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Aspects de la littérature

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satinvelours

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satinvelours Membre 3 006 messages
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[ L’existence est fondamentalement dépourvue de sens. C’est le thème de l’absurde chez Camus où il va montrer qu’il faut en passer par ces « Fourches Caudines ». Si on ne s’est pas confronté à la déréliction on ne peut pas véritablement se construire. D’où la tentative du suicide chez Camus, le suicide philosophique.] 

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satinvelours Membre 3 006 messages
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Il y a une réconciliation du personnage avec lui-même, qui vérifie l’hypothèse que le bonheur et l’absurde sont compatibles ( L’homme révolté– Le Mythe de Sisyphe).

Camus dit dans L’Homme révolté c’est un homme qui dit non à quelque chose et s’il refuse ou renonce à quelque chose c’est parce qu’il dit oui à la vie. Ce vitalisme de Camus est isolé par rapport à Sartre et Malraux. Dans L’homme révolté les personnages font face à l’absurde.

Camus croit  dans l’humanité, la charité extraite d’un contexte chrétien, la fraternité qui place l’homme à la place de Dieu. L’homme est la valeur qui, dans tous les cas, justifie la vie.

« Le monde n’a pas de sens supérieur mais quelque chose a du sens, et c’est l’homme, parce qu’il est le seul à exiger d’en avoir ».

La Peste et La Chute présentent cette exigence de sens. Dans L’Etranger c’est l’absence de l’exigence du sens qui est exposée. La grandeur de l’homme vient qu’il exige du sens tout en sachant qu’il n’a pas les moyens de le trouver.

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Invité hell-spawn
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Invité hell-spawn
Invité hell-spawn Invités 0 message
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Pour Camus l'homme trouve le sens et le bonheur dans la lutte.

C'est assez Nietzchéen: " ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort", voir meme proche de Spinoza pour qui le bonheur consiste a croitre dans son etre.

Ce sont des philosophies qui se défendent mais qui demandent d'abandonner, de sacrifier ou de se fermer définitivement a pas mal de choses.

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satinvelours Membre 3 006 messages
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Un exilé volontaire 

Beckett

Samuel Beckett naît en 1906 en Irlande dans une famille de garçons, un vendredi saint le jour où « le sauveur cria et mourut ». Chaque fois que Beckett parle de sa naissance cette mention apparaît. Il est très marqué par une culture protestante, par une culture biblique très sensible qui transparaît dans son œuvre.

 « En attendant Godot », les deux personnages, qui ne sont pas à proprement parler des philosophes, Vladimir et Estragon s’interrogent sur la cohérence qu’il y a  entre deux Évangiles à propos des larrons, où un Évangile seulement dit qu’un des larrons a pu être sauvé. Cette interrogation renvoyant à une culture de la faute originelle est toujours omniprésente dans son œuvre, même dans la clownerie, comme il appelle lui-même, de En attendant Godot jusqu’au dernier texte de sa production.

 Sa mère est un personnage particulier par la façon dont elle marque son rapport à la vie. Elle considère que l’éducation tient davantage du dressage que de la formation. Lui-même dit, en dehors de l’unique question et de la façon dont l’imagination a été nourrie de la culture évangélique et biblique, qu’il a été contraint à une vie religieuse pratiquante.

Le père en revanche est une figure plus aimante et plus proche du fils. Il est géomètre. Et souvent dans ses œuvres –Molloy et pièces de théâtre– les personnages se mettent à arpenter et à  mesurer l’espace dans lequel ils se meuvent. Beckett très proche du père a une relation difficile avec sa mère et le sentiment de la faute d’être né l’emporte. « Nous passons notre vie à expier le crime  éternel et originel d’être né » (ouvrage consacré à Proust ).

 Le sentiment de la faute, du péché d’être né et du péché qui il y a à exister est absolument ancré et enraciné dans son enfance et dans sa culture. 

