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Loufiat

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Tout ce qui a été posté par Loufiat

  1. Loufiat

    La liberté

    Hello @deja-utilise, Je voulais éviter que le sujet ne devienne personnel, mais après tout, pourquoi pas développer un peu. J'avais un choix important à faire - à mes yeux, forcément -, qui devait déterminer, grosso modo, les grandes lignes des dix prochaines années de ma vie professionnelle, avec des incidences possiblement très grandes sur tous les autres aspects de ma vie. C'était un choix du type Oui / Non. J'ai fais ce choix, j'ai répondu à la question après plusieurs mois de réflexion, d'observation, de mesures. Toutes sortes de critères sont intervenus, mais cette alternative s'est posée parce que j'entretiens un "projet de vie", quelque-chose à plus long terme encore, et la question était surtout de savoir si répondre Oui ou Non à cette alternative-là, me rapprocherait ou m'éloignerait du "projet de vie". J'ai passé deux ans à créer la possibilité de cette alternative, à avancer vers elle, elle s'est peu à peu matérialisée, et maintenant, j'y ai répondu. Donc je sors d'une situation, pour entrer dans une nouvelle situation, dans laquelle les possibilités de choix sont démultipliées, renouvelées. Je conserve cette vision, ce "projet de vie" qui m'anime depuis des années, mais, dans la situation où je me trouve maintenant, les sirènes sont nombreuses, et je sens effectivement une forme d'angoisse, car une foule d'opportunités semblent miroiter un peu partout mais il va falloir faire très attention où je mets les pieds, et ne pas perdre de vue la finalité. Finalité qui n'est d'ailleurs pas seulement personnelle, mais qui comporte une dimension, disons, éthique ou politique, qui elle-même me fait m'interroger sans cesse sur la liberté, des autres cette fois. Dans tous les cas, j'inaugurais ce fil de discussion pour le laisser le plus ouvert possible, parce que tout est susceptible de venir nourrir mes réflexions, éclaircir ma situation ou celle d'autres que moi, etc. Pour ce qui est du concret, ce n'est pas ici que j'en discute, si je dois en discuter.
  2. Loufiat

    La liberté

    C'est sans doute quelque-chose entre les deux... ? Le plus difficile, il me semble, c'est de savoir jusqu'où il est permis d'entreprendre, en quel sens vraiment, et comment faire. Pour moi, ces prochains mois, il s'agira de savoir si j'ai un projet de vie ou si je vais composer avec ce qui vient jour après jour sans continuité, sans cohérence. La liberté, bizarrement, se trouve du côté du projet de vie, mais c'est aussi le plus difficile et le plus contraignant, quand s'adapter au jour le jour, au grès de circonstances et d'occasions qu'on ne choisit pas, n'est pas sans évoquer la liberté des oiseaux...
  3. Loufiat

    La liberté

    Je vois. Tu te libères d'un lien, tu te projettes dans un monde où il n'est plus liant, mais ton problème c'est le passage, car en fait ce lien n'est pas encore complètement défait, et bien sûr la question de l'après : que faire. Comment comptes-tu aiguiller tes choix ? Quels critères vont les guider ?
  4. Loufiat

    La liberté

    Tu veux bien approfondir la démesure ? Tu as des ambitions démesurées ? Ou bien tu veux dire que ce choix a des conséquences démesurées, au sens où elles te donnent le vertige, car tu ne sais pas où l'enchaînement va s'arrêter, où il va te conduire ? Quel socle cherche ton pied, quel équilibrage tentes-tu d'effectuer ?
  5. Loufiat

    La liberté

    Dis moi, alors, ce qui t'a mis en branle, pour que tu te trouves sur le même bord ? Tu as effectué un choix dont la visée est d'amener davantage de choix et de possibilités de choix encore ?
  6. Loufiat

    La liberté

    J'ai simplement inaugurée une discussion libre sur un thème qui m'intéresse. Donc je ne dirais pas que j'ai fais ceci parce que je pense que la philosophie peut m'aiguiller sur mes choix présents - je ne suis pas certain de ce que c'est que faire de la philosophie. Mais oui, il est certain que dans le maelström où je me trouve, tout est susceptible de participer à l'atmosphère dans laquelle je vais effectuer des choix qui s'annoncent plus ou moins décisifs de mon point de vue.
  7. Loufiat

    La liberté

    Le nœud est que je me trouve dans une telle situation et que j'explore tout ce qui vient, de vos réflexions comme de mes expériences... une façon d'éclaircir ma situation, de l'intellectualiser si tu veux, et éventuellement de trouver des éléments pour m'aiguiller, même si la discussion est entièrement libre et que le sujet en est bien la liberté en général.
  8. Loufiat

