis Léa et lui partirent se réfugier dans le local des douches, près de la grille qui était resté ouverte. Aussitôt, l’alarme incendie retentit et le barnum commença…

Car l’incendie prit très rapidement des proportions considérables et les pauvres extincteurs disposés ça et là se révélèrent immédiatement incapables de contenir les flammes, alimentées par les autres produits inflammables présents dans le local entretien. Les premiers infirmiers libéraient un maximum de patients apeurés prisonniers dans leurs chambres. Un moment plus tard arrivèrent les premiers pompiers d’Aragnouet qui avaient le plus grand mal à dérouler leurs tuyaux, la confusion était totale, et c’est dans cette bousculade que Lilian, au visage partiellement recouvert par l’écharpe de Léa, qu’il partageait avec elle, sortit du local douches, soutenant Léa qui faisait semblant d’avoir du mal à marcher. Lilian portait toujours sa blouse blanche et le couple parvint, dans un nuage de fumée, à descendre l’escalier sans attirer l’attention, bousculé par les sauveteurs qui montaient.

Arrivés au rez de chaussée, ils profitèrent d’une pause dans les irruptions incessantes de sauveteurs, gendarmes et ambulanciers pour se glisser à l’extérieur par la double porte d’entrée grande ouverte ; puis, dans le parc, ils se rapprochèrent progressivement du portail d’entrée, grand ouvert également, en se cachant derrière les bosquets épars.

Entre deux véhicules de secours, Lilian et Léa franchirent enfin le portail et se précipitèrent vers la forêt de sapin qui descendait en pente douce de l’autre côté de la route… se tenant la main, ils couraient en riant de bonheur entre les arbres, dans vingt centimètres de neige…

Le surveillant que Lilian avait bousculé dans l’escalier ne sortit pas du coma avant de décéder et deux malades périrent asphyxiés dans leurs chambres. Lilian et Léa furent déclarés disparus puis activement recherchés. Les bandes vidéos révélèrent la participation de Lilian à l’origine de l’incendie et pour son aide à l’évasion de Léa.

On les retrouva deux jours plus tard, morts, assis, pétrifiés par le gel, et étroitement enlacés, au bord du lac d’Aragnouet.

Leurs visages recouverts d’un léger voile de givre, étaient tournés vers le lac, exprimant une troublante sérénité.

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Invités, Posté(e)
Invité PINOCCHIO
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Posté(e)

Triste fin :rolle:

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Membre, 67ans Posté(e)
pic et repic Membre 14 382 messages
Maitre des forums‚ 67ans‚
Posté(e)

bonjour,

Il y a 1 heure, versys a dit :

Ce burn-out, Lilian le sentait inconsciemment venir depuis un moment.

fait divers réel ou totale improvisation ?

j'ai dans mon entourage, un "cas" de ce burn out si difficile à faire admettre ( aussi bien par les intéressés que par les directions ) mais malheureusement celui-ci n'est pas passé par toutes ces phases ...la fin a été bien plus rapide et brutale !

beau et touchant récit .....si plausible !!!!!!!!

bonne journée.

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Membre, nyctalope, 39ans Posté(e)
Criterium Membre 2 852 messages
39ans‚ nyctalope,
Posté(e)

Le retour de Versys au stylo en pleine forme! :)

La magie prend, l'on est captivé et l'on suit d'une traite les aventures de Lilian, l'employé-modèle qui craque puis devient l'ombre de lui-même... J'aime beaucoup le fait que les descriptions ne freinent jamais l'énergie de l'histoire, elles sont bien amenées même lorsqu'elles sont assez précises (médicaments). Et on se prend aussi au jeu de vouloir voir Lilian réussir à s'enfuir — même si l'on se doute que l'histoire risque de mal finir, puisque ta plume souvent conjure la mort ou la folie... Bref, le pari à nouveau réussi de nous faire t'accompagner du début à la fin dans une agréable lecture. Chouette!

Et comme le dit pic et repic, c'est d'autant plus touchant que tout est tellement plausible.

Merci :) 

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Membre, Posté(e)
versys Membre 17 103 messages
Maitre des forums‚
Posté(e)
Il y a 22 heures, pic et repic a dit :

fait divers réel ou totale improvisation ?

Un peu des deux, en fait... un vécu très douloureux tout d'abord, puis pas mal d'imagination pour le final.

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  • 3 semaines après...
Membre, à crocs? accroc?, Posté(e)
Elfière Membre 494 messages
Forumeur accro‚ à crocs? accroc?,
Posté(e)

Encore une fois, irrémédiablement accrochée au "tempo" qui monte en puissance. Les psychopathes ne sont pas forcément ceux qui sont désignés comme tels. Et oui, il est facile de se sentir solidaire de Lilian et de Léa. Et moi, j'aime beaucoup la fin. Lilian et Léa  se sont guéris   dans le bonheur de la compréhension mutuelle et de l'évasion tant physique que spirituelle.  La fin n'est pas triste. Elle est douce,  jolie et poétique.

Merci.            

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