 C’est un étudiant brillant très intéressé par les littératures–Dante–Proust–Baudelaire–la littérature allemande. Il a une fascination pour les langues et pour le miracle des mots indépendamment  de leur signification. La musique des mots le fascine, les formes, c’est-à-dire les phrases que l’on peut créer avec des mots et les figures que l’on peut combiner à partir des mots.

C’est ce qu’il ne cessera de faire : combiner des mots dans des formes différentes du point de vue générique.

 Il écrit des poèmes, au début et à la fin de sa vie, du théâtre, de la narration et de la fiction. Ce sont toujours les mêmes questions qui reviennent et ce sont des combinaisons et des variations de mots autour de ces questions. Il aime les formes, les figures que l’on peut créer à partir des mots. 

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satinvelours Membre 3 006 messages
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À partir des années 20, après avoir circulé à travers l’Europe et s’être beaucoup intéressé à la peinture, il arrive comme lecteur à l’ENS de la rue d’ULM avec cette thèse consacrée sur Baudelaire, fréquente Joyce et entre dans son intimité. 

Entre 34 et 45 Beckett écrit des poèmes en anglais puis des nouvelles : « Bande et sarabande » traduite en français tardivement, censurée par l’église catholique irlandaise. Il est très marqué par cette censure.

À partir de 46 il écrit en français et sera son propre traducteur. Avec « Mercier et Camier » il choisira la langue de l’exil.

 Pendant les années de guerre il entre en résistance. De 42 à 45 il sera retranché à Roussillon après avoir échappé à une rafle de la Gestapo. Pendant ces trois années il écrit pour se faire la main. C’est une sorte de discipline, d’exercice, tous les jours sans aucun projet éditorial, et c’est à ce moment que prend forme « Mercier et Camier ». Il y a en germe dans ce texte deux développements : le développement dramatique et le développement narratif. 

« Molloy » paraît un 51, c’est le premier de la trilogie « Malonne meurt » puis « L’Innommable » en 53 publiée par Jérôme Landon aux éditions de minuit.

 Cette œuvre romanesque produit un effet sidérant sur le monde de l’édition. Il se trouve dans la prose de Beckett un certain nombre de questions qui sont vite récupérées par l’étiquette nouveau roman que Robbe-Grillet suggère à Jérôme Lindon pour un certain nombre de romanciers que l’on n’arrive pas à classer. L’étiquette de nouveau roman va fédérer tous ces romanciers.

Mercier et Camier représente d’emblée la triple crise qui caractérise le roman de Beckett.

–La disparition de l’histoire : le roman ne raconte plus rien

–La crise du sujet : le héros est totalement défait et n’est même plus un personnage

–La crise de la pensée

C’est trois crises seront fondamentales dans l’œuvre de Beckett et dans l’ensemble du nouveau roman.

 Il y a un narrateur qui raconte une histoire qui n’en n’est pas une, au sens romanesque du terme, et ces deux personnages–Mercier et Camier–comme ils ne font rien puisqu’ils n’ont pas d’histoire, passe leur temps à parler pour se dire qu’ils ne savent plus comment poser les questions.

 On a l’invasion du récit par le dialogue, et des dialogues entre les personnages comparables aux dialogues que Beckett attribue à Vladimir et Estragon de En attendant Godot. Ce sont les mêmes dialogues avec les mêmes questions : l’impossibilité même de poser une question.

Plus d’histoire, plus de sujet.

Le roman s’achemine de plus en plus vers une forme dramatique théâtrale qui est le dialogue. Et dans le théâtre plus tardif de Beckett, dans les années 70/80, il n’y aura plus de dialogue. Les personnages qui sont des voix et qui tiennent la réplique sont des voix de narrateur. Le roman s’ouvre à quelque chose qui n’a rien de narratif, le dialogue, qui prend une place considérable au détriment du récit. Le théâtre deviendra de plus en plus narratif sans échange, sans dialogue au fur et à mesure que l’œuvre se construit.