    La liberté

    Dans tous les cas c'est le choix. Ca ne change rien tu ne fais que retarder en disant qu'il était déterminé par un choix encore en amont. Mais il n'y a aucune raison de reculer indéfiniment, ça n'ajoute rien. Le fait est qu'il passe à l'action et s'évade. Il y a... un saut. Qui ne se réduit pas à l'avant - puisqu'avant il n'agissait pas encore, même si peut-être il méditait son évasion. En tout cas il y a eu ce moment où il a enchaîné des actes en vue d'une fin : son évasion. Evasion qu'il désire pour... x raisons. Mais qui va en tout cas impliquer pour lui que certaines choses qui étaient contraintes reviennent dans le cercle de sa maîtrise, de sa capacité à choisir.
  9. Loufiat

    La liberté

    Oui mais le moment de la liberté, c'est celui du choix, même pour le prisonnier qui s'évade. Évidemment qu'il a conscience d'être enfermé, qu'il le sait. Si ce n'était le cas, on ouvrirait la porte et se trouver dans ou hors de sa cellule lui serait parfaitement indifférent. Notre prisonnier se savait enfermé et se voulait libre, s'il éprouve la joie de s'évader. Alors d'une part il doit bien avoir choisi de s'évader, à un moment, et comment, pour passer aux actes ; et puis surtout, ce qu'il va retrouver à sa sortie, c'est la liberté, c'est-à-dire la possibilité de choisir, alors qu'il vivait contraint. Il va à nouveau être maître de ses choix et de son temps. Mais il est également vrai que, plus j'ai de choix à effectuer, et plus ils sont décisifs - hypothétiquement au moins, et subjectivement -, autrement dit plus je suis libre, plus aussi je fais l'expérience du tragique, d'être enchaîné aux conséquences, même imprévisibles, de choix.
  10. Loufiat

    La liberté

    Je ne vois pas de déterminisme total, ou alors il veut seulement dire que des situations de choix se présentent, et alors à l'intérieur de cette limite, il y a bien choix, même si je suis déterminé à choisir - entre une chose ou une autre. Ceci arrive bien. Ne serait-ce que lorsque tu parles : tu choisis, tu discrimines. Alors que j'écris, maintenant, les lettres tombent comme à travers un tamis où toutes sont retenues et une seule peut arriver à la fois, et chacune après l'autre pour former une phrase, cette phrase dont le sens résulte de la discrimination de toutes les autres. Nous choisissons, nous opérons de petits choix en permanence. Ces choix ont des conséquences plus ou moins larges, perceptibles ou non. Et certains choix peuvent avoir des conséquences très larges ou très graves. En fait, on peut même renverser les choses, et voir que c'est à cause des conséquences prévisibles ou non, que nous imaginons (elles ne sont pas encore réelles), c'est à cause de ces conséquences prévisibles que nous sommes amenés à choisir, et plus ces conséquences sont importantes et graves, plus le problème du choix se pose réellement, comme celui de la liberté. Un chef d'Etat est amené à prendre des décisions possiblement très grave ou aux répercutions très larges. Un père ou une mère de famille également. C'est dans ces situations où nous devons peser le pour et le contre, où nous hésitons entre des possibles imaginés dont les atmosphères nous surchargent, que nous faisons l'expérience de la liberté comme tragique, au fond comme condamnation à devoir choisir entre des solutions toutes également impossibles. Ainsi vivre ou mourir - le suicide. A l'échelle individuel. Ou bien faire ou non la guerre et comment, à l'échelle d'une nation. Toute la vie humaine est réellement constituée de tels choix, importants ou non. Alors je ne vois pas l'intérêt de considérer toute chose comme déterminée, ou ce que ça pourrait vouloir dire concrètement. Pourquoi nier les choix ? Mon enfant est malade et je dois choisir si je l'amène maintenant voir le médecin ou si j'attends car ce n'est peut-être rien. Devant l'étal du maraîcher il me faut bien choisir. Alors oui c'est aussi une forme d'illusion, puisque je choisis en imaginant des conséquences. En étant dans une sorte de "doublure" du réel, mais qui est bien réelle elle aussi.
  11. Loufiat

    La liberté

    Je pose une idée sans ignorer vos messages que je lis. Deux conceptions de la liberté m'apparaissent comme distinctes. La première est par la joie. C'est la liberté du prisonnier qui s'évade : une entrave tombe, quelque-chose est surmonté et je suis comme renouvelé : joie. C'est une augmentation de la puissance, de la capacité à agir. La seconde conception est tragique. Dans tous les cas la liberté se ramène au choix. Pouvoir choisir. Être en position de choisir. Mais nous échouons à choisir le bon. A faire le bon choix, la bonne chose. Ma liberté m'apparaît comme une entrave : je préfèrerais n'avoir pas le choix. Être déterminé à ceci ou cela plutôt que d'avoir à choisir. Soit que je doive choisir, tout en sachant quel est le "bon choix", mais que j'échoue à m'y conformer - et c'est le regret, la culpabilité, etc. Soit que j'ai à choisir en ignorant tout à fait ce que je dois faire, et que je me trouve donc dans un désert, sans perspective, tout en sachant que de mon choix beaucoup de choses dépendront, qui sont pourtant hors de ma vue, de ma perception à l'instant du choix.
  12. Loufiat

