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L'Archipel du Goulag

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January

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Modérateur, ©, 107ans Posté(e)
January Modérateur 59 875 messages
107ans‚ ©,
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Non, certes, ce n'est pas exprès pour infliger aux détenus le supplice de la soif que, durant tous ces jours passés dans la compression, au bord de l'évanouissement, on ne leur donne comme nourriture que du hareng ou de la vobla séchée.

Non, ce n'était pas pour leur infliger le supplice de la soif, car enfin, dites-moi un peu : comment nourrir en chemin tous ces déchets ? Leur apporter du rata chaud dans leur wagon ? Ce n'est pas prévu par le règlement. On ne peut pas leur donner des céréales non bouillies, pas de morue crue non plus. Des conserves de viande ? Vous ne voudriez pas qu'ils se gobergent ! Non, le hareng, on ne peut trouver rien de mieux. Ca et un morceau de pain. Que leur faut-il encore ?

[...]

Et naturellement ce n'est pas pour tourmenter le détenu qu'on ne lui donne rien à boire après le hareng, ni eau chaude (cela jamais) ni même eau fraîche. Il faut comprendre les choses : le personnel d'escorte est en nombre limité.[...] Transporter des seaux d'eau, ça fait loin. Et puis, c'est tout de même vexant ; pourquoi le guerrier soviétique devrait-il coltiner de l'eau comme un mulet pour les ennemis du peuple ?

Mais tout cela, les hommes d'escorte le supporteraient encore - coltiner de l'eau et donner à boire - si ces cochons de détenus, une fois gorgés d'eau, ne demandaient pas ensuite à se soulager. [...] Les besoins de cent vingt personnes exigent plus de deux heures : plus du quart des heures de service de trois membre de l'escorte !

Conclusion : qu'ils fassent le moins possible ! Autrement dit : donner le moins d'eau possible. Et de nourriture aussi. Moins d'eau donc ! Mais continuons de distribuer le hareng réglementaire. Ne pas donner d'eau est une mesure rationnelle. Ne pas donner de hareng, ce serait une grave faute professionnelle.

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Modérateur, ©, 107ans Posté(e)
January Modérateur 59 875 messages
107ans‚ ©,
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Bien sûr les détenus ne connaissent pas leur destination. Ils peuvent deviner parfois qu'ils se dirigent vers le Nord ou l'Est, avec le soleil, mais c'est tout.

Après la guerre ils seront porteurs d'une enveloppe scellée qui indiquera leur destination. En fin de compte, ils n'en seront que plus inquiets : Kargopollag ? Kniaj-Pogost ? Quelqu'un en a-t-il entendu parler ? On y crève ou pas ?

Possédez le moins de choses possible, de façon à ne pas avoir à trembler pour elles ! N'ayez pas de bottes neuves, pas de chaussures à la mode ou de costume "pure laine" : de toute façon, ils seront volés, confisqués, escamotés, échangés, que ce soit dans un wagon-zak, dans un fourgon cellulaire ou lors de l'admission dans une prison de transit.

A la rigueur, laissez un hareng tiédir dans votre poche, en attendant la prison de transit, pour ne pas être obligé de mendier à boire ici. Mais le pain et le sucre que l'on vous a donnés pour deux jours, mangez-les en une seule fois. Ainsi personne ne vous les volera. Et vous n'aurez pas de soucis.

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Modérateur, ©, 107ans Posté(e)
January Modérateur 59 875 messages
107ans‚ ©,
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Dans les petites gares intermédiaires, le voyageur ordinaire trouve du mal pour monter dans son wagon, non pour en descendre : il n'a qu'à jeter ses affaires et à sauter. Ce n'est pas le cas du détenu.

Au début, l'escorte se tient tout autour des marches du wagon et à peine avez-vous déboulé, dévalé, dégringolé, que les gardes vous crient tous ensemble et d'une voix assourdissante : "Assis ! Assis ! Assis !" C'est très efficace quand c'est vociféré à plusieurs gueules et sans vous laisser le temps de lever les yeux. Comme sous des obus qui explosent, vous vous recroquevillez involontairement et, plié en deux, vous filez (comme si vous étiez, vous, pressé !) rejoindre les précédents et vous asseoir à côté d'eux.