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  • 2 semaines après...
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satinvelours Membre 3 006 messages
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 Ce qu’opère Beckett au niveau général de la littérature c’est un décloisonnement des genres. Jusqu’ici le théâtre est toujours associé au dialogue, un échange dialogal parotique, et le récit à la narration de fiction avec la présence et l’activité d’un narrateur. 

Beckett bouscule tout cela et relance l’idée en interrogeant la spécificité de chaque genre, en interrogeant Aristote et la poétique classique. Il a toujours signalé qu’elle était la nature de ses œuvres. Il donne des titres à ses textes de théâtre, même lorsqu’ils sont très narratifs, qui annoncent bien qu’il s’agit de théâtre, et que ce sont toujours des dérisions. Il indique le genre pour mieux signifier le bouleversement auquel il s’adonne.

 Autre élément matriciel dans Mercier et Camier c’est la présence des objets.

Mercier et Camier se donnent rendez-vous pour faire un voyage qu’ils ne feront jamais. Ils restent chez eux, tournent en rond. L’éternel itinéraire chez Beckett consiste soit quitter la ville pour aller dans la lande, soit laisser la lande pour revenir vers la ville, il n’y a que cet espace là. Ils tournent en rond autour de la ville, ne sachant où aller sous peine de désastre, et ils bavardent.  Ils ont les mêmes accessoires–sac, chapeau, bicyclette–que l’en retrouvera dans certaines pièces.

 Le monde est réduit et raréfié à deux personnages et quelques objets dans un espace complètement symbolique. Les personnages de Mercier Camier donnent lieu à la trilogie de Molloy. Les personnages de son œuvre deviennent alors les personnages de ces personnages.

Cela rejoint l’idée qui traverse toute son œuvre à savoir que l’homme est condamné à se raconter des histoires. « Ce dont j’ai besoin c’est des histoires pour meubler le néant ». 

Le roman beckettien est très difficile, c’est une épreuve, cette absence de respiration par rapport au théâtre où la parole circule.

Dans le roman il n’y a qu’un personnage qui s’invente des histoires pour supporter la solitude, est incapable de savoir si ce qu’il a inventé il l’invente complètement ou si c’est un souvenir. Il est incapable de dire qui est ce « je » en lui qui invente l’histoire. Cela donne un texte qui ne cesse de progresser et de reculer.

C’est une épreuve par rapport à nos attentes habituelles de lecteur qui fait que les phrases sont censées progresser vers davantage d’informations, le long d’une ligne logique qui reste pertinente et cohérente. Là quand une phrase propose justement une proposition, la phrase suivante la relativise ou l´infirme, tant et si bien que ce qu’on avait cru prendre au sérieux à la phrase 1, il n’est plus possible de le croire à la phase 2.

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satinvelours Membre 3 006 messages
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Cette épreuve qui demande un travail mental certain est, pour Beckett, requise par ce qui est notre lot : le chaos et la confusion. Ce n’est pas du tout le signe d’une pathologie personnelle. On pourrait imaginer que cette souffrance originelle existentielle lui apparaît en propre, mais aux yeux de Beckett la confusion et de chaos sont partout, il suffit d’ouvrir les yeux pour les voir.

 Il faut donc trouver une forme qui dise le chaos, qui coïncide avec cette nécessité d’exprimer un état très particulier de l’homme dans l’histoire, à l’issue de la guerre et de tout ce qu’il l’a accompagnée.

 Le chaos c’est en particulier le chaos de la pensée. Une question récurrente chez Molloy : comment savoir, comment penser ?

C’est la crise de l’esprit qu’il veut dire, qu’il reflète en parlant du chaos et de la confusion. Beckett ne s’attaque pas à une matière historique, comme Claude Simon, qui nous permettrait de retrouver quelque chose qui appartienne à une mémoire collective. La mémoire qui est en cause, quand il y en a une, c’est sa mémoire personnelle : le vendredi saint, le rapport à sa mère, ce n’est pas quelque chose qui participe à une mémoire collective, mais en revanche il tente de dire ce sentiment commun de chaos.

