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Mes compositeurs favoris (2) : Yann Tiersen


Gouderien

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Gouderien Membre 34 705 messages
72ans‚ Obsédé textuel,
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Mes compositeurs favoris (2) : Yann Tiersen.

 

            Je voulais consacrer le deuxième chapitre de cette chronique (irrégulière) à Anton Bruckner, mais j’ai changé d’avis et je vais vous parler d’un musicien plus actuel : Yann Tiersen.

Il y a une douzaine d’années, j’aurais dit sans la moindre hésitation que le barde breton, auteur-compositeur-interprète et musicien multi-instrumentiste, était le seul génie musical vivant en France. Je suis un peu revenu sur cette opinion depuis. Yann Tiersen n’est pas un personnage simple. Recevant le César de la meilleure musique de film pour « Amélie Poulain », il protesta, disant que ce n’était pas une vraie BO, puisque plus de la moitié des morceaux venaient de ses albums précédents. Après le succès international de ce disque, il aurait pu faire du « Amélie Poulain »-like pendant 10 ans… et personne ne se serait plaint. Mais ce n’est pas son genre.

Comme bien des gens, j’ai découvert la musique de Tiersen en voyant le film de Jean-Pierre Jeunet. J’ai acheté la BO… et ce fut le coup de foudre. En fait j’avais déjà entendu du Tiersen avant de voir « Amélie Poulain », et je me disais : mais qu’est-ce que c’est que ce mec qui ose mélanger le classique et la variété ? On l’aura compris, le mélange des genres n’est pas vraiment ma tasse de thé.

Plusieurs morceaux de cette BO m’ont séduit immédiatement, dont bien sûr le thème principal, la « Valse d’Amélie » - un des morceaux originaux composés pour le film. On peut citer aussi la « Valse des Monstres » (extrait de l’album éponyme, le premier de Tiersen, sorti en 1995), « A quai » ou « Les Jours tristes », version orchestrale d’une chanson parue dans « l’Absente », quatrième album du Maître. Ensuite, j’ai acheté peu à peu tous ses autres disques.

« La Valse des Monstres » est donc le premier album de Yann Tiersen, musicien né le 23 juin 1970 à Brest. Il est passé par le Conservatoire, et cela se sent ; mais une carrière de musicien classique ne l’intéressait pas. Contrairement aux disques suivants, il fait à peu près tout lui-même. Dès ce disque on rencontre ce mélange de sons qui va caractériser sa production : clavecin, accordéon, piano, violon, et souvent toy-piano, un instrument que l’auteur semble apprécier particulièrement. L’album suivant, « Rue des Cascades » (1996), contient déjà une grande partie des caractéristiques de la musique de Tiersen : un mélange de chansons en français ou en anglais, de morceaux orchestraux et de pièces de piano. Les titres des œuvres sont souvent minimalistes : « J’y suis jamais allé », « Pas si simple », « C’était ici », « la Pièce vide » - ou énigmatiques, comme ses « Comptines d’été ». (Mais sur ses 3e et 4e albums, certains titres semblent faire allusion à sa vie privée, sur un mode catastrophiste : « la Dispute », « la Rupture », « l’Échec », « la Chute », « l’Effondrement », « l’Absente », « la Lettre d’explication », « le Retour » etc. L’étude de la signification des titres des œuvres de Yann Tiersen pourrait constituer une science en soi…) Le Maître commence à embaucher des gens que l’on va retrouver dans la plupart de ses productions, comme son amie Claire Pichet, une chanteuse pas du tout professionnelle, qui interprète la chanson qui donne son titre à l’album, ainsi qu’une autre, « Naomi ». A la fin de l’album, un morceau énigmatique appelé « la Vie quotidienne » propose, interprété sur un instrument bizarre (en fait un violon dont le son a été retravaillé électroniquement), le début du concerto pour violon de Sibelius.

Ses deux premiers disques n’ont rencontré qu’un succès confidentiel, mais il en va autrement du troisième, « le Phare » (1998), qui se vend beaucoup mieux. Cette fois le Tiersen complet est là : nombreux instruments divers, excellentes chansons souvent à thème social comme « Monochrome », présence de la Bretagne (un des titres s’appelle « le Fromveur », du nom du transbordeur qui dessert Ouessant). Tiersen joue toujours de tout un tas d’instruments classiques ou franchement bizarres, mais plusieurs nouveaux collaborateurs font leur apparition, dont le chanteur Dominique A, qui va devenir un habitué. Même si sur certains morceaux en studio il joue de tous les instruments, Yann Tiersen ne conçoit la musique que comme une aventure collective, au point de transformer certains de ses concerts en un « grand Barnum », comme le dit Dominique A. L’album suivant, « l’Absente » (2001), illustre encore cette montée en puissance. « A quai », où intervient tout un orchestre à cordes, est certainement le morceau le plus spectaculaire du compositeur. A signaler aussi « Bagatelle », chanson composée par Tiersen et Dominique A et interprétée par ce dernier, qui illustre une certaine veine surréaliste qu’affectionne le barde breton. On peut aussi mentionner « les Jours tristes », chanson interprétée en anglais par Neil Hannon, et qu’on retrouve en version orchestrale sur la BO d’« Amélie Poulain ».