    La liberté

    Eh bien non. Pas encore. Que des trucs consensuels me viennent. Mais tu as raison la littérature est une réponse à ma question. Les arts en général d'ailleurs. Comment vois-tu le lien de la liberté à la démesure ? Qu'est ce qui menace ? Le pouvoir ? De faire ceci ou cela, signifiant davantage de liberté et de risques que si je ne le peux pas ?
  13. Loufiat

    La liberté

    Il ne faut pas accorder trop d'importance à ma remarque grossière voire injurieuse qui a été effacée, et je n'en veux dailleurs à personne de l'avoir effacée - mes excuses pour le dérangement, puisqu'il a fallu "nettoyer" la bavure -, l'intention n'était pas de viser tel ou tel mais d'obliger chacun à ne pas vouloir être le "branlo" de service et donc à trouver quelque chose plutôt personnel que "chatgpt" ou consensuel, tu vois ?
  14. Loufiat

    La liberté

    L'amitié alors serait celle de solitudes liées contre l'absurdité du monde qu'elles représentent même l'une pour l'autre.
  15. Loufiat

    La liberté

    Je veux parler de la liberté du prisonnier qui s'évade. De la liberté en fait. C'est grisant non ? Et après... La liberté c'est vague et si précis selon les cas... Quelque chose à dire ?
  16. Loufiat

    Lecture et religion.

    C'est certain mais si vous n'avez pas vous-meme une connaissance intime des textes, leur expérience personnelle, vous ne saurez pas faire non plus la critique de ces commentaires.
  17. Loufiat

    Lecture et religion.

    On peut distinguer critiques externe et interne (d'une doctrine, d'une theorie, etc). Voire transcendantale. Dans la critique interne on va confronter, ici la religion, à ses propres valeurs. Il faut donc connaître le contenu des textes. Mais il y a connaître et connaître... L'étude des textes bibliques est l'aventure d'une vie... on ne fait pas ça par-dessus la jambe. En outre, si vous les étudiez en vue d'en faire la critique, le risque d'erreurs de compréhension en est démultiplié.
  18. Loufiat

    La conscience fluctuante...

    Salut ! Je ne sais pas pour les origines du langage, c'est un mystère insondable à mes yeux. En revanche je crois que cette "fluctuation" de la langue qui tourne en rond sans jamais revenir vraiment au même point, est un élément décisif pour le déploiement de la pensée. Schématiquement on peut imaginer deux axes, l'un vertical qui monte dans le temps, et l'un horizontal correspondant aux pressions de l'environnement. Chaque individu se trouvant à une intersection du mouvement historique et des forces environnementales (sociologiques, terrestres, etc.). A plus
  19. Loufiat

    La conscience fluctuante...

    Je ne suis pas sur que ce soit la même chose qui est transmise selon les cas. Il n'y a pas d'équivalence entre la musique et la parole par exemple. Certaines choses sont inaccessibles à l'une quand l'autre y est appropriée. La langue des signes, je la considère comme une déclinaison de la parole, sa transposition. Mais les idées dont le sujet traite, c'est le domaine de la parole il me semble.
  20. Loufiat

    La conscience fluctuante...

    Comme lequel ? (Et bonjour Eriu !! )
  21. Loufiat

    La conscience fluctuante...