Il a fini, en dépit du caractère exigeant de son œuvre, en terme d’écriture et pour le lecteur, en dépit du caractère stupéfiant et sidérant qu’a eu Molloy auprès du lecteur–Georges Bataille et Maurice Blanchot ont immédiatement signalé l’importance capitale de Beckett–, par incarner la littérature à lui tout seul, une écriture neutre, une écriture blanche.

Il a décloisonné les genres, repris des éléments narratifs dans le théâtre, tous les éléments dialogaux mis dans le roman. Il a répété la même chose mais dans un art combinatoire différent, et a fini par s’identifier à la littérature.

Impossibilité de raconter quelque chose puisque les personnages très vite ne peuvent plus bouger. « Ô les beaux jours », le personnage s’enfonce et s’enlise, « Molloy », le personnage a d’abord des béquilles puis est condamné à ramper. En général les personnages sont physiquement mutilés et réduits à un grave état d’impotence, il ne leur reste que la tête. Cette tête pense en inventant des fables plutôt qu’en se préoccupant de la logique du terme. Ce qui demeure c’est la parole, c’est l’impossibilité de se taire.

 Dans « L’Innommable » il y a cette phrase du personnage qui dit je et qui est à la fois le narrateur : « dans ma vie il y eut trois choses : l’impossibilité de parler, l’impossibilité de me taire et la solitude physique bien sûr » .

L’impossibilité de parler c’est l’impossibilité de parler pour dire quelque chose [Beckett était lui-même quelqu’un de très silencieux, alors que ses personnages sont intarissables, même pour ne rien dire].

Faute de parler on va dire. Lorsque les personnages échangent des phrases, ils échangent beaucoup plus des formes verbales que des propositions logiques. Impossibilité à dire quelque chose, impossibilité de se taire, donc condamnation à dire toujours, mais à dire le rien à dire.

C’est cette clé de l’œuvre qui explique le caractère intarissable, et en quelque sorte hémorragique, de la création chez Beckett.

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satinvelours Membre 3 006 messages
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L’Innommable est une succession de questions : où maintenant, comment maintenant, qui maintenant. Dire je sans le penser, appeler ça des questions, des hypothèses, aller de l’avant, dire cela sans savoir pourquoi. J’ai l’air de parler ? Ce n’est pas moi. Comment vais-je faire ? Que dois-je faire ? Dans la situation où je suis comment procéder par pur aporisme ou bien affirmation et négation infirmées au fur et à mesure, ou tôt ou tard.

Il y a une sorte de résumé du fonctionnement de la fiction chez Beckett. Il utilise les questions de la rhétorique : qui, quoi, où, quand, comment, les décline, sans que jamais aucune réponse satisfaisante, ni définitivement validée, ne soit accordée ni à lui, ni à nous, et joue avec ces questions.

Il remet en question le support de la pensée et de l’énonciation. Dire je sans le penser. Qu’est-ce que je ? C’est ce que pose Compagnie de façon radicale. Comment puis-je adhérer à ce je qui est définitivement appréhendé par Beckett comme une fiction de la communication. Pour communiquer nous sommes obligés de dire je, mais je est une pure forme qui ne correspond à aucun substrat psychologique ni anthologique.

 Très couramment chez Beckett, de façon ironique et malicieuse, on trouve l’usage du vocabulaire de la logique par pur aporisme ou par affirmation ou négation. C’est très lourd, car tout ce qui peut être attendu de la littérature de fiction, pas nécessairement philosophique, est déceptif.

