"Shutter Island", vaut-il mieux vivre en monstre ou mourir en homme de bien ?

Pour le philosophe Adorno, plus de poésie n'est possible après Auschwitz. "Shutter Island" de Scorsese serait-il une réponse à cette affirmation ? Film crépusculaire, labyrinthique, il montre peut-être que l’humanité fait passer pour fou celui qui n’a pas supporté la découverte des camps...

Imaginez un syllogisme qui prendrait comme point de départ le principe suivant : les fous nient leur folie. Vous aurez ainsi le point de départ du livre de Dennis Lehane paru en 2003, Shutter Island, adapté au cinéma par Scorsese en 2010.
Si les fous nient leur folie, celui qui dit ne pas être fou, ne l’est-il pas quand même ?
Le terme de fou est vague, souvent inapproprié, parfois indécent, mais derrière la question de vocabulaire, la maladie du personnage principal du film, le Marshall Teddy Daniels, est-elle bien réelle ? Ou fait-elle l’objet d’une machination visant à le tenir pour fou pour mieux en venir à bout ?

L'invité du jour :
Jean-Philippe Domecq, romancier et essayiste

Foucault, clé de lecture de "Shutter Island" ?
La réflexion de Michel Foucault dans "Surveiller et punir" est superbement illustrée par ce film de Scorsese, qui est un film sur un certain moment de la psychiatrie où on essaie de passer de l’intervention chirurgicale à l’intervention des neuroleptiques. Shutter Island est une île carcérale qui a réellement existé comme lieu d’expérimentation de cette époque de la psychiatrie, au milieu des années 50. Des fous nient-ils leur folie ? Ou "Shutter Island" est-il un film de fiction qui montre ce que fut que de découvrir pour la première fois le crime contre l’humanité ?            
Jean-Philippe Domecq

L'humanité et le déni de la réalité des camps ?
Teddy Daniels a fait partie de ces jeunes soldats qui sont arrivés au moment de l’arrivée des camps de concentration. Des séquences impressionnantes montrent ce qu'a été ce contact avec l'horreur absolue pour une conscience humaine, jeune, non préparée... Le film de Scorsese nous montre peut-être que l’humanité fait passer pour fou celui qui n’a pas supporté ce qu’il a vu…            
Jean-Philippe Domecq

"Les hommes sont si fous qu’ils seraient fous de ne point vouloir être fou"
Tout le système carcéral et psychiatrique de Shutter Island montre qu’on va essayer de convaincre cet homme de nier ce qu’il a vu et compris. C’est l’humanité à travers cette structure carcérale qui va le faire taire sur une vérité fondamentale que formule Pascal : les hommes sont si fous qu’ils seraient fous de ne point vouloir être fou.            
Jean-Philippe Domecq

source

J'ai détesté le livre de Denis Lehane. Heureusement que le film est d'un meilleur niveau. Mais enfin c'est pas non plus le chef-d'oeuvre du siècle, et il ne m'a pas plongé dans de grandes réflexions.

"Nous sommes un Monstre, privé de sens." Holderlin

Qu'est-ce qu'un monstre ? Qu'est-ce que le mal ? Qu'est-ce que le bien ?

Mon opinion sur tout cela : "Moins tu souffres dans la vie, mieux c'est pour ta gueule !".

Shutter Island: un film qui m'a semblé interminable si bien que, m'endormant à chaque fois avant la fin je n'en voyais pas le bout, et je demandais à tous "mais alors ça se finit comment ?" sans résultat puisque tout le monde avait décroché avant.

Et puis j'ai enfin vu cette fin en tombant sur le film en cours vers le passage où je piquais chaque fois du nez, et figurez-vous que j'en suis restée incrédule: bon sang tant de pellicule pour en arriver à cette vanne !

Alors pour répondre à la question: moi je pense qu'il vaut mieux mourir comme un ange plutôt que vivre comme un monstre. Je le pense parce que j'ai une morale et que vivre comme un monstre me pèserait trop sur la conscience. Sauf que si comme le héros du film vous choisissez de mourir l'esprit tranquille et limpide comme de l'eau de roche, vous pourrez dire ce que vous voudrez de culpabilisant à votre bourreau, il en aura rien à cirer vu qu'il n'a pas votre conscience. Et sachez en prime que si vous êtes prêt à mourir pour vos idées, lui est prêt à tuer pour les siennes.

