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Doïna

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Membre+, Posté(e)
Doïna Membre+ 19 524 messages
Maitre des forums‚
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Bonjour,

Rome, 16 juin 1497 : le pape Alexandre VI apprend que l'on a retrouvé son fils Giovanni dans le Tibre, poignardé à mort de plusieurs coups de dague.

buch2-318.jpg

Ci-dessus : Giovanni Borgia, duc de Gandie.

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Des recherches ont lieu, et la police retrouve bientôt l'écuyer du duc de Gandie, grièvement blessé. Un marchand de bois dit avoir vu de nuit un cavalier transporter un corps sur sa monture. Des hommes étaient avec lui, qui l'ont aidé à jeter le cadavre dans le fleuve. Pourquoi ce témoin n'a-t-il pas crié à l'assassin ? Celui-ci répondra qu'il est coutumier de ce genre de scène depuis sa barque, et qu'il préfère autant ne pas s'en mêler.

La veille, ne voyant pas Giovanni rentrer, le pape s'était inquiété, déjà, et avait questionné son autre fils, Cesare, qui avait dîné avec lui chez leur mère, Vannozza Cattanei. Mais le cardinal de Valence ne savait pas où était son puîné : celui-ci voulant se promener après le repas (vraisemblablement pour rendre visite à une amie), ils s'étaient tous deux séparés devant le palais pontifical, et puis plus rien.

Suite à cette tragédie, le pape s'enferme dans ses appartements, totalement effondré, et il pleure, il pleure, implorant Dieu de toutes ses forces. Il s'en veut d'être resté sourd à toutes ces mises en garde que Savonarole, le lugubre prédicateur de Florence, lui a si souvent adressées, traitant son église de grande prostituée, vociférant après la luxure devenue si banale au Vatican. Le Saint-Père croit à un châtiment divin. Il reste reclus trois jours durant, refusant de s'alimenter, en proie à mille questions toutes plus douloureuses les unes que les autres. En particulier : mais qui sont les assassins ? Pour le compte de qui ont-ils fait cela ?

Victor Hugo, un peu plus de 300 ans après, reprendra ce drame pour en faire la légende noire des Borgia : "J'ai horreur de votre frère César, qui a des taches de sang naturelles au visage ! de votre frère César qui a tué votre frère Jean !" fera-t-il dire à Alphonse d'Este, un des personnages dans sa pièce de théâtre Lucrèce Borgia.

Le pape lui-même aurait pensé à son fils aîné. Un "Caïn !" lui aurait échappé.

Il est vrai que les rumeurs ont toujours voulu que Cesare, voué au cardinalat par son père, ait été jaloux de son frère Giovanni, dont il enviait le rôle militaire, lui qui détestait la tonsure et ne se sentait pas vraiment une âme faite pour le clergé. Il aurait également compris que leur père lui destinait la couronne de Naples, et cela lui aurait déplu.

Le pape Alexandre VI n'ira pas outre ses doutes, cependant : le 19 juin, il se décidera à quitter ses appartements pour réunir ses cardinaux. Devant eux, il se proclamera unique coupable de son malheur, advenu pour le punir d'avoir offensé le Ciel. Il promet de s'amender, de réformer l'Eglise, de réprimer la simonie, et ce n'est pas tout : les clercs ne pourront plus entretenir de concubines, les cardinaux n'auront plus le droit de posséder plus d'un évêché ni de cumuler des bénéfices dépassant les six milles ducats, les princes de l'Eglise ne recevront plus ni bouffons ni saltimbanques d'aucune sorte, pas même des musiciens, ni ne devront plus participer aux joies mondaines, quel que fût le divertissement : carnaval, spectacle ou tournois... Bref, terminé la rigolade, le régime sec pour tout le clergé !

Au cours du mois qui suit, la liste des interdits n'en finit plus de s'allonger, mais la bulle n'est toujours pas publiée et, bientôt, le pape cesse de convoquer ses cardinaux. Plus d'un à dû souffler en pouvant enfin se dire que cette maudite bulle ne serait jamais publiée.

En août 1498, un peu plus d'un an après la mort tragique de son frère, Cesare Borgia est relevé de ses vœux et peut enfin entamer l'existence de preux dont il a toujours rêvé. Il devient, véritablement, le Prince de Machiavel. Le crime lui aurait donc bien profité, mais peut-on le lui imputer pour autant ? Pas sûr. Il semblerait surtout que Cesare fratricide ne soit qu'un pur fantasme.

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Ci-dessus : portrait présumé de Cesare Borgia, duc de Valentinois (ex-cardinal de Valence).

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Le clan des Borgia, comme tous les puissants de l'époque, ne manquait pas d'ennemis. Il avait comme rivaux à prendre très au sérieux les Colonna et les Orsini. Sans compter que l'assassin du duc de Gandie aurait tout aussi bien pu n'être qu'un mari cocu, mais pas content ! A ce sujet, les hypothèses ne manquent pas. Cependant, intéressons-nous un peu au conflit qui a opposé les Borgia aux Orsini : en 1496, une expédition dirigée par le duc de Gandie, accompagné du duc d'Urbino, visera les Orsini. Le but : leur prendre leurs biens. Il faut dire que le chef de cette famille : Virginio, vient d'être fait prisonnier à Naples, c'est donc l'occasion ou jamais de s'en prendre à eux. Virginio ne fait d'ailleurs pas long feu dans sa geôle, et l'on soupçonne le pape Alexandre VI de n'y être pas étranger : ce dernier, désireux d'étendre son pouvoir en principauté, l'aurait fait empoisonner pour neutraliser son clan, une puissance de trop à ses yeux.

