Aller au contenu

L'appropriation culturelle, un concept dangereux


Constantinople

Messages recommandés

Membre, Posté(e)
Constantinople Membre 18 329 messages
Maitre des forums‚
Posté(e)

Les revendications identitaires ont le vent en poupe. Noirs, gays, juifs, autochtones, opprimés d'hier et d'aujourd'hui, persécutés en tout genre et de tout bord, autant de membres de minorités culturelles qui réclament non seulement le respect absolu vis-à-vis de leur mémoire traumatique –et c'est bien normal– mais exigent bien souvent des autres communautés qu'elles ne s'aventurent pas dans des domaines où elles ne seraient pas en terrain familier.

Ou autrement dit, au nom d'une mémoire ô combien douloureuse, on interdit à ceux qui ne seraient pas directement concernés de s'approprier un passé qui ne serait pas le leur. À titre d'exemple, seuls seraient autorisés à parler de l'esclavage les descendants de cette ignominie, seuls les fils et petits-fils de peuplades sacrifiées auraient le droit d'écrire à leur sujet, seuls ceux qui auraient vécu, même d'une manière symbolique, et dans une mémoire qui serait transgénérationnelle, les méfaits de la colonisation ou de tout autre mouvement d'oppression seraient légitimes à évoquer ces heures sombres qui ont jalonné l'histoire humaine.

http://www.slate.fr/story/165809/lappropriation-culturelle-un-concept-dangereux

 

Lien à poster
Partager sur d’autres sites

Annonces
Maintenant
Membre, Obsédé textuel, 73ans Posté(e)
Gouderien Membre 38 422 messages
73ans‚ Obsédé textuel,
Posté(e)

Ils ne veulent pas qu'on en parle? Ça tombe bien, j'ai pas envie d'en parler…:hehe:

Lien à poster
Partager sur d’autres sites

Membre, forumeuse acharnée, Posté(e)
querida13 Membre 48 748 messages
forumeuse acharnée,
Posté(e)

Même le nom de mon ancêtre européen qui  à l'époque de l'esclavage, nul membre  de la famille ne s'en souvient, c'est à peine un nom sur un livret de famille à moitié effacé!C'est dire la faiblesse de la transmission orale dans les familles. Il faut me dire quelles sources autres qu'orales utilisent ces descendants d'esclaves analphabètes retirés vaincus à leur Afrique profonde, échangés comme butin par d'autres africains,  pour élaborer leur histoire.

Lien à poster
Partager sur d’autres sites

Invité Quasi-Modo
Invités, Posté(e)
Invité Quasi-Modo
Invité Quasi-Modo Invités 0 message
Posté(e)

Selon l'Histoire des ancêtres il faut aussi reconnaître que beaucoup peuvent ne pas (vouloir?) comprendre ou mal comprendre avec pour cause la désinformation ou le manque d'information. Je pense par exemple aux malgré-nous / malgré-elles alsaciens et mosellans qui restent encore aujourd'hui des incompris de l'Histoire, à l'exception de quelques spécialistes ou des descendants des alsaciens/mosellans qui ont eu des témoignages directs du véritable vécu au sein de la famille.

Avec ce bémol par ailleurs il est clair que tout le monde peut traiter de tout sujet d'un points de vue historique et neutre. Mais qu'on ne s'étonne pas si parfois les propos sont pris d'où ils viennent, c'est à dire de la part d'ignorants.

Lien à poster
Partager sur d’autres sites

Membre, Posté(e)
LouiseAragon Membre 14 351 messages
Baby Forumeur‚
Posté(e)
Il y a 5 heures, querida13 a dit :

Même le nom de mon ancêtre européen qui  à l'époque de l'esclavage, nul membre  de la famille ne s'en souvient, c'est à peine un nom sur un livret de famille à moitié effacé!C'est dire la faiblesse de la transmission orale dans les familles. Il faut me dire quelles sources autres qu'orales utilisent ces descendants d'esclaves analphabètes retirés vaincus à leur Afrique profonde, échangés comme butin par d'autres africains,  pour élaborer leur histoire.

analphabètes, peut-être (et pas toujours, pas tous) mais idiots et sans mémoire, pas forcément ! :hum: 

Lien à poster
Partager sur d’autres sites

Membre, Posté(e)
LouiseAragon Membre 14 351 messages
Baby Forumeur‚
Posté(e)
il y a une heure, Quasi-Modo a dit :

Selon l'Histoire des ancêtres il faut aussi reconnaître que beaucoup peuvent ne pas (vouloir?) comprendre ou mal comprendre avec pour cause la désinformation ou le manque d'information. Je pense par exemple aux malgré-nous / malgré-elles alsaciens et mosellans qui restent encore aujourd'hui des incompris de l'Histoire, à l'exception de quelques spécialistes ou des descendants des alsaciens/mosellans qui ont eu des témoignages directs du véritable vécu au sein de la famille.