D'où cet avis que ce film -Shutter Island- n'avait pas besoin d'être aussi long pour aboutir à une conclusion qui est autant une conclusion qu'un sentier battu, un poncif, un éternel refrain.

Il y a 1 heure, yourself91 a dit :

. Le film de Scorsese nous montre peut-être que l’humanité fait passer pour fou celui qui n’a pas supporté ce qu’il a vu…      

Excellent reportage vu hier à la télé(mais je sais plus sur quelle chaîne) sur les "nettoyeurs du web", sis essentiellement aux philippines, qui visionnent absolument tout des vidéos horribles, malsaines, glauques, etc, afin de les enlever du web. Leur boulot est si horrible que beaucoup en ont des cauchemars et ils n'ont que 20 mn de soutien psychologique par mois... est ce pour cela que ces employés sont recrutés en asie et pas aux usa où se trouvent les maisons mères? : on s'en fout un peu que les philippins trinquent...le boulot paraît trop dur pour les occidentaux.

il y a 30 minutes, BELUGA a dit :

Excellent reportage vu hier à la télé(mais je sais plus sur quelle chaîne) sur les "nettoyeurs du web", sis essentiellement aux philippines, qui visionnent absolument tout des vidéos horribles, malsaines, glauques, etc, afin de les enlever du web. Leur boulot est si horrible que beaucoup en ont des cauchemars et ils n'ont que 20 mn de soutien psychologique par mois... est ce pour cela que ces employés sont recrutés en asie et pas aux usa où se trouvent les maisons mères? : on s'en fout un peu que les philippins trinquent...le boulot paraît trop dur pour les occidentaux.

Les flics qui travaillent sur la pedophilie évoque également l'horreur des images et des vidéos qu'ils sont obligés de visionner lors de leurs enquêtes. Je pense que nous sommes loin d'imaginer les horreurs réelles que d'autres voient en permanence. Comment leur esprit survit ? quelles séquelles sur leur équilibre psychique ? 

Ni vivre comme un monstre, ni mourir en juste, simplement exterminer sans aucun cas de conscience les pervers à la cruauté inhumaine, n' en déplaise aux bisounours d' une Justice dont l' on cherche toujours le bras séculier...

Le 28/06/2020 à 10:49, sovenka a dit :

Shutter Island: un film qui m'a semblé interminable si bien que, m'endormant à chaque fois avant la fin je n'en voyais pas le bout, et je demandais à tous "mais alors ça se finit comment ?" sans résultat puisque tout le monde avait décroché avant.

Et puis j'ai enfin vu cette fin en tombant sur le film en cours vers le passage où je piquais chaque fois du nez, et figurez-vous que j'en suis restée incrédule: bon sang tant de pellicule pour en arriver à cette vanne !

Alors pour répondre à la question: moi je pense qu'il vaut mieux mourir comme un ange plutôt que vivre comme un monstre. Je le pense parce que j'ai une morale et que vivre comme un monstre me pèserait trop sur la conscience. Sauf que si comme le héros du film vous choisissez de mourir l'esprit tranquille et limpide comme de l'eau de roche, vous pourrez dire ce que vous voudrez de culpabilisant à votre bourreau, il en aura rien à cirer vu qu'il n'a pas votre conscience. Et sachez en prime que si vous êtes prêt à mourir pour vos idées, lui est prêt à tuer pour les siennes.

D'où cet avis que ce film -Shutter Island- n'avait pas besoin d'être aussi long pour aboutir à une conclusion qui est autant une conclusion qu'un sentier battu, un poncif, un éternel refrain.

 

Je me dresse contre vous pour défendre ce film tout à fait remarquable, tant dans son scénario que dans le jeu des acteurs. Le spectateur est sans cesse vacillant entre se demander si notre protagoniste est fou, ou si l'on a bel et bien un complot sur cette île, décors idéal pour un thriller de haute volée. La tension est constante, et le metteur en scène a su nous donner constamment envie de voir le dénouement final. Et de cette fin, justement, qui pose une question déroutante : what should be worse, live as a monster, or die as a good man ? elle fait écho à toute la situation de Daniels, par cette question anodine, posée légèrement, on comprend tout le dilemme du protagoniste. En une phrase, le réalisateur renverse la situation, c'est Teddy Daniels qui se manipule, et non l'institution, tout le film prend son sens sur la toute fin. J'ai trouvé ça beau. Non, Scorcese est un grand homme, et il signe là un thriller maîtrisé, au final bluffant, servi par des acteurs au meilleur de leur forme.

