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Blaquière

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Blaquière Membre 19 162 messages
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Je reprends au début de mon arrière grand père !

L'Inventeur

--"Honoré ! Nous sommes des Honoré !"

Ca, c'était le bon mot de mon arrière grand père (et père du précédent) quand il croisait dans le village un gamin qui avait le même prénom que lui. Je ne l'ai pas connu. C'était "grand père Blaquière". Le nom que lui donnait mon père pour le distinguer de son autre grand père, grand père Brun, le père de sa mère et de Tonton Camille.

Mais il avait aussi une autre appellation qui devait remonter à un époque où mon père, tout petit

ne parlait pas encore très bien. C'était "pépé 'Aquière". Et curieusement, c'était ce nom que tout le monde avait retenu pour lui, au village. Quand il avait pris sa retraite de L'Arsenal de Toulon, il était venu s'installer à Réoules, près de son fils, Emmanuel, mon grand père, comme je l'ai déjà dit...

Pépé 'Aquière, plus qu'un grand père ou un arrière grand père, c'est une légende. Il était né à Istres, et de son métier, officiel, il était serrurier. Mais en réalité, il était Inventeur. Une sorte de génie de la mécanique. On a gardé dans les annales de la famille, sa réaction légendaire quand il a vu le premier moteur à explosion. C'était vers la fin du XIX ème siècle :

"Coumo va qué li ai pas soundjat ?!!!" traduction : "Comment ça se fait que j'y ai pas pensé !"

C'était tout dire. Et à partir de ce moment, à l'Arsenal, quand un moteur tombait en panne, c'est forcément lui qu'on allait chercher.

J'ai dit qu'il était une sorte de génie de la mécanique, oui ! Mais pas que...

Grand père Honoré, c'était exactement l'Hypias de Platon ! Tout ce qu'il portait sur lui, il se l'était fait, fabriqué lui-même. La chemise, le pantalon, la veste, le chapeau -melon-, les souliers. Tout ! Les lunettes? Aussi !

Et... vous n'allez pas me croire, mais si, je vous le jure ! le... dentier !

Parfaitement !

Peut-être s'en était-il taillé les dents dans des gros os de vache ? Peut-être. J'en reste à des supputations...

J'aurais pu penser qu'il y avait dans cette légende une exagération familiale. Mais j'en ai eu des échos d'autres personnes.

Suzanne, par exemple, une grand mère que j'ai connue à la Roque, bien plus tard, dans les années soixante et dix, et qui m'en a dit un peu sur lui :

"Un jour, en descendant vers la placette (à Réoules), je l'aperçois chez lui ; On le voyait de dehors, devant sa fenêtre, il lisait le journal...

--"Bounjou' pépé 'Aquièro ! Alors, coumo anar'?"

--"Bèn !"

--"Maï qué fèr' ? "

Vous comprenez ? Bon, je traduis :

(--Bonjour, pépé 'Aquière !

--Comment vous allez ?

--Bien !

--Mais qu'est-ce que vous faites ?)

"Je le voyais qui tenait son journal et de temps en temps, il remuait l'autre bras.

--"Bè, foou la bugado !" (Eh bien, je fais la lessive)

Tu te rends compte, Manuel ? (en provençal, Emmanuel, on connaît pas : c'est Manuel, comme en espagnol.) il faisait sa "bugade" en lisant le journal ! A cette époque, c'était pas inimaginable."

Et Suzanne de m'expliquer qu'il s'était fabriqué une machine à laver ! Je te garantis que c'est vrai ! On comprend la surprise de Suzanne. Parce que la "Bugade", c'était une occupation à plein temps pour toute une journée.

Il y avait la petite carriole sur laquelle les femmes chargeaient la caisse à laver en bois avec le savon, la brosse, le battoir, plus un grand panier avec le linge à laver, et tout cet équipage extraordinaire partait pour le lavoir à quelques centaines de mètres du village...

Alors, voir Pépé 'Aquière, faire sa lessive assis à sa fenêtre en lisant le journal, je crois bien que Suzanne et tous ceux qui on pu le voir n'en sont jamais revenus.

Et ceci, d'autant plus que dans les années quatre vingt, Suzanne était la dernière femme de La Roque à monter sur le chemin des Neufs Fonts avec sa carriole, jusqu'au lavoir pour laver son linge à l'ancienne façon !

On nous pardonnera donc, si dans la famille, on dit que c'est grand père Honoré qui a inventé la machine à laver !

(Quand bien même des machines à laver pouvaient sans doute déjà exister en Amérique à cette époque...)

Mon père m'en a un peu plus dit sur cette machine à laver et son principe.

Comme Honoré ne se voyait pas tourner une manivelle sans arrêt (la motivation de toute invention restant la fainéantise !), il profitait de l'inertie.

Le fond de la cuve était arrondi, et le "battoir", une sorte d'ailette ou une planchette ajourée. Il envoyait un coup sur la manette et l'ailette montait donnant l'élan à l'eau et au linge à l'intérieur (admirez l'allitération !), l'ensemble se mettait à monter et à redescendre d'un côté et de l'autre. Puis, quand le balancement s'était calmé, il renvoyait un coup de manivelle !

Grand père Honoré avait inventé l'énergie durable !

Un autre témoignage, relativement externe, puisqu'il vient de mon grand père Giraud, (le père de ma mère). Et c'est pépé Giraud qui raconte. Un jour en revenant des Plans, sa sulfateuse à dos en cuivre suite à un soubresaut, tombe de la charrette et une roue lui passe dessus !

On sait ce que c'est qu'une roue de charrette. On voit le cercle de fer d'un centimètre d'épaisseur au moins qui entoure la roue en bois. On imagine sa dureté, plus le poids de la charrette ; et l'on devine aussi la fragilité d'une sulfateuse à dos, faite d'une fine tôle de cuivre emboutie...

"Si tu avais vu cette sulfateuse : elle était complètement escrabouillade (écrabouillée) !

je passe devant chez pépé 'Aquière qui attendait devant sa porte. Il voit la sulfateuse profondée et il me demande. Je lui explique qu'elle est tombée... Il me dit, "Tè, laisse-là, là, je verrai si je peux faire quelque chose". Je la lui laisse, mais je lui dis "Vous tracassez pas, surtout, de toute façon, vu son état, je vais en racheter une autre, et puis elle était vieille..."

"Une semaine après, je repasse devant chez lui, et je lui demande : Alors, cette sulfateuse ? vous avez rien pu faire, non ?"

Et lui :

"Bè, tiens, elle est là !" Et il me montre, à côté de sa porte, contre le mur, une sulfateuse...

UNE SULFATEUSE NEUVE !

Je lui dis :

--"Mais c'est pas la mienne ! Elle est neuve, celle-là !"

Et il me répond

--" si ! J'en ai profité pour un peu la nettoyer !"

Si tu avais vu cette sulfateuse comme elle brillait ! De partout ! Elle était neu-veu ! C'était pas croyable. Il me la donne et je lui demande :

--"Maï quant vous duvi ?" (mais combien je vous dois ?)

E èou mi fa (et lui il me fait):

"Ren !"

E You :

"Quand mémé ! emé lo travail qu'aver' fa !"

(Et moi : Tout de même, avec le travail que vous avez fait)

--"Bè, tè, rèmplissé mi la plato sé vouas !"(Ben, tiens, remplis moi la "plate" si tu veux) et il me tend sa plate...

(La plate, c'était une bouteille plate, de deux litres, en verre, pour le vin. La forme d'une gourde.)

Grand père Honoré n'avait pas besoin d'être payé : il avait sa petite retraite de l'Arsenal, ça lui suffisait pour vivre.

Et mon grand père concluait :

"C'est comme ça que j'ai eu une sulfateuse neuve pour deux litres de vin !"

Le cuivre, ça se soude à l'étain.

Et l'étain, grand père Blaquière le récupérait en faisant chauffer les vieilles boîtes de conserves dans un genre de grande lessiveuse. Une bande de fer blanc courbée en arrondi et aux deux extrémités serties ensemble formait le corps de la boîte, mais cet assemblage avait besoin d'un peu d'étain pour être parfaitement étanche. C'était cet étain que grand père récupérait au fond de la lessiveuse pour faire ses baguettes de soudures. De l'étain... durable ici aussi ! De récup'.

Pendant la guerre de quatorze, les voisins de St Jean du var qui avaient des jeunes sur le front (il avait lui, ses deux fils, Emmanuel et Marius), lui apportaient de temps en temps une casserole de civet, de daube ou quelques tomates farcies. Et lui, il en faisait des boîtes de conserve ! Il soudait les couvercles, pour les expédier en toute sécurité dans les colis.

