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Invité narcejo

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Invité narcejo
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J'écris ceci -sur du papier, du vrai papier- en dépit des menaces qui m'entourent. J'ai peur. Je suis même viscéralement terrifié par l'avenir ; en effet, tout a commencé il y a plusieurs semaines, jusque là je menais une petite vie tranquille, enfin comme tout le monde. Jusqu'à ce qu'il apparaisse ; un drôle de bonhomme, même si sur le moment je l'ai juste écouté en raison de l'originalité de son aspect. Un visage comme on n'en voit plus, de nos jours. Des joues mangées par une barbe hirsute, des lèvres épaisses donnant l 'impression que leur propriétaire se délectait en permanence de quelque chose. Une voix audible dans le casque, plus audible que les publicités spammées généralement dans l'univers virtuel.
_ Vous n'existez que parce que je vous ai écrit, avait-il prévenu. Tout votre être m'appartient, en d'autres termes vous êtes mon esclave.
Ben voyons... pensai-je sur le moment.
Mais, mi-amusé, mi-intrigué, je continuai de l'écouter.
_ Au départ, vous n'étiez qu'une feuille de personnage dans un jeu de rôle appartenant à mon univers. L'authentique, la vraie vie, non celle dont vous avez toujours cru avoir conscience, en raison des lignes de programme mis au point par mes soins. Dans le véritable monde, je suis programmeur de jeux vidéos. C'est mon métier, voyez-vous.
Un monde dans le monde, lui-même imbriqué dans un autre, une structure de poupées russes, comme Einstein à ma connaissance n'avait jamais décrit. Voila ce qu'avec bonhomie sur mon ordi me servait une image parasite intervenue au beau milieu d'un divertissement... Un spam publicitaire, apparemment sans prétention. Jusqu'à ce qu'il revendique :
_ En échange de mon transfert dans ton monde, je peux te permettre d'accéder à tout ce qui te fait rêver.
Il était passé au tutoiement ; sans transition, je le vis baisser les yeux sur sa propre personne, invisible pour moi puisque mon écran ne présentait qu'une vue de la partie supérieure de mon interlocuteur. Ses yeux se froncèrent, comme s'il avait d'autres pensées, bien éloignées de moi, au même moment qu'il me parlait.
Puis il dut appuyer sur un bouton, ou saisir quelque chose sur un clavier, je ne pouvais déterminer.
Les lèvres, dans l'écrin de la barbe qui mangeait les joues de mon vis à vis, s'étirèrent pour former un sourire. Il ne parla pas mais relevait le regard, comme s'il m'avait envoyé une bonne surprise. De fait, un instant plus tard, on toqua à la porte, juste derrière moi. Je fis rentrer la créature qui m'importunait, a priori cette fois-ci dans mon propre monde, et non sur mon écran d'ordi.
_ Monsieur Klein ?
J'acquiesçai. 
C'est au moment où la créature pénétrait dans mon appart' pour s'asseoir sur un de mes divans, dans mon propre salon et avant même que je lui en eus donné la permission, que je la reconnus : une des playmates que les ados matent sur les revues masturbatoires censées vendre des articles, dont la lingerie féminine, au beau milieu de ces revues généralement, enfin tous les ados savent ça. J'ai conservé une certaine immaturité malgré mon âge. Je bosse la semaine dans un immeuble de bureaux semblable à une tour d'ivoire, et je l'avoue, il m'arrive d'être attiré par les mannequins, les filles en déshabillé diaphane qu'on ne voit jamais marcher dans la rue, sauf éventuellement le lundi matin en se rendant, l'esprit morose, au travail, entre deux rames de métro qui partent avec elle sous vos yeux. Insaisissable, fantasme courant quand on est un homme célibataire. 
_ J'ai très envie de vous, fit la fille -une exquise chevelure brune, magnifique.
Je ressentis une sensation malgré moi dans mon bas-ventre, alors même que mon corps était immobile, l'esprit en apnée.
Puis un son irritant, provenant de mon écran posé sur ma table de salon. Le vieux bonhomme, encore lui.
_ Vous saisissez ? Dit-il. Je peux faire venir dans votre appartement toutes les vénus que compte votre monde virtuel, en seul échange d'une enveloppe charnelle dans laquelle télécharger mon esprit. Vu l'avancement de votre technologie, c'est facile pour vous.
En l'an 2070, bien des choses sont possibles, me direz-vous. Cependant, je n'escomptais pas obéir à une image que je ne percevais qu'en deux dimensions, une séquence analogue aux publicités interrompant les films que regardaient les gens dès la fin du vingtième, et le début du vingt et unième siècle, une éternité en 2070. C'eut été comme si je me pendais pour obéir à une voix intérieure, et non comme si j'obéissais en m'appliquant à reproduire une bonne recette culinaire, par exemple.
Cependant, « mon » homme ne me lâchait pas. Une seconde après avoir éveillé ma libido, la déesse de beauté disparut, évaporée comme si elle n'avait été qu'une goutte d'eau.
_ Voila partie notre fée, vous croyez aux contes de fées, monsieur Klein ?
Il me vouvoyait de nouveau. Mais la fille était bel et bien partie. Et il savait que je l'avais vue, elle ne faisait donc pas partie uniquement de mon imagination. L'homme contrôlait dans une certaine mesure ce que je voyais. Pour une image en deux dimensions c'était une prouesse. Il existe bien des logiciels capables d'empathie avec les utilisateurs d'ordinateurs, mais pas à ce point. 
Une minute plus tard, mon voisin du dessus -j'habite en immeuble- tapa du pied, puis de manière de plus en plus sonore avec quelque chose de lourd sur son plancher -mon plafond- et cria à pleins poumons :
_ TU VAS FAIRE CE QU'IL DIT, OUI , OU JE DESCENDS TE BOTTER LE CUL ???!
J'avais reconnu la voix de mon voisin. Un type maigre qui faisait un métier comparable au mien -analyste dans une autre tour d'ivoire, qui faisait face à mon propre bureau dans le centre-ville- et nous ne nous connaissions guère que de visu, sans plus, et je ne l'aurais jamais cru capable d'un langage aussi cru et direct.
_ Que...
L'image du bonhomme sur mon PC demeurait stoïque.
_ Je n'ai rien dit.
Je le regardais, éberlué, incapable de faire abstraction de ce qui venait de se produire.
Le calme avec mon voisin revint, mais tout à coup j'étais convaincu de deux choses : Dieu n'était pas seul à savoir faire se manifester des phénomènes paranormaux, et mon interlocuteur -bel et bien réel- était à mi-chemin allègre entre Dieu et Diable...
Quinze minutes plus tard, je faisais en sorte qu'il nous rejoigne. 

Dans notre monde, celui dans lequel j'écris actuellement ces lignes, avec un bon vieux stylo, terrifié et ne sachant dorénavant que faire d'autre de mieux.
J'avais craint d'ouvrir la boite de Pandore. Ce fut bien pire.
L'enveloppe charnelle que je lui offris était un clone de moi-même, quand j'étais ado, que mes parents m'avaient offert quand j'avais quinze ans et dans lequel, en fait, je n'avais jamais rien téléchargé, le conservant malgré tout, m'imaginant toujours qu'un beau jour je réussirais peut-être à l'envoyer au boulot et régler les factures à ma place. Pas vraiment l'usage habituel des clones, que l'on offre à ses proches avec des visées bienveillantes : se parler tout seul pour tuer le temps, ou bien faire la cuisine, passer le balai, ce genre d'agréments. Les clones bien qu'organiques ne disposent pas vraiment de libre-arbitre en 2070. Ce ne sont que des clones, sortes d'automates améliorés.
Grâce à lui, c'était comme si j'avais donné naissance à un nouvel être. D'ailleurs, il ne s'en était guère voilé :
_ Ensuite, je partirai dans ton monde avec ma propre quête, et il te sera loisible de te rendre sur toutes les îles paradisiaques peuplées de filles exotiques qu'il te plaira.
Je n'arrive toujours toujours pas à m'expliciter si le bâton ou la carotte me motivèrent davantage... Toujours est-il qu'une fois passé dans « notre » dimension, le bougre me tutoya comme il semblait capable de tutoyer tout le monde. Puis devint hors de contrôle. Les yeux écarquillés, je regardai mon clone s'animer, s'agiter, m'adresser un clin d'oeil, faire trois pas... et enfin disparaître de ma vue.
Pour cela, il ne lui avait même pas été nécessaire de composer le code d'ouverture requis pour l'ouverture de ma porte d'entrée. Comme si l'ingénierie de mon appartement ne contenait aucun secret. Je me précipitai à ma fenêtre et regardai dans la rue. 
L'appréhension, à ce stade, me tenaillait déjà. Qu'avais-je fait ?
De mémoire, on n'avait encore jamais entendu parler d'un acte comme celui-ci, des êtres initialement en deux dimensions sur des écrans n'avaient jamais pu par la suite fouler le monde dit normal. Et ce visiteur, je m'en avisai après coup, ne m'avait même pas décliné un nom. 

Beaucoup plus tard, à vrai dire une semaine après cette entrée pour le moins spectaculaire, je fis une nouvelle rencontre.
Cela se passait dans un snack dans lequel j'optais généralement pour un repas rapide entre 12h et 13h avant de réintégrer les murs lambrissés de mon lieu de travail. L'individu s'assit en face de moi et me considéra. Je ne vis rien sur ses traits d'identique à mon clone disparu. Ce-dernier était sorti de ma vie comme un souvenir trop ancien de la mémoire.
_ Les filles exotiques ne vous ont pas fait envie ?
Sincère questionnement, apparemment, que celui de mon nouvel interlocuteur -ou récidive d'un délire de ma part, une légère angoisse crispa mes traits. Il dut s'en apercevoir -après être repassé au vouvoiement, comme au tout début de cette histoire.
_ Venez donc avec moi, accompagnez moi en un endroit au bout du monde. Ce n'est pas compliqué, je vous guiderai, en outre vous constaterez, une fois arrivés là-bas, que nous avons chacun tout autant besoin de l'autre.
_ Je dois travailler.
Quelle excuse pitoyable. La matinée ne s'était pas bien passée. Engueulade par mon supérieur hiérarchique devant la machine à café à l'heure du thé, impossible de retrouver, au fond d'un des tiroirs sertissant ce qui me servait de bureau -de plan de travail plutôt- des agrafes qui eussent été utiles, et mille autres ennuis... pour me faire kidnapper de mon plein gré à la pause midi, ne serait-ce que pour échapper à tout cela, sans doute, mais quelle existence pitoyable. 
Une sirène retentit.
J'eus l'impression que cela, dans le lointain, hurlait, comme un être humain : BOUUUUUU ! Et par intermittence. BOUUUUUU ! BOUUUUUU ! La sirène des alarmes incendie ou autres catastrophes qu'on n'entendait jamais généralement.
Je me redressai sur mon siège.
_ Que se passe t-il.
Il me décrivit la réponse, que l'on pouvait d'ailleurs observer de l'autre côté du trottoir, par delà la baie vitrée du snack.
_ Une évacuation des bâtiments. Par tout le monde, du P.D.G jusqu'au plus modeste employé, en passant par les commerçants du coin. 
La voix de mon vis à vis était devenue un peu plus claire, comme s'il jubilait d'une manière irrépressible, malgré lui. Ainsi, les petits miracles qu'il était capable d'accomplir étaient tout de même capables de l'impressionner lui-même, notai-je à part moi. 
Les choses s'étaient enchaînées au point que je ne doutais du lien de cause à effet entre les paroles de mon voisin de table et la scène théâtrale du dehors. Les choses s'amplifièrent lorsqu'un autre son se fit entendre. Cela faisait : TCHAC TCHAC TCHAC.... Et je ne pouvais comparer avec une référence connue dans mon for intérieur. Cette fois-ci, la chose nous fit lever la tête -enfin, surtout moi. Pour contempler un insecte gigantesque en approche, en vol stable surplombant la foule, tel un cow-boy en imposant à un troupeau de bisons. Il s'agissait d'un hélicoptère aux flancs sobres, sans logo, sans explication évidente de sa présence.
_ Venez ! Lâcha l'homme avant de se lever et m'entraîner presque brutalement avec lui. Je ne pus que laisser tomber mon moignon de sandwich -j'avais faim, dommage. Puis nous courbâmes l'échine à cause du vent soulevé, traversâmes la rue et nous orientâmes de manière à nous situer exactement sous le ventre de l'appareil volant. Lequel, alors, pour nous récompenser de lui avoir ménagé de la place -tout en bas- entama une manœuvre compliquée d'atterrissage urbain qui aurait pu me couper le souffle. Je m'attendais à moitié à la descente d'un quelconque commando de GI s nous exhortant à exécuter certains mouvements sous la direction de la baguette d'orchestre de leurs fusils mitrailleurs, tout en me répétant en moi-même sans cesse : cet hélico n'est pas là pour moi, cet hélico n'est pas à moi... 
Et puis qu'était devenu au juste mon clone prêté obligeamment quelques jours plus tôt, à l'entité qui avait, depuis, progressé dans l'invasion de notre univers ?