Et c’est alors qu’il arrive une chose terrible à Yann Tiersen : le succès. Jean-Pierre Jeunet est à la recherche d’une musique pour son film « le Fabuleux destin d’Amélie Poulain ». Un jour, alors qu’il circule en voiture avec son assistante, celle-ci place un CD dans le lecteur : c’est un disque de Yann Tiersen. Pour le réalisateur, c’est le coup de foudre : voilà la musique qu’il lui faut ! Il prend contact avec Yann Tiersen, et lui demande de composer quelques morceaux supplémentaires pour compléter la BO ; Tiersen accepte. On connaît la suite… Le film rencontre un succès planétaire, et la BO aussi. Elle se vend à deux millions d’exemplaires dans le monde, et de New York à Tokyo on s’arrache le barde breton.

 

 

Et là il se passe un phénomène étrange : Yann Tiersen est allergique au succès. Pire, il a le sentiment d’avoir collaboré à un film « pétainiste » : c’est l’avis des « Inrocks ». Pour moi ce magazine est comme une boussole à l’envers : s’il qualifie un film de « pétainiste », on peut être sûr qu’il s’agit d’un chef-d’œuvre ! Mais Yann Tiersen, qui se veut un homme de gauche pur et dur, ne raisonne pas ainsi. Avec son talent évident pour composer des pièces de piano romantiques, il pourrait devenir une sorte de Chopin ou d’Erik Satie du XXIe siècle, mais ça ne l’intéresse pas, car il se considère d’abord comme un rocker. Aujourd’hui il le dit : si c’était à refaire, il ne composerait pas la musique d’« Amélie ».

Son remarquable double album «  C’était ici », enregistré en public au début de 2002 à la Cité de la Musique à Paris avec un orchestre et toute sa « bande » (dont Dominique A, les Têtes raides, Claire Pichet, Lisa Germano etc.), est caractéristique : on joue la « Valse d’Amélie » au début histoire de satisfaire ceux qui sont venus là pour ça, et puis on passe à autre chose – cet « autre chose » pouvant être par exemple « Février », un titre inédit qui évoque le rock progressif voire la musique contemporaine, et qui préfigure certains de ses disques suivants.

Yann Tiersen est un personnage étrange. Exilé à Ouessant, il fabrique sa musique dans son propre studio, ce qui ne l’empêche pas de donner de nombreux concerts en France et à l’étranger. Désormais barbu, toujours vêtu – à la scène comme dans la vie courante – d’un vieux pull ou d’une marinière et d’un jean, il fume comme un pompier et ne dédaigne pas une bière de temps en temps. C’est un taiseux. Quand on le voit jouer du piano, tellement penché sur son instrument qu’on se dit qu’il va s’écrouler dessus, on a l’impression d’un être hypersensible, complètement immergé dans sa musique. Mais d’autres ont pu voir en lui une sorte de phénomène de foire. Par exemple il commence à jouer l’introduction de « Rue des Cascades » au piano, puis, tout en continuant à jouer d’une main, enfile en se contorsionnant un accordéon, avant de passer du piano à l’accordéon.

En 2003, il compose encore une BO remarquable ; il s’agit cette fois d’un film allemand, « Good bye Lenin ». Et deux ans plus tard, il sort l’un de ses disques les plus aboutis, « Les Retrouvailles », en grande partie composé à Ouessant. D’ailleurs il est accompagné d’un CD-Rom avec un film, « La Traversée », d’Aurélie du Boys, montrant l’artiste au travail et la genèse de l’album. On retrouve ses complices habituels et aussi quelques nouveaux comme Jane Birkin, Miossec ou encore la chanteuse britannique Elisabeth Fraser, qui interprète une chanson extraordinaire, sans doute le meilleur morceau de l’album : « Mary ». Cette énigmatique évocation de la mort d’une enfant de 3 ans est accompagnée d’une orchestration délicate : Yann Tiersen à son meilleur.

Par contre on peut se passer de « Yann Tiersen on tour » (2006), disque où l’on retrouve la sulfureuse Diam’s, crachant sur la « France profonde », et une version de « Mary » entièrement gâchée par une batterie intempestive. A oublier.

La BO du documentaire « Tabarly » (2008), essentiellement au piano, est d’un bien meilleur niveau. De même « Dust Lane » (2010), qui n’atteint cependant pas la qualité des premiers disques du compositeur.