[...]

La position qu'on vous fait prendre a été savamment calculée : assis par terre sur le postérieur, les genoux au menton, vous avez votre centre de gravité à l'arrière : difficile de vous lever, impossible de bondir. Et on vous fait, de plus, serrer les uns contre les autres pour que vous vous gêniez davantage. Si l'envie nous avait pris de nous jeter tous à la fois sur l'escorte, le temps de nous mettre en mouvement, nous étions déjà abattus jusqu'au dernier.

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Membre, Un con qui marche ira plus loin qu'un intellectuel assis, 52ans Posté(e)
DroitDeRéponse Membre 86 829 messages
52ans‚ Un con qui marche ira plus loin qu'un intellectuel assis,
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La barbarie à visage humain est sortie 4 ans plus tard . L'archipel a du grandement contribué à sa genèse.

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Modérateur, ©, 107ans Posté(e)
January Modérateur 59 875 messages
107ans‚ ©,
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Deuxième partie - Le mouvement perpétuel

Chapitre 2 - Les ports de l'Archipel - Extraits choisis

Et nous qui avions rêvé de nous reposer et de prendre de l'exercice en arrivant au port !

[...] Rêvé enfin qu'on nous donnerait de la nourriture chaude. Rêvé qu'on nous mènerait aux bains, que nous nous doucherions à l'eau chaude et cesserions de nous gratter.

[...] Soudain, on se met à tondre les femmes, ou bien nous, les hommes, on nous envoie nus, en colonne, nous faire tondre. Ou bien c'est la corpulente mère Motia qui crie à l'étuve de Vologda : "Alignez-vous les mecs !" et, un tuyau à la main, elle arrose toute la file d'un jet de vapeur. Mais on est las de répéter qu'il existe des bains totalement privés d'eau ; que, quand on désinfecte les affaires à la vapeur, on les brûle ; ou qu'après le bain, on vous force à courir tout nus dans la neige pour aller chercher vos affaires.

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Membre, Un con qui marche ira plus loin qu'un intellectuel assis, 52ans Posté(e)
DroitDeRéponse Membre 86 829 messages
52ans‚ Un con qui marche ira plus loin qu'un intellectuel assis,
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Quand le porte parole de Jean Luc Mélenchon est vent debout contre une place Soljenitsyne à Paris :

https://blogs.mediap...lace-soljenitsy

La particularité de Soljenitsyne est qu’il fut érigé de son vivant, dans les années 70, comme le symbole de l’opposition à l’oppression stalinienne. En pleine guerre froide, il bénéficia aussitôt de tous les honneurs. Du coup, bien peu de gens écoutaient encore dans le détail ce qu’il racontait, se laissant hypnotiser par sa longue barbe qui lui donnait des allures de vieux sage, alors qu’il n’était plus qu’un vieux radoteur réactionnaire. Si la musique soljenitsyenne avait un air de liberté pour les oreilles peu attentives, en réalité les paroles n’étaient qu’une nostalgie repoussante de la Russie tsariste et antisémite.

La baudruche Soljenitsyne doit donc être dégonflée. Cet homme consacra les 30 dernières années de son existence à porter un discours scandaleux. Concernant la seconde guerre mondiale, il reprochait que «l’Occident ait aidé à grandir un ennemi bien pire et autrement plus puissant» qu’Hitler, à savoir Staline. Si l’on suit sa pensée, il aurait mieux valu faire alliance avec Hitler contre l’URSS. Ce faisant, il réduit la Shoah à un épisode parmi d’autres de la seconde guerre mondiale. Son obsession anticommuniste primaire lui fera dire souvent n’importe quoi. Lors d’une émission télévisée française en 1976 (Les dossiers de l’écran), il refusera par exemple de condamner la dictature de Pinochet au Chili.

...

J’arrête là. Le statut d’ancien prisonnier et de victime d’une dictature ne donne pas tous les droits et ne doit pas justifier tous les errements idéologiques. Pendant 35 ans de son existence Nelson Mandela fut emprisonné par l’infâme régime d’apartheid. A sa sortie de prison, cet homme magnifique ne portait nulle haine contre les afrikaners et consacra son énergie à mettre fin au régime raciste d’Afrique du Sud.