Car je ne doutais plus de son caractère invasif, maintenant.
_ N'appelez pas lâchement au secours, me prévint mon ravisseur -que je n'avais pas vu se sangler au siège de l'hélico, à quoi il avait pourtant visiblement avec efficacité procédé.
Il ajoutait donc la lecture de pensée à ses talents. Si je n'avais angoissé en m'empêtrant avec ma propre sangle impossible à attacher, j'aurais pu rassembler le courage de le foudroyer avec mon regard à cet instant-là...
Je m'agitais, comme pris dans une toile d'araignée, quand je réalisai, d'une que l'hélico ne décollait « sans » moi, d'autre part que, de toute façon, aucun pilote ne se trouvait aux commandes.
Si je m'étais trouvé dans un cauchemar, je me serais sans nul doute efforcé de fermer les yeux, les serrant très fort, jusqu'à l'évanouissement des images pour passer au rêve suivant...Ce que je faisais souvent, en de tels cas, mais n'était possible cette fois puisque ce coup-ci, c'était réel. Plus que réel, même : les doigts avec lesquels je m'escrimais contre la sangle me faisaient mal. A côté de moi, l'homme forma un rictus avec ses lèvres -et ses joues n'étaient plus mangées, comme le jour de son apparition dans ma vie, par une barbe de quatre jours, il s'était donc rasé, sans doute pour pouvoir mieux se fondre dans la masse, me dis-je stupidement, ce qui confortait son statut d'envahisseur.
_ Je m'appelle Kurt, déclara t-il tout à trac. Dans ce monde, mon patronyme n'a pas d'importance. Vous pouvez m'appeler comme ça.
Comme sous l'effet d'un claquement de doigts, les portes de l'appareil se refermèrent, et la sangle -ma sangle- s'enroula, à l'instar d'un boa constrictor, de manière autonome autour des parties idoines de mon corps. Les choses s'accélérèrent, un peu comme dans un tour de magie, et je m'aperçus que nous avions décollés. Même sans pilote aux commandes.
_ Ramenez-moi chez moi, exigeai-je.
_ Tssss.
L'autre passager -avec moi- de l'hélico se détourna en contemplant les hublots, haussant presque imperceptiblement les épaules. Dédaignant superbement ce que j'avais voulu être un ordre.
En contrebas défilèrent les toits des infrastructures civilisées. L'on aurait dit autant de courts de tennis, ou morceaux emboîtés d'un immense puzzle. Je ne possédais, comme références, que les images aériennes de la Ville diffusées parfois sur mon ordinateur -ces machines, en 2070, ont définitivement supplanté les écrans de télé, ainsi que foultitude d'autres appareils aux fonctionnalités variées. Mais là il ne s'agissait point d'une interface artificielle ; si j'avais tendu le doigt à l'extérieur de l'hélico, par exemple, uniquement la taille de mon doigt aurait empêché que je puisse toucher chaque chose. Le ciel au-dessus du tapis des toits des immeubles et autres bâtiments me paraissait assez dégagé pour, qu'en fait, je me sente privilégié ; une autre météo ne m'aurait permis un tel panorama. Je m'étais toujours plus ou moins dit que le monde technologique n'était qu'une entropie, née du hasard et Dieu seul savait dans quel but. Mais, en fait, vues d'en haut, les choses détenaient tout de même pas mal de points communs entre elles, un peu comme si le génie humain était un seul fruit, dont les époques ne marquaient que l'évolution de la maturité. Pour autant, j'en dévorais la vue, telle une part de tarte aux pommes, ne serait-ce que pour ma culture perso, tâchant de fixer chaque image dans l'album de mon esprit. Et ce, malgré le stress général de la situation.
_ Ceci est -ou plutôt était initialement- un jeu vidéo, m'apprit mon guide.Avant l'invasion et, pour finir, la prise de contrôle par ce que vous appelleriez, dans votre monde, un virus informatique.
A propos d'invasion...
Le bonhomme s'était tourné vers moi -désormais, je le baptisais, dans mon quant à moi, mon guide. Il me regardait avec intensité, ainsi que si je représentais pour lui un espoir. Ce que, pour l'instant, je me montrais incapable de concevoir.
_ Le logiciel qui pilote le jeu est mon invention, En fait, c'est une commande, et si le produit n'est pas satisfaisant, j'ai gros à perdre. Tout au moins, j'aurais à perdre... si vous n'existiez pas.
_ Qu'avez-vous fait de mon clone ? L'interrompis-je. Comment je fais pour le récupérer ? 
Là dessus, sa réaction me surprit, mais à moitié seulement compte tenu l'immensité de mon ignorance. Il se mit à rire.

De ce que je compris qu'il m'expliqua, j'avais un destin. Une destinée, précisa t-il en insistant. En effet, selon lui, ce monde, comme tout bon programme informatique qui se respecte, prévoyait l'animation d'un certain nombre de personnages, certains (la plupart) secondaires, et d'autres primordiaux. Parmi les protagonistes essentiels, un petit nombre étaient prévus pour être les avatars des joueurs, lesquels pouvaient prendre le contrôle tantôt en restant passifs -comme de simples observateurs- tantôt en se téléchargeant -une partie d'eux, leur esprit conscient de joueurs- dans ces héros conçus comme des interfaces charnelles. Ainsi, cela augmentait leurs sensations, les dépaysait (les divertissait, souligna t-il), et grosso modo constituait d'ailleurs tout l'intérêt, la valeur ajoutée du programme qu'il avait mis au point.
_ Mieux que tout ce qui s'est fait jusqu'ici en la matière ; vivez en direct les aventures de vos héros, prenez leur place, frissons garantis.
En moi-même, je ne pouvais m'empêcher de savourer le mot héros. Une part de moi, sans doute, se sentait flattée, mais d'un autre côté, je redoutais que les paroles de l'homme ne m'aient en fait plongé dans une sorte d'état d'hypnose. 
Ou bien, je craignais aussi qu'il n'ait raison, et que mes réactions soient les conséquences de mon programme. Après tout, selon les savants -les nôtres-, nous sommes programmés biologiquement d'une façon comparable : notre ADN. 
_ J'aurais pu m'incarner à votre place, c'est ce que j'avais escompté à l'origine : pour cela, je vous avais conçu avec des spécificités particulières. Maintenant, à cause du virus informatique, des bugs sont apparus, nombreux. Ce sont des dysfonctionnements du programme normal, que j'aurais pu corriger, seulement un diagnostic pointu a révélé en réalité un virus informatique. Mon invention a été piratée. J'aurais dû m'y attendre.
Il marqua une pause, soupira, puis reprit :
_ Donc, impossible de « fusionner » avec les personnages du jeu. Sauf, bien sûr, si l'on ne désire pas de billet retour.
Là, il éclata franchement de rire. A mes oreilles, cela sonnait faux, comme le rire d'un satyre. 
_ Cependant, je ne désespère pas de rentrer chez moi. En un sens, nous partageons le même vœu, seulement le mien compte vraiment, tandis que vous êtes vraiment à votre place. Le protocole grâce auquel j'ai pu intervenir dans ce monde, en personne, est complexe, mais était requis et avait méticuleusement été anticipé par mes soins vigilants. « Après moi, le déluge », dit l'expression, mais je ne pouvais permettre cela ; en réalité : « Après moi, tout redevient normal, et je regagne mes pénates ». 
J'opinai, même si je ne pensais pas tout comprendre. Il m'eût simplement dit qu'il désirait une image anonyme dans laquelle se fondre, c'est à dire dépourvue de la barbe qui lui mangeait les joues ce qui m'avait surpris d'emblée quand il était apparu, afin de ressembler aux gens normaux (ceux de mon monde, évidemment, où avais-je la tête)... Mais, dans mon monde, nous recensons également des individus porteurs de maladies mentales. Nous possédons des psychiatres, des docteurs spécialisés qui confirment bel et bien que la norme sociale existe, même si en philosophie, une autre branche de notre savoir, la chose est encore discutée. Qu'est-ce que la norme ? Qui la fait ? Quelle est son origine, à supposé qu'elle soit née en même temps que le monde lui-même. Bref...
_ A la base, reprit mon interlocuteur en redevenant sérieux, ce jeu devait se dérouler suivant mes prévisions, et non ainsi qu'il vous apparaît : un univers stable, limite statique, dans lequel vous n'avez rien à espérer en contrepartie d'une vie qui vous apparaîtra, au bout d'un moment si ce n'est déjà le cas, comme une galère, une monotonie de vie sans le moindre intérêt à l'issue de laquelle, probablement, vous mourez, de manière tout aussi insignifiante que vous avez vécu.
L'engueulade de la matinée par mon supérieur hiérarchique devant la machine à café et devant tous mes autres collègues, me cuisait encore. J'eus donc du mal à conceptualiser le côté insignifiant de la chose, même si, de plus en plus, mon esprit était attiré vers ce que mes oreilles entendaient, ainsi que des fidèles doivent s'approprier les paroles d'un gourou.
_ Lorsque je partirai, en principe les choses devront s'être redressées, et tout votre être redevenu une marionnette à la disposition des commandes que je détiens, et j'en profiterai pour jouer une partie « en immersion ». Ce jeu est conçu pour ça. S'immerger dans les pixels, comme s'il ne s'agissait plus de pixels, plus d'une simple illusion. Il se passera enfin quelque chose dans ce monde qui n'avait pas été pensé, conçu, afin que votre civilisation s'étende, finisse par se développer... et d'ailleurs jusqu'où ? A mon avis, en 2070, votre génie technologique a déjà rencontré ses limites. Vous ne progresserez pas plus. C'est mon avis, et c'est pourquoi je stoppe là l'expérience ; en effet, mes étudiants auraient sans doute bien aimé continuer de vous observer, voir si vous pouviez surpasser notre monde, voire acquérir la fameuse conscience de vous-mêmes..
_ Je pense, donc je suis, le coupai-je en me surprenant, par la même occasion.
Mon aplomb m'étonna, mais après tout je ne croyais pas à ce qu'il me disait, je ne voulais pas croire ce qu'il racontait. C'était trop perturbant, ou bien alors, pas assez insolite, comme l'eût été un enlèvement, par exemple, par les gens de la NASA, quelque chose qui, là, aurait pu en effet me faire me sentir un héros. Tandis que le délire de mon compagnon -et non le mien, me disais-je simultanément, comme pour me rassurer- était sadique, même s'il ne souhaitait sans doute se montrer vexant, il l'était toutefois, et rien ne pouvait me permettre de déterminer l'étendue de son sang-froid lorsqu'il déroulait ses propos. De cette étendue aurait pu dépendre un certain degré de crédibilité. Compte tenu que même les psychopathes... eh bien sont crédibles, que nous le voulions ou non. 
Uniquement les parois, palpables, de notre hélico qui continuait imperturbablement de battre des ailes pendant ce temps, apportaient une consistance, assez effroyable, à une histoire que j'aurais estimée saugrenue.
_ Nous nous rendons au bout du monde, dit l'homme. Quand je dis au bout du monde, ce n'est pas vain. En effet, ce monde virtuel s'arrête vraiment où nous allons. A l'endroit où j'ai entreposé tout un tas de trucs d'informaticien. Vous en apercevrez une partie, mais l'essentiel vous sera inaccessible : c'est moi qui tire les ficelles. Par contre, je ne m'en irai sans vous avoir un peu altéré. Légèrement, que diable, mais toutefois assez pour que vous ne soyez plus jamais le même. Pour permettre à l'histoire de continuer, je vais ainsi devoir sacrifier votre personne -enfin, votre personnage- qui continuera d'exister mais ne pourra plus interagir comme auparavant. C'était le prix à payer, ce virus informatique était vraiment machiavélique, mais dans quelques années j'aurai très probablement trouvé le moyen de reprendre totalement mon travail, ainsi je ne vous sacrifie que provisoirement...
Sa dernière phrase avait résonné à la manière de l'octroi d'un lot de consolation...
J'en avais presque oublié l'hélico.
Celui-ci se manifesta à ma conscience de nouveau et ce de plusieurs manières. A travers ses vitres, le paysage ne défilait plus ; en outre, même le bruit incessant de ses pales n'était plus tout à fait le même. Nous nous apprêtions, en fait, à atterrir, en faisant du surplace.
L'extérieur contrastait violemment avec l'intérieur. Pour commencer, nous n'étions plus seuls à pouvoir voler. Autour de nous, des choses ailées faisaient de même. Il s'agissait de créatures vivantes, et c'est cela qui retenait mon attention.
En effet, il s'agissait de ce que j'identifiai spontanément comme étant des ptérodactyles, ces oiseaux préhistoriques dont les membranes constituant les ailes évoquaient de gigantesques cerf-volants-chacune. Et dont le bec immense dépassait largement la taille de votre bras. Ces créatures étaient indubitablement vivantes, à moins qu'il ne s'agît d'automates -avec le discours de Kurt, je ne savais plus très bien. La certitude résidait dans le fait qu'en apparence il avait tenu ses paroles. Comme toujours, en réalité il me vint à l'esprit que je n'avais jamais réussi à le prendre en défaut ; tout ce qu'il avait dit s'était produit ou se produisait. Il était réellement le chef d'orchestre.
Soudain, l'une de ces bestioles -elles étaient moins d'une dizaine autour de nous, mais plusieurs- poussa un cri aigu à la limite de l'insupportable ; machinalement, je me bouchai les oreilles.
Simultanément, mes yeux s'arrondirent. En effet, juste devant nous, s'ouvrait la gueule béante d'autre chose -un volcan, à première vue, mais calme, sans lave. Pourquoi voudrais-je de la lave, me demandai-je idiotement. Au-dessus du cratère, nul nuage, pas de cendres, en revanche un phénomène curieux : comme si l'air tremblait, à la façon dont cela se passe quand on marche trop longtemps dans un désert de sable. Paradoxalement, mes sens ne détectaient aucune variation au niveau de la température.
_ Un décorum préhistorique, fit Kurt, non sans une apparente satisfaction. Cela a du sens, même si pour vous il s'agit surtout d'une étrangeté, tout au moins pour l'instant. Attendez que ces êtres entrent en guerre avec l'humanité.
Quoi ? Quelle guerre ? Je sursautai, sans exprimer à haute voix ce qui me faisait subitement réagir.
_ Oui, confirma Kurt en me surveillant du coin de l'oeil. Il ne s'agit pas vraiment d'une reconstitution historique -genre, l'histoire de la vie sur notre planète, du dinosaure à l'homme. Bien sûr, j'avais conçu un jeu martial. Pour divertir les joueurs, vous comprenez. 
Je ne comprenais pas. Sauf que Dieu était peut-être descendu de son royaume, tout exprès pour moi, et juste dans le seul but de m'expliquer la raison pour laquelle il déclenchait la fin du monde...
L'une des ailes d'un ptérodactyle frôla plus que dangereusement notre hélicoptère.
_ Nous allons maintenant atterrir, dit Kurt. Juste au centre de ce volcan que vous apercevez. Là où nous ne courrons aucun danger, puisque c'est ma base d'organisation. Mon « panneau d'administration » diriez-vous également.
_ Je suis terrifié...
En effet. J'avais enfin identifié ce qui m'inondait les terminaisons nerveuses depuis.... depuis le snack, dans une autre galaxie, où je n'avais pas achevé mon dernier repas. La peur. Bien évidemment que j'avais peur. Mais d'une angoisse perfide, qui ne m'avait envahi que lentement, progressivement, tant que l'origine de celle-ci n'était pas encore claire. 
_ La seule chose qui me retient de vous prendre pour un cinglé...
_ Oui ? Rétorqua automatiquement mon compagnon. Vous désirez sans doute ajouter quelque chose. Attention, je pourrais interpréter ce que vous allez dire et vous en offrir le reflet. D'un simple claquement de doigt ; votre réalité est pour moi malléable comme de la pâte à modeler. J'en fais à vrai dire ce que je veux.
Il marqua une hésitation.
_ Enfin, non, pour être exact, sauf ici. Précisément ; puisque nous nous situons presque à la frontière entre votre monde et le mien.
_ La frontière, complétai-je sans réaliser complètement que je parlais et dialoguais avec ce dément, était sur mon écran d'ordi alors que vous n'étiez qu'une image. Vous m'avez dès lors ensorcelé et toute la suite, si cela m'échappe, n'en fait pas pour autant quelque chose de plus réel. Je ne me laisserai pas longtemps berner par vos hallucinations...
Ce fut alors comme si j'avais proféré un gros mot.
_ Une hallucination, dis-tu ? (retour au tutoiement, comme s'il ne me trouvait plus digne du moindre respect). Mais c'est ce que tu es pour moi, rien de plus. C'est logique, puisque tu vas me servir autrement. Mon dessein coule de source, il s'agit de maintenir la cohésion de ce fichu jeu, dans son ensemble, par le biais d'une sorte de cheval de Troie que je contrôle. Tu n'es que ça, un outil, pour moi, et après tout peut-être que ton scepticisme est logique, puisque après tout je t'ai créé un peu à mon image. Un tout petit peu.
Je me demandais seulement, à ce stade, comment l'hélicoptère allait bien pouvoir atterrir sans le moindre pilote apparent aux commandes. J'aurais dû me rappeler la manière dont il nous avait réceptionnés, du temps auparavant, quand je ne faisais pas encore attention au pilote. Quand l'hélicoptère m'avait seulement impressionné par sa masse.
Maintenant, sa masse était largement concurrencée. Les ptérodactyles autour de nous, même s'ils faisaient mine de nous effleurer, mais sans ostensiblement prêter attention à nous, comme si nous n'étions même pas des puces dans leur pelage -pardon, leur plumage-, étaient impossibles à ignorer, quoique nous fussions dans un jeu vidéo, un monde virtuel, comme disait Kurt.
Le long cri aigu de la créature était repris en écho par ses congénères, qui le modulaient à l'envi, descendant à chaque gosier plus profondément dans l'aigu et donnant l'impression que le cri déchirait l'espace, comme s'il ne s'était agi que d'un tissu dont ils formaient les motifs bigarrés.
_ Cet endroit ne porte pas de nom, m'informa Kurt. Appelons-le la jungle. Comme la jungle primitive, même dans mon monde, qui a donné naissance à l'humanité. Après tout, je ne me prends pas pour Dieu lui-même. Je ne suis que le démiurge d'un seul monde. Pour être exact, celui-ci.
Et il repartit dans un grand éclat de rire, ainsi que s'il s'agissait là de son euphorie habituelle, voire même comme si la tension, en fait, était à la source réelle de cette hilarité fausse. Authentique ou pas, son rire ne me faisait plus plaisir. En effet, j'avais au moins pris conscience que je ne partageais pas son sort. Aussi, sa satisfaction, quelle qu'elle pusse être, ne pouvait coïncider avec la mienne. Nous étions, l'un de l'autre, à des années-lumière.