« Skyline » (2011) est encore à oublier. Le son des instruments est bon, mais les voix sont tellement saturées que 7 morceaux sur 9 sont pratiquement inécoutables. Comme aurait dit un de mes amis, on a l’impression que ce disque a été réalisé par un singe en rut. C’est d’autant plus choquant que, depuis ses débuts, la qualité sonore des disques de Yann Tiersen a toujours été exemplaire. Est-ce volontaire ? Faut-il voir là une démarche style « Vous voudriez que je vous fasse une musique bien léchée et propre sur elle, mais moi j’ai envie d’autre chose, alors prenez-vous ça dans la gueule ! » Ou bien le résultat de l’abus de la bière, du chouchen et autres boissons fortes locales ? En tout cas, un beau gâchis !

« Infinity » (2014), enregistré à Ouessant et en Islande, continue dans la veine rock (voire rock progressif) privilégiée depuis « Dust Lane » par le compositeur. J’avoue que c’est loin d’être mon disque favori, mais au moins, contrairement à « Skyline », on peut l’écouter sans avoir envie de balancer sa chaîne hifi par la fenêtre. A noter une forte présence des instruments électroniques.

Puis Yann Tiersen a passé 6 mois à apprendre la langue bretonne et, en 2016, a sorti « Eusa » (nom breton de l’île d’Ouessant). Un album de piano solo enregistré au studio Abbey Road (le luxe !), qui plaira aux nostalgiques d’« Amélie Poulain ». Un disque qui prouve une fois de plus quel immense pianiste il est. Et certains (dont moi) se demanderont : mais pourquoi ne fait-il pas que ça, au lieu de perdre son temps et de gâcher son talent à jouer les rockers à deux balles ? Je crains hélas que l’explication ne soit politique, ce qui est bien le pire motif qui soit : il n’y a pas une musique de droite et une musique de gauche, il y a juste la bonne et la mauvaise musique.

Enfin, en 2019 est sorti « All ». Un disque très étonnant, entre pop-rock et ambient, d’où émane une grande sérénité. Après la réussite d’« Eusa », c’est la confirmation que Yann Tiersen a retrouvé l’inspiration. Toutes les morceaux chantés le sont en breton.

Yann Tiersen a également participé à de nombreux albums, en collaboration avec d’autres artistes ; citons « Tout est calme », « les Black sessions » (1999), « Yann Tiersen & Shannon Wright » (2004), « Finistériens » avec Miossec (2009). Enfin une compilation, « Portrait », est sortie récemment.

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Modérateur, ©, 107ans Posté(e)
January Modérateur 59 823 messages
107ans‚ ©,
Posté(e)

L'année d'Amélie j'ai fait une overdose de Tiersen. Quasiment tous mes élèves ne voulaient jouer que ça..  Mais ça ne m'a pas dégoûtée non, j'écoute encore :) 

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Membre, Obsédé textuel, 72ans Posté(e)
Gouderien Membre 34 705 messages
72ans‚ Obsédé textuel,
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il y a 2 minutes, January a dit :

L'année d'Amélie j'ai fait une overdose de Tiersen. Quasiment tous mes élèves ne voulaient jouer que ça..  Mais ça ne m'a pas dégoûtée non, j'écoute encore :) 

Je crois que Tiersen lui-même a fait une overdose d'Amélie...;)

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Invité pako
Invités, Posté(e)
Invité pako
Invité pako Invités 0 message
Posté(e)

Bravo pour ce topic .

Complet , vidéos , photos .

Super boulot ! :bo:

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Membre, Obsédé textuel, 72ans Posté(e)
Gouderien Membre 34 705 messages
72ans‚ Obsédé textuel,
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il y a 3 minutes, pako a dit :

Bravo pour ce topic .

Complet , vidéos , photos .

Super boulot ! :bo:

Merci!:)

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Membre, Obsédé textuel, 72ans Posté(e)
Gouderien Membre 34 705 messages
72ans‚ Obsédé textuel,
Posté(e)

Un mot à propos du dernier disque de YT, "Portrait". Théoriquement, c'est une compilation de 25 titres, dont 3 nouveaux. Sauf qu'avec Yann Tiersen les choses sont rarement aussi simples. On là un double album, avec une collection de morceaux qui viennent de tout ses disques, sauf qu'ils sont réinterprétés. Souvent le résultat est proche de l'original… mais pas toujours. Pas mal de pièces pour piano (presque une sur deux). Sauf erreur de ma part tous les morceaux chantés le sont en anglais ou en breton. YT aurait-il tourné le dos à la langue française? A moins de connaître absolument par cœur tous les disques du Maestro, difficile d'identifier les trois morceaux originaux, d'autant que la liste des titres au dos du disque est en anglais, écrite à la main, et sans aucun détail.

yann-tiersen-un-portrait-sous-25-angles.jpg

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  • 4 mois après...
Membre, Cóínnéóídh mé do bhás, Posté(e)
Mórrígan Membre 13 766 messages
Cóínnéóídh mé do bhás,
Posté(e)

Pour changer d'Amélie :

 

 

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Membre, Obsédé textuel, 72ans Posté(e)
Gouderien Membre 34 705 messages
72ans‚ Obsédé textuel,
Posté(e)
Il y a 2 heures, Léna-Postrof a dit :

Pour changer d'Amélie :

 

 

J'adore cette chanson!

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