    C'est drôle parce que c'est à peu près le même problème qu'avec la parole, non ? (A mon avis c'est le même exactement !)
  22. On ignore presque tout de Platon.. pour peu qu'on se méfie des poncifs rabâchés en classe, on découvre une pensée très, très "moderne". Et peut-etre encore plus en avance maintenant.
  23. C'est drôle que vous écriviez ceci, parce qu'Ellul reste un illustre inconnu en France (bon, un peu moins maintenant, peut-être) alors qu'il est une superstar dans le monde anglo-saxon, où tous ceux qui travaillent sur la technique le considèrent comme un must-read. Non que tous soient d'accord évidemment, mais ses travaux sont incontournables : ils offrent une vraie clef de lecture, il faut se positionner par rapport à eux et à tout le moins les connaître. Quant à la distinction que vous faîtes entre technique et technologie, c'est le sens du "phénomène technique", résumé dans la "recherche du moyen le plus efficace dans tous les domaines", consistant en fait dans l'intervention de la raison et de la conscience sur le champ très large et beaucoup plus ancien des opérations techniques, avec la systématisation (si bien qu'il parlera finalement de "système technicien"). Je n'ai pas retranscris les passages sur ce point, mais tout ceci se trouve dans La Technique argumenté avec force détails et une profondeur de vue qu'on ne retrouve guère ailleurs. (Ellul est historien...) Enfin il est totalement gratuit de dire que cette vision serait "psychologique", c'est tout l'inverse en réalité : exit la psychologie, comme la philosophie d'ailleurs, inaptes pour saisir la singularité du phénomène. Ellul est tout sauf psychologue... Bonne journée à vous
  24. Jacques Ellul a fait un énorme travail de clarification et d'analyse sur ce sujet. Voici un topo sur le topo qu'il en a fait dans La Technique (1960) : Le phénomène technique, au sens de "la recherche du meilleur moyen dans tous les domaines", prend son élan dans la seconde moitié du XVIIIe siècle. Chez les Grecs anciens, malgré que la science culmine, la recherche technique aurait été compensée par l'amour de l'équilibre et de l'harmonie (la technique comportant un élément de démesure, de monstruosité). Chez les Romains, c'est en particulier l'économie des moyens et leur subordination à la cohérence de la société qui, malgré que les premières techniques d'organisation y soient inventées - le droit -, ne permettent pas le développement du phénomène technique ("En toutes choses le romain est économe"). Le Christianisme (jusqu'au XIIe siècle) conduit à déconsidérer l'existence ici-bas pour se concentrer sur les finalités dernières, "la cité de Dieu". En outre, quand les positions Chrétiennes s'atténuent, après le XIIe siècle, reste un "grand fait chrétien en face du développement des techniques (...), c’est le jugement moral sur toutes les activités humaines." S'observe, depuis le XIIe jusqu'au XVe siècle, une intensification de l'activité technique (invention et surtout, application). Il y a la boussole, l'imprimerie, la poudre à canon, mais, "à côté de ces grandes inventions [toutes en relation avec la navigation], nous constatons durant cette période une multitude de découvertes et d’applications nouvelles au point de vue de la banque, des armements, des machines, de l’architecture (…), de l’agriculture, du mobilier. Le XVe siècle est, en outre, remarquable par une quantité de manuels techniques, en Allemagne du Sud, en Italie du Nord, écrits au début du siècle, imprimés et diffusés à la fin, et qui manifestent un intérêt collectif pour ces problèmes, une intention technique préoccupant les hommes." "L’on a pu dire que les grands voyages sont une conséquence et non une cause de ce progrès technique." "Mais cet essor s’amortit pendant le XVIe, qui devient de plus en plus pauvre en technique – et cet affaissement se poursuit au XVIIe et au début du XVIIIe siècle." Affaissement dû notamment à l'humanisme, à l'affirmation de la suprématie de l'homme sur les moyens. "Il y a ici un refus permanent de l’homme à se plier à une loi uniforme, même pour son bien. Ce refus se retrouve à cette époque à tous les degrés de la société : de la façon la plus complexe lorsque ce sont les maîtres des finances ou les conseillers au Parlement qui refusent d’entrer dans les techniques nouvelles et univoques de la comptabilité ou de la suprématie législative ; - de la façon la plus sommaire lorsque les paysans refusent les nouveaux modes rationnels de recrutement de l’armée." "Il faut en réalité attendre le XVIIIe siècle pour voir éclater brusquement, dans tous les pays et dans tous les domaines de l’activité, le progrès technique dans toute sa splendeur." Nous voici à l’aube de la révolution industrielle. "En fait, la révolution industrielle n’est qu’un aspect de la révolution technique." """C’est l’apparition d’un État véritablement conscient de lui-même, autonome, à l’égard de tout ce qui n’est pas la raison d’état, et produit de la révolution française. C’est la création d’une technique militaire précise avec Frédéric II et Napoléon 1er sur le plan stratégique comme sur le plan organisation, ravitaillement, recrutement. C’est