Au mois d'août 1496, Giovanni, promu d'un bâton de capitaine général des troupes pontificales, part à l'attaque, aidé par le duc d'Urbino, un homme expérimenté dont il ne saurait se passer, lui qui n'a pas l'expérience requise pour mener à bien une telle campagne. Des opérations militaires sont menées contre les Orsini. Leurs places fortes tombent les unes après les autres et, bientôt, c'est leur forteresse de Bracciano (à 50 km de Rome environ) qui est mise en état de siège. De cet épisode, qui dura trois mois, l'édifice a conservé de gros trous de boulets de canon que l'on peut voir encore de nos jours.

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Ci-dessus : la forteresse de Bracciano, demeure des Orsini. Les trous en haut de la tour du milieu ont été faits par les boulets des canons des troupes du duc de Gandie, alias Giovanni Borgia, quelques mois avant son mystérieux assassinat.

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Au final, le duc de Gandie ne reviendra pas vainqueur de ce siège, car d'une part, les Orsini étaient financièrement soutenus par les Français, leurs alliés, ce qui leur aura permis d'enrôler des fantassins mieux armés que les troupes pontificales, et d'autre part, le principal soutien de Giovanni Borgia, le duc d'Urbino, finira par être capturé en janvier 1497. Le pape se verra par conséquent contraint de renoncer à son projet de principauté et de signer le retour en grâce des Orsini.

On peut aisément imaginer la haine des fiers Orsini, combien ils ont pu en vouloir tant au pape Borgia, selon toutes vraisemblances responsable de la mort de leur chef de famille -Virginio- qu'à Giovanni de Gandie pour les dégâts occasionnés sur leur fief. Pour toutes ces raisons, plus d'un historien considèrent que le meurtre de Giovanni Borgia a été une vengeance des Orsini à l'encontre du pape Alexandre VI. Il n'est d'ailleurs survenu que six mois après la défaite de Bracciano.

Le saurons-nous un jour ?

Sources principales : Les Borgia, de Marcel Brion, Tallandier, Wikipédia et *

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Modérateur, ©, 108ans Posté(e)
January Modérateur 62 287 messages
108ans‚ ©,
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Sombres Borgia... Leur histoire est passionnante.

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Membre, 44ans Posté(e)
Atia Membre 69 messages
Baby Forumeur‚ 44ans‚
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C'est beau de se dire que cette famille a été si influente (et si haïe) qu'elle fascine encore aujourd'hui.

Même s'il y a beaucoup d'aspects qui ont sans doute été amplifiés et déformés avec le temps, il faut que la base se prête à ce genre de fantasmes pour perdurer à ce point

(moi par exemple même si on me soupçonnait un jour de tuer mon chien et de manœuvrer pour me faire élire présidente de l'association des anciens de la maternelle de trifouillis-les-oies, ça ne serait pas crédible, et surtout tout le monde s'en moquerait éperdument).

Ce qui est passionnant c'est de se dire que derrière le mythe la réalité est peut-être plus sobre mais pas moins intéressante, et on rêverait de rencontrer ces Borgias en vrai (il va falloir qu'on invente des traducteurs instantanés pour que la conversation soit possible mais ce n'est qu'un détail)

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Membre+, Posté(e)
Doïna Membre+ 19 524 messages
Maitre des forums‚
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Sombres, les Borgia ? Pas si sûr. Ce n'était que des puissants de leur temps, ni plus violents ni plus intrigants que les autres, dans une Italie morcelée qu'ils aspiraient à unifier, ce qui n'était pas une mauvaise idée en soi. Il y eut des personnalités de la noblesse italienne bien plus terribles à l'époque, mais dont on ne parle pas parce qu'ils ne sont pas passés dans la postérité des mémoires. D'ailleurs, le règne des Borgia n'a pas été que crimes, empoisonnements, manigances... il fut riche en créations, en arts, en magnificence. Et puis tout ce qu'on raconte sur eux tient essentiellement à des rumeurs, comme celle d'un César fratricide, alors que si l'on se penche un peu mieux sur les évènements de l'époque, on a plutôt tendance à penser à une vengeance des Orsini. Idem en ce qui concerne les relations incestueuses entre Lucrèce, son père et son frère César. Tout cela serait parti d'une réflexion désobligeante du seigneur Sforza après que le pape Alexandre VI, qui lui avait en premier lieu donné sa fille en mariage, la lui avait reprise quand cela ne l'arrangeait plus, en prétextant que l'union n'avait pas été consommé, faisant passer Sforza pour un impuissant. Ce dernier, vexé comme un pou, avait riposté qu'il n'avait pas touché à Lucrèce parce que ne trouvant pas souhaitable de passer derrière le père et le frère ! Naturellement, de telles rumeurs allaient bon train au détriment des Borgia qui, d'origine espagnole, étaient considérés comme des étrangers à Rome où l'on préférait les papes italiens. Il y avait aussi le fait que le pape Alexandre VI (qui était plutôt déluré pour un chef de l'Eglise, il faut bien le dire) ait reconnu ses enfants, nés de sa maîtresse Vannozza Cattanei donc illégitimes, et qu'il les pousse sans arrêt sur le devant de la scène.

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