Aller au contenu
  • billets
    188
  • commentaires
    1 398
  • vues
    783 920

De l'intérêt du judas


konvicted

436 vues

Est-ce que comme moi vous avez l’habitude de jeter un œil à travers le judas avant d’ouvrir ? Tout en sachant que vous allez ouvrir de toute façon, même si c’est votre pire ennemi, votre voisin trop collant ou, pire encore, le calendrier des pompiers sur le palier, tout simplement parce que, une fois de plus, vous avez oublié de ne pas faire le moindre bruit en courant de votre chambre à l’entrée et que vous ne voulez pas qu’on sache que vous n’êtes qu’un connard. Ou une connasse, c’est vous qui voyez.

Quand je dis « à travers le judas », je ne parle pas du plus grand collabo de l’histoire, ça n’aurait pas de sens. À moins que son père fût vitrier, mais je ne pense pas que ce soit précisé dans le bouquin. Une autre possibilité, c’est qu’il ait expérimenté la sodomie avec MC Circulaire 1 Si vous me parlez d’anachronisme, je vous dirais que le bibelot n’est pas à une incohérence près.

Non, je parlais de l’œil-de-bœuf, la petite ouverture qui permet de voir sans être vu — comme la fenêtre de la sentinelle du cinquième 2 —, d’épier les va-et-vient des voisins, de compter le nombre d’hommes qui entrent et sortent de chez la petite jeune d’en face. Notez que « chez » est en option. Ah, la salope !

Je vous arrête tout de suite. Vous devez être en train de vous dire que je suis machiste parce que je la traite de salope sous prétexte qu’elle se tape un régiment par mois. Pas en nombre de pions, mais en QI cumulés, ce qui fait quand même pas loin d’un Bobby Fischer annuel. Alors, sachez que je ne suis absolument pas machiste. Un machiste, ça pense que le rôle des femmes doit se cantonner aux tâches ménagères. Moi, au contraire, j’encourage les femmes à avoir un emploi à temps plein en sus de leurs hobbys casaniers.

Toujours est-il que je ne parlais pas de Judas Iscariote, sans quoi j’aurais dit : « à travers Judas », et non « à travers le judas », parce que je ne le connais pas et, pourtant, je le respecte. J’ai beaucoup de sympathie pour ce personnage qui eut le malheur de se voir attribuer un rôle de pas gentil à une époque où on était très tourné bien contre mal, 1 contre 0, empire contre attaque. En outre, c’est le seul, parmi toutes les groupies de Jésus, qui eut l’intelligence de prendre un peu de recul et de se dire que le fils de Dieu était peut-être un peu en train de se foutre de leur gueule. Malheureusement, sa sagesse est toujours restée dans l’ombre des élucubrations du bâtard aquagrade. Franc jeu et ignoré, on peut dire que Judas était doublement transparent, d’où il a laissé son nom au double vitrage.

En outre, s’il n’avait pas révélé au monde la vraie nature de l’alpiniste avant l’heure 3 qui mettrait bien des boulangers et des poissonniers au chômage, près de deux mille ans après la mort de J.-I. — ou devrais-je dire ses morts, puisque le brûlot le tue de plusieurs façons —, notre monde serait encore soumis à des principes rétrogrades de courants de non-pensée où l’on pourrait compter les moutons sans pour autant chercher le sommeil. Oui, un peu comme dans la manif pour tous, vous avez raison.

Cependant, veuillez cesser de changer de sujet. La question en jeu est bien de juger de la légitimité du judas. D’ailleurs, ça me rappelle que vous avez fait erreur : c’est l’œil-de-bœuf qui a été baptisé en hommage à Judas, pas le double vitrage. Pourquoi affubler nos portes de ces trouble-fête qui… En effet, je n’ai jamais entendu qui que ce soit dire : « Ouvre le judas, on étouffe ici ! ». Oui donc, je disais : pourquoi affubler nos… Ou alors, si on change un peu la ponctuation : « Ouvre-le, Judas, on étouffe ici ! », effectivement, on a le droit de penser que ce Judas n’était pas un enfant désiré, sans quoi ses parents lui auraient sans doute donné un prénom plus passe-partout, comme André. Pourquoi donc affubler… Attendez, on dirait : « Ouvre-la, Judas, on étouffe ici ! » dans ce cas, ce qui confirme bien que la distinction est flagrante. Bref, peu importe ! Concentrons-nous plutôt sur la vraie question : pourquoi affubler nos… À moins qu’on parle du réfrigérateur, qui, laissé ouvert, est une excellente alternative à la climatisation.

