Marc Augé, de la laïcité à la tronçonneuse

La Déclaration des droits de la femme

Ces derniers jours j'ai beaucoup écrit sur une article du Point concernant Marc Augé. J'avais commencé à publier à son sujet il y a quelques temps sur le forum Religion de ce site. Comme je vois que l'on discute de femmes sur celui-ci, voici ma contribution.

L’humanisme n’est pas une panacée universelle, elle s’est imposée comme telle par des hommes de la trempe de Marc Augé. Ils poursuivent un but, celui de modeler les hommes et les femmes du monde entier selon une justice dont ils sont persuadés qu’elle transcende les cultures et les religions. Écoutez-le : « Or les droits de l’homme ne sont pas une particularité européenne. Tels qu’ils ont été d’abord formulés au XVIIIe siècle, ils concernent l’espèce humaine et transcendent les différences culturelles. »

Comment ça ils ne sont pas une particularité européenne ? Cette constitution, elle est même française, si je ne m’abuse. Rousseau, Montesquieu et Voltaire sont français, non ? Faut-il rappeler les guerres coloniales qui ont suivi ces vœux pieux de justice et d’égalité après l’élaboration de ces déclarations ? L’horreur et la terreur qui ont mené à leur application ? Si l’Amérique est grande aujourd’hui, si elle passe pour une puissance économique et culturelle, sa démocratie s’est fondée sur un génocide. C’est un secret de Polichinelle.

Augé est concerné par « le statut inférieur de la femme »* dans les autres cultures. Ce faisant, cela lui permet d’user légitimement de sa tronçonneuse au nom de son athéisme et de la pacification ˡ qui permettent l’application de cette idéologie. Mais remettons les pendules à l’heure.

John Stuart Mill écrivait en 1869 dans De l'assujettissement des femmes : « Je crois que les relations sociales des deux sexes, qui subordonnent un sexe à l'autre au nom de la loi, sont mauvaises en elles-mêmes et forment aujourd'hui l'un des principaux obstacles qui s'opposent au progrès de l'humanité… »

Que dit exactement la Déclaration des droits de l’homme ? Article 1 : « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune. »  Ce qui rétrospectivement frappe aux yeux dans cette première constitution de 1789, c’est l’aspect patriarcal et machiste, la femme n’y est pas mentionnée. Non pas parce que le terme  « homme » est un universel et qu’il inclut également la femme, ce qui aurait été compréhensible, mais parce que la femme à cette époque en France, et pas uniquement, loin de là, a véritablement un « statut inférieur ». Et les Français n’en démordront pas. Olympe de Gouges (1748) se révolta contre ce qu’elle considérait être une imbécilité congénitale et reformula le texte qu’elle appela carrément Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne. Benoîte Groult écrivit une biographie à son sujet, mais pour faire une longue histoire courte, elle finit sur l’échafaud... (Rappel : c’est seulement en 1940 que les femmes au Québec obtiennent le droit de vote et en 1944 en France.)
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1. La pacification est un terme du vocabulaire militaire et colonial. Après la conquête d'un territoire, ou la déclaration de cette conquête, les rébellions peuvent remettre en cause l'ordre du conquérant. Elles nécessitent une intervention armée pour assurer l'ordre et la maîtrise de la rébellion...

*Voir le sujet que j'ai ouvert sur ce registre : L'homme supérieur et la démocratie

La caricature ci-dessous est d'Antoine Moreau-Dussault. J'ai ajouté la légende.

Un mec qui veut passer les religions à la tronçonneuse? Hum, ça donne envie!

L'homme est caché sous sa langue, selon le dicton.

Traduction : Quel type d'homme êtes-vous ?

Marc Augé dit (je rappelle qu’il est  anthropologue, successeur de Fernand Braudel et François Furet à la tête de l’École des hautes études en sciences sociales.)  : « Prenez les rapports hommes-femmes : ils sont définis strictement dans chaque culture et la première inégalité et celle des sexes. Or c’est précisément quand on pose l’unité de l’espèce humaine que l’on peut transcender ces différences. »

Une fois posée l’unité de l’espèce humaine, comment ça marche la transcendance des différences ? Où sont les exemples pratiques de ce postulat ? Les solutions que nous avons trouvées pour réguler les relations hommes-femmes sont les lois punitives qui préviennent les tentations et la pédagogie.

Parce que « c’est le devoir de la démocratie », dit-il, une formule incantatoire insuffisante. Celui qui vit d’illusions, meurt de désillusion.

 Au Canada, cela fait des décennies que l’on sait et que l’on fait tout cela, le devoir démocratique. Mais, curieusement, on découvre tout récemment que les femmes sont toujours terriblement malmenées dans les lieux publics tels les métros, les bus, au travail et les discothèques où elles sont droguées à leur corps défendant et violées par monsieur tout le monde. Le nombre de victimes est si élevé que nous en sommes scandalisés. On tombe des nues.

Pourtant nous sommes en démocratie depuis plusieurs siècles, mais ces habitudes grossières et criminelles sont encore présentes, et généralisées en sus. Cela se passe au Canada et non pas en Inde où de telles pratiques nous apparaissaient prédisposées. Les médias en avaient fait leurs choux gras. (Viol collectif dans un bus, et le pays est une authentique démocratie. L'article 14 de la constitution indienne confère pourtant aux femmes les mêmes droits que les hommes. Voir le lien *)

Si vous me lisez vous savez que je ne suis pas un relativiste qui prétend que toutes les cultures se valent… Une femme peut, à Montréal, aujourd’hui ou il y a trente ans, se déplacer la nuit, à pied, prendre le bus, sans crainte de se faire agresser, bien que cela puisse arriver. Il y a de nombreux pays où ce n’est juste pas le cas.

Vu ainsi, on se dit que le Canada, grâce à ses valeurs démocratiques, est un pays civilisé.

Mais voilà que les choses ces derniers temps sont en train de se corser. Régulièrement les journaux dévoilent des incidents graves à propos des élites et des personnages responsables de gérer de grands bureaux et qui ont abusé pendant des années des femmes à leur service dans un cadre professionnel. Et qu’elles n’en parlaient pas parce qu’elles avaient peur et honte. Pire encore ! Les dirigeants des forces armées et les agents des corps de police violent les femmes en toute impunité !  

En ce moment, des femmes autochtones, se battant depuis des années pour être entendues, ont réussi à attirer l’attention de la population grâce aux médias sur le fait que les policiers les rudoyaient et les violaient. Le hic, c’est que la justice en démocratie est le plus souvent du côté des puissants, ceux qui ont l’argent et qui sont blancs. Lisez et rendez-vous compte par vous-mêmes. Et ce n’est que la pointe de l’iceberg.**

* Inde, vol collectif.

** Extrait :  « Après la diffusion de notre reportage, les huit policiers ont été relevés administrativement de leurs fonctions. Le ministère de la Sécurité publique a confié l'enquête à un autre corps de police, soit le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM). Il pourrait s’ensuivre des poursuites pénales et criminelles. Une nouvelle directrice par intérim a aussi été nommée au poste de la SQ de Val-d'Or. »

 Les femmes de la Force régulière ont été quatre fois plus nombreuses à être victimes d’une agression sexuelle que les hommes (4,8 % comparativement à 1,2 %), et dans la moitié des cas, leur agresseur était un supérieur hiérarchique.
Plus troublant encore, le sondage rendu public lundi révèle que plus du quart des femmes de la Force régulière, soit 27,3 %, ont été agressées sexuellement au moins une fois depuis leur enrôlement au sein des FAC. Le lien