Dans une pièce de théâtre « Not I », très impressionnante, la sténographie de la pièce présente un personnage sur le devant de la scène qui n’est pas identifiable, ni même textuable, recouvert d’une djellaba, et sur un écran au fond de la scène il y a une bouche filmée.

 Cette bouche raconte des « aventures » qui seraient arrivées  à une certaine Elle. L’impossibilité de dire je. La bouche refuse de dire je, c’est-à-dire de savoir qui est dans ce je, « tu n’utilisera jamais la première personne, la première personne ne fait pas partie de ton vocabulaire » (Compagnie).

Le caractère massif et radical du bouleversement opéré part Beckett l’est par sa bibliothèque intérieure. Il est très marqué par Kafka, Joyce et Proust. Ce qu’il retient de ces trois noms c’est ce qui peut nourrir cette inquiétude fondamentale qui est la sienne : comment dire je, comment penser ?

 

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satinvelours Membre 3 006 messages
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 Kafka le marque pour l’enfermement, pour l’inintelligibilité  du monde. Il y a dans Molloy un personnage qui a l’énergie de mener une enquête qui ne mènera à rien. Beckett est très sensible à cette dimension angoissée et angoissante de l’œuvre de Kafka. 

Le versant de l’œuvre de Joyce qui correspond à sa sensibilité, pourra nourrir son inspiration, c’est la précarité, le roman de l’hypothèse, le roman de la certitude et de la relativité. Néanmoins il y a encore chez Joyce la croyance dans la capacité de la conscience, dans la puissance de la conscience qu’il n’y a plus du tout chez Beckett. Il n’y a pas ce que Joyce appelle des « épiphanies » qui sont des moments de grâce où le sujet entre en communion avec le monde. 

Chez Beckett le moi est séparé du monde extérieur. Dans un essai sur la peinture d’après guerre il dit que la peinture a la charge de montrer qu’il n’y a plus de rapport possible entre le sujet et l’objet. Cela correspond à une intuition intime, que lui fait à travers les personnages de fiction, de l’absence de rapport d’une possibilité entre le moi et le monde. 

De Proust il retient ce qui peut nourrir sa propre inquiétude,  c’est-à-dire l’impressionnisme et le relativisme. Mais il y a un triomphe chez Proust–retrouver le temps perdu–qui est aux antipodes de la désespérance de Beckett. Il retient cependant cette impossibilité de s’assurer de quoi que ce soit.

 On a parlé à propos de ses écrits, de romans de la méconnaissance. Même lorsque le roman raconte une enquête, jamais la connaissance n’est envisagée comme une possibilité. Le rapport à la connaissance est évidemment très marqué par la culture biblique.

  Dans la première partie de Molloy le personnage dit je. Il est couché dans la chambre de sa mère qui semble être morte « peut-être », et ce personnage va raconter l’itinéraire et les errances qui l’ont mené jusqu’à la chambre de sa mère, jusqu’à un retour régressif dans le lit de sa mère. C’est une quête des origines. Il prend la place de sa mère et cette identification moi–mère, provoque une interrogation sur le je et le support du je. Couché dans le lit de sa mère il raconte ses déserrances, au début il marchait, puis il a eu des béquilles, puis il a rampé.

Dans la deuxième partie le personnage s’appelle Moran, anagramme de roman. C’est un enquêteur chargé par un certain messager Gaber–Gabriel–, qui lui-même est le messager de Youdi,  d’enquêter sur  Molloy.

Le rapport à la connaissance est très marqué par cette culture biblique. Bien sûr l’enquête de Moran échoue, il ne retrouvera jamais Molloy mais finit par s’identifier à celui qu’il cherche au point de ramper. Cela se termine par cette phrase tragique « je ne supporterai plus d’être un homme, je n’essaierai plus ».

Ce trajet, l’enquête, le rapport à la connaissance, l’impossibilité de connaître l’autre, de se connaître soi, la projection nécessaire entre l’autre et soi et la confusion générale entre l’autre et soi, tout cela est contenu dans la deuxième moitié du roman Molloy.

