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Le pacha.


Criterium

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On m'avait dit: — "Vous devez absolument le rencontrer. Vous avez quelque chose en commun."

Lui, c'était l'homme que jusqu'alors je connaissais sous le pseudonyme de "Prometheus". — Jamais vu en public, il étendait ses réseaux en secret, jouant aux ombres, manipulant à distance de grandes quantités d'hommes et d'argent. Je ne l'avais jamais aperçu — moi non plus, comme tant d'autres. Quelle fut donc ma surprise ce jour-là en réalisant que l'anonyme était à la fois si inconnu et si proéminent — car dès que je le vis je le reconnus — et comment donc! — c'était le troisième frère Bogdanoff.

Tard le soir.

J'étais dans l'un de ces corridors souterrains, aux murs couverts de livres et de caisses poussiéreuses, que l'on trouve sous tous les grands musées du monde. Les "archives" — un véritable dédale. La plupart des gens n'imaginent pas le nombre de pièces que possèdent réellement ces établissements. Les expositions permanentes n'en montrent qu'une infime partie; la moitié étant d'ailleurs des moulages modernes, pour garder l'original à l'abri. Là, en bas, dans chacun de ces cartons se trouvaient des morceaux de tablettes babyloniennes, des papyri qui n'intéressaient que les spécialistes du démotique, des fragments de poterie qui n'avaient rien de particulier ou de fascinant et restaient donc dans leur boîte, et tant d'autres artefacts... Les étagères s'étendaient sur des kilomètres — si l'on eût mis chaque corridor bout à bout. Quelques couloirs étaient high-tech, mais la plupart ressemblaient plutôt à celui-ci: boisé, étroit, et rempli de livres et de cartons soigneusement étiquetés. Quelques néons trop blancs, et quelques ampoules trop faibles pour toute lumière. Il n'y a plus de fenêtres une fois sous terre, dans le labyrinthe.

Par endroits ils se connectaient à des galeries discrètement rénovées et qui faisaient partie de l'ancien réseau des catacombes de Paris. Des grilles modernes avaient été placées çà et là pour éviter que les accès ne soient découverts par des profanes cataphiles. — C'est ainsi que l'on pouvait passer par la cave d'un immeuble proche du Louvre, pénétrer les archives, suivre un détour particulier, pour enfin se retrouver dans une grande salle située quelque part sous la ville (je n'ai jamais su où exactement), qui servait de sorte de "salle d'audience" pour Pavel Bogdanoff.

Tout le monde connaît les deux autres frères: leur famille alliant une ancienne lignée noble tatare avec celle des Ostasenko, nobles de Poméranie; leurs visages qui au fil des ans s'étaient tuméfiés à force d'injections au menton et aux pommettes; les mensonges et les controverses, et malgré cela leur omniprésence dans certains cercles médiatiques et politiques; les réseaux que l'on en devinait... Avec toujours l'hésitation renouvelée à chaque livre ou chaque affaire: devait-on les prendre au sérieux... — Il en allait tout autrement pour le troisième. Il vivait caché, donc personne ne se posait la question quant à lui car l'on n'en connaissait généralement pas l'existence; mais moi, je savais bien, de par nos relations communes, et ces longues années à lire les planches signées G⸫M⸫Prometheus qui circulaient dans certains milieux, que cet homme était un maître d'échecs. Manœuvrant ses pièces et sacrifiant des pions. — Physiquement, son visage était immédiatement reconnaissable. Lui aussi était passé par les mêmes bistouris, le même botox, ou alors le même laboratoire américain fictif dans les années 1990. Lorsqu'il sortait au grand jour, on avait toujours dû le confondre avec l'un de ses frères.

Je pénètre dans la salle.

Ici, le sol et les murs sont couverts de tapis orientaux; on se serait cru dans une pièce d'un palais du Caucase. Les tapis dissimulent une estrade, sur laquelle trône une chaise au dossier haut et sévère. Aussitôt je le reconnais. Ses traits sont fixes; il ne fait pas un geste. Est-ce pour le cérémoniel, est-ce l'habitude d'un homme qui a appris à force d'exercices à maîtriser chacun des plus petits muscles de son corps, jusqu'à savoir rendre son visage absolument immobile? — C'est l'impression qu'il me donne. L'on devine immédiatement qu'il possède un quelque chose que n'ont pas ses frères.

Je remarque à peine deux acolytes, entièrement vêtus de noir et aux visages masqués, qui se tiennent à deux recoins de la pièce. Des hommes de main, certainement; ceux-là aussi sont immobiles, et l'on sent bien qu'au mot de passe adéquat les agents feront ce que leur maître ordonnera. — Mais voilà que celui-ci prononce enfin des mots. Sa voix de basse résonne dans la pièce comme si c'était le coffre d'un instrument; puissante, très bien articulée:

— "Je vous rencontre enfin, ô cher Frère Sept-Points Tiresias. — Ave."

Je comprends immédiatement l'allusion. Sept points. La seule explication pour qu'il connût ce détail était qu'il était lui-même chargé de fonctions équivalentes. C'était donc lui qui s'occupait de l'Île-de-France? Toute l'envergure de ses manœuvres prenait tout son sens à cette simple révélation... Cela ne pouvait également signifier qu'une seule chose: il avait une faveur pressante à me demander — c'était un homme qui avait besoin de quelque chose. Une information secrète et qu'il ne pouvait pas obtenir de son agent-double habituel, Monsieur Lévy.

3 Commentaires


Commentaires recommandés

J'aime bien choper le sourire dès le début et qu'il soit entretenu par des banderilles d'humour tout au long du texte.

Gamine, Ika et Grichkor me foutaient la pétoche. J'suis bien contente de me venger en te lisant.

Merci

Modifié par Elfière
  • Haha 1
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Pacha à combien de queues de cheval ? Chaque fois que son cheval était tué au combat, le pacha gagnait sa queue. Le pacha à 9 queues était un guerrier redoutable. Au défilé du 14 Juillet, La Légion défile avec les queues de cheval sur le chapeau "chinois."

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Invité
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