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Membre+, Posté(e)
Doïna Membre+ 17 472 messages
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Bonjour :hi:

[center]L'affaire de la séquestrée de Poitiers[/center]

C'est une affaire qui bouleversa la France au tout début du XX° siècle.

Le 23 mai 1901, à Poitiers, un commissaire de police entre chez une dame de la bourgeoisie demeurant au 21 rue de la Visitation sur ordre du procureur général de la ville, ce dernier ayant reçu une lettre anonyme lui disant qu'elle retenait sa fille prisonnière depuis 25 ans.

Voici ce que découvre le commissaire dans une chambre au deuxième étage de cet hôtel particulier : une femme de 52 ans, entièrement nue, squelettique, gisant sur un lit sans draps au milieu d'immondices et de restes de nourriture, le tout dans une puanteur épouvantable. Il s'agit bien de Blanche Monnier, la fille de la maîtresse de céans.

La malheureuse est conduite sur une civière à l'hôpital de l'Hôtel Dieu, sa mère, la très respectée Henriette Monnier, arrêtée sur-le-champ, tout comme le frère.

Le scandale éclate de façon retentissante : les journalistes investissent Poitiers par centaines, une photographie de la victime dans l'état épouvantable où elle a été découverte choque et scandalise la France entière, dans un contexte social où la République s'assoit véritablement à l'échelle nationale un peu plus de 50 ans après la révolution de 1848 .

Mais comment tout cela a-t-il pu commencer ?

La victime, Blanche Monnier, est née en 1849, un an après la révolution citée précédemment.

Ses parents sont des catholiques et royalistes convaincus : le père Louis Monnier est l'ancien précepteur du fils de Napoléon III.

Sa fille n'a alors que 20 ans lorsque ce dernier brigue le poste de doyen de la faculté de Poitiers.

Louis Monnier et son épouse Henriette partent donc s'installer à Paris le temps qu'il fasse sa thèse. Quant à Blanche, laissée aux bons soins son aïeule, elle reste à Poitiers chez ses grands-parents.

Commencent alors pour elle une vie de bonheur qui va durer treize ans.

Sa grand-mère -Laetitia- est une femme au grand cœur, très ouverte d'esprit, passionnée par les procès criminels. Elle se rend régulièrement au palais de justice pour y assister aux débats. Elle y emmène Blanche évidemment, et c'est là que l'adolescente va peu à peu tomber amoureuse pour un jeune et bel avocat de 26 ans, lui-même fils de brillant avocat : Gilles Lomet.

Quatre ans passent, Blanche est devenue une jolie jeune femme. Bien que l'avocat l'ait remarquée, c'est quand même elle qui fera le premier pas en lui parlant un beau jour, en le croisant dans la salle des pas perdus du palais de justice, d'un bal d'inauguration : celui de la nouvelle préfecture de la ville.

L'avocat a alors trente ans, et se rend au bal. C'est le coup de foudre entre les deux jeunes gens.

Laetitia, la grand-mère, trouve cela formidable : les amoureux ont sa bénédiction, et continuent à se voir très souvent. Jusqu'au jour où les parents de Blanche reviennent de Paris, suite à une vague d'attentats anarchistes qui leur fait regretter le calme poitevin.

Gilles Lomet se décide à aller demander sa main auprès d'eux, mais lorsque ceux-ci, outragés, apprennent sa liaison avec lui, un protestant et républicain acharné, c'est le drame : ils lui interdisent purement et simplement de fréquenter cet individu totalement infréquentable à leurs yeux.

L'avocat ne se décourage pas : il leur écrit une lettre des plus émouvantes, dans laquelle il clame son amour sincère pour Blanche, promettant de la rendre heureuse, et précisant qu'il n'attend pas de dot. La réponse de Monnier père ne se fait pas attendre : "Veuillez cesser de nous importuner. Ma réponse est non et sera toujours non !".

Le temps passe, et la fortune ne tourne pas dans le sens de la pauvre Blanche. Ses grands-parents décèdent les uns après les autres, puis vient le tour de son père, et enfin son frère, qui s'entend mal avec leur mère, préfère s'en aller vivre plus loin.

Elle se retrouve par conséquent seule avec sa mère, Henriette, une femme au coeur sec, obtuse, imbue d'elle-même, despotique, manipulatrice et avare au-delà de tout. Plus que jamais elle voue une haine viscérale aux républicains depuis que feu son époux a été destitué de son doyenné de la faculté quand la République s'est mise à placer des doyens républicains, ce qui valut également à son fils de perdre son poste de sous-préfet pour les mêmes raisons.