Suite à l'atterrissage -souple, sans heurts, et même presque irréel : les pales cessèrent d'émettre leur ronronnement sans la moindre transition, comme si la force qui les avait animées n'était pas mécanique, mais électronique-, suite donc à cet atterrissage, nous sautâmes de l'hélico, pas un merci au pilote de toute façon invisible, ou inexistant, et mon drôle de comparse se dirigea automatiquement vers un endroit précis. Tandis que moi, les bras ballants, je m'efforçais d'interpréter tout ce que je voyais.
Tout autour de moi, les parois du volcan ne présentaient rien de rocheux, d'où je déduisis sa nature non naturelle. Au contraire, c'était fait d'un matériau, même si je ne parvenais à identifier ce-dernier : une sorte de métal. Par défaut, tout ce que je contemplais était catégorisé par mon esprit comme du « métal », quand il ne s'agissait pas à toute première vue d'un plastique. Je ne suis pas physicien. Mais surtout, il y avait des écrans. Un peu à la manière de jours dans un mur, sauf que les images auxquelles on avait par ce biais accès n'étaient le jardin des voisins... D'ailleurs, la plupart des écrans n'arboraient pas d'images. Pour l'heure, c'était sobre, presque monochrome. Déprimant, comme l'intérieur de la tour de contrôle d'un aéroport. 
_ Où sommes-nous ?
_ J'ai déjà répondu à cette question.
Sa vive réplique à ma question montrait que je n'étais pas sorti du champ de sa conscience. Il actionna manifestement des mécanismes. Des colonnes de chiffres passèrent sous mes yeux, sur la paroi, auxquels je ne compris rien.
_ Maintenant, poursuivit celui qui s'était complu à s'identifier comme le démiurge de tout cela, je vais rédiger un tout nouveau programme, ensuite je ne te désintégrerai pas, comme j'avais projeté, mais te modifierai en sorte que tu resteras à demeure ici. Jusqu'à ce que je revienne, après mon départ.
Je m'enquis s'il était sérieux.
_ Eh bien quoi, tu as snobé mes propositions initiales, de prendre toutes les filles que tu voulais. Je suis bienveillant, même là je peux tout de même te concevoir une compagne, si tu le désires. Ma compassion pour toi provient de ce que je t'ai conçu comme mon alter ego. Aucun autre joueur ne pourra s'incarner dans ton corps, ils ignoreront même que tu existes. Seul le virus saura. Evidemment.
Telle une ponctuation à ses propos, une ombre se déploya sur le sol, à nos pieds, projetée par le volume volant d'un ptérodactyle qui nous survola tout en poussant son cri aigu. 
_ Ces oiseaux peuvent-ils pénétrer jusqu'ici ?
_ Normalement, non. D'ailleurs, même sans parler de leur nature numérique, il ne s'agirait pas à proprement parler d'oiseaux. Pas mes contemporains, ni les tiens, en tout cas. Je les ai conçus en tant que gardiens de cet endroit. Et aussi pour l'esthétique du décor, je l'avoue.
Je comprenais enfin le sens de toutes ces choses, tous ces événements... : je me tenais en compagnie de ce que les auteurs nomment un Savant fou. Le genre de savant dont le savoir n'est guère rassurant pour ses compagnons, un stéréotype classique d'un bon paquet de films de série B...
_ Je vais maintenant t'implanter la nano technologie. Tu ne sentiras rien, même pas la piqûre de l'aiguille. C'est l'unique moyen...
Il se concentrait devant des tablettes murales ressemblant à des claviers. Il se parlait tout seul, comme si je n'étais qu'un clone. Le sien, bien évidemment. Sa voix ne contenait aucune menace, rien de ce genre.
Un vortex apparut dans un son qui ressembla à : BROOOOOUUUUUFFF ! Et donna à la paroi « métallique » un aspect de profondeur, comme un entonnoir inversé. Au centre de la figure géométrique s'ouvrit ce qui parut un chemin. De fait, « mon » savant fou se focalisait sur cette sorte de sentier, et toute son attitude indiquait qu'il prévoyait de s'en aller, tourner les talons à l'intérieur du volcan pour résolument marcher dans cette direction inconnue.
_ Tu ne sentiras rien, répéta t-il.
En disant cela, presque négligemment, sa main au bout de laquelle il tenait un objet désignait l'emplacement où je me trouvais. Il jetait un regard presque à la dérobée vers la cible de sa concentration, une colonne de chiffres et de lettres évoquant vaguement, pour moi, effectivement une espèce de programme informatique, tel qu'on les écrivait en 2070 y compris dans le monde où j'avais toujours vécu.
_ Que faites-vous ? M'exclamai-je.
_ Taratata que de questions, comme un écolier, me tarabusta t-il.
_ Je ne vous laisserai pas...
Il se tourna vers moi brusquement, d'un seul coup, l'aiguille à la base de laquelle je reconnus une seringue, brandie à la façon d'un poignard.
_ Tu te trompes d'ennemi, dit-il. Le vrai, c'est ce monstre de virus qui empêche la réalisation de mes plans. Toutes les lignes du programme qui font ton monde ne convergent sans cela que dans cet objectif : la guerre entre les créatures humaines et les créatures de la même espèce que les ptérodactyles que tu peux voir au-dessus de nos têtes. Avant de t'abandonner, je vais tout de même te révéler le nom de baptême de ce jeu : je l'ai nommé, « La fin des temps ». Un scénario classique pour un programme de mon invention. Cependant, de retour dans mon laboratoire, je vais sans doute modifier ce titre. Trop stéréotypé. As-tu des idées à mes suggérer ?
Cette question, comme s'il était sincère, sérieux comme un pape. Je ne réfléchis même pas pour trouver une réponse. Mes gestes vinrent tout seuls, sans doute pas programmés, eux. Je balançai mon pied à hauteur du poignet de mon ravisseur, fit voltiger en l'air la seringue. Laquelle contenait un produit doré, comme du miel, et scintilla brièvement, dans un éclair de luminosité.
Ensuite, je portai un coup dans son torse, en me découvrant une pugnacité non soupçonnée jusqu'alors. Miraculeusement, mes coups portaient. L'homme, le savant fou, Kurt basculait dans les cordes du ring. Je prenais le dessus. Il ne tentait, en fait, même pas de se défendre. Alors je me penchai, ramassai au sol ce qui ressemblait à un caillou de bonne taille. Ma main soupesa la pierre, ma peau apprécia une texture qui me parut solide, fiable, avant que je m'en serve comme projectile.
Enfin, j'écrabouillai, avec, le visage du deuxième occupant du cratère, à côté de moi.
Dans un gargouillis et une perle de sang qui jaillit entre ses lèvres, il s'effondra et je le crus mort. Je réalisai que je venais de tuer un homme. Un semblable.
Pour m'assurer qu'il ne vivait plus, je tâtai son pouls. Aucun battement cardiaque, plus rien. Bel et bien mort.
Alors, encore frissonnant, je me redressai et tournai la tête en tous sens. J'essayais de discerner une sortie, n'importe quoi afin de m'échapper.
En réalité, la seule « sortie » acceptable paraissait être le vortex qu'il avait ouvert, et qui baillait toujours, à la façon d'un phare en mer.
J'aurais pu me jeter là dedans. Corps et âme et à Dieu va. Que cela ferait-il si je prenais la place de mon créateur, dans son monde, comme il m'avait exposé qu'il calculait pour moi.