En dehors des constituants et des ingrédients de la fiction, qu’advient-il du personnage ? Il n’est plus personne, il n’est plus capable de dire je. Qu’advient-il des aventures ? Il n’y en a plus.

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satinvelours Membre 3 006 messages
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Se pose une autre question : la responsabilité narrative. Nous sommes toujours malmenés, pris en défaut. Dans Mercier et Camier des passages font très fortement penser à l’ironie de Diderot dans « Jacques le fataliste » qui malmène le lecteur qui voudrait bien savoir des amours de Jacques et ne le saura jamais. 

Dans Mercier et Camier le narrateur prétend avoir été le témoin de leur voyage. L’absence narrative oscille entre le témoin qui accrédite histoire, et en même temps l’histoire n’a pas lieu (ils restèrent chez eux).  

 Il est impossible qu’une voix dotée d’une autorité narrative puisse penser. La voix dit une phrase qui est une forme verbale qu’il ne faut pas prendre au sérieux, qu’elle ait ou non une signification, et une autre phrase qui sera l’infirmation ou la négation de celle-ci qui peut, elle-même, être infirmée et enchaînera. On passe en permanence d’un seuil à l’autre, il est très fatiguant d’avoir des repères, et c’est ainsi jusqu’à la fin de l’œuvre.

 La question posée par Beckett sur le personnage dans le roman et sur le narrateur dans le roman, donc l’autorité du narrateur dans le roman, est une question transversale : qui voit dans le roman, à travers les yeux de qui sommes-nous susceptibles de lire l’histoire ? et la question du narrateur est qui raconte, qui parle ? 

 Chez Beckett on est incapable de décider qui raconte, qui parle, puisque ni la première personne ni les autres ne peuvent coïncider avec un pronom qui les représenteraient. Il reste des simulations, des propositions qui s’enchaînent. Il dit que la phrase peut être poétique, mais aussi logique, mais n’aura jamais de fondement. Comment penser les fondements qui nous permettraient de vérifier que cette signification en est bien une ? La fuite est repartie jusqu’à l’infini. 

 La signification est un essai possible de la phrase par lequel on ne doit pas se laisser séduire, se laisser leurrer. Peut-être, certainement, sans doute, les adverbes de modélisation émaillent le discours beckettien en permanence. Aucune formulation ne peut s’exposer sans être accompagnée de ces adverbes pour en atténuer la portée et mettre en doute la validité.

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  • 2 mois après...
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satinvelours Membre 3 006 messages
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Je reprends le sujet. Je l’avais ababdonné, Beckett est un écrivain très difficile à décrypter, mais je n’aime pas laisser inachevé un travail que j’ai entrepris. 

Je continue donc Beckett.

 

Le roman–Molloy–se présente comme un discours comme si le personnage narrateur répondait à un questionnement du lecteur qui, lui, a cessé de se poser des questions puisque l’effet premier pour le lecteur est la complexité.

 En dehors de l’effet d’humour que peut susciter ce texte, ce qui est symptomatique c’est l’impossibilité de dire quelque chose qui soit certifiable. Ce qui peut échapper de sa parole ne lui appartient pas.

Deux vertiges sont pensés par Beckett et sa génération :

–le vertige de la psychanalyse (Beckett a  entamé une psychanalyse avant son arrivée en France, il a beaucoup lu Jung)

–le vertige d’un « je » qui ne peut pas retrouver sa propre origine, savoir ce qui lui appartient en propre parce qu’il est d’emblée nourri par un langage, le langage de la culture dans laquelle il naît , qui est un langage culturellement et idéologiquement marqué.

 Dès que « je » parle, quelque chose parle en moi qui n’est pas moi. C’est soit l’inconscient, soit ce qui renvoie à ce pensum appris et oublié, et que l’on ne peut que combiner. On combinera à partir de brides que l’on croit être à nous mais qui ne le sont pas. 

