Nuit d'orage
J'ai 13 ans. Je vis avec ma mère et mes deux frères, 4 et 11 ans. Avec le plus grand, nous dormons dans un cagibi dans lequel ont étés placés des lits superposés. Ça me va, je n'ai jamais aimé dormir et le reste du temps on peut rester dans le salon. À condition, bien sûr, de ne pas faire trop de bruit. Ma mère travaille de nuit, à l'usine. Alors, la journée, elle dort. On joue, en essayant de ne pas faire de bruit. Pour ne pas qu'elle mette des coups de marteau sur la console, comme la dernière fois. Pour ne pas qu'elle saute sur moi à pieds joints, comme la fois d'avant. On joue a un jeu de société, pokemon je crois, mais peu importe. Le plus grand de mes frères est en train de perdre et me soupçonne de tricher, je dois bien reconnaître que c'est arrivé quelques fois. Le plus jeune n'est plus dans la partie, il est fatigué, il a faim, et prend beaucoup de temps lorsque c'est son tour. Le plus âgé s'impatiente et s'énerve, je m'offusque, je n'ai pas triché, je gagne parce que j'ai mieux joué. Le ton monte, ma mère se réveille.
«Bande d'enculés, je me tue au boulot pour vos gueules et c'est même pas possible de dormir? Je me sacrifie tous les jours pour vous et faudrait encore que je vous donne ma chatte? Vous vous rendez pas compte de la chance que vous avez de m'avoir, vous profitez de moi, vous me sucez tout mon sang, bande de fils de pute. Je devrais vous mettre en foyer, à vous faire enculer par les plus grands, là vous comprendriez bande de bâtards.»
Aucun de nous ne bronche. Les propos ont beau être les mêmes que d'habitude, la peur est aussi la même. Le plus jeune finit tout de même par dire qu'il a faim
Elle me regarde et continue: « Et toi le bon à rien, tu peux pas faire à manger? Faut toujours que vous comptiez sur moi? Si je meurs, parce que vu comment vous m'usez ça pourrait arriver bientôt, vous allez faire quoi? Occupe toi un peu de tes frères que je puisse me reposer. Je peux me reposer un peu ou c'est trop demander? Hein mes seigneurs!»
Je n'ai jamais préparé le repas. D'habitude, c'est à peine si je peux me préparer mon propre petit déjeuner. Mais ce n'est pas comme si j'avais le choix. Je pars dans la cuisine et j'essaie. Il y a des steak hachés, de la semoule, ça ne devrait pas être trop compliqué. Bon, il semblerait que j'ai raté quelque chose. La semoule est compacte et goûte le sable. Quant à la viande, elle est toute grillée et l'appartement est empli de fumée. Aussi mauvais que ce soit, nous mangeons, sans rien dire et nous préparons pour le coucher.
Vu ce qu'elle fume, je ne pensais pas que l'odeur pourrait réveiller ma mère, mais il s'avère que si. Elle court dans la cuisine et il semblerait que ni l'état de la poêle ni le reste de semoule ne lui convienne. Elle me gifle et crie:
« Et tu te dis intelligent, même pas capable de faire une putain de semoule? T'es qu'un bon à rien, un flemmard de merde juste bon à se gratter les couilles! Tu crois que je faisais pas à manger à ton âge? Vous avez trop la belle vie, vous savez rien faire. Je peux pas compter sur vous.»
Tandis qu'elle me frappe, elle crie de plus en plus fort. Elle se saisit d'un couteau et place la lame sous ma gorge. Je n'ai pas la moindre idée de ce qu'elle éructe. Je ne vois que la bave blanche à ses lèvres, et mes petits frères, comme deux suricates aux grands yeux ronds, qui regardent la scène, incapables du moindre mouvement. Tout se passe si lentement, je ne sais pas combien de temps j'ai gardé cette lame contre ma gorge. Des secondes? Des minutes? Des heures?
Peut être se rend-elle compte que je ne l'entend plus, ma mère me bouscule puis appuie la pointe du couteau contre mon ventre. Pas assez pour me faire mal, juste assez pour que je saigne. Je vois bien qu'elle continue de vociférer mais je n'entends rien, si ce n'est un sifflement continue. Elle finit par jeter le couteau, fracasser la poêle contre le plan de travail et nous crie de dégager. Mes frères courent se coucher, moi, je suis puni. Je dois sortir et faire l'aller-retour du 7ème étage au rez de chaussée par les escaliers. Seulement trois fois, je m'en tire plutôt bien.
Lorsque je rentre, ma mère me prend dans ses bras et me dit qu'elle est désolée, qu'elle ne devrait pas avoir à se comporter comme ça, ça lui brise le cœur, mais on ne lui laisse pas le choix. Je lui présente mes excuses, elle m'embrasse et je vais me coucher. Ce soir là, je dors paisiblement.
Cela fait bien longtemps que je n'avais pas pensé à ça. Pendant longtemps, j'ai cru que c'était normal, je n'avais donc pas de raison d'y penser. Mais ce soir, je ne trouve pas le sommeil, mon esprit vagabonde et se perd dans les souvenirs. Finalement, aussi banale que puisse être mon existence, j'ai peut être des histoires à raconter. Je sélectionne parmi les souvenirs qui ne sont pas trop douloureux et j'écris, en attendant de m'endormir paisiblement.
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