En fait, je ne me convainquis jamais que c'était possible. Je suis probablement un faible, un lâche. Des jours ont passé, je les ai comptés grâce à des choses que j'ai trouvées ; un bout de papier, et un stylo. J'entends au-dehors les cris des ptérodactyles, et quelquefois le sol tremble, comme si le volcan souhaite entrer en éruption. Je redoute cela, quoique pas autant que les propos tenus par mon bourreau, quand il était vivant, notamment à propos du virus. Puisque le créateur de ce monde est décédé, et qu'il ne reste donc plus qu'une seule conscience capable de modifier substantiellement les choses de l'environnement qui m'entoure.... Que fera le virus, et dans combien de temps ? Que me reste t-il, en termes d'options et de choix ? Le virus va t-il pourvoir à la stabilité de cette planète, comme apparemment il l'a toujours fait, ou bien le professeur est-il venu à bout de ce qu'il désignait comme sa némésis , laquelle va donc laisser place au chaos programmé ? A quoi ressemblent les monstres, que dois-je personnellement en redouter ? 
Est ce que mes semblables, qui peuplent la seule civilisation de cette planète, sont vraiment des marionnettes qui se laisseront donc passivement faire lorsque sonnera le glas de la paix ? Quelle forme prendra la guerre ?
Toutes ces questions me hantent. Viscéralement terrifié, je tente malgré tout de lutter contre mon premier adversaire -la solitude- au moyen de ce papier stupide, et ce stylo a priori inoffensif.... 
Advienne que pourra.

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Membre, tout ce que je sais,c'est que je ne sais rien,tandis que les autres croient savoir ce qu'ils ne savent pas ( Socrate), 52ans Posté(e)
sphynxxxix Membre 17 018 messages
52ans‚ tout ce que je sais,c'est que je ne sais rien,tandis que les autres croient savoir ce qu'ils ne savent pas ( Socrate),
Posté(e)

:o  BON je commence à lire ou pas ?

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Invité narcejo
Invités, Posté(e)
Invité narcejo
Invité narcejo Invités 0 message
Posté(e)

Référence au titre ? 

Bien sûr, il s'agit d'un texte littéraire (disons dans : littérature ; c'est comme ça que je vois le texte).

 

Il s'agit d'une nouvelle.... genre : science-fiction (dans mon esprit en tout cas). Bonne lecture, et merci aussi pour les commentaires. ++

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Membre, 77ans Posté(e)
Blaquière Membre 19 162 messages
Maitre des forums‚ 77ans‚
Posté(e)

J'ai remis tout le texte sans le fond vert qui rendait la lecture pénible. J'ai pas pu m'arrêter : scotché jusqu'au bout ! Un vrai style une vraie atmosphère...

 

 

J'écris ceci -sur du papier, du vrai papier- en dépit des menaces qui m'entourent. J'ai peur. Je suis même viscéralement terrifié par l'avenir ; en effet, tout a commencé il y a plusieurs semaines, jusque là je menais une petite vie tranquille, enfin comme tout le monde. Jusqu'à ce qu'il apparaisse ; un drôle de bonhomme, même si sur le moment je l'ai juste écouté en raison de l'originalité de son aspect. Un visage comme on n'en voit plus, de nos jours. Des joues mangées par une barbe hirsute, des lèvres épaisses donnant l 'impression que leur propriétaire se délectait en permanence de quelque chose. Une voix audible dans le casque, plus audible que les publicités spammées généralement dans l'univers virtuel.
_ Vous n'existez que parce que je vous ai écrit, avait-il prévenu. Tout votre être m'appartient, en d'autres termes vous êtes mon esclave.
Ben voyons... pensai-je sur le moment.
Mais, mi-amusé, mi-intrigué, je continuai de l'écouter.
_ Au départ, vous n'étiez qu'une feuille de personnage dans un jeu de rôle appartenant à mon univers. L'authentique, la vraie vie, non celle dont vous avez toujours cru avoir conscience, en raison des lignes de programme mis au point par mes soins. Dans le véritable monde, je suis programmeur de jeux vidéos. C'est mon métier, voyez-vous.
Un monde dans le monde, lui-même imbriqué dans un autre, une structure de poupées russes, comme Einstein à ma connaissance n'avait jamais décrit. Voila ce qu'avec bonhomie sur mon ordi me servait une image parasite intervenue au beau milieu d'un divertissement... Un spam publicitaire, apparemment sans prétention. Jusqu'à ce qu'il revendique :
_ En échange de mon transfert dans ton monde, je peux te permettre d'accéder à tout ce qui te fait rêver.
Il était passé au tutoiement ; sans transition, je le vis baisser les yeux sur sa propre personne, invisible pour moi puisque mon écran ne présentait qu'une vue de la partie supérieure de mon interlocuteur. Ses yeux se froncèrent, comme s'il avait d'autres pensées, bien éloignées de moi, au même moment qu'il me parlait.
Puis il dut appuyer sur un bouton, ou saisir quelque chose sur un clavier, je ne pouvais déterminer.
Les lèvres, dans l'écrin de la barbe qui mangeait les joues de mon vis à vis, s'étirèrent pour former un sourire. Il ne parla pas mais relevait le regard, comme s'il m'avait envoyé une bonne surprise. De fait, un instant plus tard, on toqua à la porte, juste derrière moi. Je fis rentrer la créature qui m'importunait, a priori cette fois-ci dans mon propre monde, et non sur mon écran d'ordi.
_ Monsieur Klein ?
J'acquiesçai. 
C'est au moment où la créature pénétrait dans mon appart' pour s'asseoir sur un de mes divans, dans mon propre salon et avant même que je lui en eus donné la permission, que je la reconnus : une des playmates que les ados matent sur les revues masturbatoires censées vendre des articles, dont la lingerie féminine, au beau milieu de ces revues généralement, enfin tous les ados savent ça. J'ai conservé une certaine immaturité malgré mon âge. Je bosse la semaine dans un immeuble de bureaux semblable à une tour d'ivoire, et je l'avoue, il m'arrive d'être attiré par les mannequins, les filles en déshabillé diaphane qu'on ne voit jamais marcher dans la rue, sauf éventuellement le lundi matin en se rendant, l'esprit morose, au travail, entre deux rames de métro qui partent avec elle sous vos yeux. Insaisissable, fantasme courant quand on est un homme célibataire. 
_ J'ai très envie de vous, fit la fille -une exquise chevelure brune, magnifique.
Je ressentis une sensation malgré moi dans mon bas-ventre, alors même que mon corps était immobile, l'esprit en apnée.
Puis un son irritant, provenant de mon écran posé sur ma table de salon. Le vieux bonhomme, encore lui.
_ Vous saisissez ? Dit-il. Je peux faire venir dans votre appartement toutes les vénus que compte votre monde virtuel, en seul échange d'une enveloppe charnelle dans laquelle télécharger mon esprit. Vu l'avancement de votre technologie, c'est facile pour vous.
En l'an 2070, bien des choses sont possibles, me direz-vous. Cependant, je n'escomptais pas obéir à une image que je ne percevais qu'en deux dimensions, une séquence analogue aux publicités interrompant les films que regardaient les gens dès la fin du vingtième, et le début du vingt et unième siècle, une éternité en 2070. C'eut été comme si je me pendais pour obéir à une voix intérieure, et non comme si j'obéissais en m'appliquant à reproduire une bonne recette culinaire, par exemple.
Cependant, « mon » homme ne me lâchait pas. Une seconde après avoir éveillé ma libido, la déesse de beauté disparut, évaporée comme si elle n'avait été qu'une goutte d'eau.
_ Voila partie notre fée, vous croyez aux contes de fées, monsieur Klein ?
Il me vouvoyait de nouveau. Mais la fille était bel et bien partie. Et il savait que je l'avais vue, elle ne faisait donc pas partie uniquement de mon imagination. L'homme contrôlait dans une certaine mesure ce que je voyais. Pour une image en deux dimensions c'était une prouesse. Il existe bien des logiciels capables d'empathie avec les utilisateurs d'ordinateurs, mais pas à ce point. 
Une minute plus tard, mon voisin du dessus -j'habite en immeuble- tapa du pied, puis de manière de plus en plus sonore avec quelque chose de lourd sur son plancher -mon plafond- et cria à pleins poumons :
_ TU VAS FAIRE CE QU'IL DIT, OUI , OU JE DESCENDS TE BOTTER LE CUL ???!
J'avais reconnu la voix de mon voisin. Un type maigre qui faisait un métier comparable au mien -analyste dans une autre tour d'ivoire, qui faisait face à mon propre bureau dans le centre-ville- et nous ne nous connaissions guère que de visu, sans plus, et je ne l'aurais jamais cru capable d'un langage aussi cru et direct.
_ Que...
L'image du bonhomme sur mon PC demeurait stoïque.
_ Je n'ai rien dit.
Je le regardais, éberlué, incapable de faire abstraction de ce qui venait de se produire.
Le calme avec mon voisin revint, mais tout à coup j'étais convaincu de deux choses : Dieu n'était pas seul à savoir faire se manifester des phénomènes paranormaux, et mon interlocuteur -bel et bien réel- était à mi-chemin allègre entre Dieu et Diable...
Quinze minutes plus tard, je faisais en sorte qu'il nous rejoigne. 

Dans notre monde, celui dans lequel j'écris actuellement ces lignes, avec un bon vieux stylo, terrifié et ne sachant dorénavant que faire d'autre de mieux.
J'avais craint d'ouvrir la boite de Pandore. Ce fut bien pire.
L'enveloppe charnelle que je lui offris était un clone de moi-même, quand j'étais ado, que mes parents m'avaient offert quand j'avais quinze ans et dans lequel, en fait, je n'avais jamais rien téléchargé, le conservant malgré tout, m'imaginant toujours qu'un beau jour je réussirais peut-être à l'envoyer au boulot et régler les factures à ma place. Pas vraiment l'usage habituel des clones, que l'on offre à ses proches avec des visées bienveillantes : se parler tout seul pour tuer le temps, ou bien faire la cuisine, passer le balai, ce genre d'agréments. Les clones bien qu'organiques ne disposent pas vraiment de libre-arbitre en 2070. Ce ne sont que des clones, sortes d'automates améliorés.
Grâce à lui, c'était comme si j'avais donné naissance à un nouvel être. D'ailleurs, il ne s'en était guère voilé :
_ Ensuite, je partirai dans ton monde avec ma propre quête, et il te sera loisible de te rendre sur toutes les îles paradisiaques peuplées de filles exotiques qu'il te plaira.
Je n'arrive toujours toujours pas à m'expliciter si le bâton ou la carotte me motivèrent davantage... Toujours est-il qu'une fois passé dans « notre » dimension, le bougre me tutoya comme il semblait capable de tutoyer tout le monde. Puis devint hors de contrôle. Les yeux écarquillés, je regardai mon clone s'animer, s'agiter, m'adresser un clin d'oeil, faire trois pas... et enfin disparaître de ma vue.
Pour cela, il ne lui avait même pas été nécessaire de composer le code d'ouverture requis pour l'ouverture de ma porte d'entrée. Comme si l'ingénierie de mon appartement ne contenait aucun secret. Je me précipitai à ma fenêtre et regardai dans la rue. 
L'appréhension, à ce stade, me tenaillait déjà. Qu'avais-je fait ?
De mémoire, on n'avait encore jamais entendu parler d'un acte comme celui-ci, des êtres initialement en deux dimensions sur des écrans n'avaient jamais pu par la suite fouler le monde dit normal. Et ce visiteur, je m'en avisai après coup, ne m'avait même pas décliné un nom. 