Avant de monter à l'assaut se faire mitrailler, les poilus de St Jean, avaient pu au moins se régaler un moment des bons petits plats familiaux venus directement de Toulon.

Un jour, grand père Blaquière, est redescendu à Toulon pour vendre sa maison. Sa maison qu'il avait, évidemment, construite lui-même et tout seul. (Je suis pas le premier !) Il a fait la fête en ville, à Toulon, et il est remonté quelque temps plus tard au village, sans plus le moindre sou !

Il avait "mangé sa maison" en trois jours

Suzanne m'a raconté que souvent, à plus de soixante et dix ans, le dimanche matin, on voyait pépé 'Aquière monter à la Roque -le chef lieu de canton- en costume et chapeau melon. Quatre kilomètres à pieds ! Là, il passait la journée au bar et il se cuitait grave. Puis, le soir, il se "récampait" comme il pouvait à Réoules.

De la Roque à Réoules, ça descend !

Mon père me précisait et les deux témoignages se recoupent :

" Le dimanche il attrappait une bonne cuite ; mais dès le lundi matin, il se remettait au lait !

Et toute la semaine, il ne buvait plus que du lait !

Mais il fallait le voir faire ses soudures ! Des soudures microscopiques sans trembler seulement d'un millimètre !"

(Des fois je me demande pourquoi, j'aime bien boire du lait...)

Être un "bricoleur de génie" (le mot est de mon père) n'enlevait rien à son côté farceur.

A l'occasion, ça pouvait même faciliter. Il s'était bricolé un accordéon...

Avait partagé le soufflet en deux avec deux trous sur le devant.

L'un était rempli de suie et l'autre de farine.

Et en faisant mine de jouer, il attendait tranquillement assis sur le pétarode du coin du four.

(Pétarode : ou "casse roue" : ces pierres en forme de pain de sucre placées à l'angle des rues pour que les roues de charrettes ripent dessus sans que les moyeux ne s'accrochent sur l'angle des murs)

Passent les gendarmes qu'il attendait...

--Alors, pépé 'Aquière, on essaie de jouer de l'accordéon ?

Or aucun bruit ne sortait ! Du coup, les deux gendarmes s'approchent... S'approchent...

Et quand ils sont à bonne portée ! Frououou ! d'un côté et frououou de l'autre.

Les vieux qui avaient assisté à la scène en rigolaient encore :

"N'avié ün tout blanc que semblavo ün moounier et l'aoutré tout négré, coumo ün carbounier !"

(Il y en avait un, tout blanc, on aurait dit un meunier et l'autre tout noir, comme un charbonnier)

Et puis, il y avait eu --dans la pénombre de l'église--, l'encrier versé dans le bénitier...

Et tous les dévots qui étaient ressortis de l'église, barbouillés d'encre.

Mais ça, c'était peut être une blague de son fils, tonton Marius...

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  • 2 semaines après...
Membre, 77ans Posté(e)
Blaquière Membre 19 162 messages
Maitre des forums‚ 77ans‚
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"Mon grand père de Palestine."

Tiens restons encore un peu à l'église !

Quand il s'est marié, mon grand père Giraud, (le père de ma mère) il avait dû se confesser. Mariage à l'église oblige. Or, à cette époque, il revenait tout juste de la guerre de Palestine de 1918/1920, qui avait été un vrai carnage, puisque partis à cent quarante, ils étaient revenus quarante de sa compagnie...

Mais revenons à sa confession.

-- Mon fils, avez-vous péché ?

Et là, mon grand père qui ne rate jamais une occasion de faire son malin, de répondre :

-- Oui, mon père : j'ai menti, volé, et tué !

Paff ! Le curé en sursaute :

-- Mais mon fils ! C'est trrrès grrrave ! Expliquez-moi !

(Pépé refaisait le curé qui roulait les "r".)

-- Ben mon père, les turcs, je leur ai menti et je les ai volés aussi pour manger et j'en ai même tués pendant la guerre !

Le curé, soulagé se rengorge :

-- Des infidèles ? Mais mon fils, ça c'est pourrr la plus grrrAnde glOIrrre de Dieu !

Et mon grand père frappait dans ses mains d'un de ses gestes maladroits qui partait des épaules, avec tout les bras pliés mais raidis. Il avançait le menton, pinçait les lèvres et levait les yeux au ciel : c'était sa façon de mimer une intense réflexion :

"Tu te rends compte de ce qu'ils ont dans la tête, ces gens ? Tu peux tout faire, tuer, voler, si ça va dans leur sens, ils sont prêts à tout te pardonner !"

Et il connaissait bien le milieu. Parce qu'à l'époque où il avait (si brillamment !) passé son Certificat, il était aussi enfant de choeur à l'église de la Roque.

Donc, en dix huit il est mobilisé et arrive sur le front le jour de l'armistice !

Si c'est pas de la chance, ça !...

A part qu'il y attrape immédiatement la grippe espagnole !

Bref, quelques jours plus tard, il est mourant sur son lit d'hôpital. A sa dernière visite, le docteur répond à l'infirmière qui lui demande si elle peu laisser la bouteille de Champagne sur sa table de nuit :

-- Champagne à volonté ! Vous pouvez la lui laisser : Il est foutu, de toute façon, ça lui fera pas plus de mal !'

Et le père Giraud termine ainsi le récit de sa résurrection :

"Je me suis amouré (1) à cette bouteille et je l'ai plus lâchée. Je l'ai sifflée avec 40 de fièvre !"

"C'est ça qui m'a sauvé ! "

Pourquoi pas ! Il en était convaincu en tout cas. Mais tout de même, cet hôpital, avec champagne à volonté, ça laisse un peu songeur !...

"A la guerre comme à la guerre", on va dire.

Bon ! Il est arrivé sur le front le jour de l'armistice. Coup de chance ? C'est certain ! Sauf qu'à peine relevé de sa grippe espagnole, on l'a fait s'embarquer pour le Moyen Orient et deux années de guerre contre les turcs. C'était le protectorat de la France sur la Palestine. Les français venaient remplacer les anglais.

Mais quand bien même ses récits de Palestine on ponctué toute ma jeunesse, je serais bien incapable de restituer un récit vaguement chronologique de cette guerre. Il ne m'en est resté que quelques bribes, quelques tableaux extraordinaires...

Mais extraordinaire, c'est le mot juste, car on constatera vite que ressusciter de la grippe espagnole grâce au champagne à volonté, c'était bien la moindre des introductions...

(1) "s'amourar" : provençal pour coller sa bouche ou le "museau" (lo mouré) à un récipient pour y boire goulûment.

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  • 2 semaines après...
Membre, 77ans Posté(e)
Blaquière Membre 19 162 messages
Maitre des forums‚ 77ans‚
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"Mon grand père de Palestine." (suite)

Et pour parler de cette "guerre de Palestine", commençons par la plus invraisemblable, la plus improbable des rencontres qui se puisse imaginer à l'autre bout de la Méditerranée...

Grand père Giraud, jeune soldat se promène dans quelque ville ou village de Palestine, accompagné d'un copain d'un village voisin. Je dirai de Belgentier ? Pourquoi pas... Il avait en effet un copain de Belgentier qui s'appelait Giraud, comme lui. Et voilà que nos deux compères ont trouvé cette astuce pour discuter en toute discrétion ; celle de parler en provençal ! Pas bête ! Puisque si le français peut être compris à la rigueur un peu partout, le provençal, ça, aucun risque : c'est sûr à cent pour cent !

Et quand il passent devant la terrasse de ce barbier, où un gros "pacha" turc, un gros "plein de soupe" est en train de se faire raser, ils s'en donnent à coeur joie :

-- Qué boudènflo ! (quel gros lard !)

-- Régardo mi ün paouc aquèou couilloun !" (regarde moi un peu ce couillon!)

(Resituons bien la scène. On est en 1919 ou 1920, de l'autre côté de la méditérrannée et nos deux pieds nickelés discutent en... patois ! OK ? Bon !)

Mais voilà :

Le gros turc qui se fait raser, dans ce village du fin fond du monde, se retourne et leur réplique :

-- Pas tant couilloun qué tu !

(Pas plus couillon que toi !)

En bon provençal, bien de chez nous !

Du coup il n'y a plus eu ni guerre ni ennemi. C'était la pure magie de la "lengo nostro". Celle qui au moyen-âge avait inventé l'amour et la poésie... (1)

"Et tous les trois, on est allés boire un café au bistro d'en face en parlant DU PAYS !"

