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Membre+, Posté(e)
Doïna Membre+ 19 136 messages
Maitre des forums‚
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Bonjour,

En 1993, en Irlande, à Dublin, suite au rachat d'une partie d'un couvent par un promoteur immobilier, un scandale public à l'échelle nationale éclate, que les médias s'approprient, et qui, du reste, n'a pas fini de faire des vagues : les dépouilles de 155 pensionnaires inhumées dans des tombes anonymes de la propriété, sont exhumées.

Des pensionnaires, ou plutôt des prisonnières, de foyers communément appelés "blanchisseries de Madeleine". Des prisonnières asservies qui devaient travailler six jours par semaine, et tout cela pour pas un centime.

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Entre 1922 (année de la création de la République d'Irlande) et 1996 (année de fermeture de l'ultime blanchisserie de Madeleine), dix mille Irlandaises environ sont passées par ces enfers clos, où régnait l'arbitraire et l'injustice, la cruauté verbale, parfois la violence physique. Un système tel que le marquis de Sade aurait pu l'imaginer, glacial et rigide, fondé sur le retrait du monde, le dur labeur, la prière poussée jusqu'à l'aliénation, la peur et l'humiliation permanente.

Or, qui se serait soucié du sort de ces malheureuses ? Qui se serait soucié, dans un pays aussi conservateur, de ces femmes désignées comme des filles de petite vertu, voire des prostituées ou des criminelles ? Des femmes considérées comme des ivraies en somme, par l'opinion publique, plus ou moins au fait de ce qui se passait derrière les murs de ces sinistres couvents.

Parmi ces femmes, ces "sœurs Madeleine", les vraies criminelles étaient en réalité très rares. En revanche, il y avait bon nombre de très jeunes filles, pour ne pas dire : des adolescentes. Certaines n'ayant pas seize ans (la plus jeune recensée n'en avait que neuf) parfois confiées aux religieuses pour un maigre larcin, d'autres fois pour n'avoir pas eu de titre de transport à présenter lors d'un contrôle.

Des familles ne se sont pas privées non plus de se débarrasser d'une enfant trop dure à élever, ou simple d'esprit, ou orpheline, d'une bouche de trop à nourrir en somme, en laissant aux "bonnes "sœurs de ces couvents le soin de "l'élever" à leur place... Sans oublier les jeunes filles trop libres, ou trop jolies (si si !), les filles-mères, celles ayant osé céder à la tentation d'un rapport sexuel avant le mariage, chose inacceptable dans l'Irlande de l'époque (une mentalité qui a perduré jusque dans la seconde moitié du XX° siècle)... et jusqu'aux filles violées !

2000 bébés enfantés par ces pensionnaires ont été enlevés et vendus à de riches familles américaines, mais il n'y a vraisemblablement plus que des témoignages pour le prouver.

Il a été relevé que, sur dix de ces prisonnières, dont le séjour pouvait varier de quelques semaines à de nombreuses années, une est décédée dans un de ces couvents (la plus jeune défunte n'avait que quinze ans). Beaucoup de ces femmes y ont en effet terminé leurs jours, qui n'ont eu droit qu'à de petites et méchantes sépultures sans nom ni date, placées à l'abri des regards, dans le secret d'arrière-cours.

Historique :

Si le but originel de ces couvents était de sortir des prostituées de la rue et les héberger le temps qu'elles le désiraient (et non pas contre leur gré), ce qui est plutôt louable, peu à peu cela a dérivé, et des personnes qui n'étaient en rien des prostituées s'y sont retrouvées à leur tour, mais contre leur gré, y devenant peu à peu majoritaires, et de loin devant les prostituées authentiques.

Ces institutions prirent le nom de Marie-Madeleine, personnage de la Bible qui, selon la tradition catholique (confondant deux personnages des Evangiles en fait distincts) était une prostituée repentie de ses péchés, fidèle à Jésus. En Irlande, l'Église s'appropria rapidement le mouvement de Madeleine et les foyers, qui étaient prévus à l'origine pour de courts séjours, devinrent de plus en plus des institutions à long terme. Les pénitentes furent mises au travail, généralement dans des laveries. De même que Marie-Madeleine avait lavé les pieds du Christ en signe de pénitence, les pensionnaires devaient accomplir des travaux de blanchisserie, afin de laver symboliquement leurs péchés. Cette activité représentait en outre des rentrées d'argent nécessaires à la bonne marche et à l'entretien des couvents.

