Tototoura
Chacun le mît sur la table, bien en face. Nous tenions tous deux un poignard dans la main droite, brandis en l'attente du duel. Tout l'art consistait à être vif et précis. Ne pas rater sa cible. Nous allions en découdre. L'instant tardait. Comment en étions-nous arrivés là, je ne le savais plus. Sans doute avions-nous sauté quelques étapes essentielles. Il n'y avait que ça pour expliquer qu'un amour devienne haine. D'ailleurs, ton regard m'avait déjà tué. Je le voyais en toi. Ta rage, sourde, criait ma mort. Tu me vomissais. Moi, et tout ce que j'étais. Tout ce que nous avions été. Mais, étais-je la seule faute? Avais-je vraiment égorgé le chantre de notre bonheur? Peut-être. Je l'ignorais. Fallait-il vraiment que cette histoire termine ainsi? Dans le regret et l'oubli? Dans la destruction de l'autre? L'autre qui était pourtant soi. Pourquoi devions-nous nous assassiner nous-mêmes? Je me sentais hargneux, impatient. Ma volonté ne tergiversait pas. Mon amour non plus. J'oscillais entre la colère et le désespoir. Pouvais-je seulement le faire, aller au bout de mon geste de menace? Le pouvais-tu, toi? Tant de questions se bousculaient en un temps qui s'arrêtait. C'était sûrement dû à ça, la sueur : le chaos des pensées qui ne parvenaient pas à s'échapper, passant d'un présent interminable au passé. Comment en étions-nous arrivés là? Peu importait. La fracture grandissait à mesure que l'intensité s'intensifiait. Encore un peu, et les larmes apparaîtraient sans nul doute sur l'un de nos visages. Nous devions l'éviter. Ne pas risquer de flancher. En finir avec cette velléité. Nous avions chacun notre bras gauche dans le dos. En direction d'hier. A l'abri de nos vues. Nos coeurs battaient difficilement sur le bois. Ils semblaient déjà mourir, ne plus nous appartenir. L'ultime mouvement. Deux saignées. J'avais manqué mon dernier souffle.
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