Pardon d’insister, mais c’est important de bien faire la différence entre un œil-de-bœuf et une fenêtre, si subtile soit-elle. Si Grand Corps Malade nous slammait : « Vu d’mon judas, y a qu’des bâtiments » 4, on saurait qu’il ment sans même qu’il nous parle de verdure, les deux premiers vers seraient donc gâchés, ou balancés par les fenêtres. D’ailleurs, petit moyen mnémotechnique, qui s’adresse surtout aux employés d’Orange : on ne peut pas se jeter d’un judas.

J’en reviens à ma question : pourquoi affubler nos portes de ces trouble-fête qui gâchent toute spontanéité et favorisent l’hypocrisie ? Quand une bande d’opportunistes inopportuns vient frapper à votre porte à l’improviste sous prétexte de profiter d’être de passage dans les parages pour s’arrêter dire bonjour, comme par hasard à l’heure de l’apéritif alors qu’il n’y a plus rien dans vos placards — si ce n’est un fond de bouteille de pastis et les miettes d’un paquet de bretzels —, pour peu que vous soyez perspicace, vous pouvez vous dire qu’il y a assez de P dans cette phrase trop longue pour déshydrater un postillonneur aussi baveux que je suis bavard.

Alors, si vous avez le malheur de jeter un œil par le judas, non content de vous gâcher la surprise, vous allez priver vos convives fortuits de votre mine déconfite que vous allez vous faire un devoir de gommer avant de leur ouvrir, politesse oblige. Le comble, c’est qu’en réaction à votre accueil chaleureux bien qu’artificiel, les bougres auront la bonne idée de recommencer leur méfait, et en toute bonne foi ; comme le dit le proverbe : « chassez le naturel, ils reviennent au galop, les saligauds ».

Maintenant, imaginez la même situation sans judas. Vous ouvrez la porte sur les indésirables et ne pouvez pas vous empêcher d’afficher une certaine déception, bien que vous ne vous attendissiez à rien, ou plutôt parce que vous ne vous attendiez à personne. Là, le plus rusé de la bande émet l’hypothèse qu’ils vous dérangent, vous confirmez poliment qu’ils tombent au mauvais moment et ils rebroussent chemin, victoire !

Conclusion : le judas est un horrible créateur de liens sociaux.

1 "J'vais tellement t'enculer / Que quand tu bâilleras, on verra le jour", MC Circulaire, Sodomie.

2 "Je suis un voisin du dessus, / Une sentinelle, un gardien de phare", Bénabar, Voir sans être vu.

3 "Bien sûr, il est normal que la foule révère / Ce héros qui jadis partit pour aller faire / L'alpiniste avant l'heure en haut du Golgotha", Brassens, L'Antéchrist.

4 "Vu de ma fenêtre, y a que des bâtiments / Si je disais que je vois de la verdure, tu saurais que je mens", Grand Corps Malade, Vu de ma fenêtre.

7 Commentaires


Commentaires recommandés

Invité
Ajouter un commentaire…

×   Collé en tant que texte enrichi.   Coller en tant que texte brut à la place

  Seulement 75 émoticônes maximum sont autorisées.

×   Votre lien a été automatiquement intégré.   Afficher plutôt comme un lien

×   Votre contenu précédent a été rétabli.   Vider l’éditeur

×   Vous ne pouvez pas directement coller des images. Envoyez-les depuis votre ordinateur ou insérez-les depuis une URL.

Chargement
×