Soljenitsyne fut tout l’inverse. Pendant au moins trois décennies, sa voix fut celle d’un illuminé mystique, réactionnaire, monarchiste et antisémite.

==========================================================================

L'Archipel du Goulag n'est pas encore bien digéré en France .

Modifié par DroitDeRéponse
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Modérateur, ©, 107ans Posté(e)
January Modérateur 59 875 messages
107ans‚ ©,
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Ben voyons, comparons le destin de Nelson Mandela et celui de Soljénitsyne thumbdown.gif

Merci pour l'article DDR :)

Chacun doit se faire son avis, dans l'équilibre. Et pour arriver à l'équilibre, il est nécessaire de tester les deux extrêmes.

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Modérateur, ©, 107ans Posté(e)
January Modérateur 59 875 messages
107ans‚ ©,
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Il vous suffit d'avoir fait quelques pas dans une prison de transit pour remarquer que ceux qui auront tout pouvoir sur vous, ce ne sont ni les surveillants, ni les épaulettes, ni les uniformes. Non, ceux qui auront tout pouvoir sur vous, ce sont les planqués de la prison. C'est le garçon de bain à la mine renfrognée, le répartiteur des tâches avec sa planchette de contreplaqué, l'éducateur... Comme ils se ressemblent, tous. Et où donc avez-vous eu déjà le temps de les voir tous pendant votre voyage ?

Ah mais voilà ! Ce sont encore et toujours les truands !

[...]

Quand nous arrivons, nous ne sommes pas encore plumés et ils nous abusent à coeur joie. Ce sont eux qui nous fouillent à la place des surveillants et, avant de commencer, ils nous proposent de mettre notre argent en dépôt : ils dressent une sorte de liste, le plus sérieusement du monde, mais avant que nous ayons eu le temps de dire ouf, adieu liste, adieu argent ! "Nous avons remis notre argent ! " - A qui ? demande avec étonnement un officier arrivé sur ces entrefaites. - Tenez, ici, il y avait quelqu'un ! - Mais qui, au juste ?"

Les planqués eux, n'ont rien vu... "Mais pourquoi le lui avez-vous remis ? - Nous pensions que... - Un dindon pensant ! Il faut penser moins !" Terminé.

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Modérateur, ©, 107ans Posté(e)
January Modérateur 59 875 messages
107ans‚ ©,
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La prison de transit lui donne l'impression d'être encore relié à sa famille. C'est de là que, légalement, il écrit sa première lettre, tantôt pour faire savoir qu'il n'a pas été fusillé, tantôt pour indiquer la destination du convoi, [...] mais plus jamais il ne sera le même, dans l'une ou l'autre des lignes griffonnées. Griffonnées parce que, bien qu'écrire soit autorité et qu'il y ait une boîte aux lettres dans la cour, il est impossible de se procurer ni papier, ni crayons. On finit par dénicher l'enveloppe d'un paquet de tabac que l'on défroisse, ou encore un sac à sucre, et il se trouve tout de même quelqu'un dans la cellule pour posséder un crayon. Et voilà pourquoi c'est en pattes de mouche indéchiffrables que s'écrivent des lignes qui vont dépendre de l'entente ou de la mésentente des familles.

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La baudruche Soljenitsyne doit donc être dégonflée. Cet homme consacra les 30 dernières années de son existence à porter un discours scandaleux. Concernant la seconde guerre mondiale, il reprochait que «l’Occident ait aidé à grandir un ennemi bien pire et autrement plus puissant» qu’Hitler, à savoir Staline. Si l’on suit sa pensée, il aurait mieux valu faire alliance avec Hitler contre l’URSS. Ce faisant, il réduit la Shoah à un épisode parmi d’autres de la seconde guerre mondiale. Son obsession anticommuniste primaire lui fera dire souvent n’importe quoi. Lors d’une émission télévisée française en 1976 (Les dossiers de l’écran), il refusera par exemple de condamner la dictature de Pinochet au Chili.

...

Soljenitsyne fut tout l’inverse. Pendant au moins trois décennies, sa voix fut celle d’un illuminé mystique, réactionnaire, monarchiste et antisémite.

