Aller au contenu

Messages recommandés

Membre+, Posté(e)
Doïna Membre+ 19 524 messages
Maitre des forums‚
Posté(e)

Bonjour,

Que nous dit le dictionnaire à propos des troubadours ? Troubadour : poète lyrique courtois de langue d'Oc aux XII° et XIII° siècle.

Oui, sauf que, les troubadours, c'était plus que ça ! À la fois poètes, musiciens et chanteurs de langue occitane -la langue d'oc- par opposition à la langue d'oïl des trouvères de cette partie septentrionale de ce qui constitue maintenant la France, et non point de l'Occitanie : (ci-dessous, carte de l'Occitanie)

carte-occitanie.jpg

Les troubadours sont les inventeurs d'un code qui érige en valeur l'art d'aimer. À côté de cela, ils ont apporté avec eux un raffinement des mœurs en adéquation avec cet art, dont les bonnes manières de se comporter en société, et par-là même ont contribué au sentiment d'une solidarité collective qui s'est inscrit dans la vie des gens du sud, par opposition à ceux du nord "plus bruts".

Dans la douceur du climat aquitain à l'ardeur solaire tempérée par la masse océanique proche, ces artistes allaient de cour en cour, dispensant leur art tantôt dans les demeures confortables des villes et bourgs fortifiés, tantôt dans les salles exiguës et sombres des castels montagnards : être seigneur, en ces temps, n'était pas toujours synonyme de luxe et de richesse.

Ces déplacements faisaient de nos troubadours des aventuriers : il importait qu'ils répandent leur renommée, aussi fallait-il qu'ils ne restent pas attachés toute leur vie durant à une cour. Gagner de nouveaux publics était donc pour eux très important, or il n'y avait pas que cela pour les pousser sur les chemins, il y avait encore le besoin de connaître, et puis cette quête de l'ailleurs qui tenait au ventre les intellectuels insatiables qu'ils étaient. Pour ces raisons, ils étaient souvent chargés de missions d'ordre politique par des grands les savant rompus à la communication.

Bon nombre de troubadours étaient d'ailleurs eux-mêmes de sang noble, voire nobles et fortunés, qui possédaient des châteaux et percevaient des rentes. Les autres étaient soit issus de la bourgeoisie urbaine, soit de la campagne. Ces derniers étaient bien entendu sans logis, qui n'avaient droit au gîte et au couvert qu'en obtenant des invitations. Ils avaient donc intérêt à ne pas lasser leurs hôtes, car la cour du seigneur ou du prince était pour eux l'unique source de bienfaits et d'honneurs.

Les premières qualités d'un seigneur occitan sont sa générosité (à la condition que sa largesse soit mesurée), sa sagesse et son amabilité à l'égard de ceux qui le servent bien et méritent ses récompenses. Il ne doit pas être arrogant.

Les troubadours ne font de toute façon pas cas des différences de niveau dans l'aristocratie, préférant défendre la noblesse du cœur. Qualité de cœur et d'esprit peuvent élever une simple bergère au rang de dame ! L'amour, qui affine les mœurs et est leur raison d'être, saurait-il distinguer les humains entre eux ?

Formation du troubadour :

Il est bon qu'il sache chanter, danser, jouer de plusieurs instruments, jongler avec pommes et couteaux, connaisse par cœur un nombre impressionnant de légendes et de chansons de geste de jadis, en sus des chansons à la mode. Il doit évidemment être lettré. Il a appris le latin des clercs dans une école de chanoines ou de moines, ainsi que la grammaire, la rhétorique et la dialectique, également la musique, l'arithmétique, le géométrie, l'astronomie. Il a lu la Bible, Saint Augustin, Boèce, et, bon calligraphe, manie avec talent la plume ou le stylet. Certains troubadours ont eux-mêmes porté la robe de bure dans une autre vie... Mais ces érudits, outre toutes ces influences latines, chrétiennes, monastiques, ont aussi pu s'enrichir de culture musulmane en côtoyant des esclaves cultivées ramenées comme butin en Occitanie après avoir été enlevées à quelque harem.