La question devient un élément romanesque pittoresque. Elle devient une forme, un morceau décoratif dont on émaille les discours, mais n’aura aucune efficacité sur le plan de la pensée. Ce qui reste de romanesque dans cette œuvre c’est cette attache aux souvenirs d’un moment où on pouvait penser, ou on s’avait penser, où il était pertinent de penser, où on croyait pouvoir penser, moment dont on est sorti. On sait qu’on ne peut plus penser. 

Dans « compagnie » je m’invente des questions pour meubler ma solitude, pour créer une compagnie. C’est un élément qui me permet de survivre, alors que je sais que je n’aurai pas de réponse. C’est une façon de ne pas rester seul, comme l’enfant tout seul dans le noir qui s’invente des histoires pour se tenir compagnie. La question n’a plus aucune pertinence sur le plan de la logique.

Compagnie est un texte tardif de Beckett, postérieur à l’expérience dramatique, postérieur à « Not I ».

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satinvelours Membre 3 006 messages
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Dans « Not I » il y a cette bouche qui parle et cette figure non identifiable sur le devant de la scène qui joue le rôle de l’auditeur. Pour le théâtre, parler ne suffit pas il faut que quelqu’un nous entendre. La bouche parle des autres abandonnés. L’état de l’abandon est notre destin collectif.

Cette sténographie Beckett la récupère dans Compagnie, mais sans la scène de théâtre. Il garde l’idée qu’une voix parle, qu’il y a un entendeur qui écoute cette voix. La voix de l’entendeur sont les inventeurs d’un X, incapable de dire « je », couché sur le dos, dans le noir.

La problématique de la voix chez Beckett, une fois que l’on sait que les questions ne seront jamais satisfaites par une réponse, et que l’on ne peut pas se taire, est assimilable à la fin à un chuchotement, un souffle pur. Le texte présente bien cette stratégie de la voix. Il commence par ce qui pourrait être une consigne d’écriture donnée à des enfants. « Une voix parvient à quelqu’un dans le noir : imaginez ».

Et la fable se déroule à partir de cette consigne, un personnage couché sur le dos dans un état d’impotence et d’impuissance, dans le noir. Aucune image visuelle perceptible ne peut lui parvenir. Les images suscitées par le texte sont des images mentales à l’intérieur de la boîte crânienne du personnage.

Beckett invente une sténographie ou une voix s’adresse à un « gisant » pour susciter un « je » en lui disant « tu ». Et le gisant a, pour sortir de sa solitude, inventé ce dédoublement de la voix et de l’entendeur.

À quelqu’un sur le dos, dans le noir, une voix égrène le passé. Il y a un récit d’une diction qui tente une résurrection en égrenant un passé. « Tu es sur le dos dans le noir… ». Le « tu » tente de susciter le « je » mais il ne le peut pas, il ne le fera pas.

Le « je » chez Beckett est aux antipodes du « je » gidien ou même du « je » du monologue intérieur. Et le drame consiste à ne pas pouvoir se passer de compagnie.

Puisqu’il nous faut une compagnie on invente une voix et un entendeur à l’intérieur de son crâne, tout en sachant que cette voix a pour vocation de susciter l’identité, mais échouera. Et la compagnie devient insupportable à certains moments du texte. On frôle une mise en scène de la folie.

 Compagnie récapitule à la fin de l’œuvre de Beckett l’ensemble des problématiques : impossibilité de dire je, impossibilité de se taire, combler le noir, combler le silence.

Cette façon de ne pas pouvoir se taire correspond à une espèce de vertige de la mort associé au silence.

On rit davantage au théâtre.

Entre les années 50 et les pièces les plus connues de Beckett, et les années 70/80,  l’essoufflement, et en même temps la nécessité de continuer à tenir ce souffle jusqu’au bout pour ne pas mourir, devient de plus en plus angoissé. 

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