Soljenitsyne n'était pas celui qu'on voulait qu'il soit. Il devait être la voix qui s'élève contre toute oppression, quelle qu'elle soit. Mais Soljenitsyne avait ressenti dans son âme et dans sa chair l'oppression soviétique, et pour lui, c'était la pire. Il y avait pour lui effectivement hiérarchisation dans l'oppression, et mieux valait Pinochet que le communisme. On peut bondir d'indignation, dans son fauteuil, au coin du feu, mais nous n'avons pas souffert autant que Soljenitsyne. Que Staline ai fait plus de victimes qu'Hitler dans ses camps, quand bien même c'est une vérité historique établie, passe au second plan. Que ce soit une vérité historique encore que l'occident, à la conférence de Yalta, a laissé à Staline une partie du monde non négligeable où il pouvait à loisir et en toute discrétion opprimer qui bon lui semblait, tout le temps qui lui plairait, sans ingérence aucune, qu'importe.

Quant à l'argument cent fois usé "si l'on suit sa pensée", c'est à dire faire dire à Soljenitsyne ce qu'il n'a jamais dit, en utilisant odieusement la Shoah, il est comme l'ensemble de l'article, à vomir...

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Membre, Un con qui marche ira plus loin qu'un intellectuel assis, 52ans Posté(e)
DroitDeRéponse Membre 86 829 messages
52ans‚ Un con qui marche ira plus loin qu'un intellectuel assis,
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Soljenitsyne n'était pas celui qu'on voulait qu'il soit. Il devait être la voix qui s'élève contre toute oppression, quelle qu'elle soit. Mais Soljenitsyne avait ressenti dans son âme et dans sa chair l'oppression soviétique, et pour lui, c'était la pire. Il y avait pour lui effectivement hiérarchisation dans l'oppression, et mieux valait Pinochet que le communisme. On peut bondir d'indignation, dans son fauteuil, au coin du feu, mais nous n'avons pas souffert autant que Soljenitsyne. Que Staline ai fait plus de victimes qu'Hitler dans ses camps, quand bien même c'est une vérité historique établie, passe au second plan. Que ce soit une vérité historique encore que l'occident, à la conférence de Yalta, a laissé à Staline une partie du monde non négligeable où il pouvait à loisir et en toute discrétion opprimer qui bon lui semblait, tout le temps qui lui plairait, sans ingérence aucune, qu'importe.

Quant à l'argument cent fois usé "si l'on suit sa pensée", c'est à dire faire dire à Soljenitsyne ce qu'il n'a jamais dit, en utilisant odieusement la Shoah, il est comme l'ensemble de l'article, à vomir...

Nous sommes bien d'accord .

C'est pourtant sur cette base que le porte parole de Jean-Luc Mélenchon s'est opposé à la place soljenitsyne .

Preuve que 40 ans plus tard la rancoeur aigre d'une partie de la gauche de la gauche d'avoir brisé son fantasme est encore vive .

Modifié par DroitDeRéponse
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Nous sommes bien d'accord .

C'est pourtant sur cette base que le porte parole de Jean-Luc Mélenchon s'est opposé à la place soljenitsyne .

Preuve que 40 ans plus tard la rancoeur aigre d'une partie de la gauche de la gauche d'avoir brisé son fantasme est encore vive .

Elle n'a pas digéré l'épisode vendéen et Philippe de Villiers...

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Membre, Un con qui marche ira plus loin qu'un intellectuel assis, 52ans Posté(e)
DroitDeRéponse Membre 86 829 messages
52ans‚ Un con qui marche ira plus loin qu'un intellectuel assis,
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Elle n'a pas digéré l'épisode vendéen et Philippe de Villiers...

Je ne vous pensais pas opportuniste :p

Mais non l'aigreur était là 20 ans avant .

Royaliste ?