Beaucoup plus tard, à vrai dire une semaine après cette entrée pour le moins spectaculaire, je fis une nouvelle rencontre.
Cela se passait dans un snack dans lequel j'optais généralement pour un repas rapide entre 12h et 13h avant de réintégrer les murs lambrissés de mon lieu de travail. L'individu s'assit en face de moi et me considéra. Je ne vis rien sur ses traits d'identique à mon clone disparu. Ce-dernier était sorti de ma vie comme un souvenir trop ancien de la mémoire.
_ Les filles exotiques ne vous ont pas fait envie ?
Sincère questionnement, apparemment, que celui de mon nouvel interlocuteur -ou récidive d'un délire de ma part, une légère angoisse crispa mes traits. Il dut s'en apercevoir -après être repassé au vouvoiement, comme au tout début de cette histoire.
_ Venez donc avec moi, accompagnez moi en un endroit au bout du monde. Ce n'est pas compliqué, je vous guiderai, en outre vous constaterez, une fois arrivés là-bas, que nous avons chacun tout autant besoin de l'autre.
_ Je dois travailler.
Quelle excuse pitoyable. La matinée ne s'était pas bien passée. Engueulade par mon supérieur hiérarchique devant la machine à café à l'heure du thé, impossible de retrouver, au fond d'un des tiroirs sertissant ce qui me servait de bureau -de plan de travail plutôt- des agrafes qui eussent été utiles, et mille autres ennuis... pour me faire kidnapper de mon plein gré à la pause midi, ne serait-ce que pour échapper à tout cela, sans doute, mais quelle existence pitoyable. 
Une sirène retentit.
J'eus l'impression que cela, dans le lointain, hurlait, comme un être humain : BOUUUUUU ! Et par intermittence. BOUUUUUU ! BOUUUUUU ! La sirène des alarmes incendie ou autres catastrophes qu'on n'entendait jamais généralement.
Je me redressai sur mon siège.
_ Que se passe t-il.
Il me décrivit la réponse, que l'on pouvait d'ailleurs observer de l'autre côté du trottoir, par delà la baie vitrée du snack.
_ Une évacuation des bâtiments. Par tout le monde, du P.D.G jusqu'au plus modeste employé, en passant par les commerçants du coin. 
La voix de mon vis à vis était devenue un peu plus claire, comme s'il jubilait d'une manière irrépressible, malgré lui. Ainsi, les petits miracles qu'il était capable d'accomplir étaient tout de même capables de l'impressionner lui-même, notai-je à part moi. 
Les choses s'étaient enchaînées au point que je ne doutais du lien de cause à effet entre les paroles de mon voisin de table et la scène théâtrale du dehors. Les choses s'amplifièrent lorsqu'un autre son se fit entendre. Cela faisait : TCHAC TCHAC TCHAC.... Et je ne pouvais comparer avec une référence connue dans mon for intérieur. Cette fois-ci, la chose nous fit lever la tête -enfin, surtout moi. Pour contempler un insecte gigantesque en approche, en vol stable surplombant la foule, tel un cow-boy en imposant à un troupeau de bisons. Il s'agissait d'un hélicoptère aux flancs sobres, sans logo, sans explication évidente de sa présence.
_ Venez ! Lâcha l'homme avant de se lever et m'entraîner presque brutalement avec lui. Je ne pus que laisser tomber mon moignon de sandwich -j'avais faim, dommage. Puis nous courbâmes l'échine à cause du vent soulevé, traversâmes la rue et nous orientâmes de manière à nous situer exactement sous le ventre de l'appareil volant. Lequel, alors, pour nous récompenser de lui avoir ménagé de la place -tout en bas- entama une manœuvre compliquée d'atterrissage urbain qui aurait pu me couper le souffle. Je m'attendais à moitié à la descente d'un quelconque commando de GI s nous exhortant à exécuter certains mouvements sous la direction de la baguette d'orchestre de leurs fusils mitrailleurs, tout en me répétant en moi-même sans cesse : cet hélico n'est pas là pour moi, cet hélico n'est pas à moi... 
Et puis qu'était devenu au juste mon clone prêté obligeamment quelques jours plus tôt, à l'entité qui avait, depuis, progressé dans l'invasion de notre univers ?

Car je ne doutais plus de son caractère invasif, maintenant.
_ N'appelez pas lâchement au secours, me prévint mon ravisseur -que je n'avais pas vu se sangler au siège de l'hélico, à quoi il avait pourtant visiblement avec efficacité procédé.
Il ajoutait donc la lecture de pensée à ses talents. Si je n'avais angoissé en m'empêtrant avec ma propre sangle impossible à attacher, j'aurais pu rassembler le courage de le foudroyer avec mon regard à cet instant-là...
Je m'agitais, comme pris dans une toile d'araignée, quand je réalisai, d'une que l'hélico ne décollait « sans » moi, d'autre part que, de toute façon, aucun pilote ne se trouvait aux commandes.
Si je m'étais trouvé dans un cauchemar, je me serais sans nul doute efforcé de fermer les yeux, les serrant très fort, jusqu'à l'évanouissement des images pour passer au rêve suivant...Ce que je faisais souvent, en de tels cas, mais n'était possible cette fois puisque ce coup-ci, c'était réel. Plus que réel, même : les doigts avec lesquels je m'escrimais contre la sangle me faisaient mal. A côté de moi, l'homme forma un rictus avec ses lèvres -et ses joues n'étaient plus mangées, comme le jour de son apparition dans ma vie, par une barbe de quatre jours, il s'était donc rasé, sans doute pour pouvoir mieux se fondre dans la masse, me dis-je stupidement, ce qui confortait son statut d'envahisseur.
_ Je m'appelle Kurt, déclara t-il tout à trac. Dans ce monde, mon patronyme n'a pas d'importance. Vous pouvez m'appeler comme ça.
Comme sous l'effet d'un claquement de doigts, les portes de l'appareil se refermèrent, et la sangle -ma sangle- s'enroula, à l'instar d'un boa constrictor, de manière autonome autour des parties idoines de mon corps. Les choses s'accélérèrent, un peu comme dans un tour de magie, et je m'aperçus que nous avions décollés. Même sans pilote aux commandes.
_ Ramenez-moi chez moi, exigeai-je.
_ Tssss.
L'autre passager -avec moi- de l'hélico se détourna en contemplant les hublots, haussant presque imperceptiblement les épaules. Dédaignant superbement ce que j'avais voulu être un ordre.
En contrebas défilèrent les toits des infrastructures civilisées. L'on aurait dit autant de courts de tennis, ou morceaux emboîtés d'un immense puzzle. Je ne possédais, comme références, que les images aériennes de la Ville diffusées parfois sur mon ordinateur -ces machines, en 2070, ont définitivement supplanté les écrans de télé, ainsi que foultitude d'autres appareils aux fonctionnalités variées. Mais là il ne s'agissait point d'une interface artificielle ; si j'avais tendu le doigt à l'extérieur de l'hélico, par exemple, uniquement la taille de mon doigt aurait empêché que je puisse toucher chaque chose. Le ciel au-dessus du tapis des toits des immeubles et autres bâtiments me paraissait assez dégagé pour, qu'en fait, je me sente privilégié ; une autre météo ne m'aurait permis un tel panorama. Je m'étais toujours plus ou moins dit que le monde technologique n'était qu'une entropie, née du hasard et Dieu seul savait dans quel but. Mais, en fait, vues d'en haut, les choses détenaient tout de même pas mal de points communs entre elles, un peu comme si le génie humain était un seul fruit, dont les époques ne marquaient que l'évolution de la maturité. Pour autant, j'en dévorais la vue, telle une part de tarte aux pommes, ne serait-ce que pour ma culture perso, tâchant de fixer chaque image dans l'album de mon esprit. Et ce, malgré le stress général de la situation.
_ Ceci est -ou plutôt était initialement- un jeu vidéo, m'apprit mon guide.Avant l'invasion et, pour finir, la prise de contrôle par ce que vous appelleriez, dans votre monde, un virus informatique.
A propos d'invasion...
Le bonhomme s'était tourné vers moi -désormais, je le baptisais, dans mon quant à moi, mon guide. Il me regardait avec intensité, ainsi que si je représentais pour lui un espoir. Ce que, pour l'instant, je me montrais incapable de concevoir.
_ Le logiciel qui pilote le jeu est mon invention, En fait, c'est une commande, et si le produit n'est pas satisfaisant, j'ai gros à perdre. Tout au moins, j'aurais à perdre... si vous n'existiez pas.
_ Qu'avez-vous fait de mon clone ? L'interrompis-je. Comment je fais pour le récupérer ? 
Là dessus, sa réaction me surprit, mais à moitié seulement compte tenu l'immensité de mon ignorance. Il se mit à rire.