Le trobar :

L'art du troubadour ne se confine pas à puiser dans ce qu'il a appris, il doit trouver les mots pour chanter son amour avec des mots et des images capables d'évoquer cette passion qui fait brûler les cœurs et les corps mais, pour cela, encore doit-il aimer : De mi amor mi canto ! Au XII° siècle, le trobar devient la manière nouvelle de chanter l'amour profane en langue vulgaire, et non pas en latin. Et qui aime-t-il si passionnément ? La dame, bien sûr ! La dame qui est donc une femme mariée, mais qu'il courtise malgré tout, et chante si bien quand elle est au jardin qu'à la chambre, tout autant qu'il chante les prouesses des chevaliers, les saisons, la grandeur de ses hôtes, la bonne chère et la splendeur occitane. Ce que nous appelons à tort "amour courtois" puisque cette expression est une invention littéraire du XIX° siècle. Il serait plus correct de parler de la fin'amor, mesure parfaite qui maintient l'équilibre entre l'émotion et la raison, entre ce qui plaît à l'individu et ce qui convient à la société où il vit. Le troubadour enseigne que c'est la fin'amor qui confère aux humains prix et valeur : l'homme sans amour ne vaut rien.

Autrement dit, la fin'amor repose sur l'autorégulation du désir, la "mezura" : contrôle des rapports entre personnes et sentiments. Viennent ensuite la joven (jeunesse) érigée en vertu, et le joi (extase de l'amoureux rêvant de l'accomplissement de son désir mais qu'il sublime dans l'élévation morale, voire mystique).

Dans un monde où les penseurs sont des hommes qui tiennent les femmes pour responsables du dérèglement de l'espèce dans l'ordre originel, l'amour adultère, pourtant réprimé par l'église comme par la société toute entière au départ, est devenu un lieu de perfection pour la morale laïque à la seule condition qu'il soit bridé : la femme est par conséquent mise au cœur de l'art lyrique. La dame, autrefois mise en retrait par rapport à son époux, lui fait désormais pendant, comme si le pouvoir était partagé à égalité entre les deux sexes. Seulement, attention, cet amour courtois a tout de même ses détracteurs en la personne des lauzengiers.

Les lauzengiers :

"Ces lauzengiers, langues tranchantes/-Que Dieu les confonde et les haïsse !- mettent prouesse en balance/Et font avancer Méchanceté. (Jaufré Rudel)

Le lauzengier est le pire ennemi du troubadour et le détracteur de la fin'amor. Flatteur, médisant de l'amour courtois, dénonciateur auprès du mari de la liaison supposée ou réelle entre la dame et son amoureux, sa méchanceté le ravale au rang de vilain -moralement et socialement- aussi noble et fortuné puisse-t-il être.

Les trobairitz :

Ce sont les femmes troubadours, car il y en avait. Azalais de Porcaragues, Na* Bieiris de Roman, Na Castelloza, Na Clara d'Anduza, Na Tibors de Sarenom, Maria de Ventadour, la comtesse de Die... ont été des trobairitz de grand renom.

* Na : dénomination honorifique que l'on place devant le prénom d'une dame. Il vient de domna, mot occitan dérivé du latin domina (maîtresse).

Petit lexique troubadouresque :

Alba : poème de séparation des amants au point du jour.

Amor de lonh : amour de la dame lointaine, ou éprouvé loin d'elle.

Canso : composition lyrique issue du versus latin, la chanson occitane compte cinq à sept strophes sur le même schéma métrique et mélodique, et traite essentiellement de l'amour courtois. Le sujet -razo- c'est toujours l'amour, les paroles -motz- et la musique -so- doivent être d'une certaine originalité.

Cobla : strophe, ou chansons brèves si au pluriel.

Descort : poème lyrique où chaque strophe a une formule métrique et une mélodie propres : tout y est en discordance, parfois même au niveau linguistique.

Ensenhamen : poème didactique et/ou moral.

Partimen (joc partit) : discussion en vers sur une question proposée et dans une forme métrique imposée par le premier partenaire.

Planh : hérité du planctus latin, plainte funèbre en vers pour faire l'éloge d'un défunt, peut avoir un contenu moral ou politique.