le début de la technique économique avec les physiocrates, puis les libéraux. Sur le terrain de l’administration et de la police, c’est aussi le moment des systèmes rationalisés, des hiérarchies unifiées, des fichiers et rapports réguliers. Il y a, avec Napoléon particulièrement, cette tendance à la mécanisation que nous avons déjà signalée comme le résultat de l’application technique à un domaine plus ou moins humain. C’est en même temps l’effort et le regroupement de toutes les énergies nationales ; il ne faut plus d’oisifs (on les met en prison sous la Révolution), il ne faut plus de privilégiés, il ne faut plus d’intérêt particulier : tout doit servir selon les règles de la technique imposée de l’extérieur. Au point de vue juridique, c’est la grande rationalisation du droit avec les codes Napoléon, l’extinction définitive des sources spontanées du droit, comme la coutume ; l’unification des institutions sous la règle de fer de l’État, la soumission du droit au politique. Et les peuples stupéfaits d’une œuvre si efficace abandonnent dans toute l’Europe, sauf la Grande-Bretagne, leurs systèmes juridiques au profit de l’État. Et ce grand travail de rationalisation, d’unification, de clarification se poursuit partout, aussi bien dans l’établissement des règles budgétaires et l’organisation fiscale, que dans les poids et mesures ou le tracé des routes. C’est cela, l’œuvre technique. Sous cet angle, on pourrait dire que la technique est la traduction du souci des hommes de maîtriser les choses par la raison. Rendre comptable ce qui est subconscient, quantitatif ce qui est qualitatif, souligner d’un gros trait noir les contours de la lumière projetée dans le tumulte de la nature, porter la main sur ce chaos et y mettre de l’ordre. Dans l’activité intellectuelle, c’est le même effort. Création de la technique intellectuelle pour l’histoire et la biologie en particulier. (...) Tout cela se situe très loin des "sources d’énergie" [référence à Mumford] ; que l’on ne dise pas, d’autre part, que c’est la transformation mécanique qui a permis le reste. En réalité, l’essor mécanique global provenant de l’usage de l’énergie est postérieur à la plupart de ces techniques. Il semblerait même que ce soit l’ordre inverse et que l’apparition des diverses techniques ait été nécessaire pour que puisse évoluer la machine. Et celle-ci n’a certes pas plus d’influence sur la société que l’organisation de la police par exemple.""" Ainsi, "Le grand phénomène n’est pas l’usage du charbon, mais le changement d’attitude de toute une civilisation à l’égard des techniques. Et nous atteignons ici une des questions les plus difficiles : pourquoi, alors que depuis des centaines de siècles le progrès technique est si lent, en un siècle et demi y a-t-il cette brutale efflorescence ? Pourquoi à ce moment historique là, a été possible ce qui ne semblait pas l’être auparavant ? (...) Il est évident, et il faut le dire tout de suite, que la cause dernière nous échappe. Pourquoi les "inventions" ont-elles brusquement jailli de toutes parts dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle ? Voilà une question à laquelle il est impossible de répondre." Néanmoins, Ellul dégage cinq facteurs qui n'avaient jamais été réunis mais se conjuguent au moment de l'épanouissement technique : - une très longue maturation ou incubation technique, sans à-coups décisifs, avant l'épanouissement ; - l'accroissement démographique ; - la situation du milieu économique ; - une plasticité presque parfaite de la société, malléable et ouverte à la propagation de la technique ; - une intention technique claire qui unit toutes les forces à la poursuite de l'objectif technique. La maturation technique : "Le premier fait n'est pas à négliger : chaque application technique moderne a eu des ancêtres. L'intérêt de travaux comme ceux de Vierendeel ou de M. Mumford est de montrer cette préparation. Chaque invention a sa racine dans une période technique précédente, et chaque période porte en elle "le résidu insignifiant autant que les survivances valables des technologies passées, et les germes importants des nouvelles". Ce qui apparaît alors comme essentiellement nouveau, c'est la formation d'un "complexe technique". Celui-ci est formé d'après Mumford de séries d'inventions parcellaires se combinant pour former un ensemble, en activité à partir moment où le plus grand nombre de ses parties sont assemblées, et qui a pour tendance de se perfectionner sans cesse. Ainsi, dans cette longue période de 1000 à 1750 environ, il y a eu tout un travail très lent, sans conséquences immédiates, mais qui accumulait en quelque sorte des matériaux dans tous les domaines où il n'y a eu qu'à puiser pour que le miracle technique s'accomplisse. Cette filiation a été particulièrement mise en lumière par Vierendeel ; de même M. Wiener souligne : "il est intéressant de réfléchir sur le fait que chaque outil possède une généalogie et qu'il est issu des outils qui ont servi à le construire." Cette somme gigantesque d'expériences, d'appareils, de recherches a été brusquement utilisée, au terme de cette évolution qui s'est