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Les pensionnaires étaient souvent internées à la requête de membres de leur famille ou de prêtres, ou encore d'une institution scolaire. Celles qui n'avaient personne à l'extérieur susceptibles de venir les chercher y passèrent le reste de leur vie. Parmi elles, beaucoup ont fini par prononcer leurs vœux. Dans une Irlande à la morale sexuelle conservatrice, les couvents de la Madeleine étaient une institution largement acceptée socialement jusqu'au cœur de la seconde moitié du XXe siècle siècle. En témoignent l'expression courante « bad girls do the best sheets » (« les mauvaises filles font les meilleurs draps »), ou le fait que l'on menaçait les enfants turbulents de les envoyer au couvent.

La vie dans les couvents :

Les pensionnaires étaient appelées « filles » et devaient s'adresser à toutes les sœurs en tant que « mère », indépendamment de leur âge, qu'il s'agisse de la mère supérieure ou d'une jeune novice qui n'avait pas encore prononcé ses vœux. Ce système permettait de maintenir les pensionnaires dans un état d'infériorité constant. Pour maintenir l'ordre et une atmosphère monacale, les pensionnaires devaient observer un silence strict tout au long de la journée. Les châtiments corporels étaient monnaie courante et les comportements de type auto-mutilation tout simplement ignorés : « à un tempérament rebelle, souvent manifesté par le refus de s'alimenter, on répondra au mieux par le silence. Lorsqu'une fille réalise que personne ne prend garde ni ne s'émeut (tout du moins en apparence) de son jeûne forcé, le martyre qu'elle s'impose à elle même lui devient rapidement insupportable. »

Témoignages :

Maureen, une survivante, se souvient : "J'avais 12 ans quand j'ai été enlevée de mon école et placée, contre ma volonté, dans la blanchisserie Madeleine de New Ross. On m'a dit qu'on continuerait mon éducation là-bas, mais c'était faux. La journée, je travaillais à la blanchisserie. Un jour, les inspecteurs scolaires sont venus et j'ai dû me cacher sous un tunnel, je suppose que c'est parce que je n'étais pas censée travailler. Les nonnes ont détruit ma vie."

Une autre raconte : "On m'appelait n° 27. La journée, tout n'était que silence et prières, on n'avait pas un livre pour s'occuper."

Joséphine, survivante elle aussi, de ces foyers : "Elles (les religieuses) m'ont battue, frappée et torturée au point que je n'ai jamais été capable de récupérer totalement. J'ai essayé de m'échapper une fois, mais j'ai été rattrapée par des gardes. Il n'y a pas d'autres mots pour ces endroits que le cratère de l'enfer. C'était bien pire qu'une prison."

Du côté de l'opinion publique, si on n'abordait que très peu le sujet, il est impossible que l'Etat n'ait pas été au courant de ce qui se passait outre les murs de ces blanchisseries. Il y avait qui plus est forcément des traces des pensionnaires amenées en ces lieux d'infamie sur décision de justice, ou pire : dans l'attente de leur procès !

En 2009, la commission d'enquête sur la maltraitance des enfants en Irlande a d'ailleurs publié un rapport de 2 000 pages détaillant des dizaines de milliers de cas d'horribles sévices commis dans de nombreuses écoles, y compris dans les Couvents de la Madeleine.

En 2011, c'est le comité contre la torture de l'ONU qui a qualifié de travail forcé la pratique qui avait cours dans ces foyers.

En 2013, un rapport officiel de mille pages a dénoncé la part de responsabilité de l'Etat irlandais dans l'affaire des blanchisseries de Madeleine. Véritables pénitenciers où, pendant 70 ans, des milliers de femmes ont subi humiliations, violences physiques et verbales, privations de liberté et esclavage, c'est bien le mot puisque le travail était obligatoire mais en aucun cas rémunéré.

Le sénateur Martin Mc Aleese, en préambule de ce long rapport, dit : "Personne ne peut imaginer la peur et la confusion de ces jeunes filles, à peine plus âgées que des enfants, lorsqu'elles sont entrées dans ces blanchisseries. Sans savoir pourquoi elles étaient là, se sentant abandonnées, et se demandant ce qu'elles avaient fait de mal. Sans savoir quand elles sortiraient et reverraient leur famille."

Les victimes se sont réunies en l'association des Magdalene Survivors Together.