"Il était bien turc. Mais il nous a expliqué que depuis plus de vingt ans, qu'il venait passer tous ses étés en vacances à Hyères, il parlait le provençal aussi bien que le turc..."

(La scène a pu se passer dans les rues d'Aïntab en janvier 1920 quand les tensions entre les communautés turques, arméniennes et les soldats français permettaient encore aux différentes populations de se croiser...)

Tiens ! Maintenant, je viens de penser que grâce à ce "grand père de Palestine", j'ai pratiquement vécu la même scène... mais à l'envers !

Il nous racontait qu'en Turquie, il était à la tête d'une section de tirailleurs sénégalais. Dont beaucoup étaient Bambaras. "On les reconnaissait bien aux trois coupures sur chaque joue." Et il faisait le geste avec trois doigts en descendant vers le menton. "C'est ça la marque des bambaras. De chaque côté de la figure. "Et bien sûr, il avait appris quelques mots de bambara.

Le bonjour, c'était : "Anisségué, agakéné érrrébimba !"

Une phrase que l'on devait accompagner d'un geste de la main qui vous frappait la poitrine avant de se tendre vers l'autre.

Mais tout cela , vrai ou faux ? Qui aurait pu en juger ? Pépé n'était-il pas un peu mythomane sur les bords ?!!!

Non !

Car vers la fin des années soixante, au restaurant universitaire, voilà qu'à table, devant moi, mangeait un grand et beau jeune homme. Etudiant, comme moi. A part qu'il était tout ce qu'il y a de noir. Et j'aperçois sur ses joues les fameuses trois coupures que m'avait décrites mon grand père. Je me lance donc, un peu avec l'idée que je vais enfin pouvoir vérifier si ce que racontait le père Giraud c'était pas des galéjades...

Je demande à mon vis-à-vis :

-- Tu serais pas Bambara des fois ?

Etonnement du gars...

-- He oui ! absolument !"

Et je me lance :

--"Anisségué, agakéné..."

Son visage s'éclaire, et il me répond avec un grand sourire :

--"Agakéné, érrrébimba !"

En accompagnant sa réponse du geste convenu que j'exécute au même moment !

Alors, je lui ai expliqué mon grand père et ses copains bambaras...

J'ai pu ainsi vérifier tout "mon vocabulaire" bambara ! Qui se résume à quelques mots : Manger, c'est "doumani", le pain, "bourrrou". Et pour marquer son plaisir, quand on est content, l'équivalent de "c'est super", ça donne "a cagni cochobé" et à l'inverse "putain de merde" c'est : "a mmagni !" en insistant sur le "m"...

Bref, tout était juste ! Et suffisamment bien restitué par mon grand père pour qu'un vrai bambara le comprenne.

A partir de ce jour, il va sans dire que quand on se croisait dans la cité U ou en ville, c'est en bambara qu'on se disait bonjour !

--Anisségué, agakéné !

Et l'autre y allait de son :

--Errrébemba !

Et l'un comme l'autre, on n'en était pas peu fier.

A la fac on le surnommait Ben, le nom d'un footballeur réputé du moment, et parce qu'il jouait bien au foot. Mais son vrai nom, c'était Nououm. Nououm Traoré. Il était malien, et il était... prince ! Oui ! Un vrai prince !

Il nous disait en rigolant et on pouvait le vérifier, qu'après plusieurs mois, passés en France, ici à Aix, sa peau s'éclaircissait nettement !...

Un type bien, ce Ben, vraiment digne.

(1) Là je me la joue un peu, mais ça me fait plaisir ! Et puis, ça fait mal à personne...

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  • 2 semaines après...
Membre, 77ans Posté(e)
Blaquière Membre 19 162 messages
Maitre des forums‚ 77ans‚
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(Suite)

Bien sûr, je ne lui avais pas dit (à Ben) comment j'avais appris de mon grand père le mot bambara "doumani" (manger).

Un jour, les français qui encadraient les tirailleurs avaient dû aller au Q.G. sans doute prendre des ordres et avaient laissé deux prisonniers turcs sous la garde des tirailleurs. Quelques jours plus tard, ils reviennent au campement et demandent où sont sont passés les prisonniers qu'ils ne voient plus...

La réponse les a un peu estomaqués :

--A doumani !" (On les a mangés !)

Certes, c'était en temps de disette, le siège d'Aïntab, je crois et dix jours de provisons qu'il faut faire durer un mois ou plus...

Et puis, il y avait cette autre coutume locale des combattant africains qui faisait perdre un peu de temps, lors des offensives, puisque à la fin du combat, les tirailleurs faisaient le tour des tués ennemis restés morts sur le champ de bataille pour leur couper la tête avec un couteau scie...

Ils expliquaient que tant que la tête restait sur les épaules on ne pouvait pas être sûr que les ennemis étaient bien morts et qu'ils ne se relèveraient pas plus tard pour les prendre à revers...

Et mon grand père, mimait ce geste devenu classique "dé coupar 'no testo émé lou coutèou serro" (de couper une tête avec le couteau scie) en tenant le cou d'une main et en sciant de l'autre !

Le "a mmagni" ! (ou "putain de merde" !) c'était un tirailleur qui était tombé dans les latrines quand les deux planches transversales s'étaient cassée sous lui ! Il avait ressorti la tête du bourbier et l'on imagine le genre du bourbier, en hurlant :

-- A Mmagni ! "

De tout cela, mon grand père, n'en tirait pas la moindre conclusion, la moindre pensée raciste. Le plus souvent, il concluait ses anecdotes sur les tirailleurs par un "et moi, aussi, je suis à moitié noir !" Pour preuve il montrait fièrement le tranchant de sa main, du côté du pouce : "Regarde ! La limite entre le dessus de la main et le dessous, la paume, ça fait une ligne bien droite : ça, ça veut dire qu'on est noir à l'origine !"

Je ne sais pas où il était allé chercher ça...

Mais ce que je comprenais c'est que la guerre opérait une simplification de toutes les valeurs. Il ne restait plus que l'essentiel, le vital. A la lettre. Il avait vu le courage exemplaire des noirs. Et être courageux face à la mort, c'est être un homme, entièrement. Un point c'est tout.

Et puis les noirs, question sauvagerie, ils n'avaient rien à envier aux bons français.

"Un jour, j'ai vu un copain, UN PROVENCAL qui rentrait dans un gourbi, et il en est ressorti avec un bébé, planté au bout de sa baillonnette ! Je lui ai dit : "Maï sièr' coumplétamènt foèlé ?" (mais tu es complètement fou ?). Tu sais ce qu'il m'a répondu ? "Celui-là, au moins, je suis sûr qu'il tuera pas mon fils !"

Il y avait combien de chances (si on peut dire) pour que ce bébé, chez lui, de l'autre côté de la mer, rencontre un jour son fils qui n'était pas encore né ?

Et il concluait : "Si ça, c'est "pour la plus grande gloire de Dieu, alors, li coumprèni plus rèn !" (J'y comprends plus rien !)

"La vérité, c'est que la guerre c'est dégueulass' !"

Et il avalait le dernier "e" de "dégueulasse" : avec l'accent français, pour lui, un gros mot avait encore plus de force.

La guerre de Palestine qu'il nous racontait avait aussi ses aspects comiques. On a vu le tirailleur tombé dans les latrines, (et les prisonniers mangés, ça en faisait presque partie !). Lui, un jour il était allé "caguer" derrière un mur, et s'était retrouvé sous le feu ennemi ! "J'ai pas demandé mon reste ! je suis rentré en courant, le cul nu en me tenant les "brailles" sur les chevilles ! Mais j'ai perdu mon portefeuille et tous mes papiers..."

Elément important de la légende, car toute preuve écrite de ses exploits avait disparu...

Dans les récits de mon grand père, il y avait du comique et aussi de l'exagéré, quelques fois, sans doute. Comme ce voyage en train dans un wagon chargé d'oranges. Le train a déraillé, et pour se protéger, ils avaient eu la présence d'esprit de plonger dans la cargaison d'oranges. Alors, quand le train s'est enfin immobilisé, "On s'est retrouvé dans le jus d'orange jusqu'à la taille !"

Et puis, il y avait la guerre sous son aspect absolument spectaculaire.

Comme la charge des Spahis marocains, en contrebas de leur position, dans la plaine, contre une position turque : à cheval, au galop, sabre au clair, avec les capes rouges qui flottaient dans leur dos...