De ce que je compris qu'il m'expliqua, j'avais un destin. Une destinée, précisa t-il en insistant. En effet, selon lui, ce monde, comme tout bon programme informatique qui se respecte, prévoyait l'animation d'un certain nombre de personnages, certains (la plupart) secondaires, et d'autres primordiaux. Parmi les protagonistes essentiels, un petit nombre étaient prévus pour être les avatars des joueurs, lesquels pouvaient prendre le contrôle tantôt en restant passifs -comme de simples observateurs- tantôt en se téléchargeant -une partie d'eux, leur esprit conscient de joueurs- dans ces héros conçus comme des interfaces charnelles. Ainsi, cela augmentait leurs sensations, les dépaysait (les divertissait, souligna t-il), et grosso modo constituait d'ailleurs tout l'intérêt, la valeur ajoutée du programme qu'il avait mis au point.
_ Mieux que tout ce qui s'est fait jusqu'ici en la matière ; vivez en direct les aventures de vos héros, prenez leur place, frissons garantis.
En moi-même, je ne pouvais m'empêcher de savourer le mot héros. Une part de moi, sans doute, se sentait flattée, mais d'un autre côté, je redoutais que les paroles de l'homme ne m'aient en fait plongé dans une sorte d'état d'hypnose. 
Ou bien, je craignais aussi qu'il n'ait raison, et que mes réactions soient les conséquences de mon programme. Après tout, selon les savants -les nôtres-, nous sommes programmés biologiquement d'une façon comparable : notre ADN. 
_ J'aurais pu m'incarner à votre place, c'est ce que j'avais escompté à l'origine : pour cela, je vous avais conçu avec des spécificités particulières. Maintenant, à cause du virus informatique, des bugs sont apparus, nombreux. Ce sont des dysfonctionnements du programme normal, que j'aurais pu corriger, seulement un diagnostic pointu a révélé en réalité un virus informatique. Mon invention a été piratée. J'aurais dû m'y attendre.
Il marqua une pause, soupira, puis reprit :
_ Donc, impossible de « fusionner » avec les personnages du jeu. Sauf, bien sûr, si l'on ne désire pas de billet retour.
Là, il éclata franchement de rire. A mes oreilles, cela sonnait faux, comme le rire d'un satyre. 
_ Cependant, je ne désespère pas de rentrer chez moi. En un sens, nous partageons le même vœu, seulement le mien compte vraiment, tandis que vous êtes vraiment à votre place. Le protocole grâce auquel j'ai pu intervenir dans ce monde, en personne, est complexe, mais était requis et avait méticuleusement été anticipé par mes soins vigilants. « Après moi, le déluge », dit l'expression, mais je ne pouvais permettre cela ; en réalité : « Après moi, tout redevient normal, et je regagne mes pénates ». 
J'opinai, même si je ne pensais pas tout comprendre. Il m'eût simplement dit qu'il désirait une image anonyme dans laquelle se fondre, c'est à dire dépourvue de la barbe qui lui mangeait les joues ce qui m'avait surpris d'emblée quand il était apparu, afin de ressembler aux gens normaux (ceux de mon monde, évidemment, où avais-je la tête)... Mais, dans mon monde, nous recensons également des individus porteurs de maladies mentales. Nous possédons des psychiatres, des docteurs spécialisés qui confirment bel et bien que la norme sociale existe, même si en philosophie, une autre branche de notre savoir, la chose est encore discutée. Qu'est-ce que la norme ? Qui la fait ? Quelle est son origine, à supposé qu'elle soit née en même temps que le monde lui-même. Bref...
_ A la base, reprit mon interlocuteur en redevenant sérieux, ce jeu devait se dérouler suivant mes prévisions, et non ainsi qu'il vous apparaît : un univers stable, limite statique, dans lequel vous n'avez rien à espérer en contrepartie d'une vie qui vous apparaîtra, au bout d'un moment si ce n'est déjà le cas, comme une galère, une monotonie de vie sans le moindre intérêt à l'issue de laquelle, probablement, vous mourez, de manière tout aussi insignifiante que vous avez vécu.
L'engueulade de la matinée par mon supérieur hiérarchique devant la machine à café et devant tous mes autres collègues, me cuisait encore. J'eus donc du mal à conceptualiser le côté insignifiant de la chose, même si, de plus en plus, mon esprit était attiré vers ce que mes oreilles entendaient, ainsi que des fidèles doivent s'approprier les paroles d'un gourou.
_ Lorsque je partirai, en principe les choses devront s'être redressées, et tout votre être redevenu une marionnette à la disposition des commandes que je détiens, et j'en profiterai pour jouer une partie « en immersion ». Ce jeu est conçu pour ça. S'immerger dans les pixels, comme s'il ne s'agissait plus de pixels, plus d'une simple illusion. Il se passera enfin quelque chose dans ce monde qui n'avait pas été pensé, conçu, afin que votre civilisation s'étende, finisse par se développer... et d'ailleurs jusqu'où ? A mon avis, en 2070, votre génie technologique a déjà rencontré ses limites. Vous ne progresserez pas plus. C'est mon avis, et c'est pourquoi je stoppe là l'expérience ; en effet, mes étudiants auraient sans doute bien aimé continuer de vous observer, voir si vous pouviez surpasser notre monde, voire acquérir la fameuse conscience de vous-mêmes..
_ Je pense, donc je suis, le coupai-je en me surprenant, par la même occasion.
Mon aplomb m'étonna, mais après tout je ne croyais pas à ce qu'il me disait, je ne voulais pas croire ce qu'il racontait. C'était trop perturbant, ou bien alors, pas assez insolite, comme l'eût été un enlèvement, par exemple, par les gens de la NASA, quelque chose qui, là, aurait pu en effet me faire me sentir un héros. Tandis que le délire de mon compagnon -et non le mien, me disais-je simultanément, comme pour me rassurer- était sadique, même s'il ne souhaitait sans doute se montrer vexant, il l'était toutefois, et rien ne pouvait me permettre de déterminer l'étendue de son sang-froid lorsqu'il déroulait ses propos. De cette étendue aurait pu dépendre un certain degré de crédibilité. Compte tenu que même les psychopathes... eh bien sont crédibles, que nous le voulions ou non. 
Uniquement les parois, palpables, de notre hélico qui continuait imperturbablement de battre des ailes pendant ce temps, apportaient une consistance, assez effroyable, à une histoire que j'aurais estimée saugrenue.
_ Nous nous rendons au bout du monde, dit l'homme. Quand je dis au bout du monde, ce n'est pas vain. En effet, ce monde virtuel s'arrête vraiment où nous allons. A l'endroit où j'ai entreposé tout un tas de trucs d'informaticien. Vous en apercevrez une partie, mais l'essentiel vous sera inaccessible : c'est moi qui tire les ficelles. Par contre, je ne m'en irai sans vous avoir un peu altéré. Légèrement, que diable, mais toutefois assez pour que vous ne soyez plus jamais le même. Pour permettre à l'histoire de continuer, je vais ainsi devoir sacrifier votre personne -enfin, votre personnage- qui continuera d'exister mais ne pourra plus interagir comme auparavant. C'était le prix à payer, ce virus informatique était vraiment machiavélique, mais dans quelques années j'aurai très probablement trouvé le moyen de reprendre totalement mon travail, ainsi je ne vous sacrifie que provisoirement...
Sa dernière phrase avait résonné à la manière de l'octroi d'un lot de consolation...
J'en avais presque oublié l'hélico.
Celui-ci se manifesta à ma conscience de nouveau et ce de plusieurs manières. A travers ses vitres, le paysage ne défilait plus ; en outre, même le bruit incessant de ses pales n'était plus tout à fait le même. Nous nous apprêtions, en fait, à atterrir, en faisant du surplace.
L'extérieur contrastait violemment avec l'intérieur. Pour commencer, nous n'étions plus seuls à pouvoir voler. Autour de nous, des choses ailées faisaient de même. Il s'agissait de créatures vivantes, et c'est cela qui retenait mon attention.
En effet, il s'agissait de ce que j'identifiai spontanément comme étant des ptérodactyles, ces oiseaux préhistoriques dont les membranes constituant les ailes évoquaient de gigantesques cerf-volants-chacune. Et dont le bec immense dépassait largement la taille de votre bras. Ces créatures étaient indubitablement vivantes, à moins qu'il ne s'agît d'automates -avec le discours de Kurt, je ne savais plus très bien. La certitude résidait dans le fait qu'en apparence il avait tenu ses paroles. Comme toujours, en réalité il me vint à l'esprit que je n'avais jamais réussi à le prendre en défaut ; tout ce qu'il avait dit s'était produit ou se produisait. Il était réellement le chef d'orchestre.
Soudain, l'une de ces bestioles -elles étaient moins d'une dizaine autour de nous, mais plusieurs- poussa un cri aigu à la limite de l'insupportable ; machinalement, je me bouchai les oreilles.
Simultanément, mes yeux s'arrondirent. En effet, juste devant nous, s'ouvrait la gueule béante d'autre chose -un volcan, à première vue, mais calme, sans lave. Pourquoi voudrais-je de la lave, me demandai-je idiotement. Au-dessus du cratère, nul nuage, pas de cendres, en revanche un phénomène curieux : comme si l'air tremblait, à la façon dont cela se passe quand on marche trop longtemps dans un désert de sable. Paradoxalement, mes sens ne détectaient aucune variation au niveau de la température.
_ Un décorum préhistorique, fit Kurt, non sans une apparente satisfaction. Cela a du sens, même si pour vous il s'agit surtout d'une étrangeté, tout au moins pour l'instant. Attendez que ces êtres entrent en guerre avec l'humanité.
Quoi ? Quelle guerre ? Je sursautai, sans exprimer à haute voix ce qui me faisait subitement réagir.
_ Oui, confirma Kurt en me surveillant du coin de l'oeil. Il ne s'agit pas vraiment d'une reconstitution historique -genre, l'histoire de la vie sur notre planète, du dinosaure à l'homme. Bien sûr, j'avais conçu un jeu martial. Pour divertir les joueurs, vous comprenez. 
Je ne comprenais pas. Sauf que Dieu était peut-être descendu de son royaume, tout exprès pour moi, et juste dans le seul but de m'expliquer la raison pour laquelle il déclenchait la fin du monde...
L'une des ailes d'un ptérodactyle frôla plus que dangereusement notre hélicoptère.
_ Nous allons maintenant atterrir, dit Kurt. Juste au centre de ce volcan que vous apercevez. Là où nous ne courrons aucun danger, puisque c'est ma base d'organisation. Mon « panneau d'administration » diriez-vous également.
_ Je suis terrifié...
En effet. J'avais enfin identifié ce qui m'inondait les terminaisons nerveuses depuis.... depuis le snack, dans une autre galaxie, où je n'avais pas achevé mon dernier repas. La peur. Bien évidemment que j'avais peur. Mais d'une angoisse perfide, qui ne m'avait envahi que lentement, progressivement, tant que l'origine de celle-ci n'était pas encore claire. 
_ La seule chose qui me retient de vous prendre pour un cinglé...
_ Oui ? Rétorqua automatiquement mon compagnon. Vous désirez sans doute ajouter quelque chose. Attention, je pourrais interpréter ce que vous allez dire et vous en offrir le reflet. D'un simple claquement de doigt ; votre réalité est pour moi malléable comme de la pâte à modeler. J'en fais à vrai dire ce que je veux.
Il marqua une hésitation.
_ Enfin, non, pour être exact, sauf ici. Précisément ; puisque nous nous situons presque à la frontière entre votre monde et le mien.
_ La frontière, complétai-je sans réaliser complètement que je parlais et dialoguais avec ce dément, était sur mon écran d'ordi alors que vous n'étiez qu'une image. Vous m'avez dès lors ensorcelé et toute la suite, si cela m'échappe, n'en fait pas pour autant quelque chose de plus réel. Je ne me laisserai pas longtemps berner par vos hallucinations...
Ce fut alors comme si j'avais proféré un gros mot.
_ Une hallucination, dis-tu ? (retour au tutoiement, comme s'il ne me trouvait plus digne du moindre respect). Mais c'est ce que tu es pour moi, rien de plus. C'est logique, puisque tu vas me servir autrement. Mon dessein coule de source, il s'agit de maintenir la cohésion de ce fichu jeu, dans son ensemble, par le biais d'une sorte de cheval de Troie que je contrôle. Tu n'es que ça, un outil, pour moi, et après tout peut-être que ton scepticisme est logique, puisque après tout je t'ai créé un peu à mon image. Un tout petit peu.
Je me demandais seulement, à ce stade, comment l'hélicoptère allait bien pouvoir atterrir sans le moindre pilote apparent aux commandes. J'aurais dû me rappeler la manière dont il nous avait réceptionnés, du temps auparavant, quand je ne faisais pas encore attention au pilote. Quand l'hélicoptère m'avait seulement impressionné par sa masse.
Maintenant, sa masse était largement concurrencée. Les ptérodactyles autour de nous, même s'ils faisaient mine de nous effleurer, mais sans ostensiblement prêter attention à nous, comme si nous n'étions même pas des puces dans leur pelage -pardon, leur plumage-, étaient impossibles à ignorer, quoique nous fussions dans un jeu vidéo, un monde virtuel, comme disait Kurt.
Le long cri aigu de la créature était repris en écho par ses congénères, qui le modulaient à l'envi, descendant à chaque gosier plus profondément dans l'aigu et donnant l'impression que le cri déchirait l'espace, comme s'il ne s'était agi que d'un tissu dont ils formaient les motifs bigarrés.
_ Cet endroit ne porte pas de nom, m'informa Kurt. Appelons-le la jungle. Comme la jungle primitive, même dans mon monde, qui a donné naissance à l'humanité. Après tout, je ne me prends pas pour Dieu lui-même. Je ne suis que le démiurge d'un seul monde. Pour être exact, celui-ci.
Et il repartit dans un grand éclat de rire, ainsi que s'il s'agissait là de son euphorie habituelle, voire même comme si la tension, en fait, était à la source réelle de cette hilarité fausse. Authentique ou pas, son rire ne me faisait plus plaisir. En effet, j'avais au moins pris conscience que je ne partageais pas son sort. Aussi, sa satisfaction, quelle qu'elle pusse être, ne pouvait coïncider avec la mienne. Nous étions, l'un de l'autre, à des années-lumière.