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tison2feu Membre 3 032 messages
Forumeur alchimiste ‚
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Soljenitsyne n'était pas celui qu'on voulait qu'il soit. Il devait être la voix qui s'élève contre toute oppression, quelle qu'elle soit. Mais Soljenitsyne avait ressenti dans son âme et dans sa chair l'oppression soviétique, et pour lui, c'était la pire. Il y avait pour lui effectivement hiérarchisation dans l'oppression, et mieux valait Pinochet que le communisme. On peut bondir d'indignation, dans son fauteuil, au coin du feu, mais nous n'avons pas souffert autant que Soljenitsyne. Que Staline ai fait plus de victimes qu'Hitler dans ses camps, quand bien même c'est une vérité historique établie, passe au second plan. Que ce soit une vérité historique encore que l'occident, à la conférence de Yalta, a laissé à Staline une partie du monde non négligeable où il pouvait à loisir et en toute discrétion opprimer qui bon lui semblait, tout le temps qui lui plairait, sans ingérence aucune, qu'importe.

Quant à l'argument cent fois usé "si l'on suit sa pensée", c'est à dire faire dire à Soljenitsyne ce qu'il n'a jamais dit, en utilisant odieusement la Shoah, il est comme l'ensemble de l'article, à vomir...

Je partage ton analyse, hdbecon. Mieux que contre l'oppression, Soljenitsyne s'est élevé contre l'idéologie. L'oppression peut faire quelques dizaines de morts, l'idéologie des millions de morts. Le témoignage de Soljenitsyne n'a pas de prix, et Mélanchon n'est qu'un pantin.

Aron (p. 687 http://www.commentai.../1993-4-064.pdf) cite Soljenitsyne :

"Qu'est-ce à dire : un SCÉLÉRAT ? Comment cette notion doit-elle se comprendre ? En existe-t-il en ce bas monde ? Il nous serait plus naturel de dire qu'il ne peut pas y en avoir, qu'il n'y en a pas. Certes, nous admettons que l'on dépeigne des scélérats dans les contes : à l'intention des enfants, pour la simplicité du tableau. Mais quand la grande littérature mondiale des siècles passés nous fabrique, les unes après les autres, des images de scélérats d'une épaisse noirceur - que ce soit Shakespeare, Schiller ou Dickens - cela nous paraît quelque peu ressortir au théâtre de foire, nous semble bien maladroit pour la sensibilité contemporaine. Et voyez surtout comment sont dépeints ces scélérats. Ils ont tout à fait conscience de leur scélératesse et de la noirceur de leur âme. C'est ainsi qu'ils raisonnent. Je ne peux vivre sans commettre le mal. Un, deux, trois, je m'en vais exciter mon père contre mon frère ! Un, deux, trois, je m'en vais me délecter des souffrances de ma victime! Iago dit tout de go que ses buts et motifs sont noirs, engendrés par la haine.

Non, il n'en est pas ainsi ! Pour faire le mal, l'homme doit auparavant le reconnaître comme un bien, ou comme un acte reconnu logique et compris comme tel. Telle est, par bonheur, la nature de l'homme qu'il lui faut chercher à JUSTIFIER ses actes. Les justifications de Macbeth étaient faibles et le remords se mit à le ronger. Et puis le nom de Iago ne signifie-t-il pas « l'agneau » ? L'imagination et la force intérieure des scélérats de Shakespeare s'arrêtaient à une dizaine de cadavres. Parce qu'ils n'avaient pas d'idéologie. L'idéologie ! C'est elle qui apporte la justification recherchée à la scélératesse, la longue fermeté nécessaire aux scélérats. C'est la théorie sociale qui aide le scélérat à blanchir ses actes à ses propres yeux et à ceux d'autrui, pour s'entendre adresser non pas des reproches ni des malédictions, mais des louanges et des témoignages de respect. C'est ainsi que les inquisiteurs s'appuyèrent sur le christianisme, les conquérants sur l'exaltation de la patrie, les colonisateurs sur la civilisation, les nazis sur la race, les Jacobins (d'hier et d'aujourd'hui) sur l'égalité, la fraternité et le bonheur des générations futures. C'est l'IDÉOLOGIE qui a valu au XXe siècle d'expérimenter la scélératesse à l'échelle des millions. Une scélératesse impossible à réfuter, à contourner, à passer sous silence. Comment, dans ces conditions, aurions-nous l'audace de répéter avec insistance qu'il n'existe pas de scélérats ? Qui donc a alors supprimé ces millions d'hommes ? Sans scélérats, il n'y aurait pas eu d'Archipel."