Ils avaient tous regardés ça, totalement fascinés ! "C'est peut-être une des dernières charges comme ça qui ait existé... C'était comme du temps de Napoléon ! Tu te rends compte ? j'ai encore vu ça, moi ! eh , je devrais pas le dire, mais... c'était... Magnifique !"

Et il insistait sur le "m" de "magnifique" comme dans "a mmagni" !

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  • 2 semaines après...
Invité guipure
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Invité guipure
Invité guipure Invités 0 message
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Bonjour Manu Va Nu, Ma nue va nue, Man you've a new... Manu Rêva (tout nu ?) Euh... là j'arrête..:blush: .

Dis-moi, J'aimerais avoir le livre de Manu dans mes mains, ce livre papier bien plus pur qu'un post sur un forum (forum intelligent, toutefois, pour personnes intelligentes (entre autres..).

Mais je voudrais avoir ce Livre dans mes mains, le lire avec un tel plaisir que tu n'imaginerais pas..

J'aurais dans un coin de Chez Moi, Les Mémoires d'un Ami..

Alors c'est pour quand ?? Dis-moi..

Bon... Faut pas qu'ç'a t'empêche de continuer sur la même ligne... ;)

Après celle du pianiste.. la groupie de l'écrivain.. ça s'dit ??

Encore bravo et merci pour hier, aujourd'hui et demain..

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Membre, 77ans Posté(e)
Blaquière Membre 19 162 messages
Maitre des forums‚ 77ans‚
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J'hésitais...

Je vais "finir" le grand père de Palestine, mais pour le reste, parler de ma soeur, de moi, de notre jeunesse, c'est plus intime, on va dire... j'hésite un peu !

Mais y'a quand même des trucs de l'enfance qu'il faudrait que je note... De repasser tout ça, ça m'a fait découvrir des choses n'empêche ! Des choses, des réactions que sur le moment on n'avait pas forcément comprises...

En tout cas merci de m'encourager !...

Tiens mon fils m'a dit (un de mes fils) : si tu veux quand tu as écrit tout ce que tu voulais, je te le fais imprimer en quelques exemplaires !

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Invité guipure
Invités, Posté(e)
Invité guipure
Invité guipure Invités 0 message
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Très bonne idée !!

J'attends.. :)

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  • 2 semaines après...
Membre, 77ans Posté(e)
Blaquière Membre 19 162 messages
Maitre des forums‚ 77ans‚
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Mon grand père de Palestine (fin)

Et parfois, c'était le contraire : ils étaient retranchés et c'est les turcs qui les attaquaient à découvert...

"Les mitrailleuses étaient alignées, on nous avait divisés en deux parties. Une moitié à droite et une moitié à gauche. La moitié de droite, les mitrailleuses étaient orientées pour tirer vers la gauche et la moitié de gauche, vers la droite. C'est ça le tir croisé. Tu vises pas. Tu tires sans arrêt toujours dans la même direction. Il fallait attendre qu'ils soient à la bonne distance pour commencer à tirer. On les voyait approcher, et tu peux me croire qu'on les avait à zéro ! Mais le capitaine faisait les cents pas derrière nous le "pistoulachou" à la main : --Le premier qui ouvre le feu sans mon ordre, je lui brûle la cervelle !" Et on était sûr qu'il l'aurait fait ! La vie de tous dépendait de la discipline. L'ordre, il nous l'a donné quand les turcs ont été à moins de trente mètres.

Comme tu la bouges pas ta mitrailleuse, les lignes de tir sont croisées, ça fait un quadrillage. C'est comme un mur. Y'a plus personne qui peut passer ! "Pauré dé tu !" (pauvre de toi) : "Leis avèn tchaplats sus plaço !" (On les a hachés sur place !) Au bout d'un moment, les canons des mitrailleuses, chauffaient au rouge. Et on s'arrêtait toujours pas... "Un mortaladgé" (un massacre) !"

"Un jour, on nous a dit que le général en chef de l'armée turque (c'était Mustafa Kemal !) visitait ses troupes de l'autre côté de la plaine, à quelques kilomètres de nos positions. En effet, on voyait du mouvement en face, alors j'ai tiré quelques cartouches dans la direction. Tu te rends compte ? "Sé l'aviou agantat ?" (si je l'avais attrappé ) J'aurais empêché la Turquie de devenir un pays moderne ! Et là, tout d'un coup, c'était de lui qu'avait dépendu le destin de tout un pays ! Presque du monde ! C'était grâce à sa maladresse que la Turquie était rentrée dans le vingtième siècle ! Il frappait dans ses mains, toujours de sa façon aussi gauche et rajoutait d'un air important : "é'ousamènt que l'ai mancat, é pas just !' (heureusement que je l'ai raté, et pas qu'un peu !) Et il continuait : "Quand on lit dans les romans de guerre : "chaque balle atteignait son homme..." peuchère ! Y'en a pas une sur un million qui atteint son but !"

J'ai pu lire que beaucoup de soldats de cette époque étaient restés traumatisés à vie de ces boucheries. C'était pas son cas. Il s'en était fait une sorte de carapace de sagesse. Il en jouait à fond les héros décontractés. A plus de soixante ans quand des événements politiques semblaient tourner au vinaigre comme pour la guerre d'Algérie, il se "portait volontaire" : si ça va pas, en cas de "mal-parée", c'est nous, les vieux qui devons y aller, il faut pas y envoyer les "petits" !

L'épilogue de sa guerre de Palestine, il l'avait vécu en trente neuf quand il avait à nouveau été mobilisé, mais à l'arrière. Puisqu'il avait alors passé les quarante ans.

Au rassemblement, le colonel du régiment demande :

"Y'a quelqu'un qui s'appelle André Giraud, dans les rangs ?"

Et lui, il répond le "présent" habituel.

Alors, le Colonel vient se mettre au garde-à-vous devant lui et le salue en déclarant textuellement :

"Je salue en vous un héros de Marach et d'Aïntab !"

Soyons francs, il racontait ça comme une anecdote, mais il en était visiblement fier. Et content de son effet.

Sans trop connaître l'armée, on se doute que quand un officier supérieur rend un hommage si appuyé à un troufion, c'est qu'il y a du pas courant dans l'air !

"Toutei leis aoutrés m'an régardat : fahièn d'ueils coumo lou poung !"

(Tout le monde m'a regardé avec des yeux comme le poing !)

En quarante quatre, quand ils ont appris que les américains venaient de libérer Cuers, le village précédant dans l'avance des alliés depuis la mer, il a pris le fusil Lebel de 14 de mon autre grand père (qui était mort), et a dit aux copains du village : "Allez, on va faire prisonniers les allemands du village avant qu'ils partent !"

Mais personne ne l'a suivi ! Et il terminait "Ils auraient peut-être bien préféré de rester prisonniers, ici, tranquilles plutôt que d'aller courir sur les routes dans la débâcle d'une retraite."

En Turquie, il en avait vécu une, lui de retraite, celle de Marach. Une dizaine de jours, plusieurs centaines de kilomètres, à pied, dans la neige, par moins trente. Avec les copains qui ont les pieds et les mains gelés, et les enfants (arméniens) morts de froid qu'on laisse sur le bord du chemin... Il savait de quoi il parlait, même si là c'était au mois d'Août que les allemands retournaient chez eux...

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  • 4 semaines après...
Membre, 77ans Posté(e)
Blaquière Membre 19 162 messages
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M'a soeur m'a retrouvé la photo de mon grand père, l'aviateur !

Vous vous souvenez ?

"Certes il y avait en arrière plan, un avion, très vieux modèle, un coucou de 14 !... Peut-être celui de Guynemer ? Exactement le même en tout cas. Mais le type devant, ce n'était pas du tout un poilu de 14 ! Que ce soit par sa gueule, l'allure, toute sa dégaine on peut dire, ben non : c'était un "type de maintenant" !

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Alors, j'avais menti ?

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  • 4 mois après...
Membre, 77ans Posté(e)
Blaquière Membre 19 162 messages
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Starlette

Starlette, c'est ma soeur ! Le soleil, je l'ai dit.

Avoir une soeur de deux ans et demi son aînée, pour un garçon, c'est trop génial !

Déjà que les filles au même âge, sont plus en avance, que nous, grâce à elle, je me suis toujours retrouvé "plus en avance qu'en avance" de deux ans !

A treize ans, je savais tout danser : le rock, le slow, le Madison et le twist ! Même le cha cha cha et le tango. Le paso-doble ? trop facile ! il suffit de marcher sur le rythme ! Et après la bataille de confettis, sur la piste de danse on laissait derrière nous des ornières de skieurs dans la poudreuse.