Le 28/06/2020 à 10:04, Gouderien a dit :

J'ai détesté le livre de Denis Lehane. Heureusement que le film est d'un meilleur niveau. Mais enfin c'est pas non plus le chef-d'oeuvre du siècle, et il ne m'a pas plongé dans de grandes réflexions.

T'avais plus le goût de rien @Gouderien

il y a une heure, zenalpha a dit :

T'avais plus le goût de rien @Gouderien

Non, c'est juste un roman nul. Le coup de l'enquêteur qui est en même temps le coupable, ça fait depuis les années 1920 que plus personne n'ose faire ça.

Sur un écran ça passe mieux, parce que Martin Scorsese et Leonardo di Caprio ont assez de talent pour faire passer l'énormité du truc.

Il y a 17 heures, Crève a dit :

Je me dresse contre vous pour défendre ce film tout à fait remarquable, tant dans son scénario que dans le jeu des acteurs. Le spectateur est sans cesse vacillant entre se demander si notre protagoniste est fou, ou si l'on a bel et bien un complot sur cette île, décors idéal pour un thriller de haute volée. La tension est constante, et le metteur en scène a su nous donner constamment envie de voir le dénouement final. Et de cette fin, justement, qui pose une question déroutante : what should be worse, live as a monster, or die as a good man ? elle fait écho à toute la situation de Daniels, par cette question anodine, posée légèrement, on comprend tout le dilemme du protagoniste. En une phrase, le réalisateur renverse la situation, c'est Teddy Daniels qui se manipule, et non l'institution, tout le film prend son sens sur la toute fin. J'ai trouvé ça beau. Non, Scorcese est un grand homme, et il signe là un thriller maîtrisé, au final bluffant, servi par des acteurs au meilleur de leur forme.

On n'a pas tous la même sensibilité parce que pour moi, du début à la fin je ne me suis pas demandé si le protagoniste était fou: c'est que pour moi il était dans le vrai et je me doutais qu'il se heurtait à des mensonges, au silence des internés, à la manipulation des psychiatres. En fait ce que je reproche vraiment à Martin Scorcese c'est d'avoir trop étalé le beurre sur le pain avec des scènes qui se prolongent beaucoup trop. Je trouve qu'il aurait pu aller au bout de son raisonnement avec un film d'une heure et demie tout simplement.

Le 28/06/2020 à 09:30, yourself91 a dit :

L'humanité et le déni de la réalité des camps ?
Teddy Daniels a fait partie de ces jeunes soldats qui sont arrivés au moment de l’arrivée des camps de concentration. Des séquences impressionnantes montrent ce qu'a été ce contact avec l'horreur absolue pour une conscience humaine, jeune, non préparée... Le film de Scorsese nous montre peut-être que l’humanité fait passer pour fou celui qui n’a pas supporté ce qu’il a vu…            
Jean-Philippe Domecq

Que penser du "peut-être" de Domecq ? Lui aussi ne serait pas sûr du but réel du film ? Il s'interroge sur un éventuel message que Scorcese aurait voulu faire passer au bout de deux heures et quart franchi de film ?

Revenons au déni: c'est vrai qu'il s'installe et s'incruste aisément dans un groupe, depuis celui des bons collègues de la boîte jusqu'à l'humanité toute entière. Depuis toujours sont honnis les lanceurs d'alerte parce qu'ils crient à la figure de tous ce qui n'est pas normal, ce qu'en tant qu'humain on ne devrait pas accepter. Schopenhauer a dit que toute vérité franchissait trois étapes: d'abord elle est ridiculisée, ensuite elle subit une forte opposition puis elle est considérée comme ayant toujours été une évidence. C'est pour cela que les sociétés évoluent à un certain rythme.

@Crève et @sovenka

Ne vous battez pas trop ! Il ne s'agit là nullement d'une question philosophique concernant ce film mais tout simplement d'une question de $$$... !!! 