Alexandre Soljénitsyne, L'archipel du Goulag, 1973, Chapitre 4, tr. fr. Jacqueline Lafond, José Johannet, René Marichal, Serge Oswald et Nikita Struve, Seuil, 1974, Tome 1, p. 131-132.

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Je ne vous pensais pas opportuniste :p

http://www.dailymoti...ljenitsyne_news

Mais non l'aigreur était là 20 ans avant .

Je pense que ça a enfoncé le clou...

Royaliste ?

Non. Mais j'essaye d'être le plus objectif possible...

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Je partage ton analyse, hdbecon. Mieux que l'oppression, Soljenitsyne s'est élevé contre l'idéologie. L'oppression peut faire quelques dizaines de morts, l'idéologie des millions de morts. Le témoignage de Soljenitsyne n'a pas de prix, et Mélanchon n'est qu'un pantin.

Aron (p. 687 http://www.commentai.../1993-4-064.pdf) cite Soljenitsyne :

"Qu'est-ce à dire : un SCÉLÉRAT ? Comment cette notion doit-elle se comprendre ? En existe-t-il en ce bas monde ? Il nous serait plus naturel de dire qu'il ne peut pas y en avoir, qu'il n'y en a pas. Certes, nous admettons que l'on dépeigne des scélérats dans les contes : à l'intention des enfants, pour la simplicité du tableau. Mais quand la grande littérature mondiale des siècles passés nous fabrique, les unes après les autres, des images de scélérats d'une épaisse noirceur - que ce soit Shakespeare, Schiller ou Dickens - cela nous paraît quelque peu ressortir au théâtre de foire, nous semble bien maladroit pour la sensibilité contemporaine. Et voyez surtout comment sont dépeints ces scélérats. Ils ont tout à fait conscience de leur scélératesse et de la noirceur de leur âme. C'est ainsi qu'ils raisonnent. Je ne peux vivre sans commettre le mal. Un, deux, trois, je m'en vais exciter mon père contre mon frère ! Un, deux, trois, je m'en vais me délecter des souffrances de ma victime! Iago dit tout de go que ses buts et motifs sont noirs, engendrés par la haine.

Non, il n'en est pas ainsi ! Pour faire le mal, l'homme doit auparavant le reconnaître comme un bien, ou comme un acte reconnu logique et compris comme tel. Telle est, par bonheur, la nature de l'homme qu'il lui faut chercher à JUSTIFIER ses actes. Les justifications de Macbeth étaient faibles et le remords se mit à le ronger. Et puis le nom de Iago ne signifie-t-il pas « l'agneau » ? L'imagination et la force intérieure des scélérats de Shakespeare s'arrêtaient à une dizaine de cadavres. Parce qu'ils n'avaient pas d'idéologie. L'idéologie ! C'est elle qui apporte la justification recherchée à la scélératesse, la longue fermeté nécessaire aux scélérats. C'est la théorie sociale qui aide le scélérat à blanchir ses actes à ses propres yeux et à ceux d'autrui, pour s'entendre adresser non pas des reproches ni des malédictions, mais des louanges et des témoignages de respect. C'est ainsi que les inquisiteurs s'appuyèrent sur le christianisme, les conquérants sur l'exaltation de la patrie, les colonisateurs sur la civilisation, les nazis sur la race, les Jacobins (d'hier et d'aujourd'hui) sur l'égalité, la fraternité et le bonheur des générations futures. C'est l'IDÉOLOGIE qui a valu au XXe siècle d'expérimenter la scélératesse à l'échelle des millions. Une scélératesse impossible à réfuter, à contourner, à passer sous silence. Comment, dans ces conditions, aurions-nous l'audace de répéter avec insistance qu'il n'existe pas de scélérats ? Qui donc a alors supprimé ces millions d'hommes ? Sans scélérats, il n'y aurait pas eu d'Archipel."

Alexandre Soljénitsyne, L'archipel du Goulag, 1973, Chapitre 4, tr. fr. Jacqueline Lafond, José Johannet, René Marichal, Serge Oswald et Nikita Struve, Seuil, 1974, Tome 1, p. 131-132.

Tu l'exprime beaucoup mieux que moi, et je t'en remercie...