L'orchestre qui venait au village, tous les étés, c'était "Les fans du rythme".

Et mes idoles absolues étaient Sydnet Bechet et Louis Armstrong quand mes copains ne juraient

que par les Shadows !

Le gouffre des générations !

Mais n'exagérons rien : j'aimais bien les Shadows aussi ! "Apache" en particulier, et ses sonorités viriles de guitares électriques : Don, ding, doooon... Ding don, ding doooon !

Et puis, c'était Starlette qui m'écrivait mes compositions françaises. Jusqu'en troisième au moins !

(J'étais fainéant, vous ne pouvez pas vous imaginer !)

Tous les matins, les internes garçons de quatrième et de troisième, nous montions en rang depuis Raynouard, jusqu'au collège de la liberté, en haut du cours, de l'autre côté de la ville et nous croisions en ville, le plus souvent au niveau de la gare des cars, le rang des filles internes qui de la seconde à la terminale, descendaient, elles, au lycée Raynouard. Et pendant ce croisement, Starlette pouvait me passer les feuillets de MES rédactions. Les rédactions dont je lui avais fait passer les sujets lors d'un croisement précédent. Elle était en première et moi en quatrième.

En plus nous avions le même prof de français ! (Elle savait d'avance ce qui lui plairait !)

C'était Boulois. Un poète.

Et cette fois là, il s'agissait d'une rédaction sur le Moyen-Âge...

Le sujet était d'imaginer une suite à un passage de la "Chanson de Roland" que nous avions sans doute étudié en classe. Moi, ça ne m'inspirait pas tellement ces vieux trucs. Vous pensez bien que pour un futur ingénieur à Marcoule, le moyen-âge... ( Mais là, je réalise que la semaine dernière j'expliquais à des quatrièmes du Collège Cézanne --à Brignoles !--, le texte du serment de Strasbourg à la mort de Charlemagne ! On pourrait se demander s'il n'y a pas de la revanche dans l'air ?...)

Passons ! Le fait est que si Charlemagne et le Moyen-âge ne m'inspiraient pas. En revanche,

Starlette, dans MA rédaction, elle, elle se promenait ! Elle faisait parler Charlemagne qui retournait vers "France la douce"... J'en était émerveillé ! Et Ganelon, le félon, et Roland qui s'époumonait dans sa corne de brume tandis que la belle Aude aux bras blancs se morfondait... C'était si beau ! Et

quelle imagination !

Or, dans MA rédaction de Starlette, il y avait un mot que je n'arrivais pas à déchiffrer...

"Que vouliez-vous qu'il fît ?" (Que je fisse?)

J'ai tout bêtement reproduit l'hiéroglyphe sans le comprendre !

J'ai reproduit le même tracé incompréhensible ! Starlette écrivait non pas mal, mais avec des

circonvolutions bizarres dans ses lettres. Par exemple, un "o", elle le reliait non pas par le haut à

la lettre suivante, mais par le bas après avoir fait un tour de plus qu'il n'en fallait... C'était une

preuve visible d'originalité. Mais du coup, à l'arrivée, toutes les lettres étaient rondes et se ressemblaient ! C'était beau, mais difficile à lire. Donc je reproduis l'hiéroglyphe sans le comprendre...

Et puis j'oublie. J'aurais pu lui demander, le dimanche, à la maison, ce qu'elle avait écrit, mais je n'y ai plus pensé. Quand c'est dans la boîte, on n'en parle plus !...

Mais est venu le jour ou Boulois, le prof de français poète avec son visage maigre, au menton et au grand nez pointus en lame de couteau, devait rendre les compositions françaises sur Charlemagne...

Soudain je me souviens ! "Mince, l'hiéroglyphe ! J'ai écrit un truc que je sais même pas ce

que ça veut dire ! Si le prof me demande, C'EST LA HONTE !!!"

Imaginez la scène, Boulois me montrant ma copie double : "Qu'est-ce que vous avez écrit, là ?" Et moi : "Euh !... je sais pas !"

C'était une histoire de fou ! J'allais perdre toute ma crédibilité...

Eh bien non ! Boulois avait dû déchiffrer mon gribouillis que je ne comprenais pas moi-même et seulement reproduit !

Ou alors il n'avait pas compris lui non plus et pas osé me demander ? Non c'est impossible, ça. Un prof ça n'a pas ce genre de coquetterie. Bref l'hiéroglyphe est passé comme une lettre à la poste !

Vive Charlemagne, France la Douce et la Belle Aude aux bras blancs !

Boulois, écrivait des poèmes. Il lui arrivait de nous en lire un... Celui où il parlait du rang des filles qui les matins de pluie descendaient au lycée Raynouard sous leurs parapluies multicolores, par exemple :

"C'est une armée de champignons qui traverse la ville..."

Son commentaire d'un vers de Victor Hugo m'est resté aussi :

Hugo : "Son pied mignon semblait rire à côté du mien..."

Boulois : "Ah j'aim' bien ça, moi, ce pied qui rigole !"

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  • 1 mois après...
  • 8 mois après...
Membre, 77ans Posté(e)
Blaquière Membre 19 162 messages
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Je reviens sur mémé Anna, ma grand mère.

L'autre jour, Elise, ma tante (la soeur de ma mère) m'a raconté : "Mémé Anna, elle avait son côté farceur, aussi ! Un jour, Marie-Jeanne (celle qui faisait surveiller les rendez-vous de tonton Marius au clocher) toujours curieuse de ce qui ne la regardait pas, avait demandé à Juliette -ta mère- qui était encore petite fille :

--Vous en avez, vous DES SOUS ?"

Bien sûr ma mère à six ou sept ans, ne savait pas bien ce que c'était, les sous. Et elle lui répond qu'elle ne sait pas.

Mais le soir, à sa mère (mémé Anna), elle lui raconte l'affaire :

--Maman, cet après-midi, Marie-Jeanne m'a demandé si on en avait des sous : on en a ?"

Bien sûr qu'ils n'en avaient pas des sous. Ou en tout cas, très peu.

Mais mémé Anna ne s'est pas démontée :

--"Si on en a des sous ? Oh ma pauvre, tiens !"

Et elle va prendre un pot sur la cheminée, elle soulève le "cabucèou" (le couvercle) et en retire deux petits billets et quelques pièces qu'elle montre à ma mère.

--" : en voilà des sous !" Puis elle range le pot sur la cheminée, en cachant les deux billets et les pièces dans sa main gauche, mine de rien. Après, elle ouvre un tiroir du buffet et feint d'en retirer les mêmes deux billets et quelques pièces :

--"Tiens, là aussi, tu en veux des sous, toi ?! Aqui n'a ! (Là y'en a)

Et elle renouvelle le stratagème, derrière le miroir du buffet ! Sous le matelas du lit dans l'alcôve ! Sous la statuette de "l'angoisse" au coin de la cheminée ! Et même derrière le portrait de mon grand père en soldat de 14 accroché au mur.

J'imagine ma grand-mère en train de se demander : " Mounté n'èn poudriou maï n'escoundré ?" (Où je pourrais encore en cacher ?).

En un mot, la maison était pleine de sous ! Y'en avait partout des sous ; des billets, des pièces... DE PARTOUT !

Le lendemain ma mère revoit Marie-Jeanne qui lui demande si elle a demandé à sa mère pour les sous...

Et là, ma mère :

--"Si on en a des sous ? On a des sous, des sous..." Et chaque fois elle pique de son index droit dans la paume de sa main gauche pour que Marie-Jeanne comprenne que c'est bien du réel :

--On a des sous, des sous, des sous et encore des sous !"

Je crois que Marie-Jeanne en a été furieuse !...

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PASCOU Membre 92 138 messages
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-- Un jour j'écrirai mes mémoires...

-- Qui tu veux que ça intéresse ?!

N'attends pas de ne plus en avoir!:smile2:

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  • 1 an après...
Membre, 77ans Posté(e)
Blaquière Membre 19 162 messages
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MON AMOUR INTERPLANÉTAIRE


 

L'âge est une variable importante pour ces histoires de sexualité. Mais pas la seule à avoir voix au chapitre : il y a la mémoire aussi heureusement ! Qui collationne, enregistre. On dit aussi se souvenir. Se souvient-on exactement de ce qu'on ressentait il y a très longtemps ?...