Avec ce bémol par ailleurs il est clair que tout le monde peut traiter de tout sujet d'un points de vue historique et neutre. Mais qu'on ne s'étonne pas si parfois les propos sont pris d'où ils viennent, c'est à dire de la part d'ignorants.

Des propos neutres, :hum: dis-tu ! Moi, je pense qu'un témoignage qui commence par "Moi, fils d'esclave" n'est pas neutre du tout, mais il est peut-être honnête ! Au moins, on sait qui parle ... 

De même, le témoignage qui commence par " Moi, propriétaire de 100 ou 1000 esclaves" n'est pas plus neutre, mais on sait qui parle ! 

Pour dire et comprendre l'HISTOIRE, nous avons besoin de témoignages subjectifs ... nous avons besoin de témoignage qui commencent aussi par " Moi, Fils de l'esclave unetelle et du propriétaire 1000 têtes" ...

L'objectivité, la neutralité ... c'est tout un programme ... et bien souvent de l'enfumage ... 

Lien à poster
Partager sur d’autres sites

Invité Quasi-Modo
Invités, Posté(e)
Invité Quasi-Modo
Invité Quasi-Modo Invités 0 message
Posté(e)
Il y a 1 heure, LouiseAragon a dit :

Des propos neutres, :hum: dis-tu ! Moi, je pense qu'un témoignage qui commence par "Moi, fils d'esclave" n'est pas neutre du tout, mais il est peut-être honnête ! Au moins, on sait qui parle ... 

De même, le témoignage qui commence par " Moi, propriétaire de 100 ou 1000 esclaves" n'est pas plus neutre, mais on sait qui parle ! 

Pour dire et comprendre l'HISTOIRE, nous avons besoin de témoignages subjectifs ... nous avons besoin de témoignage qui commencent aussi par " Moi, Fils de l'esclave unetelle et du propriétaire 1000 têtes" ...

L'objectivité, la neutralité ... c'est tout un programme ... et bien souvent de l'enfumage ... 

N'est-ce pas le propre de la discipline qu'on appelle l'Histoire de faire cette part des choses? Que serait l'Histoire sans cette exigence de neutralité? L'Histoire se veut neutre en tant que discipline scientifique (sciences humaines).

Lien à poster
Partager sur d’autres sites

Membre, Posté(e)
LouiseAragon Membre 14 351 messages
Baby Forumeur‚
Posté(e)
il y a 20 minutes, Quasi-Modo a dit :

N'est-ce pas le propre de la discipline qu'on appelle l'Histoire de faire cette part des choses? Que serait l'Histoire sans cette exigence de neutralité? L'Histoire se veut neutre en tant que discipline scientifique (sciences humaines).

Oui, On nous raconte l' HISTOIRE avec  un H majuscule comme pour dire " c'est objectif, c'est neutre" ceci dit les vrais historiens sont bien plus modestes et présentent l'histoire du point de vue du chasseur, puis du point de vue du lapin ! Ainsi, rien d'objectif, rien de neutre, juste deux points de vue qui s'opposent... cela me semble plus objectif et plus neutre, plus complet, au moins ! 

(Ceci dit, le communautarisme, c'est chacun campe sur ses positions et prépare le prochain conflit ... et c'est à analyser scrupuleusement ...) 

Lien à poster
Partager sur d’autres sites

Invité Quasi-Modo
Invités, Posté(e)
Invité Quasi-Modo
Invité Quasi-Modo Invités 0 message
Posté(e)
il y a 3 minutes, LouiseAragon a dit :

Oui, On nous raconte l' HISTOIRE avec un H majuscule comme pour dire " c'est objectif, c'est neutre" ceci dit les vrais historiens sont bien plus modestes et présentent l'histoire du point de vue du chasseur, puis du point de vue du lapin ! Ainsi, rien d'objectif, rien de neutre, juste deux points de vue qui s'opposent... cela me semble plus objectif et plus neutre, plus complet, au moins ! 