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Membre, Un con qui marche ira plus loin qu'un intellectuel assis, 52ans Posté(e)
DroitDeRéponse Membre 86 829 messages
52ans‚ Un con qui marche ira plus loin qu'un intellectuel assis,
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Je pense que ça a enfoncé le clou...

Non. Mais j'essaye d'être le plus objectif possible...

De Villiers n'était historiquement pas objectif . Mais cette période est bien trop complexe et faite de gris pour que je n'aille plus loin par égard à ce joli topic que nous offre january .

J'imagine que cet épisode peu glorieux de cette passion francaise sera abordée dans votre petit illustre de l'histoire pour boute en train .

J'ai hâte ;)

Vous avez sans doute raison, ca a du enfoncer le clou. Toucher le sacre d'une religion ca peut contrarier les ayatollahs , je m'étonne d'ailleurs toujours que certains puissent porter un Robespierre au pinacle .

Modifié par DroitDeRéponse
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Membre, Un con qui marche ira plus loin qu'un intellectuel assis, 52ans Posté(e)
DroitDeRéponse Membre 86 829 messages
52ans‚ Un con qui marche ira plus loin qu'un intellectuel assis,
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@tison2feu en pensant à arendt je me demande si l'idéologie est si nécessaire que celà .

Je pense par exemple aux fonctionnaires de Cecil Rhodes qui auraient sans doute fait de bon tauliers . C'est un peu loin , il faudrait sans doute que je m'y replonge .

Par ailleurs l'idéologie sans le pur et l'impur n'est sans doute pas à même de conduire à l'horreur , il faut dans l'idéologie un élément de polarisation permettant de scinder l'humanité en deux .

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Modérateur, ©, 107ans Posté(e)
January Modérateur 59 875 messages
107ans‚ ©,
Posté(e)

Deuxième partie - Le mouvement perpétuel

Chapitre 3 - Les caravanes d'esclaves - Extraits choisis

Soljénitsyne nous a parlé des wagons-zak, il parle dans ce chapitre des wagons rouges (wagons à bestiaux peints en rouge). On y entasse bien plus de monde, le chargement est gardé secret, toujours fait de nuit (tout le monde sait qu'on arrête des tas de gens mais personne ne doit être terrifié en voyant tous ces détenus en même temps). Le wagon rouge a un itinéraire direct. Même conditions de "voyage" que pour les wagons-zak, voire pire puisqu'il y a bien plus de détenus. Là, on ne parle quasiment plus de ravitaillement... Des wagons rouge à leur arrivée ne contiennent plus que des cadavres.

Un autre moyen de transfert est utilisé : par barges.

Les détenus voyagent dans une câle où personne ne descendra pendant le transfert.

Dans le ventre en forme d'auge de la barge, on déversait pêle-mêle les gens et ils gisaient là, comme des crabes au fond d'un panier. Perchées sur les bastingages comme sur des rochers, les sentinelles dominaient cela. Cette masse était parfois transportée à découvert, parfois on la recouvrait d'une bâche. Le trajet dans une barge de ce genre n'était plus un transfert, mais la mort à brève échéance. Par-dessus le marché, on ne leur donnait presque pas à manger, et une fois éjectés dans la toundra - plus rien du tout. On les laissait mourir en tête à tête avec la nature.

[...]

Fermez les yeux, ami lecteur. Entendez-vous le grondement des roues ? Ce sont les wagons-zak qui roulent. Ce sont les rougeauds qui roulent. A chaque minute du jour et de la nuit. Chaque jour de l'année. Et cette eau, maintenant, qui clapote ? Ce sont des barges pleines de détenus qui voguent. Et voilà les moteurs des fourgons qui ronflent. Sans arrêt on débarque, on enfourne, on transborde. Et cette rumeur ? Elle monte des cellules surpeuplées des prisons transitaires. Et ces hurlements ? Ce sont les plaintes des gens dévalisés, violés, battus.

Nous avons passé en revue tous les modes de transfert et devant chacun nous nous sommes dit : voici le pire. Nous avons fait le tour des prisons de transit sans en discerner de bonnes. Et le dernier espoir des hommes, qui leur fait toujours attendre une amélioration : au camp ça ira mieux - même cet espoir est mensonger.

Au camp, ce sera encore pire.

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