Elles ont démontré la responsabilité de l'Etat en fournissant notamment à la justice un livre de comptes remontant aux années 80, listant les ressources et dépenses des blanchisseries Madeleine. Des ressources provenant essentiellement de l'Etat, mais aussi de sociétés telles que Guiness, Clerys, le théâtre Gaiety, le ministère de la Défense, celui de l'Agriculture et de la Pêche, CIE, la banque d'Irlande, un hôpital, deux clubs de golf et plusieurs hôtels. Elles ont longtemps réclamé réparation, davantage que les excuses sincères exprimées seulement en 2013 par le premier ministre Enda Kenny en tout cas.

Puis le 26 juin 2013, enfin, le ministre de la Justice d'Irlande -Allan Shatter- a déclaré que ces victimes recevraient des dédommagements sous forme d'indemnisation. Des versements bien entendus exonérés d'impôts, pouvant grimper jusqu'à 100.000 € pour celles ayant travaillé plus de dix ans dans les "Magdalene laundries" (ce qui inclut 60.000 € de compensation de salaires). Le montant le moins élevé étant de 11.500 €, qui ne concerne que les victimes ayant passé moins de trois mois dans ces foyers. En outre, toutes bénéficieront de la gratuité de leurs soins médicaux. Un coût total d'indemnisation qui a pu allègrement monter jusqu'à 58 millions d'euros, sans que le Vatican (ou ne serait-ce que le clergé d'Irlande) n'ait à mettre la main à la poche, ce qui signifie que c'est le contribuable irlandais qui aura par conséquent dû le faire... Comme si toutes ces affaires de pédophilie n'avaient pas suffi !

Ci-dessous, un film complet sur le sujet, The Magdalene Sisters (2002, réalisé par Peter Mullan, Lion d'Or de la Mostra de Venise de 2002) :

http://youtu.be/2FNDjoiaETM

Source 5

Source 4

Source 3

Source 2

Source 1

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Membre, 33ans Posté(e)
VO2max Membre 2 513 messages
Baby Forumeur‚ 33ans‚
Posté(e)

J'avais vu le film à sa sortie en 2003, ça m'avait vraiment marqué...Très bon film. Et l'article est très intéressant! thumbsup.gif

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Membre+, Posté(e)
Doïna Membre+ 19 136 messages
Maitre des forums‚
Posté(e)

Oui, c'est vrai que ce film est marquant, et tellement réaliste. C'est dingue de savoir que tout cela a pu durer si longtemps, que des foyers dont le but initial était de tendre la main à des femmes tombées dans la prostitution, mais où elles n'étaient nullement contraintes de rester, soient peu à peu devenus des établissements de travail forcé juste pour apporter des profits à un clergé gonflé de pouvoirs, n'importe quelle adolescente ou femme pouvant s'y retrouver enfermée contre son gré, et ce dans l'indifférence générale.

Bien entendu, il y a eu dédommagement des victimes, mais un peu plus de vingt ans seulement après le scandale de la découverte des tombes anonymes. En outre, tous ces versements d'argent ne rendront pas à ces personnes leurs années perdues, ni non plus les nouveaux nés arrachés sans pitié à leurs mères.

Le Vatican avait forcément vent de ces pratiques, qui n'a pu ignorer le pourquoi et le comment des excellents revenus de ces couvents.

Si le pape Benoït XVI a présenté ses excuses en mars 2010 aux victimes irlandaises de prêtres pédophiles, je ne me souviens pas de telles excuses émanant du Vatican envers les victimes des couvents de Madeleine, ce qui aurait été la moindre des choses. S'il existe un article à ce sujet, je suis en tout cas preneuse.

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Modérateur, ©, 108ans Posté(e)
January Modérateur 61 742 messages
108ans‚ ©,
Posté(e)

La société irlandaise a été largement complice. L’Irlande est le pays au monde qui a le plus enfermé de citoyens (par rapport à sa population) et pas dans ses prisons ! Dans les hôpitaux psychiatriques, les écoles industrielles, les couvents etc... Celui ou celle qui ne correspondait pas à la définition étroite de la bonne conduite était en danger ce n'est pas un mythe malheureusement :(

Merci Loargan pour l'article :)

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Invité pako
Invités, Posté(e)
Invité pako
Invité pako Invités 0 message
Posté(e)

Merci Loargan pour cet article très intéressant....:bo:

Et en plus , il y a le film ....que je vais regarder dans la semaine .

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