A 15 à 16 ans par exemple...  Devinez ? J'étais amoureux ! (Comme tout le monde !) Et je m'en souviens très très bien. Comme si c’était hier. Vraiment. C'était un amour... pour le décrire... purement... sentimental ! Ou intellectuel, spirituel ? On disait « platonique » à l’époque. Puisqu’on n’avait pas encore lu Platon (ce pédé!). Le sexe n'y avait pas sa part ! Du tout : ça je m'en souviens bien. C'était de l'amour... absolu... immatériel, impalpable, éthéré, indicible, indescriptible...

Imprescriptible !

Il était tout, l'essentiel de ma vie. Mettre de la sexualité dans cet amour m'eût paru monstrueux. C'était ses yeux, sa façon de baisser les paupières, de tourner la tête, la courbe de ses joues, tous ses gestes... C’était… ELLE. Un amour tellement extraordinaire que je l’ai immédiatement reconnu comme... extra-terrestre !

C’était évident. Je venais d’une autre planète pour la retrouver ! Elle s’était perdue par ici, je veux dire sur cette planète. Sans doute était-elle tombée amnésique suite à cette chute imprévue ? Je ne sais plus exactement. Ça reste flou ! Ça l’a toujours été d'ailleurs. Mais en un mot, ma mission c’était elle ! C'était la retrouver. Je jure que c’est vrai ! J’en ai d’ailleurs parlé à mes copains de l’époque que ça n’a pas tellement étonnés. Ils ont trouvé mon histoire acceptable, faut croire. Quand chacun vit dans son propre de délire jusqu’au cou, et tente de surnager, on est peut-être moins critique envers celui des autres ? Mais ce mythe me permettait de comprendre la nature totalement exceptionnelle de cet amour. Son caractère extraordinaire. Extraordinaire égale extraterrestre ! Je l’ai déjà dit. Je venais de Sirius, elle d’un village près de Brignoles et on venait de se retrouver au collège : logique !

Cet amour était en moi un confluent. Celui du courant de l’enfance, de mes dix ans, 1957, l’année du premier Spoutnik, le « Bébé Lune » comme on l’avait appelé dans Paris Match – quand j’étais persuadé qu’adulte, j’irai certainement passer mes vacances sur Mars ou sur Pluton – avec celui de l’adolescence où on commence à sentir qu’il y a comme un mystère chez les filles... Et je voulais sans doute accumuler les deux...

J’y étais allé d’ailleurs sur Pluton. J’avais été malade ou opéré d’un kyste, et donc contraint à la station couchée ou assise plusieurs jours… Quand ma mère avait été opérée, elle, d’une hernie, à cause d’un grand écart en passant la pièce dans le magasin, mon père, « bricoleur de génie » (selon sa formule) lui avait fabriqué une tablette à quatre petits pieds biseautés, plus un petit rebord tout autour sauf sur le devant, pour qu’elle puisse manger dans le lit. Or à quelques mois ou années de là pour devoir rester couché, moi aussi, j’avais hérité de la tablette du génie. Que j’avais transformée en tableau de bord de fusée interplanétaire. Avec un écran en carton, découpé perso : une boite. Plus un rouleau et des images qui défilait derrière en tournant le bouchon. Un compas à la pointe piquée dans le bois de la tablette dont on pouvait faire varier l’écartement d’avant en arrière pour amener l’autre branche en face de la graduation désirée suivant la vitesse choisie pour le vaisseau spatial. J’avais fait tout un film dessiné sur la bobine de l’écran que je faisais défiler. Il y avait la terre s’éloignant en plusieurs vues, de plus en plus petite, Mars et Saturne, bien sûr. Mais j’avais déjà de l’ambition (!!!) : c’était sur Pluton que je voulais aller !  Je voulais explorer Pluton, la planète la plus éloignée ! J’avais calculé qu’il fallait attendre quelques chose comme cinq ou six heures pour qu'un message aille de Pluton à la Terre. Douze heures donc pour recevoir une réponse. Encore qu’en ce temps là, les heures passassent plus vite. J’y avais rencontré des monstres terrifiants sur Pluton. Au fonds de crevasses insondables... Et je les avais pris en photo ! J’en « revois » un nettement, avec sa grande gueule noire ouverte et des dents pointues  très très longues : l’ordinaire des voyages spatiaux de l’époque…

Ce qui m’avait fourni une « chute » heureuse pour cette histoire interplanétaire. Parce qu’il faut bien à un moment ou à un autre se demander « mais que diable allait-il faire sur cette planète ? » Donc, la raison de mon voyage sur Pluton en était devenue évidente, quasi indispensable par cette conclusion : « Que de belles photos ils avaient ramenées de là-bas  ! » (textuel!) Je n’avais pas calculé à combien de millions voire de milliards de francs pouvait revenir chaque photo de monstre avec ses longues dents…

Il est vrai que le savoir n’a pas de prix. Ni le goût de l’aventure.

(Et quand on aime pour peu qu’on ait moins de 20 ans, on compte encore moins !)

Je ne vous cacherai pas que lorsque récemment, des astronomes on décidé de rétrograder Pluton en décidant qu’il ne serait plus désormais une vraie planète en titre, moi qui le connaissais si bien, ça m’a un peu chagriné...

Mais revenons à nos amours...

On comprendra mieux que pour quelqu’un qui avait l’habitude de sillonner le système solaire en long en large et en travers, mon premier amour ne pouvait qu’être encore (un peu)... spatial ! La puberté m’avait tout de même permis de passer du niveau solaire au niveau galactique.

Bref, quand ça a été fini, quand à la rentrée des vacances de Noël, elle m’a dit « C’est fini, avec toi, maintenant je suis avec Charly !»(1) (Et je suis sûr que ces deux cochons avaient même dû s’embrasser SUR LA BOUCHE au cinéma), Ce que nous n’avions pas pu faire pendant le film Alamo, parce que les surveillantes nous avaient séparés. Bref, quand ça a été fini, j'en serais mort. Une envie de disparaître. Un effondrement. Je me suis retrouvé sur une planète, un, qui n’était pas la mienne, deux, avec une atmosphère, limite irrespirable : je suffoquais ! Et trois, « le père Goriot » je m’en foutais complètement !

Que faire ? Retourner sur Pluton ?

Ben non ! C’était pas prévu dans Balzac !…

Ça a marqué pour moi la fin de l’espace ! Ma mission Plutono-platonique interplanétaire aux yeux doux ayant capoté, mon intérêt pour les filles allait devenir peu à peu nettement plus terrestre. Voire sexuel. Et quand à quelques années de là cinq ou six tout au plus – en 69 – , le premier homme allait mettre son pied sur la Lune, moi, pourtant ex-pilote chevronné de vaisseau spatial, venu de quelque système lointain et atterri ici par pur accident, j’en avais plus rien à foutre du tout de ces couillonnades.

J’avais parfaitement compris que les extra-terrestres ne me seraient jamais d’aucun secours, d’aucune utilité et que c’était à moi de me débrouiller tout seul. Et que les Charly du côté obscur s’il s’en présentait d’autres, la seule solution c’était de leur « péter la gueule ! »

J’avais bien pleuré, ça m’avait fait grandir. J’étais devenu le Rambo de l’Espace !…


 

Epigloque plutôt-platonicien :

Et là, je me demande si la sexualité (quel que soit notre âge), intervient vraiment dans l'Amour en général ? L’amour avec un grand « A » ? En est-elle la composante essentielle ? Que néni ! L'Amour c'est autre chose ! C'est psycho-machin, psychique, ça oui, mais sexuel ? Sans doute pas ! Bien sûr, il s'en accommode du sexe s’il le faut ! Et la sexualité, elle, elle voudrait bien y contribuer ! Mais un peu sur le mode de l'imposture.  Parce qu'il faut faire avec. Peut être que l'amour est une sorte d'insurrection de l'individu contre l'espèce ? (Puisque la sexualité lui, est indispensable à cette espèce.)

L'amour c'est l'affaire de l'individu,  du sujet, c'est subjectif. La sexualité, c'est le contraire : c'est l'espèce qui s'impose et l’impose, qui la commande. L'individu s'y jette, si noie... à son corps défendant. A corps perdu et défendu.

Les deux, l'amour, la sexualité, suivent chacun leur chemin. Et les deux chemins peuvent se croiser... On peut le souhaiter.

Mais en bref et résumé : l’Amour, le vrai, le seul, c’est... interplanétaire ! C'est galactique !

 

(1) Pourquoi je n’ai jamais vu le slogan « Je suis Charlie » d’un très bon œil ?!

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Membre, 77ans Posté(e)
Blaquière Membre 19 162 messages
Maitre des forums‚ 77ans‚
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Mais en bref et résumé : l’Amour, le vrai, le seul, il vient d'en haut et pas d'en bas. Il est... interplanétaire ! Il est extra-galactique !