Suite à l'atterrissage -souple, sans heurts, et même presque irréel : les pales cessèrent d'émettre leur ronronnement sans la moindre transition, comme si la force qui les avait animées n'était pas mécanique, mais électronique-, suite donc à cet atterrissage, nous sautâmes de l'hélico, pas un merci au pilote de toute façon invisible, ou inexistant, et mon drôle de comparse se dirigea automatiquement vers un endroit précis. Tandis que moi, les bras ballants, je m'efforçais d'interpréter tout ce que je voyais.
Tout autour de moi, les parois du volcan ne présentaient rien de rocheux, d'où je déduisis sa nature non naturelle. Au contraire, c'était fait d'un matériau, même si je ne parvenais à identifier ce-dernier : une sorte de métal. Par défaut, tout ce que je contemplais était catégorisé par mon esprit comme du « métal », quand il ne s'agissait pas à toute première vue d'un plastique. Je ne suis pas physicien. Mais surtout, il y avait des écrans. Un peu à la manière de jours dans un mur, sauf que les images auxquelles on avait par ce biais accès n'étaient le jardin des voisins... D'ailleurs, la plupart des écrans n'arboraient pas d'images. Pour l'heure, c'était sobre, presque monochrome. Déprimant, comme l'intérieur de la tour de contrôle d'un aéroport. 
_ Où sommes-nous ?
_ J'ai déjà répondu à cette question.
Sa vive réplique à ma question montrait que je n'étais pas sorti du champ de sa conscience. Il actionna manifestement des mécanismes. Des colonnes de chiffres passèrent sous mes yeux, sur la paroi, auxquels je ne compris rien.
_ Maintenant, poursuivit celui qui s'était complu à s'identifier comme le démiurge de tout cela, je vais rédiger un tout nouveau programme, ensuite je ne te désintégrerai pas, comme j'avais projeté, mais te modifierai en sorte que tu resteras à demeure ici. Jusqu'à ce que je revienne, après mon départ.
Je m'enquis s'il était sérieux.
_ Eh bien quoi, tu as snobé mes propositions initiales, de prendre toutes les filles que tu voulais. Je suis bienveillant, même là je peux tout de même te concevoir une compagne, si tu le désires. Ma compassion pour toi provient de ce que je t'ai conçu comme mon alter ego. Aucun autre joueur ne pourra s'incarner dans ton corps, ils ignoreront même que tu existes. Seul le virus saura. Evidemment.
Telle une ponctuation à ses propos, une ombre se déploya sur le sol, à nos pieds, projetée par le volume volant d'un ptérodactyle qui nous survola tout en poussant son cri aigu. 
_ Ces oiseaux peuvent-ils pénétrer jusqu'ici ?
_ Normalement, non. D'ailleurs, même sans parler de leur nature numérique, il ne s'agirait pas à proprement parler d'oiseaux. Pas mes contemporains, ni les tiens, en tout cas. Je les ai conçus en tant que gardiens de cet endroit. Et aussi pour l'esthétique du décor, je l'avoue.
Je comprenais enfin le sens de toutes ces choses, tous ces événements... : je me tenais en compagnie de ce que les auteurs nomment un Savant fou. Le genre de savant dont le savoir n'est guère rassurant pour ses compagnons, un stéréotype classique d'un bon paquet de films de série B...
_ Je vais maintenant t'implanter la nano technologie. Tu ne sentiras rien, même pas la piqûre de l'aiguille. C'est l'unique moyen...
Il se concentrait devant des tablettes murales ressemblant à des claviers. Il se parlait tout seul, comme si je n'étais qu'un clone. Le sien, bien évidemment. Sa voix ne contenait aucune menace, rien de ce genre.
Un vortex apparut dans un son qui ressembla à : BROOOOOUUUUUFFF ! Et donna à la paroi « métallique » un aspect de profondeur, comme un entonnoir inversé. Au centre de la figure géométrique s'ouvrit ce qui parut un chemin. De fait, « mon » savant fou se focalisait sur cette sorte de sentier, et toute son attitude indiquait qu'il prévoyait de s'en aller, tourner les talons à l'intérieur du volcan pour résolument marcher dans cette direction inconnue.
_ Tu ne sentiras rien, répéta t-il.
En disant cela, presque négligemment, sa main au bout de laquelle il tenait un objet désignait l'emplacement où je me trouvais. Il jetait un regard presque à la dérobée vers la cible de sa concentration, une colonne de chiffres et de lettres évoquant vaguement, pour moi, effectivement une espèce de programme informatique, tel qu'on les écrivait en 2070 y compris dans le monde où j'avais toujours vécu.
_ Que faites-vous ? M'exclamai-je.
_ Taratata que de questions, comme un écolier, me tarabusta t-il.
_ Je ne vous laisserai pas...
Il se tourna vers moi brusquement, d'un seul coup, l'aiguille à la base de laquelle je reconnus une seringue, brandie à la façon d'un poignard.
_ Tu te trompes d'ennemi, dit-il. Le vrai, c'est ce monstre de virus qui empêche la réalisation de mes plans. Toutes les lignes du programme qui font ton monde ne convergent sans cela que dans cet objectif : la guerre entre les créatures humaines et les créatures de la même espèce que les ptérodactyles que tu peux voir au-dessus de nos têtes. Avant de t'abandonner, je vais tout de même te révéler le nom de baptême de ce jeu : je l'ai nommé, « La fin des temps ». Un scénario classique pour un programme de mon invention. Cependant, de retour dans mon laboratoire, je vais sans doute modifier ce titre. Trop stéréotypé. As-tu des idées à mes suggérer ?
Cette question, comme s'il était sincère, sérieux comme un pape. Je ne réfléchis même pas pour trouver une réponse. Mes gestes vinrent tout seuls, sans doute pas programmés, eux. Je balançai mon pied à hauteur du poignet de mon ravisseur, fit voltiger en l'air la seringue. Laquelle contenait un produit doré, comme du miel, et scintilla brièvement, dans un éclair de luminosité.
Ensuite, je portai un coup dans son torse, en me découvrant une pugnacité non soupçonnée jusqu'alors. Miraculeusement, mes coups portaient. L'homme, le savant fou, Kurt basculait dans les cordes du ring. Je prenais le dessus. Il ne tentait, en fait, même pas de se défendre. Alors je me penchai, ramassai au sol ce qui ressemblait à un caillou de bonne taille. Ma main soupesa la pierre, ma peau apprécia une texture qui me parut solide, fiable, avant que je m'en serve comme projectile.
Enfin, j'écrabouillai, avec, le visage du deuxième occupant du cratère, à côté de moi.
Dans un gargouillis et une perle de sang qui jaillit entre ses lèvres, il s'effondra et je le crus mort. Je réalisai que je venais de tuer un homme. Un semblable.
Pour m'assurer qu'il ne vivait plus, je tâtai son pouls. Aucun battement cardiaque, plus rien. Bel et bien mort.
Alors, encore frissonnant, je me redressai et tournai la tête en tous sens. J'essayais de discerner une sortie, n'importe quoi afin de m'échapper.
En réalité, la seule « sortie » acceptable paraissait être le vortex qu'il avait ouvert, et qui baillait toujours, à la façon d'un phare en mer.
J'aurais pu me jeter là dedans. Corps et âme et à Dieu va. Que cela ferait-il si je prenais la place de mon créateur, dans son monde, comme il m'avait exposé qu'il calculait pour moi.

En fait, je ne me convainquis jamais que c'était possible. Je suis probablement un faible, un lâche. Des jours ont passé, je les ai comptés grâce à des choses que j'ai trouvées ; un bout de papier, et un stylo. J'entends au-dehors les cris des ptérodactyles, et quelquefois le sol tremble, comme si le volcan souhaite entrer en éruption. Je redoute cela, quoique pas autant que les propos tenus par mon bourreau, quand il était vivant, notamment à propos du virus. Puisque le créateur de ce monde est décédé, et qu'il ne reste donc plus qu'une seule conscience capable de modifier substantiellement les choses de l'environnement qui m'entoure.... Que fera le virus, et dans combien de temps ? Que me reste t-il, en termes d'options et de choix ? Le virus va t-il pourvoir à la stabilité de cette planète, comme apparemment il l'a toujours fait, ou bien le professeur est-il venu à bout de ce qu'il désignait comme sa némésis , laquelle va donc laisser place au chaos programmé ? A quoi ressemblent les monstres, que dois-je personnellement en redouter ? 
Est ce que mes semblables, qui peuplent la seule civilisation de cette planète, sont vraiment des marionnettes qui se laisseront donc passivement faire lorsque sonnera le glas de la paix ? Quelle forme prendra la guerre ?
Toutes ces questions me hantent. Viscéralement terrifié, je tente malgré tout de lutter contre mon premier adversaire -la solitude- au moyen de ce papier stupide, et ce stylo a priori inoffensif.... 
Advienne que pourra.

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  • 1 mois après...
Invité narcejo
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Récit fantastico-thrilleresque-apocalyptique-merveilleux, un peu toussa

Le champ des signes.

Enquêter sur son propre décès n'est jamais chose aisée ; je vais tenter l'impossible : tenter de palper mon assassin, identifier la séquence de mon existence qui a entraîné cela.

Commençons par le début : Je m'appelle Angélus, et je hante Castle Lake depuis.... depuis des lustres, en fait, au point que je ne m'en souviens pas. C'est vous dire, je suis, j'ai l'impression, sorti du néant... littéralement. J'appartiens, depuis quelques années, à la Société des gens de plumes ; cela par contre revêt à mon mental une matérialité, une consistance solide, comme du roc. Les gens de plumes, ce sont ceux qui m'entourent, mes proches. Notre vie n'est pas soumise aux maladies, aux épidémies, ni aux guerres, nous avons échappé à la tyrannie de l'argent, au fléau du travail, de l'ennui, des dépressions, il n'y a plus de déprimés dans la société que nous avons bâtie. Patiemment, brique par brique, mais je vais vous expliquer.

Nous sommes divisés en castes. Mais c'est encore trop tôt pour vous le révéler.

Permettez-moi d'illustrer mes propos en vous présentant nos ancêtres : des noms chargés de prestige, de magie. Victor Hugo, Honoré de Balzac, Charles Baudelaire, François-René de Chateaubriand. Que de noms illustres, vous en conviendrez.

Mes proches, ainsi que je vous disais, sont rien de moins que : Lancelot, Gauvain, Perceval, Arthur, Genièvre, et j'en oublie. Moi je m'appelle Angélus, tout le monde m'appelle comme ça, c'est ainsi. Au sein de la Société des gens de plume, je ne suis qu'un Plumitif ; je m'explique : la Plume constitue notre outil, à la fois notre minimum de base et notre pierre angulaire. Une étape intermédiaire, serait que je devienne un jour.... Un écrit-vain ! Rien de moins. Mais cela encore n'achèverait pas mon cursus, car je suis ambitieux ; au-dessus de tout le monde existent ceux qui connaissent ce rare privilège d'être des.... auteurs. Ensemble, nous nous sommes extirpés des âges sombres, hantés par famine, rage, mal à l'âme.

Dès notre naissance, nous sommes triés et attribués à des écoles. Cela détermine notre existence individuelle et contribue à enrichir la société toute entière. Les uns seront sélectionnés afin de devenir des muses, d'autres encore seront des égéries, il n'y a pas de quoi rougir. Lorsqu'une muse vous est attribuée, en tant que Plumitif, vous pouvez démarrer dans la vie. Il vous faudra choisir vous-mêmes, dans le lot, une égérie à votre convenance. C'est pour cette égérie, et uniquement, que vous travaillerez. J'ai dit travailler, mais je retire tout de suite ce qualificatif. Pas vraiment approprié, en réalité nous nous livrons toute notre vie à ce qu'on pourrait baptiser une activité. Même les pages, une condition parmi les plus humbles de notre Société, ne se plaignent qu'épisodiquement, uniquement lorsqu'elles sont en proie à ce que nous appelons : les fautes d'orthographe. En effet, c'est une affliction qui semble toucher y compris les auteurs. « Des fautes de frappe » me corrigeait mon Professeur, lorsque j'étais apprenti. Cet euphémisme ne fait que décrire en les lénifiant quelque peu les symptômes dramatiques affectant les Pages en proie à cela. Tremblements, tâches sur tout le corps à la manière d'un eczéma. Le contenu de nos écrits n'est jamais en cause, par exemple, « la levrette » d'un auteur du passé -Pierre Louys- est adoré par un grand nombre d'égéries...

Revenons à nos moutons. Moi, Angélus, ai vu mon ambition foudroyée, brisée nette par un événement que je ne souhaiterais à aucun de mes rivaux.

Rivaux.. Comme Marivaux ! Il est temps que je vous touche un mot de nos mœurs. Entre nous, nous nous jalousons, les petits rats de l'Opéra d'une autre époque, vraiment antérieure à notre période contemporaine, connaissaient paraît-il des désaccords semblables. Nous sommes désormais en 2039, et ma foi cela fait visiblement partie des facteurs inchangeables de toutes les ères... Par analogie, le moment du rut, dans le règne animal, fait aussi des ravages. Le Talent, c'est un peu tout à la fois notre cheville ouvrière et notre talon d'Achille. « Une vieille carpette ! » tonnait mon Professeur. « Lavez-la et vous avez toutes les chances de constater que ça rapetisse, comme une peau de chagrin, mais si vous vous imaginez que votre Talent grandit, c'est qu'en réalité la vieille carpette est en train de pelucher, elle perd de sa cohérence, bientôt à force d'utilisation vous pourrez le remiser : plus qu'à achever tout ce que vous avez encore pu commencer, et puis vous résigner, abandonner ». Voila l'enjeu de bien de nos querelles. Bien que, les plus sages d'entre nous ne s'en mêlent point, en fait les querelles appartiennent plus au domaine des Plumitifs tels que moi. L' « excès d'ambition -ajoutait mon Professeur, un auteur lui- est comme l'excès d'alcool, l'on en perd de vue la vocation essentielle de la Société des gens de plume ».

Mon sage et vénérable professeur.... Comme je le vénérais !

En tant que Plumitif se prénommant Angélus, j'avais choisi pour égérie une créature pertinemment dénommée, pour sa part, Angela. Quant à mes muses, elles étaient bien entendu aussi nombreuses que celles d'un Plumitif peuvent l'être.