Elle ne veut donc plus entendre parler de ce Gilles Lomet, et considère l'amour de sa fille pour lui comme une maladie. Pis : c'est le diable qui s'est emparé de son coeur à son regard. Au point qu'elle fasse venir un exorciste. Blanche sera à cette occasion battue, fouettée, violentée par des moines.

Mais le calvaire de cette jeune fille ne fait que commencer.

Sa mère parvient à lui extorquer sa fortune en la trainant chez un notaire afin de lui faire signer une procuration. Elle lui interdit de voir Lomet, et lui interdit de sortir de sa demeure pour s'assurer qu'il n'en sera rien.

Or voici qu'un jour, elle s'aperçoit que sa fille lance des messages désespérés par-dessus le mur du jardin dans l'espoir que des gens les portent à celui qu'elle n'a pas cessé d'aimer.

Henriette fait aussitôt appel à un menuisier pour qu'il cadenasse les volets de sa chambre, où elle l'enferme. C'est le début de la réclusion.

Une fois seulement, comme la jeune femme persiste à envoyer des messages, mais par les inserstices de ses volets, elle l'emmènera dehors pour lui montrer, de loin, une scène de mariage. "Regarde le mariage là-bas, lui dit-elle. C'est Gilles, il t'a oubliée. Il se marie avec une autre.".

Tout était faux en vérité : Gilles Lomet ne s'est en réalité jamais marié de sa vie.

Les domestiques protestent devant tant de cruauté. Henriette, pour gagner leur silence (un silence qui durera 25 ans) menace de les renvoyer sans certificat de travail, ce qui signifie pour elles de ne plus pouvoir trouver d'emploi et se retrouver sans ressources.

Blanche se révolte bien parfois, mais pour la punir, avec l'aide de sa domesticité, sa mère lui fait prendre de longs bains d'eau glacée, même en plein hiver, en lui maintenant la tête sous l'eau.

La martyre est de surcroît attachée sur son lit dans une chambre calfeutrée et insonorisée au possible. Pour l'empêcher de crier, elle est droguée à l'éther et au laudanum, prescrit par un médecin ami d'Henriette Monnier. Un médecin complice qui pas une seule fois ne demandera à voir Blanche et n'entrera dans sa chambre-geôle, se contentant d'écouter sa mère la prétendant folle et lui fournissant des drogues.

Le frère tentera bien de faire fléchir sa mère, malheureusement il dépend totalement des pensions qu'elle lui verse depuis sa destitution. Pour le faire taire définitivement, et pour quelques réflexions de trop, elle le destitue d'une partie de son héritage.

Et les voisins dans tout ça ? Oui, bien sûr, ils ont entendu crier par moments. Seulement, Henriette Monnier a tout leur respect et toute leur confiance : ils la considèrent comme une femme admirable, ne voulant voir en elle que la bonne paroissienne faisant ses vêpres et son salut, et payant grassement l'évêque. Ils n'ont jamais mis en doute ses allégations quant à la folie de sa fille.

Le calvaire de Blanche prend fin après que sa bonne attitrée -Emilie-, si l'on peut la qualifier ainsi puisqu'elle ne prenait même pas le soin de la coiffer, de la laver, de faire le ménage dans sa chambre et de l'alimenter correctement, décède.

Sa remplaçante nouvellement embauchée, Prudence, une épouse de militaire gradé, osera entrer dans la chambre interdite et tout avouer à quelqu'un. Un quelqu'un qui enverra la fameuse lettre anonyme au procureur, mettant ainsi un terme aux 25 ans d'emprisonnement et de souffrance de Blanche.

Une perquisition a lieu après sa libération, dans l'hôtel particulier d'Henriette Monnier. Un coffre rempli d'or y est découvert.

Elle et son fils sont menés le soir même de la triste découverte en prison.

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Le procès ne tarde pas : 100 témoins y assisteront, et c'est une foule agressive et révoltée qui les attendra au palais de justice à leur arrivée.

Henriette Monnier, alors âgée de 76 ans, ne se laisse cependant pas aller en prison : elle s'y fait servir ses plats préférés, déguste du poulet aux petits pois que lui fait parvenir l'Hôtel de France. On dit qu'elle se laissera volontairement mourir au bout de 15 jours d'incarcération, sachant qu'elle allait passer en procès.