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  • 2 ans après...
Membre, 77ans Posté(e)
Blaquière Membre 19 162 messages
Maitre des forums‚ 77ans‚
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Je me suis souvenu que j'avais écrit ça !....

J'ai relu la première page et qu'est-ce que ça m'a fait rigoler !

Alors je le fais remonter pour m'encourager à écrire la suite ! Au moins pour les petits. Ça ira avec "Pépé raconte-moi encore tes histoires"... (C'est le "drame Blaquière": on commence et on finit JAMAIS !)

En plus, ma sœur m'a fait passer une coupure de journal qu'elle a retrouvée, je vais pouvoir l'illustrer ! Ça va être grandiose !

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Membre, Forumeur confit, Posté(e)
Enchantant Membre 17 474 messages
Forumeur confit,
Posté(e)
Le 29/06/2017 à 22:53, Blaquière a dit :

Puisqu’on n’avait pas encore lu Platon (ce pédé!).

A part cette erreur là, tout est bon dans le récit et la qualité de la prose, c’est comme dans le cochon ! :D

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Membre, 77ans Posté(e)
Blaquière Membre 19 162 messages
Maitre des forums‚ 77ans‚
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Le 06/08/2015 à 18:48, Blaquière a dit :

Starlette

 

Boulois, écrivait des poèmes. Il lui arrivait de nous en lire un... Celui où il parlait du rang des filles qui les matins de pluie descendaient au lycée Raynouard sous leurs parapluies multicolores, par exemple :

"C'est une armée de champignons qui traverse la ville..."

Son commentaire d'un vers de Victor Hugo m'est resté aussi :

Hugo : "Son pied mignon semblait rire à côté du mien..."

Boulois : "Ah j'aim' bien ça, moi, ce pied qui rigole !"

Je reprends là. Rectification pour Victor Hugo : remplacer "mignon" par "charmant"...

 

 

 

Bouloy, écrivait des poèmes. Il lui arrivait de nous en lire un…

Celui où il avait inventé des mots, comme une chanson de Gilbert Bécaud que j’ai oubliée. Celui où il parlait du rang des filles qui les matins de pluie descendaient au lycée Raynouard sous leurs parapluies multicolores, par exemple :

"C'est une armée de champignons qui traverse la ville…"

Bouloy faisait du vélo, aussi et il nous en parlait...

Son commentaire d'un vers de Victor Hugo m'est resté aussi :

Hugo : "Son pied charmant semblait rire à côté du mien..."

Bouloy : "Ah j'aim' bien ça, moi, ce pied qui rigole !"

 

 

Parce que Starlette, elle, elle a toujours aimé écrire. Depuis toute petite. Et elle est devenue écrivain. Normal !

Moi, j'étais juste fainéant !

Ça m'a pris bien plus tard l'envie d'écrire. A plus de trente ans. Un garçon c'est plus long à la détente. Çà m'a pris quand j'ai réalisé que le temps était à sens unique et qu'il filait. Que le monde dans le quel on vivait se dissolvait un peu tous les jours, et à chaque seconde.

Alors, j'ai eu envie d'écrire... Pour archiver !

L'autre jour, Arlette m'a demandé :

"J'ai trouvé dans LA Maison, des vieilles pages qui racontent une histoire. Je me demande qui c'est qui a écrit ça : toi ou moi ?..."

Je lui ai répondu : "Ma pauvre, t'en fais pas, ça ne peut être que de toi ! Moi je ne savais même pas que ça existait d'écrire !"

Je ne suis né qu'à dix huit ans, en classe de philosophie !

 

 

On pourrait retrouver des signes. Il y en a partout, si on les cherche, si on veut en trouver. Le prof de français de quatrième, c'était Bouloy. Presque Boileau. Et il m'a fait comprendre, quand bien même je ne l'ai pas mis en pratique tout de suite, qu'écrire c'était une plaisir, une passion, une jouissance, Un bonheur. C'est un monde, un autre aspect du réel. Et je me suis contenté de garder son enthousiasme imprimé dans un coin de la tête, au cas où.

En philo, un autre signe, mon prof, c'était... Pascal !

Parole !

Quel nom pour être prof de philo ! Mais avec lui, c'était différent. La révélation a été immédiate. Et on a pu se retrouver, plus tard et devenir amis. Comme Bouloy était poète, plus que prof, Pascal est philosophe. Avec un esprit électrique, d'une vivacité extraordinaire. Un charbon ardent. Pascal c'est un esprit fusant, toujours en mouvement. Un esprit qui ne tient pas en place. (Comme Tonton Camille qui se trémoussait sur sa chaise !) Toujours prêt à cibler l'essentiel et à l'approfondir, Pascal. Sans baratin. L'essentiel, en ligne directe, le reste, on s'en fout !

Je lui dois le compliment dont je suis le plus fier, peut être.

Un jour que nous discutions dans le magasin, que je lui parlais de mon travail de céramique, que je lui montrais mes essais ce que j'avais réussi ou raté, il me sort tout de go, comme une banalité :

--Blaquière ! Tu honores l'Homme !"

Merde ! Excusez du peu !

(Je souris...)

Mais c'est encore comme quand mon père me parlait de son père : j'aurais presque un peu peur de ne pas être tout-à-fait à la hauteur de ce compliment...

 

Car moi qui avais pensé un temps continuer dans la philosophie, par goût, ou par reconnaissance, puisque comme je l'ai dit elle m'avait fait naître, j'en était resté à une sorte de complexe...

Ce complexe, venait de l'appréciation que ce même Pascal avait inscrite au bas du bulletin scolaire de Starlette à la fin de sa terminale : "Excellente élève, parfois brillante".

Or si j'avais été moi aussi un "Excellent élève"; il m'avait manqué cette nuance, que j'ai longtemps cru être le couronnement suprême : "être brillant".

 

Pour moi, écrire ( je pense à la quatrième), ça ne correspondait à rien. Il faut peut-être se sentir un peu acteur, pour écrire. Se sentir un minimum en prise directe sur la vie. Et si jusqu'à présent j'ai si peu parlé de moi, alors que je suis parti sur l'idée d'écrire "mes mémoires", c'est sans doute à cause de ça.

Il m'a fallu ramer longtemps avant d'être autre chose que le simple spectateur de ma propre vie. Le simple spectateur admiratif (ou pas) de ceux qui m'entouraient.

Un peu comme une absence de conscience particulière. Ce sentiment d'être à côté de ses pompes. De ne pas savoir, de ne pas pouvoir penser par soi-même. De ne pas savoir ce que l'on veut vraiment et le confondre souvent avec ce que les autres veulent que l'on soit. Comme l'absence d'un organe essentiel ! L’absence du « Je ».

Tiens ! Il me vient une idée stupide, là. Peut-être bien qu'un homme (au sens de garçon), tant qu'il ne bande pas, ne peut pas savoir de quel côté du monde il va pencher.

Et peut-être que si à dix ans on le sait déjà, c'est mauvais signe pour la suite... Et qu'on est... comme un âne ! Que c'est le signe d'une certaine névrose ? Le signe qu'on a brûlé des étapes, peut-être essentielles.

(Si je me trouve pas de bons arguments, qui le fera !)

Mais je l'ai déjà dit : autour de moi le monde était parfait. Ça n'était pas la peine que j'y rajoute mon grain de sel.

(J'avais un jour tenté de rajouter quelques grains de charbon dans ma barboteuse, et ça n'avait pas été une réussite !...)

Avant l'adolescence, je me sentais tellement hors jeu que j'ai pu dire, n'ayant aucune idée de ce que pouvait être une belle femme, et voyant qu'en revanche, mon père en était parfaitement au fait : "Je me marierai avec une femme qui plaira à papa !"

Ça valait largement "la porte de la remise" qui m'avait permis de reconnaître mes parents. Mais c'était une façon de ne pas vouloir jouer en première ligne.

Comme au football : "Restons éloigné le plus possible de la balle !"

 

Bref, la musique que Starlette aimait, c'était celle que j'aimais.

Et heureusement ! Sans elle n'eussé-je aimé que les Shadows ?

Non ! Je me fais du mal, là, c'était très bien les Shadows !

Dans tout ce brouhaha que je viens d'esquisser depuis le début, il a fallu que je me fraie un chemin tout seul finalement. Puisque Starlette était le soleil, et qu'elle brillait, si moi j'étais la terre, il ne me restait qu'à creuser.