 (Ceci dit, le communautarisme, c'est chacun campe sur ses positions et prépare le prochain conflit ... et c'est à analyser scrupuleusement ...) 

C'est vrai que le communautarisme est une plaie. Mais je pense que l'Histoire n'est pas si simple que l'idée qu'il y a d'un côté les chasseurs et de l'autre les lapins ;) C'est difficile mais on aurait alors tendance à prendre parti pour le lapin (quand on a un minimum de coeur), et traiter de l'histoire de la seconde guerre mondiale en respectant la neutralité axiologique est devenu pour ainsi dire impossible dans les discussions courantes, tant ce conflit nous habite encore et est instrumentalisé politiquement.

Pour donner un exemple, je sais que mon grand-père était un incorporé de force (malgré-nous), et qu'il s'est rendu dans l'armée allemande suite aux menaces qui pesaient sur la famille : il y avait nécessité de combattre sous l'uniforme ennemi ou de mourir avec sa famille alors qu'il était encore mineur (17 ans). Atterri sur le front russe pour servir de chair à canon, il a été assommé par un éclat d'obus et une fois fait prisonnier, il a passé une année dans le camp de Tambov, un camp russe de travail similaire aux camps de concentration allemands. Il est revenu et faisait encore une trentaine de kilos. Il a mis des années avant de pouvoir commencer à parler de ce qu'il avait traversé. Mais il a pu raconter le fait que sous l'uniforme allemand, dès qu'il le pouvait il ne disait pas "Heil Hitler!" mais qu'il prononçait "Ein Liter!" ; que lorsqu'il avait pour ordre de tirer il relevait légèrement le haut de son canon pour que les balles arrivent au dessus des têtes des 'ennemis' russes. Il a tout fait pour éviter de tuer quiconque durant le conflit et il n'a effectivement tué personne.

Je le connaissais par coeur, c'était mon grand père, je savais très bien quand il mentait et disait vrai, et je sais qu'il n'aurait pas pu mentir sur cette histoire. Mais bon ça ne vaut sûrement pas grand chose aux yeux d'un historien :D

Lien à poster
Partager sur d’autres sites

Membre, 114ans Posté(e)
stvi Membre 20 709 messages
Mentor‚ 114ans‚
Posté(e)
il y a 50 minutes, Quasi-Modo a dit :

Je le connaissais par coeur, c'était mon grand père, je savais très bien quand il mentait et disait vrai, et je sais qu'il n'aurait pas pu mentir sur cette histoire. Mais bon ça ne vaut sûrement pas grand chose aux yeux d'un historien :D

la petite histoire ne remplacera jamais la grande même si elle est constituée de cheminements personnels ...

c'est certain qu'avec notre culture ,il nous sera plus facile de parler des deux dernières guerres mondiales ,que de la guerre  de sécession,ou de la guerre sino japonaise ... 

les deux dernières guerres mondiales concernent plus particulièrement les Européens ,l'Esclavage l'Afrique ,à chacun son domaine de compétence ...

les descendants Européens se sentent légitimes lorsqu'ils déclarent "plus jamais ça" les Africains aussi ...les populations autochtones  d’Amérique du nord ou du sud également ...

 

Lien à poster
Partager sur d’autres sites

Invité Quasi-Modo
Invités, Posté(e)
Invité Quasi-Modo
Invité Quasi-Modo Invités 0 message
Posté(e)
Il y a 6 heures, stvi a dit :

la petite histoire ne remplacera jamais la grande même si elle est constituée de cheminements personnels ...

c'est certain qu'avec notre culture ,il nous sera plus facile de parler des deux dernières guerres mondiales ,que de la guerre  de sécession,ou de la guerre sino japonaise ... 

les deux dernières guerres mondiales concernent plus particulièrement les Européens ,l'Esclavage l'Afrique ,à chacun son domaine de compétence ...

les descendants Européens se sentent légitimes lorsqu'ils déclarent "plus jamais ça" les Africains aussi ...les populations autochtones  d’Amérique du nord ou du sud également ...

Oui c'est pour ça que je peux comprendre quand on possède des témoignages directs au sein de la famille qu'on puisse connaître un désaccord avec les interprétations sauvages de certains. Les alsaciens/mosellans à leur retour ont été considérés à tort comme des collaborateurs, victimes d'un procès très médiatisé dit procès de Bordeaux, alors que dans le fond ils n'ont fait qu'essayer de survivre, avec la souffrance morale de devoir combattre pour ses ennemis, et dans bien des cas ont permis de sauver des vies sur le champ de bataille.