poursuivie à peu près dix siècles sans catastrophe sociale. Cette continuité a certainement joué un grand rôle, car il n'a pas été nécessaire de faire passer le legs technique d'une civilisation à une autre, opération pendant laquelle il se perd toujours une partie des expériences et surtout une partie des forces sociales qui s'appliquent à autre chose qu'à l'invention technique. Or cette continuité se retrouve ans tous les domaines de la technique, aussi bien pour les finances que pour les transports. Si le progrès technique n'apparaît pas à ce moment, c'est que le milieu social n'est absolument pas favorable. Il se fait alors souterrain, mais il se perpétue même pendant des siècles de sommeil, comme le XVIIe. Il fallait cette longue préparation comme support, comme soubassement de la construction qui s'élèvera au XIXe siècle." L'accroissement démographique : "Mais un autre facteur matériel était également nécessaire : l'expansion démographique. Là encore, nous nous trouvons en présence d'un problème bien connu. Depuis deux décennies, les études de démographie, par rapport au développement de la civilisation, ont parfaitement expliqué les relations entre la technique et la population : l'accroissement de celle-ci entraînait un accroissement des besoins qui ne pouvaient être satisfaits que par le développement technique. Et en considérant les choses sous un autre angle, la progression démographique offrait un terrain favorable à la recherche et à l'expansion technique, en fournissant non seulement le marché mais le matériel humain nécessaire." L'aptitude du milieu économique : "La troisième condition est bien mise en lumière par M. Vincent. Pour qu'il y ait progrès technique, le milieu économique doit présenter deux caractères contradictoires : il doit être à la fois stable et en changement. La stabilité concerne les bases de la vie économique, de façon que la recherche primaire technique puisse s'attacher à des objets et des situations bien définies. Mais en même temps, ce milieu économique doit être apte à de grands changements, de façon que les interventions techniques aient la possibilité de s'insérer dans le concret, et que la recherche soit stimulée, alors que la rigidité économique entraîne une régularité d'habitudes qui émousse la faculté d'invention. Or, si nous nous référons aux études sur l'économie de la seconde moitié du XVIIIe siècle, nous constatons qu'elle présentait exactement ces deux caractères contradictoires. Mais, étant donné que tout cela est bien connu, je me contenterai de m'attarder sur les deux autres facteurs habituellement négligés." La plasticité du milieu social "Car la quatrième condition est peut-être la plus décisive : la plasticité du milieu social qui implique deux faits : la disparition des tabous sociaux et la disparition des groupes sociaux naturels. Le premier fait se présente sous des formes très diverses selon les sociétés ; dans la civilisation occidentale du XVIIIe siècle, on pouvait en représenter deux grandes catégories : les tabous issus du Christianisme et les tabous sociologiques. Aux premiers se rattachent toutes les idées religieuses et morales, les jugements sur l'activité, la conception de l'homme, les buts proposés à la vie humaine. Nous avons déjà vu que cela s'opposait en fait et en théorie au développement de la technique. Mais lorsque la foi se transforme en préjugé et en idéologie, lorsque l'expérience religieuse personnelle se transforme en institution sociale, alors un durcissement des positions morales se produit qui correspond à la création de véritables tabous. Il ne faut pas toucher à l'ordre naturel et tout ce qui est nouveau est soumis à un jugement d'ordre moral, qui est un préjugé défavorable en réalité. C'est la mentalité populaire créée par le Christianisme au XVIIe siècle en particulier. - A côté, les tabous sociologiques et en particulier la conviction qu'il existe une hiérarchie naturelle, que rien ne peut modifier. La situation de la noblesse et du clergé, et celle du roi surtout, ne peuvent être remises en question. Lorsque l'on commence à le faire au milieu du XVIIIe siècle, on a l'impression de commettre un sacrilège, et la stupeur qui accompagne la mise à mort de Louis XVI est une stupeur religieuse : en réalité le régicide apparaît comme un déicide. Or cette constitution sociale crue et reconnue inconsciemment par tous comme seule possible est un obstacle à la technique : celle-ci est fondamentalement sacrilège, comme nous le verrons. La hiérarchie naturelle fait que l'on ne peut pas s'intéresser à ces arts mécaniques, n'apportant de commodités que pour les classes inférieures. Celles-ci croyant à la hiérarchie naturelle ne sauraient être que soumises et passives ; elles ne cherchent pas à améliorer leur sort. L'important ici n'est pas la réalité des faits : ce n'est pas l'existence de cette hiérarchie, mais la croyance à son caractère naturel et sacré, croyance qui est obstacle à la technique. La structure même de la société par groupes naturels est aussi un obstacle : les familles sont fortement organisées, les corporations et les groupes d'intérêt collectif, comme