à l’instant, Groenland a dit :

@Crève et @sovenka

Ne vous battez pas trop ! Il ne s'agit là nullement d'une question philosophique concernant ce film mais tout simplement d'une question de $$$... !!! 

On ne se bat nullement et je suis contente que @Crève me fasse part de son avis divergent. Ce qu'il dit est très intéressant.

il y a 18 minutes, sovenka a dit :

On n'a pas tous la même sensibilité parce que pour moi, du début à la fin je ne me suis pas demandé si le protagoniste était fou: c'est que pour moi il était dans le vrai et je me doutais qu'il se heurtait à des mensonges, au silence des internés, à la manipulation des psychiatres. En fait ce que je reproche vraiment à Martin Scorcese c'est d'avoir trop étalé le beurre sur le pain avec des scènes qui se prolongent beaucoup trop. Je trouve qu'il aurait pu aller au bout de son raisonnement avec un film d'une heure et demie tout simplement.

Pour moi, chaque scène mérite, ya rien à enlever, tout est bon.

il y a 20 minutes, Groenland a dit :

@Crève et @sovenka

Ne vous battez pas trop ! Il ne s'agit là nullement d'une question philosophique concernant ce film mais tout simplement d'une question de $$$... !!! 

Bien sûr qu'un film, qui engage des millions de $$ doit être rentable, mais ça n'empêche pas qu'on a engagé des artistes, des acteurs qui donnent le meilleur d'eux-mêmes ; je n'ai pas lu le livre, mais c'est intéressant de voir ce qu'un autre esprit peut en penser (Scorcese), comment il le retranscrit en images.

La question de l'argent a longtemps été rabattue, mais je pense qu'un homme comme Scorcese a l'indépendance pour faire ce qui lui plait, il a le bras assez long pour s'engager dans des projets qui lui tiennent à coeur, et pas seulement des "commandes" de grosses productions qui pensent qu'en terme de marketing et de "cibles".

Après, tous les goûts sont dans la nature, heureusement, @sovenka n'a pas le même ressenti ; et quelque part ça peut se comprendre : quand tout le monde dit que la fin est surprenante, on s'attend trop à quelque chose d'époustouflant, et du coup l'attente a rendu l'exigence d'une fin démesurée, et du coup on est déçu.

Après c'est vrai que le film est long, 2 h 10, mais j'ai beau revoir le film, je vois pas ce que j'aurais retiré comme scène ; d'autant que toutes participent à montrer le jeu d'acteur de DiCaprio, où on observe une progression dans son enquête : il sombre un peu plus dans la folie, sourcils froncés, il tient des propos qui le maintiennent dans son illusion, puis tout d'un coup il te sort la phrase qui montre qu'il sait qu'il se ment à lui-même, laissant son acolyte bluffé.

Et puis l'histoire de Shutter Island, c'est l'histoire de Teddy Daniels, qui a tué sa femme, son passif ; si on retirait des passages, la magie s'envolerait.

Le 28/06/2020 à 11:30, BELUGA a dit :

Excellent reportage vu hier à la télé(mais je sais plus sur quelle chaîne) sur les "nettoyeurs du web", sis essentiellement aux philippines, qui visionnent absolument tout des vidéos horribles, malsaines, glauques, etc, afin de les enlever du web. Leur boulot est si horrible que beaucoup en ont des cauchemars et ils n'ont que 20 mn de soutien psychologique par mois... est ce pour cela que ces employés sont recrutés en asie et pas aux usa où se trouvent les maisons mères? : on s'en fout un peu que les philippins trinquent...le boulot paraît trop dur pour les occidentaux.

Facebook pratique beaucoup cette méthode, sur des contrats très courts et partout dans le monde. C'est trop difficile pour un temps plein, mais ce n'est pas réservé au philippins.

il y a 1 minute, Out of Paprika a dit :

mais ce n'est pas réservé au philippins.

je ne sais pas, dans le reportage ils avaient l'air d'affirmer que le gros des troupes était de ce pays.

à l’instant, BELUGA a dit :

je ne sais pas, dans le reportage ils avaient l'air d'affirmer que le gros des troupes était de ce pays.

On y trouve plus de main d'oeuvre à bon marché, effectivement.