Après je ne dis pas que certains n'ont pas collaboré, mais pas plus que dans les autres régions de France statistiquement : les volontaires véritables ont été condamnés, qu'ils soient alsaciens ou d'autres régions de France. Et c'est normal je pense. Si les allemands ont eu recours à l'incorporation de force c'est bien justement parce que le volontariat n'avait pas tellement de succès, malgré la propagande qu'ils avaient mis en place qui devait viser à encourager les alsaciens/mosellans à devenir volontaires.

D'où cette souffrance et cette incompréhension de la part de la masse des alsaciens/mosellans : à la fois méprisés et violentés par les allemands qui les voyaient comme des sous-citoyens et les ont utilisés comme chair à canon en les menaçants de déportation, eux et leur famille, et considérés comme des collaborateurs à la libération par le français de base.

Mais les descendants d'esclaves n'ont sans doute pas vraiment connu de témoignages directs, peut-être parfois des ouï-dire qui se seraient transmis je présume. L'abolition de l'esclavage si je ne m'abuse c'est 1848 soit un siècle avant encore!

Lien à poster
Partager sur d’autres sites

Membre, 114ans Posté(e)
stvi Membre 20 709 messages
Mentor‚ 114ans‚
Posté(e)
Il y a 3 heures, Quasi-Modo a dit :

Mais les descendants d'esclaves n'ont sans doute pas vraiment connu de témoignages directs, peut-être parfois des ouï-dire qui se seraient transmis je présume. L'abolition de l'esclavage si je ne m'abuse c'est 1848 soit un siècle avant encore!

c'est pour ça que de la petite histoire ,on passe à l'histoire et là ce sont les historiens qui sont compétents ... Chacun n'est tenus qu'à un devoir de mémoire qui prolonge un peu les rôles de victimes et de bourreaux de façon globale ...un noir sera assimilé à un esclave et un occidental à un bourreau ,alors que l'histoire nous apprend que la couleur n'était pas le critère ... on trouve autant d'esclavagistes noirs ou arabes qu'Européens ...et puis avec nos lunettes d'occidentaux choyés on juge bien vite une situation complexe dans laquelle la vie humaine ne comptait pas plus que celle du bétail ...

ce terme d'appropriation culturelle employé par @Anatole1949  décrit surtout une partie de population qui serait légitime pour se poser en victime d'exactions commises par une autre part de population en gommant les siècles ou les décennies ,sans tenir compte qu'il ne reste que des cendres des esclaves et des esclavagistes ...( il ne faut pas oublier les 50 millions de personnes touchées par l'esclavage moderne ,mais qui ne concerne que principalement l'Asie et le moyen orient ) on a vraiment du mal à ne pas utiliser l'être humain comme bête de somme ..

 

Lien à poster
Partager sur d’autres sites

Membre, Ker m'oco, Posté(e)
Sexophone Membre 2 935 messages
Ker m'oco,
Posté(e)
Le 23/08/2018 à 12:25, Constantinople a dit :

Ou autrement dit, au nom d'une mémoire ô combien douloureuse, on interdit à ceux qui ne seraient pas directement concernés de s'approprier un passé qui ne serait pas le leur. À titre d'exemple, seuls seraient autorisés à parler de l'esclavage les descendants de cette ignominie, seuls les fils et petits-fils de peuplades sacrifiées auraient le droit d'écrire à leur sujet, seuls ceux qui auraient vécu, même d'une manière symbolique, et dans une mémoire qui serait transgénérationnelle, les méfaits de la colonisation ou de tout autre mouvement d'oppression seraient légitimes à évoquer ces heures sombres qui ont jalonné l'histoire humaine.

Très juste. Moi-même, en partie descendant d'esclaves affranchis, je n'ai pas le droit de m'exprimer sur le sujet sans percevoir la désapprobation de mes interlocuteurs parce que je suis blanc. Les noirs qui débarquent d'Afrique, dont les ancêtres ne furent a priori pas esclaves, sont légitimes pour parler d'esclavage et moi, je dois fermer ma gueule. Voilà comment le monde raisonne. Heureusement que je ne suis pas focalisé H24 sur ce sujet là ; ma modeste contribution se résumant à "passe à autre chose" ou "faut avancer dans la vie".

