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Nuits rouges (4)


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Membre, nyctalope, 39ans Posté(e)
Criterium Membre 2 852 messages
39ans‚ nyctalope,
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Partie 1 - 2 - 3

 

Il faisait déjà nuit noire. Dans le bureau du maire flottait encore une odeur de café. Les tasses furent à nouveau remplies, puis tout le monde se remit à son poste — sans un mot. Il s'agissait de continuer les recherches, s'affairant petit à petit devant cette pile de travail d'autant plus immense qu'elle était invisible. Tout se faisait sur Internet : ils cliquaient, un par un, sur les profils du même nom, prenant quelques notes. Ils savaient bien que c'était là plutôt le travail des gendarmes, mais ils les connaissaient justement trop bien pour savoir qu'ils n'avaient pas la même familiarité qu'eux avec cet outil du XXIe siècle. L'identité de la victime venait d'être confirmée. Simple problème : personne ne le connaissait. Et problème encore : son nom était Jack Smith.

— "Ç'aurait pu être pire, ç'aurait pu être John Doe", avait constaté Élodie sans sourire. Retrouver le bon serait rechercher une aiguille dans une botte de foin.

Pendant que Jean et Marc cliquaient et cliquaient sur les principaux sites, elle avait commencé à écrire des petits programmes informatiques pour tenter de récupérer automatiquement le plus d'informations possibles et voir s'ils pouvaient prendre des raccourcis de cette manière. Monsieur le Maire, lui, consultait ses vieux registres et des petits carnets de notes ; il fallait entrevoir la possibilité que cet homme soit lié d'une manière ou d'une autre à la région, voire que l'affaire était politique. Le patronyme semblait britannique. Indice peut-être ; mais pas assurément — de nos jours surtout, certains de ces noms de familles avaient une histoire chaotique et imprévisible.

Il tombait de fatigue. Il devrait bientôt prendre une pause, et soit rentrer chez lui, soit dormir à l'étage.

— "Oh."

Tout le monde se tourna vers Marc, qui avait laissé échappé ce son. Fausse alerte : "Non."

— "Oh."

Tout le monde se tourne vers Élodie, qui y avait fait écho quelques minutes après. Mais là, point de fausse alerte. Tous se ruèrent vers son écran d'ordinateur portable. Ils y découvrirent une photographie, sans date, d'un homme à côté d'un mur en pierre partiellement recouvert de buissons grimpants. L'homme regardait l'objectif d'un air inexpressif, presque absent ; il portait un imperméable et un chapeau quelque peu démodé. On le reconnaissait quand même bien.

— "Ah çà, on dirait bien que c'est lui... joli travail."

— "Vous reconnaissez le mur, n'est-ce pas ?", fit Jean.

— "C'est... le Manoir de Rougeseule, certainement."

— "Je crois bien que oui."

— "Quel dommage que la photo ne soit pas datée, on aurait pu savoir qui habitait le manoir à ce moment-là. On dirait que ça date des années 80... 90... je ne sais pas."

Après un silence, Élodie remarqua : "Si c'est le cas, il n'a pas beaucoup âgé, notre inconnu". L'on compara alors de nouveau la photo agrandie avec l'une en provenance de la morgue. Évidemment, l'individu avait l'air en meilleure santé lorsqu'il était toujours en vie, mais à part la peau particulièrement blanche, anémiée, on n'y devinait aucune ride. Certaines personnes semblent posséder ce pouvoir de défier les années et gardent la même apparence de 20 ans à 60 ans ; le mystérieux Monsieur Smith en faisait donc partie.

— "En tout cas, cela prouve qu'il connaissait la région, puisqu'il s'y est déjà rendu."

Ils sirotèrent le café nocturne. Celui-ci était encore brûlant, et réveillait toute une chaîne de possibilités qu'ils commençaient enfin à entrevoir. Ils avaient pris de l'avance sur l'enquête — ils avaient même joliment dribblés à la fois la gendarmerie (à laquelle Jean appartenait, une sorte de double-agent de campagne) et l'original qui s'était mis en tête de s'y mêler par simple lubie, Hubert de Fressinet. Il était certain que personne n'était allé jusqu'au manoir pour y déranger le dernier propriétaire, qui d'ailleurs ne se trouvait dans le pays que par intermittence. Il faudrait envisager y envoyer quelqu'un, pour peut-être lui présenter la photographie et savoir si celui-là aussi reconnaîtrait la victime. S'ils s'y rendaient tous, ils seraient remarqués ; il serait donc plus discret de choisir l'un d'entre eux pour aller y porter le message. Le scénario-catastrophe aurait été que les journalistes remarquent la visite et commencent leur harcèlement, pour rapporter sans cesse quelque élément inédit à Paris.

— "Le propriétaire du Manoir... l'homme taciturne, ténébreux... quel est son nom, déjà ?"

— "Veniamin Tepesh."

 

 

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