Université, Parlement, Confréries et Hôpitaux, sont très individualisés et autonomes. Cela veut dire que l'individu trouve son moyen de vivre, sa protection, sa sécurité, et ses satisfactions intellectuelles ou morales dans des collectivités suffisamment fortes pour répondre à tous ses besoins et suffisamment étroites pour qu'il ne s'y sente pas noyé et perdu. Or ceci suffit à satisfaire l'homme moyen qui n'ira pas chercher la satisfaction de besoins imaginaires alors qu'il a une situation assez stable. Il est réfractaire aux innovations dans la mesure où il vit dans un milieu équilibré, même s'il est matériellement pauvre. Ce fait, qui éclate dans les trente siècles d'histoire que nous connaissons, est méconnu de l'homme moderne qui ignore ce qu'est un milieu social équilibré et le bien que l'on peut en recevoir. L'homme ressent moins la nécessité de changer sa condition, mais, en outre, l'existence de ces groupes naturels est aussi un obstacle à la propagation de l'invention technique. Il est bien connu, pour les peuples primitifs, que l'invention technique se répand dans certaines aires géographiques selon les liens sociaux à l'intérieur des groupes, mais la diffusion extérieure, le passage d'une frontière sociologique est extrêmement difficile. Ce phénomène subsiste dans toute la société : le fractionnement en groupes fortement constitués est un obstacle à la propagation des inventions. Il en est ainsi dans les corporations. D'ailleurs celles-ci agissaient non seulement spontanément et comme groupe sociologique, mais encore de façon tout à fait volontaire et par leur règlementation. Mais c'est aussi vrai des groupes religieux : par exemple les secrets de fabrication jalousement gardés par les protestants en France au XVIIe siècle. Toute la technique est freinée par ces fractionnements sociaux. Or, on constate la disparition de tous ces obstacles de façon très brutale et simultanée au moment de la Révolution de 1789. La disparition des tabous religieux et sociologiques correspond à des faits : création de nouvelles religions, affirmation du matérialisme philosophique, suppression des hiérarchies, régicides, lutte contre le clergé. Ces faits agissent puissamment sur la conscience populaire et contribuent à faire effondrer en elle la croyance en ces tabous. Or, au même moment, - et c'est le second événement indiqué plus haut, - nous assistons à la lutte systématique contre tous les groupes naturels sous le couvert de la défense de l'individu ; lutte contre les corporations, contre les communes et le fédéralisme (les Girondins), lutte contre les ordres religieux, lutte contre les libertés parlementaires, universitaires, hospitalières : il n'y a pas de liberté des groupes, mais seulement de l'individu isolé. Mais lutte aussi contre la famille : il est certain que la législation révolutionnaire a provoqué la destruction de la famille, déjà fortement ébranlée par la philosophie et les ardeurs du XVIIIe siècle. Les lois sur le divorce, sur les successions, sur l'autorité paternelle sont ruineuses pour le groupe au profit de l'individu. Malgré tous les retours en arrière, le travail fait ne pourra être réparé. En réalité, nous avons une société atomisée et qui s'atomisera de plus en plus : l'individu reste la seule grandeur sociologique, mais on s'aperçoit que bien loin de lui assurer sa liberté, cela provoque le pire des esclavages. Cette atomisation confère à la société la plus grande plasticité possible. Et ceci est aussi, du point de vue positif, une condition décisive de la technique : c'est en effet la rupture des groupes sociaux qui permettra les énormes déplacements d'hommes au début du XIXe siècle qui assurent la concentration humaine qu'exige la technique moderne. Arracher l'homme à son milieu, à la campagne, à ses relations, à sa famille, pour l'entasser dans les cités qui n'ont pas encore grandi à la mesure nécessaire, accumuler des milliers d'hommes dans des logements impossibles, dans des lieux de travail insalubre, créer de toutes pièces dans une condition humaine nouvelle un milieu nouveau (on oublie trop souvent que la condition prolétarienne est une création du machinisme industriel), tout cela n'est possible que lorsque l'homme n'est plus qu'un élément rigoureusement isolé ; lorsqu'il n'y a littéralement plus de milieu, de famille de groupe qui puisse résister à la pression du pouvoir économique, avec sa séduction et sa contrainte ; lorsqu'il n'y a déjà presque plus de style de vie propre : le paysan est contraint de quitter sa campagne parce que sa vie y a été détruite. Voilà l'influence de la plasticité sociale. Sans elle, pas d'évolution technique possible. Dans cette société atomisée, en face de l'individu, il n'y a plus que l'État, qui est fatalement l'autorité suprême, et qui se change aussi bien en autorité toute puissante. Ceci nous donne une société parfaitement malléable et d'une ductilité remarquable au point de vue intellectuel comme au point de vue matériel. Le phénomène technique y a son milieu le plus favorable depuis le début de l'histoire humaine." L'intention technique : "Or, en même temps, coïncidence historique (fortuite