Je n'en manquais pas. De la même façon, Angela ne manquait pas de syllabes à déclamer au milieu des autres égéries. Que je lui prêtais, obligeamment, tout comme les écrits-vains, par rapport aux auteurs, forment une micro-société. Mes amis, Lancelot, Perceval, Arthur, Guenièvre, me complimentaient pour mon bon goût quand ils admiraient Angela. Formée à l'école des égéries, elle faisait honneur à mon style et ma verve. J'étais convaincu qu'au sein de la Société des gens de plumes, notre avenir était tout tracé. Comme je me leurrais !

Il est maintenant temps que je vous révèle comment nous avons bâti notre harmonie. La Société des gens de plume existe depuis que nos ancêtres, Victor Hugo, Honoré de Balzac, Charles Baudelaire, mais aussi... Emile Zola... nous ont quitté en nous léguant les Livres sacrés. C'étaient paroles fondatrices de notre religion.

Une Grande Guerre a saccagé notre planète vers l'an 2020-2025, ne laissant plus qu'une poignée de survivants. Nous savons que nos Pères fondateurs, auteurs, entre autres, des Misérables, des Fleurs du Mal, des Mémoires d'outre-tombe, ou de J'accuse, n'étaient pas en même temps sur la surface de la Terre que ceux qui l'ont dévastée. Avec l'arme nucléaire, notamment, mais toutefois en laissant nos vies, à nous, tout à coup seuls sur cette planète -comme un grand caillou lancé au hasard dans l'Espace. Vous le constatez, nous sommes cultivés. Nous n'ignorons rien de ce qu'avaient appris les anciens habitants, à propos de l'existence du Soleil, la lune, les étoiles, les autres planètes...

Nos ancêtres, ce sont ceux qui les premiers ont déchiffré les livres, témoignages de papier laissés. Grâce à eux -les ancêtres, les livres- a pris forme une société idéale régie par l'harmonie des rapports, le rôle de chacun dans le respect de tous. Notre communauté a peu à peu supplanté, remplacé celle qui s'était littéralement auto-détruite, dans une apogée de violences indescriptibles. La Société des gens de plume est née, puis s'est épanouie en évoluant jusqu'à l'aspect qu'elle présente aujourd'hui.

Les morts violentes ont pratiquement été éradiquées. J'ai évoqué plus haut nos rivalités, nos jalousies, nos egos malmenés. Que diable ! Il ne s'agit que de la vérité. Nos essences sont complexes, fascinantes, à l'instar de ceux qui plaçaient dans les églises et les religions la diction de leur ligne de conduite. Nous n'échappons, pas plus qu'eux, à la malédiction de nos gènes, c'est la vie, pourrait-on ainsi philosopher.

Sans vouloir jeter des fleurs sur notre civilisation, je ne puis cela dit que m'émerveiller de tout ce que nous avons accompli, qui ne dépareille pas avec les Auteurs du passé. Dans l'Histoire, avec une majuscule, de notre planète, j'estime que nous nous illustrons.

Castle Lake ne représente pas le pire endroit de la planète.

Une grande surface d'eau miroitante, satinée par les rayons obliques de l'astre solaire par les beaux après-midi du mois de mai, qui sont exquis. Il s'agit d'un lac, vous vous en doutiez. Une nappe aux pieds d'un château en pierres ouvragées, un endroit appelé Castle Lake est à la fois romantique en diable et incroyablement élégiaque. Vous n'imaginez les quantités d'histoires grivoises, entre égéries et muses, ce n'est là qu'un exemple que je vous soumets !

Ce que je n'imaginais, c'est qu'un pourtant beau matin, je me réveillerais. Est ce que cela vous fait la même chose, quand la réalité palpable, tangible qui vous entoure à l'ouverture de vos paupières, un matin, ne correspond plus du tout à ce que vous conservez à l'esprit. C'est arrivé à Castle Lake, cela peut arriver ailleurs.

Point d'Angela auprès des autres ce lever de soleil là. Je tentai du moins de retrouver Lancelot, ou bien Gauvain, voire Guenièvre.... mais en vain. Chaque fois que j'ai abordé l'un des êtres peuplant la surface de l'étang de Castle Lake, je me suis heurté à des interjections lapidaires. Je ne vous révèle pas pour l'instant le contenu desdites interjections, vous arriveriez trop vite sinon à la même conclusion que moi à cette marche du récit -puisque tout en racontant mon histoire, la nôtre, ceux de Castle Lake, et de toute la Terre, j'ai continué de réfléchir à ce qui m'est survenu.

Rappelez-vous : j'ai été assassiné. Moi, un Plumitif ! Membre éminent de la Société des gens de plumes.

Même maintenant, je conserve en moi les mots de mon Professeur : tu es né Plumitif, tu deviendras écrit-vain, tu seras célébré par les muses, enchanteras ton égérie et un jour, peut-être tu seras un Auteur. Les auteurs c'est le sommet de la pyramide sociale, grâce à leur vie paisible et tranquille tout Castle Lake et les environs flamboient.

Bien sûr, il y a des exceptions. Par exemple, comme vous le savez, les fautes d'orthographe assaillent très souvent des écrits, aux Pages qui se mettent à perdre la raison. Et je n'évoque point les Marque-pages, lorsqu'au lieu de marquer les pages, ils se collent à elles au point de les effacer !

Castle Lake est encore paisible. Je me suis rendu auprès de Guenièvre, et d'Arthur qui l'escorte généralement, mais je n'ai plus reconnu personne.

Lancelot et Gauvain volatilisés, ainsi que s'ils n'avaient constitué que des hallucinations.

J'ai donc conclu que j'avais été assassiné. Mon univers un peu avant moi, comme une partie essentielle de ce que je suis.

_ Angela ! Gauvain ! Ai-je appelé.

En réponse, des sons évoquant des cancans. Au-dessus du lac, le château demeure imperturbable. Ses meurtrières de l'époque médiévale sont intactes, ses douves et ses escaliers internes, encore virevoltants dans la roche dans laquelle ils ont été sculptés. L'herbe, entre le lac et le château, verte comme au mois de mai elle est de manière coutumière.

Je suis allé voir les écrits-vains. J'ai quêté quelque conseil. Je voulais m'assurer que les Livres existaient toujours. Qu'au moins mon monde me survivrait un tout petit peu.

Peine perdue !

Les très élégants êtres qui parcouraient jadis le lac, quand ils ne remontaient pas vers le château, fièrement, sous les vents d'avril ou de novembre. Ils ont comme subi le sort des marins dans l'Odyssée, quand ils se métamorphosent au gré des caprices de leur némésis.

Où sont passés mes semblables ?

Et Angéla ?

_ Angéla !

Mais personne autour de moi ne reprenait en écho mon appel.

_ Coin coin ! Fit lapidaire un malotru, ou mal léché, que je n'avais jamais vu avant.

Ainsi donc, après la bombe atomique, la Terre vient d'être envahie par des envahisseurs d'outre Espace. Je ne l'aurais jamais cru. Mais pourquoi aujourd'hui ? Pourquoi ce matin ?

Je raconte mon histoire, et surtout ma désillusion.

Je vous ai narré comme la Société des gens de plume était noble, désintéressée, diaphane traversant les choses triviales telle une Princesse à l'époque des cours royales.

Je n'étais qu'un Plumitif. Est ce que cela fait exactement ça quand on devient, étape suivante de notre cursus, un écrit-vain ? Que l'on rejoint les objets de tous nos fantasmes, il faudrait que je parle avec un Auteur.

_ Andersen ! Andersen !

Alors un être immense -me dominant, gracile, gracieux, grand et grandiose- franchit la nappe de brouillard matinal qui était tombée sur l'étang lorsque j'avais ouvert les yeux aux petites heures du jour.

_ Que me veux-tu, jeune oiseau aux plumes mal dégrossies ?

L'entendre s'exprimer était à la fois un ravissement, un honneur, et comme.... une vexation.

Me traiter de damoiseau, moi ? Devant lequel se pâmaient des égéries en foison avant que je n'en choisisse une, que les Muses inspiraient depuis toujours. Tout au moins aussi loin que pouvait aller ma mémoire. Car au bout de mes souvenirs, curieusement, plus rien. Contrairement au Phénix qui est né de lui-même, au moyen de ses propres cendres.

_ Suis-je devenu un écrit-vain ? Est ce que c'est pour ça que je ne vois plus ni Arthur, ni Guenièvre, ou Gauvain ?

_ Où est ce que tu es allé chercher tout ça ?

Une idée m'a frappé soudainement. Est ce qu' Andersen était mon assassin ? Andersen, un traître à la Société des plumitifs, un scélérat ? Je ne pouvais y croire.

_ Oui, tu es un écrit. Et vain, cela ne fait aucun doute.

Puis le superbe Andersen, qui était mon vis à vis, continua d'avancer vers moi ; bientôt il approcha de quelques millimètres de ma modeste personne. Je n'osais plus esquisser le moindre geste. Ensuite, il me traversa. De part en part. Je ne sentis rien, ne ressentis presque rien : un vague soulagement...

Suite à la disparition d'Andersen, je ne pouvais en rester là. J'étais interdit, ébaudi, bien que de tous côtés les gens ne cessaient leurs attitudes agaçantes.

_ Coin ! Coin ! Me lança un de ces misérables en venant becqueter mon flanc. Je m'ébrouai. N'étais-je point leur semblable ? Un membre éminent, tout comme eux jadis, de la Société des gens de plume.

_ Coin ! Me tança méchamment celui à qui l'apparition, puis la disparition d'Andersen n'avait causé ni chaud ni froid.

Au zénith le soleil brillait, celui là était toujours souriant. J'aurais peut-être dû m'en réjouir ! L'on m'avait tout de même assassiné.

Mais je suppose que là, vous commencez à comprendre le dilemme... Vous en êtes arrivés au même point que moi de mes réflexions.

Que faisais-je hier soir, en fait, comme chaque soir, ce qui relie tous les êtres vivants... Je dormais bien évidemment. Et je rêvais.

Bien évidemment. Du coup, qu'est ce qui est réel, qu'est ce qui est imaginaire ?

Je sors de l'eau de l'étang, je sors du lac de Castle Lake, me retourne et le contemple.

Rien que des oiseaux ternes, toujours l'extrémité de la partie supérieure -ce qui ressemble à un drôle de bec- plongée à l'intérieur de l'élément liquide, à piocher des vers ou je ne sais quoi.

L' eau forme des vaguelettes entre ses rivages. Je me retourne vers la bâtisse du château, progresse sur l'herbe tendre. Oui, cela ne vaut un tapis rouge, mais j'ai été assassiné, l'on m'a probablement vidé de mon sang, d'où cette couleur verte.

Aurais-je pu jusqu'à rêver la Société des gens de Plume ?

Certainement.

Est ce que nous sommes en 2039 ? Oui.

Est ce que les retombées radioactives ont altéré l'environnement ?

Là, j''hésite. La planète me semble la même que dans tous mes souvenirs, tout au moins jusqu'à ce « trou noir » de ma mémoire. Un éclair de lucidité : je suis né d'une façon ou d'une autre.

Je me palpe moi-même : si j'étais décédé, pourrais-je faire ça ? Me secouer et plonger ma tête dans mes flancs afin de procéder à un toilettage.

Euh.

Je songe à nos lointains, fort lointains ancêtres ; les livres les appellent des hommes. Appartenant au genre humain. Ils avaient eux aussi constitué des sociétés.

Et « nous » ? Nous, qui ça nous ? Eh bien...

Si j'en crois la forme empruntée précédemment par Andersen, que j'avais probablement halluciné, si je pars du principe que je n'ai jamais vu de mes propres yeux un être humain mais qu' ils ne devaient certainement pas me ressembler.

Andersen était comme moi. Un majestueux bec rouge, des yeux cerclés de noir, comme deux yeux au beurre noir, comme si nous avions boxé sur un ring. Non ! Il m'a traversé de part en part sans entrer en contact.

BON ALORS ! Mon plumage tout blanc se secoue, je considère l'étang. Bientôt, je vais quitter Castle Lake. Oui, c'est ce que je vais faire, puisque là-bas, « ils » m'ont assassiné, moi un membre actif de la Société Honorable des Gens de Plumes ; mes plumes et mon plumage, bien réels, frissonnent d'une excitation nouvelle.

Après vous avoir raconté ce récit, comme une lettre au vent (de fin avril), je vais vivre ma vie. Ces espèces de.... CANARDS !... n'ont rien à voir avec les Gens. Les Gens de Plumes.

Je ne vous que ceci : au revoir.

 

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Invité narcejo
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Invité narcejo
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A une muse...

Tes fesses chantent une chanson de gestes

Ton haut top less chante une chanson de liesse

Des laisses que l'on n'entend pas à la messe

Cela ne mérite d'être mis sous presse...

 

Le glas des alexandrins :D

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