Nous entrons dans une ère sombre et multiculturelle où les gens vont s'enfermer dans leurs "communautés". Il n'y aura plus de mélange et de brassage. Les minorités vont se ghettoïser, se marginaliser. On se croisera. On n'échangera plus. D'un côté les biens-pensants qui n'oseront plus échanger avec les autres (peur de les froisser ?), de l'autre les extrémistes qui ne voudront plus partager leur lopin de terre. Souchien ? Islamiste ? Radicalisés ? Impossible de prévoir. La cassure a déjà bien commencé.

Lien à poster
Partager sur d’autres sites

Membre, Posté(e)
Constantinople Membre 18 329 messages
Maitre des forums‚
Posté(e)

Eric Fassin : « L’appropriation culturelle, c’est lorsqu’un emprunt entre les cultures s’inscrit dans un contexte de domination »

Dans un entretien au « Monde », le sociologue Eric Fassin revient sur ce concept né dans les années 1990, au cœur de nombre de polémiques récentes.

Des internautes se sont empoignés sur ces deux mots tout l’été : « appropriation culturelle ». Le concept, né bien avant Twitter, connaît un regain de popularité. Dernièrement, il a été utilisé pour décrire aussi bien le look berbère de Madonna lors des MTV Video Music Awards, la dernière recette de riz jamaïcain du très médiatique chef anglais Jamie Oliver, ou l’absence de comédien autochtone dans la dernière pièce du dramaturge québécois Robert Lepage, Kanata, portant justement sur « l’histoire du Canada à travers le prisme des rapports entre Blancs et Autochtones ».

Qu’ont en commun ces trois exemples ? Retour sur la définition et sur l’histoire de l’« appropriation culturelle » avec Eric Fassin, sociologue au laboratoire d’études de genre et de sexualité de l’université Paris-VIII et coauteur de l’ouvrage De la question sociale à la question raciale ? (La Découverte).

D’où vient le concept d’« appropriation culturelle » ?

Eric Fassin : L’expression apparaît d’abord en anglais, à la fin du XXe siècle, dans le domaine artistique, pour parler de « colonialisme culturel ». Au début des années 1990, la critique bell hooks, figure importante du Black feminism, développe par exemple ce concept, qu’elle résume d’une métaphore : « manger l’Autre. » C’est une approche intersectionnelle, qui articule les dimensions raciale et sexuelle interprétées dans le cadre d’une exploitation capitaliste.

Un regard « exotisant »

Cette notion est aussi au cœur de la controverse autour de Paris Is Burning, un film documentaire de 1990 sur la culture des bals travestis à New York. Une autre critique noire, Coco Fusco, reprochait à la réalisatrice Jennie Livingston, une lesbienne blanche, son regard « exotisant » sur ces minorités sexuelles et raciales. Pour elle, il s’agissait d’une forme d’appropriation symbolique mais aussi matérielle, puisque les sujets du film se sont sentis floués, dépossédés de leur image.

Lire aussi :   Au Canada, la notion d’« appropriation culturelle » déchire le monde littéraire

Comment définir ce concept ?

E. F. : Ce qui définit l’appropriation culturelle, comme le montre cet exemple, ce n’est pas seulement la circulation. Après tout, l’emprunt est la règle de l’art, qui ne connaît pas de frontières. Il s’agit de récupération quand la circulation s’inscrit dans un contexte de domination auquel on s’aveugle. L’enjeu n’est certes pas nouveau : l’appropriation culturelle, au sens le plus littéral, remplit nos musées occidentaux d’objets « empruntés », et souvent pillés, en Grèce, en Afrique et ailleurs. La dimension symbolique est aujourd’hui très importante : on relit le primitivisme artistique d’un Picasso à la lumière de ce concept.

Ce concept a-t-il été intégré dans le corpus intellectuel de certaines sphères militantes ?

E. F. : Ces références théoriques ne doivent pas le faire oublier : si l’appropriation culturelle est souvent au cœur de polémiques, c’est que l’outil conceptuel est inséparablement une arme militante. Ces batailles peuvent donc se livrer sur les réseaux sociaux : l’enjeu a beau être symbolique, il n’est pas réservé aux figures intellectuelles. Beaucoup se transforment en critiques culturels en reprenant à leur compte l’expression « appropriation culturelle ».

En quoi les polémiques nées ces derniers jours relèvent-elles de l’appropriation culturelle ?