Le Shadows, c'était la mode du moment, Sidney Bechet, c'était ma sœur, le Boléro de Ravel, mon père, et moi, j'étais rien pour l'instant.

Avoir une sœur de deux ans son aînée, et en plus, intelligente et qui a du caractère, c'est génial, mais ça vous submerge complètement !

Je n'existais pas!

Il a fallu que j'apprenne à jouer un peu de musique tout seul pour être un peu plus moi. Avec les deux accords que m'avait montrés Tonton Camille.

Et "Passion flower of my dreams" qu'aimait bien Arlette est devenu peu à peu, la Lettre à Élise de Beethoven...

C'était la bonne direction après les Shadows. Maintenant, avec un peu de recul, je me rend compte que j'ai été dès ce moment-là, très tôt, donc, dès mes premiers balbutiements de conscience atteint de cette étrange maladie qui est "le syndrome du retour aux sources" !

Creuser, creuser, creuser.

A la recherche de la source.

C'est aussi le principe de l'archéologie. Tiens ?!!!

Pour comprendre et se décider à vivre le présent, il faut remonter dans le temps, remonter vers le début. Vers tous les débuts. C'est comme un art de vivre. Mais une des multiples options seulement.

Peut-être l'art de vivre définitivement à côté de ses pompes ?

 

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Blaquière Membre 19 162 messages
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Les Shadows.

J'ai commencé par la guitare électrique : les Shadows! Puis grâce à Starlette je suis passé au jazz et ça a été Django Raynardt. Ensuite la musique classique avec La fameuse lettre à Elise de Beethoven, jusqu'à Bach, forcément ! (Le prélude pour Luth. Et j'étais même l'un des rares à le jouer entièrement, à une époque...)

Puis, la musique de la renaissance espagnole. Un des sommets de la musique. Avec la "Cancion del emperador". La musique de la nostalgie. Un perpétuel recommencement toujours voué à l'échec. C'est ça la Cancion del Emperador. La musique de Sisyphe ! Avec un moment de repos, de calme, en haut et un autre en bas de la montagne.

Une luthiste m'avait dit alors, c'était au début des années quatre vingts "Vous verrez que vous finirez par en venir au luth !"

Et je ne l'ai pas crue...

Jusqu'à ce que je fabrique mon propre luth (merci grand-père Blaquière qui pouvait tout faire pour la motivation et l'audace !) Mais c'était déjà un luth... médiéval, et ma musique d'alors, c'était celle des troubadours (provençaux) du Moyen-âge.

Enfin, il a fallu que mes enfants fils et belle fille fasse étudier à leurs élèves les fables d'Esope pour que je termine mon parcours en remontant à la musique de l'Antiquité !

Ou le peu qu'il nous en reste.

Normalement, il me faudrait une autre vie pour repartir dans l'autre sens. Refaire tout le cheminement historique dans l'ordre chronologique ! Ce serait un authentique "retour vers le futur", qui me permettrait peut-être de réinvestir "l'ingénieur de Marcoule" ?!!!

Mais...

Non je blague !

J'ai donc cherché la partition piano de de la lettre à Élise et j'en ai fait une transcription pour la guitare de Tonton Camille !

Je l'ai jouée pour le mariage de Starlette cette lettre à Élise. Puisqu'elle aimait bien cette musique.

Que dis-je « jouée » ? Massacrée ! Absolument ! Irrémédiablement !

Je ne savais pas que jouer en public, ça n'a rien à voir avec jouer seul. Jouer en public, c'est jouer à moins de cinquante pour cent de ce qu'on sait effectivement jouer…

(Je parle pour un amateur.)

Et donc, je pouvais savoir la jouer, cette lettre à Élise, tout seul, à cinquante pour cent ?!!! Tout en espérant qu'en présence d'un public, ça passerait à cent pour cent ? Je suis d'un naturel optimiste !

Imaginez donc le désastre ! J'en suis encore à me demander si le public (qui n'était guère que la famille) a seulement entendu quelques notes !!!

Mais les gens du restaurant on demandé qui c'était qui jouait. Et comme on a dû leur dire "le fils" de la famille ou plutôt "le frère" de la mariée, j'imagine, ils ont affirmé sans sourciller... QUEL TALENT !!!

(Les bons commerçants !)

En plus je crois que je devais avoir un peu bu, puisque je ne savais pas, là encore l’incompatibilité absolue (boire ou jouer, il faut choisir!). Moralité, j'ai bien dû jouer un ou deux pour cent de "la Lettre à Elise":

"La, la, La, la, La, la, Lalala ! Mi, mi bémol !

Ce n'était plus une lettre, à peine un télégramme !

(Avec de longs "stops" entre chaque mot !)

Vous voulez pas rire, vous ?

Quel talent !

En l'écrivant, j'en ris aux larmes. Vraiment !

Mais j'ai une excuse : c'était pour faire plaisir à Starlette !

De toute façon, il faudra bien que je finisse par la jouer correctement, un jour, cette lettre à Élise ! Et voilà : mon optimisme fou qui reprend le dessus !

 

Donc, j'en suis resté là et depuis la classe de philosophie, je creuse, je creuse !...

 

« Pauvre Martin, pauvre misère,

Creuse la terre, creuse le temps ! »1

 

Et c'est pas si mal de creuser. Car il y a de vraies découvertes, et des effets de seuil. On ne comprend pas, pas du tout, mais alors, rien de rien, et d'un coup... tout s'éclaire ! Le chant par exemple. J'ai dit que tout le monde chantait dans la famille. C'était naturel. N'empêche que j'en ai mis du temps à comprendre ce que c'était que chanter. Tout petit, chanter, pour moi c'était juste crier fort ! Et je me souviens de n'avoir osé faire ma démonstration de chant à la demande de mon père (qui devait se marrer) que derrière la porte fermée de la farinière...

Montre-nous un peu comme tu chantes bien !

D'accord, mais je vais me mettre derrière la porte !

Comme tu veux !

J'ai descendu les trois marches du fournil à la farinière, j'ai fermé la porte et depuis la pénombre de la farinière, j'ai fait ma démonstration pour mon père et tonton Camille qui travaillaient dans le fournil. Je me souviens exactement d'avoir vécu ce moment comme un moment historique, définitif. J'ai pris mon souffle et :

Haaaaaaaaaaaaaaaaaa !

Je m'attendais à quoi ?

Sans doute à faire exploser la farinière ! Et c'est pour ça que je m'y étais enfermé. Pour protéger mon père et Tonton Camille de cette déferlante sonique ! Au minimum, la porte aurait dû être arrachée...

Mais non !

Et je me souviens aussi d'avoir été un peu déçu...

Petit, j'en étais donc là : bien chanter, c'était hurler très fort. Mais ça n'était pas de ma faute, encore (je suis réfractaire à la culpabilité, ou quoi ?). C'était la faute du belcanto et de ses ténors qui hurlent dans le seul but malgré tout louable, de faire exploser les clitoris ! Encore trop jeune pour comprendre ces finesses, moi c'était la farinière que j'avais tenté de faire exploser !

Bien plus tard, avec les chansons de Brassens, chanter, c'est devenu "parler en musique".

Il aura fallu que j'essaie d'inventer une musique sur des paroles des troubadours – qui avaient perdu la leur – , et j'avais plus de trente ans, pour comprendre enfin ce que c'était que le chant.

Il faut que le désir parte de soi.

Chanter, c'est une vibration. Une vibration modulée par les sons des voyelles les ruptures des consonnes, et les hauteurs des notes. Comme une promenade, non plutôt un vol. Un vol d'oiseau. C'est se déplacer librement, clairement dans l'espace. La hauteur des sons, oui, mais pas la hauteur absolue, seulement la hauteur relative des sons entre eux. Tel son est à peine un peu plus haut (ou plus bas) que le précédent, ou "nettement plus" haut ou plus bas, et la c'est sur cette différence qu'il faut jouer, s'exprimer, alors. On y fait passer la facilité, la simplicité, la lassitude, aussi, la surprise, la répétition comme un désir d'énergie, la déception, le désespoir, la reprise en main...

Chanter, c'est l'exact contraire d'une performance. C’est une danse, pas de l’athlétisme.

Et j'ai pu le vérifier un peu plus tard, quand j'ai trouvé précisément des musiques originales des troubadours. Entre la note la plus basse et la plus élevée, il n'y a pratiquement jamais plus d'une octave.

Ce qui me va très bien !

Mais quelle subtilité entre les écarts successifs entre les notes...

Et l'on pourrait dire aussi que l'art, c'est le contraire du sport.

1De Georges Brassens, bien sûr !

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