Le frère, condamné à 15 mois de prison, fait appel et est finalement acquitté. La notion de non-assistance à personne en danger n'existe pas à l'époque, et la cour, de ce fait, n'a pas la loi pour elle. Cette affaire lui donnera cependant à réfléchir.

Gilles Lomet ne put assister à tout cela, puisque mort depuis quelques années déjà.

Blanche Monnier récupère l'usage de la parole à l'hôpital, ainsi que dix kilos de plus (ce qui ne représentait malgré tout que 35 petits kilos, puisqu'elle qui n'en pesait plus que 25 quand on la trouva). Elle finit ses jours 10 ans après dans une maison de repos, l'hospice de Blois.

L'abbé de Mondion, aumônier de l'hôpital de l'Hôtel-Dieu, tint ces propos au sujet de cette affaire : "J'ai dit et je répète que ceux qui ont laissé une inconnue, une fille ou une soeur dans l'état pitoyable où se trouvait mademoiselle Blanche en entrant à l'hôpital sont des criminels, d'autant plus que la victime est douce, sage et tranquille".

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Pour en savoir plus, ainsi qu'un livre : La Séquestrée de Poitiers de Viviane Janouin-Benanti (Edition L'àpart).

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Membre, 32ans Posté(e)
VO2max Membre 2 513 messages
Baby Forumeur‚ 32ans‚
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Merci pour ce topic, j'en ai entendu parler à la fac dans mes cours de littérature...^^

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Membre+, Posté(e)
Doïna Membre+ 17 472 messages
Maitre des forums‚
Posté(e)

C'est une affaire largement étudiée en fac de droit, également.

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  • 4 ans après...
Nouveau, 52ans Posté(e)
Mike860 Nouveau 1 message
Baby Forumeur‚ 52ans‚
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Bonjours loargan.Je voudrais savoir d'où tu tient tes sources car dans cette affaire il y a beaucoup de zones d'ombre et il existe très peu de témoignages de l'époque et de récit.d'ailleurs ,d'après mes recherche,rien ne prouve cette histoire d'amour qui me semble cohérent.et je pense sincèrement que ce procès est une énorme escroquerie.Je suis absolument répugner de ce verdict.ce crime restera a jamais impuni.on a voler la vie de cette pauvre blanche.mais ce que je voudrai savoir c'est si ta version de l'histoire ce fond sur des faits ou de sources sur ou bien si tu a voulue apporter ta vision des choses,ton interprétation personnelle ? Car la jeunesse de Blanche reste encore un mystère ,on sait vraiment peu de choses.

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Membre+, Posté(e)
Doïna Membre+ 17 472 messages
Maitre des forums‚
Posté(e)

J'ai mis un lien (en orange) vers une chronique de rtl et ai cité un livre. C'est une affaire qui avait fait beaucoup de bruit à l'époque, au point de rester dans les annales, aussi je la tiens pour véridique.

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Membre+, Posté(e)
Doïna Membre+ 17 472 messages
Maitre des forums‚
Posté(e)

André GIDE a publié un livre (La Séquestrée de Poitiers) qui retrace l'histoire de Blanche MONNIER mais avec des noms modifiés et avec l'intention de dénoncer l'atmosphère aliénante dans les familles bourgeoises conservatrices, ce qui est d'une certaine façon porteur d'un message politique.

Jean-Marie AUGUSTIN a publié un livre (L'histoire véridique de la Séquestrée de Poitiers) dans lequel il insiste sur des problèmes d'ordre psychologiques de Blanche MONNIER, comme si c'était ça, quelque part, qui avait incité ses proches à la séquestrer, alors qu'on peut comprendre que l'ambiance pesante, l'étouffement des sentiments, les interdictions, les frustrations qui régnaient dans son foyer aient pu générer chez elle, à la longue, de tels problèmes.

Pour ces raisons, j'ai choisi de citer le livre de Viviane JANOUIN-BENANTI qui m'a semblé le plus neutre et le plus axé sur la victime.

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Membre, 32ans Posté(e)
Spinopute Membre 36 messages
Baby Forumeur‚ 32ans‚
Posté(e)

Je kiffe le verdict final : aucune condamnation pour le frère ni les domestiques. L'abbé qui gueule à la fin est le seul à montrer du doigt une vérité évidente : les coupables sortent de cette affaire impunis. Quand la justice est au service du mal absolu °___°

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