E. F. : Ce n’est pas la première fois que Madonna est au cœur d’une telle polémique. En 1990, avec sa chanson Vogue, elle était déjà taxée de récupération : le voguing, musique et danse, participe en effet d’une subculture noire et hispanique de femmes trans et de gays. Non seulement l’artiste en retirait les bénéfices, mais les paroles prétendaient s’abstraire de tout contexte (« peu importe que tu sois blanc ou noir, fille ou garçon »). Aujourd’hui, son look de « reine berbère » est d’autant plus mal passé qu’elle est accusée d’avoir « récupéré » l’hommage à la « reine » noire Aretha Franklin pour parler… de Madonna : il s’agit bien d’appropriation.

La controverse autour de la pièce Kanata, de Robert Lepage, n’est pas la première non plus — et ces répétitions éclairent l’intensité des réactions : son spectacle sur les chants d’esclaves avait également été accusé d’appropriation culturelle, car il faisait la part belle aux interprètes blancs. Aujourd’hui, c’est le même enjeu : alors qu’il propose une « relecture de l’histoire du Canada à travers le prisme des rapports entre Blancs et Autochtones », la distribution oublie les « autochtones » — même quand ils se rappellent au bon souvenir du metteur en scène. C’est encore un choix revendiqué : la culture artistique transcenderait les cultures « ethniques ».

Lire aussi :   Robert Lepage annule « Kanata »

Par comparaison, l’affaire du « riz jamaïcain » commercialisé par Jamie Oliver, chef britannique médiatique, peut paraître mineure ; elle rappelle toutefois comment l’ethnicité peut être utilisée pour « épicer » la consommation. Bien sûr, la nourriture aussi voyage. Reste qu’aujourd’hui cette mondialisation marchande du symbolique devient un enjeu.

Pourquoi ce concept fait-il autant polémique ?

E. F. : En France, on dénonce volontiers le communautarisme… des « autres » : le terme est curieusement réservé aux minorités, comme si le repli sur soi ne pouvait pas concerner la majorité ! C’est nier l’importance des rapports de domination qui sont à l’origine de ce clivage : on parle de culture, en oubliant qu’il s’agit aussi de pouvoir. Et c’est particulièrement vrai, justement, dans le domaine culturel.

Songeons aux polémiques sur l’incarnation des minorités au théâtre : faut-il être arabe ou noir pour jouer les Noirs et les Arabes, comme l’exigeait déjà Bernard-Marie Koltès, en opposition à Patrice Chéreau ? Un artiste blanc peut-il donner en spectacle les corps noirs victimes de racisme, comme dans l’affaire « Exhibit B » ? La réponse même est un enjeu de pouvoir.

On parle de culture, en oubliant qu’il s’agit aussi de pouvoir

En tout cas, l’esthétique n’est pas extérieure à la politique. La création artistique doit revendiquer sa liberté ; mais elle ne saurait s’autoriser d’une exception culturelle transcendant les rapports de pouvoir pour s’aveugler à la sous-représentation des femmes et des minorités raciales. L’illusion redouble quand l’artiste, fort de ses bonnes intentions, veut parler pour (en faveur de) au risque de parler pour (à la place de).

Le monde universitaire n’est pas épargné par ces dilemmes : comment parler des questions minoritaires, quand on occupe (comme moi) une position « majoritaire », sans parler à la place des minorités ? * Avec Marta Segarra, nous avons essayé d’y faire face dans un numéro de la revue Sociétés & Représentations sur la (non-)représentation des Roms : comment ne pas redoubler l’exclusion qu’on dénonce ? Dans notre dossier, la juriste rom Anina Ciuciu l’affirme avec force : être parlé, représenté par d’autres ne suffit pas ; il est temps, proclame cette militante, de « nous représenter ». Ce n’est d’ailleurs pas si difficile à comprendre : que dirait-on si les seules représentations de la société française nous venaient d’Hollywood ?

https://www.lemonde.fr/immigration-et-diversite/article/2018/08/24/eric-fassin-l-appropriation-culturelle-c-est-lorsqu-un-emprunt-entre-les-cultures-s-inscrit-dans-un-contexte-de-domination_5345972_1654200.html

* Dans ces cas là on a envie de dire : ferme ta gueule, hein.

Lien à poster
Partager sur d’autres sites

Annonces
Maintenant

Archivé

Ce sujet est désormais archivé et ne peut plus recevoir de nouvelles réponses.

×