ou non, ceci nous dépasse), s'éveille ce que nous avons appelé l'intention technique claire. Dans toutes les autres civilisations, il y a eu un mouvement technique, il y a eu un travail plus ou moins profond dans ce sens, mais on trouve rarement une intention de masse, clairement reconnue et orientant délibérément dans le sens de la technique la société entière. De 1750 à 1850, "l'invention fait partie du cours normal de la vie. Chacun invente, tout possesseur d'entreprise songe aux moyens de fabriquer plus vite, plus économiquement. Le travail se fait inconsciemment et anonymement. Nulle part et jamais le nombre d'inventions "per capita" n'a été aussi grand qu'aux Etats-Unis dans les années 60" (Giedion). Peut-être un phénomène semblable s'est-il rencontré aux temps préhistoriques, où par la nécessité le primat technique s'imposait. (...) Mais nous ne rencontrons presque jamais ce qui forme la caractéristique de ce temps : la vue précise des possibilités de la technique, la volonté d'atteindre ses buts, l'application à tous les domaines, l'adhésion de tous à l'évidence de cet objectif. C'est cela qui constitue l'intention technique claire. D'où vient-elle ? Il est évident qu'un très grand nombre de causes se sont mêlées pour la produire. C'est ici que l'on peut accepter l'influence de la philosophie du XVIIIe siècle renforcée par celle de Hegel puis celle de Marx. Mais il y a eu bien d'autres facteurs, au moins aussi importants. Ce qui en réalité a provoqué ce mouvement général en faveur de la technique, c'est l'intérêt. (...) L'intérêt est le grand mobile de la conscience technique, mais non pas forcément l'intérêt capitaliste ou intérêt d'argent. Intérêt de l'État d'abord, qui devient conscient à l'époque révolutionnaire. L'État développe la technique industrielle et politique, puis, avec Napoléon, la technique militaire et juridique parce qu'il y trouve un facteur de puissance contre les ennemis du dedans et ceux du dehors. Il protégera alors "les arts et les sciences" (en réalité les techniques), non par grandeur d'âme ou par intérêt pour la civilisation, mais par instinct de puissance. Après l'État, ce fût la bourgeoisie qui découvrit ce que l'on pouvait tirer d'une technique consciencieusement développée. A la vérité, la bourgeoisie avait été toujours plus ou moins mêlée à la technique. C'est elle qui avait été l'initiatrice des premières techniques financières, puis de l'État moderne. Mais au début du XIXe siècle, elle aperçoit la possibilité de tirer un énorme profit de ce système. D'autant plus que favorisée par l'écrasement "de la morale et de la religion", la bourgeoisie se sent, malgré les paravents idéalistes qu'elle affirme, libre d'exploiter l'homme ; en d'autres termes, elle fait passer les intérêts de la technique, qui se confondent avec les siens propres, avant ceux des hommes qu'il est bien nécessaire de sacrifier pour que la technique progresse. C'est parce que la bourgeoisie gagne de l'argent grâce à la technique que celle-ci devient un de ses objectifs. (...). Seulement cet intérêt de ma bourgeoisie n'est pas suffisant pour entraîner toute une société. On le voit bien aux réactions populaires contre le progrès. Encore en 1848 l'une des revendications ouvrières est la suppression du machinisme. (...). Deux faits vont alors jouer pour transformer cette situation, qui est celle du milieu du XIXe siècle. D'une part, il y a K. Marx qui, lui, réhabilite la technique aux yeux des ouvriers. Ce qu'il annonce, c'est que la technique est libératrice. Ceux qui l'utilisent sont les esclavagistes. L'ouvrier n'est pas victime de la technique, mais de ses maîtres. Il est le premier (non pas à avoir dit) à avoir fait pénétrer cette idée dans les masses. (...) Cette réconciliation de la technique et des masses, œuvre de K. Marx, est décisive dans l'histoire du monde. Mais elle eût été insuffisante pour aboutir à cette conscience de l'objectif technique, à ce "consensus omnium" si elle n'était arrivée juste au moment où ce que l'on appelle les bienfaits de la technique ne s'étaient aussi répandus dans le peuple. Commodités de vie, diminution progressive de la durée du travail, facilités pour les transports et la médecine, possibilités de faire fortune (les Etats-Unis, les colonies), amélioration de l'habitat. Malgré la lenteur de ses progrès, il se produit de 1850 à 1915 un bouleversement prodigieux qui convainct tout le monde de l'excellence de ce mouvement technique qui produit tant de merveilles et qui, en même temps, change la vie des hommes. Et tout cela, Marx l'explique, promet encore mieux, montre la voie à suivre : le fait et l'idée sont pour une fois d'accord. Comment l'opinion pourrait-elle résister ? A ce moment, par intérêt personnel aussi (l'idéal du confort...), les masses adhèrent à la technique ; ainsi l'ensemble de la société est converti. Il est formé une volonté commune d'exploiter au maximum les possibilités de la technique. Des intérêts divergents (État et individus, bourgeoisie et classe ouvrière) convergent et se réunissent pour glorifier la technique."
  25. Loufiat

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