Pretz : mérite, valeur, ensemble des qualités qui rendent dignes d'être aimés.

Retroencha : pièce rare avec refrain de deux ou trois vers.

Salutz d'amor : lettre courtoise débutant par une salutation à la dame aimée.

Senhal : surnom utilisé par le troubadour pour désigner dans son poème sa dame, son protecteur... et qui sert en même temps à garder le secret sur leur véritable identité (pour protéger l'aimée des lauzengiers, par exemple).

Sestina : forme poétique constituée de six strophes de six vers.

Sirventès : canso au service de l'actualité à diffusion rapide dans l'opinion.

Tenso : discussion ou dispute en vers entre deux personnes réelles ou fictives, qui dialoguent de couplet à couplet.

Vida : courte biographie en prose du troubadour.

(Source principale : Au temps des troubadours, Geneviève Brunel-Lobrichon & Claudie Duhamel-Amado, Hachette)

À suivre...

Lien à poster
Partager sur d’autres sites

Annonces
Maintenant
Membre+, Posté(e)
Doïna Membre+ 19 524 messages
Maitre des forums‚
Posté(e)

Le grand tournant du XIII° siècle :

Ce siècle voit menacé l'âge d'or des troubadours. Ceux-ci ont côtoyé pendant des décennies le catharisme et des cours brillantes elles-mêmes gagnées par la foi cathare, telle celle du vicomte Roger de Trencavel. Bien que profondément catholiques, ils manifestent depuis le XII° siècle un anticléricalisme d'usage vis-à-vis des religieux corrompus, lesquels sont légion. Sans aller jusqu'à se confondre avec ceux qui ont été qualifiés d'hérétiques, ils aiment ce pays tolérant où l'on vit en bons voisins que l'on soit nobles, artisans ou paysans, et où les idées circulent vite. Malheureusement, beaucoup de tous ces chevaliers, dames et autres gens qu'ils ont connus et aimés devront périr un jour pendus, égorgés ou brûlés vifs après 1219 en ces terres dont ils avaient toujours célébré la douceur, l'esprit de courtoisie, les mérites et l'aimable accueil.

Bien des troubadours attiseront d'ailleurs sans le savoir la haine en offrant aux seigneurs cathares ce que ces derniers attendaient d'eux : des satires à l'encontre des "méchants et des fous", forcément catholiques. Or il n'était pas bon à l'époque d'offusquer les défenseurs de l'orthodoxie, incapables de distinguer le jeu intellectuel de cour de la véritable adhésion aux thèses cathares.

Les troubadours sont pourtant tout ce qu'il y a de plus catholiques. Le troubadour cathare est une exception, ce qui n'est pas le cas de ceux passés chasseurs d'hérétiques après avoir adopté la tonsure. Toutefois, dans leur grand ensemble, ils sont gens d'ouverture qui, bien que ne concevant pas leur salut hors de l'Eglise romaine, s'indigneront des agissements de l'Inquisition et de la brutalité des "barons du Nord" venus malmener leur douce Occitanie.

"Si en tuant des hommes, en répandant le sang,/Si en perdant des âmes, en prêchant des tueries, en croyant les méchants, en dressant des brasiers,/En ruinant des barons, en trahissant Parage*,/En s'emparant des terres, en soutenant Orgueil,/En attisant le mal, en étouffant le bien,/En massacrant des femmes, en tuant des enfants,/Quelqu'un peut ici-bas conquérir Jésus-Christ,/Alors celui-là peut porter la couronne/Et resplendir au ciel !" dit l'épitaphe du cruel Simon de Montfort, principale figure de la croisade contre les Albigeois.

(* Parage = noblesse)

Et après ?

Après la croisade contre les Albigeois, de nouvelles formes de cours s'installent dans le Midi, et un code de valeurs différentes se met en place. Le fin'amor n'y échappe pas, qui mute en une sorte d'humanisme. Les troubadours chantent la mort de l'âge d'or : le monde a vieilli, le monde est fou. L'ancienne noblesse a disparu dans la répression. Ils manient l'ironie à merveille, et le sirventès devient un outil de résistance politique, de défense des valeurs qui leur sont si chères. Le trobar devient combattant.

"Je ne peux décrire/Ma rage et mon chagrin/Car je vois le monde troublé :/Ils corrompent la Loi :/(...)De quelque côté que je tourne,/J'entends les gens courtois/Saluer de "sire"/Les Français humblement :/Les Français ont pitié de nous/Pourvu qu'ils y voient du profit ;/Je ne vois pas chez eux d'autre Droit... (Bernart Sicart de Marjévols)

Les serments de fidélité, fondés sur la parole échangée dans le système féodal des cours méridionales sont perverties par le goût du profit des Français, auxquels se rallient bien des Occitans, une grande partie de la vieille noblesse précisément. La foi chrétienne est corrompue par des mauvais clercs simoniaques et trompeurs, si bien que "parage (noblesse) fait marche arrière et les bons lignages s'appauvrissent et s'avilissent". Des troubadours deviennent des faidits, c'est à dire proscrits, exilés. Ils chantent les malheurs de leur temps au détriment de l'amour courtois, se font prophètes et guides. Violemment anticléricaux mais profondément croyants, ils sont attachés aux valeurs d'un christianisme évangélique qui leur fait haïr le mal, aimer le bien, et à celles de la fin'amor, remède social car source de vraie valeur. Les aspirations cathares au dépouillement et leur idéal de vie renaissent dans leurs œuvres.

Le Gay Saber :

Un siècle après la prise de Montségur, ultime bastion cathare, les "Sept Troubadours de Toulouse", se reconnaissant "légataires universels" de l'héritage troubadouresque, instituent le Consistoire du Gai Savoir pour maintenir l'art d'aimer. Devenue l'Académie des Jeux floraux (occitan, Acadèmia dels Jòcs Florals), cette société littéraire -qui existe encore- est sans doute la plus ancienne du monde occidental. Elle doit son nom aux jeux floraux, fêtes célébrées à Rome en l'honneur de la déesse Flore. Lors de concours qui ont lieu chaque année, les membres de l'Académie, appelés « mainteneurs », récompensent les auteurs des meilleures poésies en français et en occitan. Ces récompenses revêtent la forme de cinq fleurs d'or ou d'argent : la violette, l'églantine, le souci, l'amarante et le lys. Celle ou celui qui reçoit trois de ces fleurs porte le titre de « maître des jeux ».

Le Gai Savoir est aussi un ouvrage de Friedrich Nietzsche, publié en 1882, sous le titre original Die fröhliche Wissenschaft, la gaya scienza. Le titre fait référence aux troubadours, l'expression Gai Saber de laquelle dérive la gaya scienza étant une façon de dénommer en occitan l'art de composer des poésies lyriques.

Lien à poster
Partager sur d’autres sites

Membre, Talon 1, 79ans Posté(e)
Talon 1 Membre 24 282 messages
79ans‚ Talon 1,
Posté(e)

La langue d'oïl n'est pas la langue du non. Oïl signifie oui dans le langage du nord de la France. Oïl est l'étymon de oui.

Lien à poster
Partager sur d’autres sites

Membre+, Posté(e)
Doïna Membre+ 19 524 messages
Maitre des forums‚
Posté(e)

OK, merci pour la rectification.

Lien à poster
Partager sur d’autres sites

Membre+, Posté(e)
Doïna Membre+ 19 524 messages
Maitre des forums‚
Posté(e)
C'est Dante, poète toscan né au XIIIe siècle, qui a rendu célèbre la distinction des langues romanes en les classant en fonction de la façon avec laquelle on disait oui :

- langues d'oïl au nord de la France,

- langues d'oc au sud de la France,

- langues de si pour l'Italie.

(source Lexilogos)
Lien à poster
Partager sur d’autres sites

Membre, 58ans Posté(e)
azed1967 Membre 4 597 messages
Forumeur expérimenté‚ 58ans‚
Posté(e)

vive les troubadour !

Lien à poster
Partager sur d’autres sites

Annonces
Maintenant

Archivé

Ce sujet est désormais archivé et ne peut plus recevoir de nouvelles réponses.

×