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Nuit de Walpurgis


Kégéruniku 8

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Le temps n'a jamais été mon allié, mais en cet instant, il m'est totalement étranger. Je suis plongé dans la confusion comme si mon cerveau se trouvait empaqueté dans du coton imbibé d'alcool. J'écris comme si je ne savais pas le faire...

Lorsque j'arrive, je suis plein d'appréhensions, d'âpres tensions, sans prétention. Je sais quel texte je vais dire, je sais comment le dire, j'espère pouvoir le dire. J'ai tant d'enthousiasmes à étouffer que j'arrive avec une heure d'avance, alors que je suis venu à pieds. Il fait frais, certain diraient même froid, mais un tee-shirt me suffit pour braver le temps, même immobile. J'ai le sang en ébullition, j'en arrive même à transpirer. Je finis tout de même par entrer et m'installer 15 minutes avant l'heure annoncée. Finalement, ça ne commencera que bien plus tard, mais c'est tant mieux, cela me permet de me calmer, du moins jusqu'à ce qu'elle arrive. Les rapports sont cordiaux et le resteront jusqu'à la fin de la soirée slam. Il y a quelques rires échangés, quelques brefs regards, c'est parfait, je n'ai pas envie de plus puisque pour le moment, j'ai encore du mal à me dire que venir était une bonne idée. C'est la première fois que je participe à un évènement de la sorte, mais ça ne me dérange pas outre mesure, je ne suis, d'ordinaire, que peu sensible au stress. Toutefois, de la voir présente, elle ainsi que ses amis, m'angoisse. Et comme les astres sont avec moi, c'est à moi qu'il revient de dire le premier texte de la soirée. J'ai l'impression d'être un de ces suppliciés offert en pâture aux requins et ce même si tous les regards sont emplis de tendresse. Je reste un temps immobile sur la planche, mais puisqu'il nous faut périr, autant marquer les esprits, je tente le saut de l'ange et dit mon texte. Pas sans fautes. Le mental devient emmental quand mon esprit est plein de trous. J'essaie de le cacher en jouant sur le rythme des silences. Quand enfin je lance mon dernier vers, je quitte la scène dans la foulée, soulagé d'avoir survécu.

A ma grande surprise, je prend un plaisir certain à écouter les autres, je me laisse bercer par chaque texte lu, par chaque mot dit. Mais quand vient son tour à elle, je suis mortifié par la honte. Elle dit le premier texte qu'elle a écrit et il s'avère meilleur dans sa structure et dans son rythme que tout ce que j'ai pu écrire jusque là. Et c'est sans parler de son aisance, de son charisme et de la facilité qui semble se dégager de sa performance. J'aurai pu tomber amoureux juste avec cet instant. A ce moment, j'ai honte d'être venu slamer, j'ai honte d'écrire, j'ai honte d'être là. Heureusement pour mon ego, même si toutes m'emportent, toutes les prestations ne sont pas du même acabit.

Il est 22h lorsque une seconde ronde est lancée et je décide d'y participer. Il serait dommage de ne pas le faire maintenant que le stress a quasiment disparu. C'est un texte plus ancien, plus détaché de la situation, que je parviens à dire presque sans trembler. Elle repasse également, sa prestance est absolument incroyable, mais le texte n'est pas d'elle, ce qui me permet de ne pas mourir sur le coup. Non, lors de cette seconde ronde, c'est Aimile qui m'a frappé en plein cœur. Je n'avais jamais pensé la poésie comme lui l'a proposée. Je serai de toutes façons bien incapable de suivre son modèle et je l'admire avec d'autant plus de force qu'il réalise ce qui m'est inaccessible. Une fois le dernier vers dit, un temps est laissé à la discussion. Je n'ai jamais été très à l'aise pour entamer la discussion, alors je ne parle pas beaucoup, ce qui ne m'empêche pas d'être touché par les mots qui me sont adressés.

L'évènement prend fin sur le coup de 23h, je n'ai pas envie de rentrer chez moi mais je n'ai pas d'alternative, jusqu'à ce que, ô surprise, elle m'invite à l'after. Dans mon esprit, un siècle s'écoule durant lequel s'affrontent ceux qui, ignorant la longueur du fossé qu'il me reste à franchir, me disent de courir jusqu'à l'aube ; tandis que ceux qui ne pensent qu'à l'El dorado me disent que pour cette nuit je peux tout endurer. Dans les faits, je n'ai jamais été aussi rapide et efficace dans mes prises de décisions et il ne m'a fallu qu'une demi-seconde pour lui répondre que c'est avec plaisir que je me joindrai à eux.

Nous nous dirigeons vers un bar dans lequel nous ne resterons que 2 heures. Durant la première de ces heures je découvre à quel point Aimile est stupéfiant. J'aimerai ouvrir son crâne et disséquer sa cervelle pour comprendre la pièce qui s'y joue. J'aimerai lui arracher les yeux et me les greffer pour voir ce qu'il voit. Il me présente son carnet à croquis puis l'alphabet sur lequel il travaille et je me plais à observer, en intervenant le moins possible, l'ange qui lui sort de la bouche.

Après quoi, c'est au tour de Suerte, le bien nommé, de m'emporter dans sa ronde. Il discute simplement, comme s'il n'y avait aucun enjeu derrière, comme s'il n'y avait que le plaisir des mots et de l'instant et mentalement je me réjouis de constater que c'est bel et bien possible. Avec lui, je me fais plus bavard, parce que pour la première fois de ma vie, je pourrai tout dire sans avoir à anticiper la réaction que mes mots pourraient provoquer. Je teste d'ailleurs en parlant de la mort de mon père, auquel il me fait curieusement penser, et il ne tique pas, son regard ne s'emplit pas d'une empathie nauséabonde ou d'une compassion perverse, il accueille mes propos et poursuit les siens comme pour n'importe quel autre sujet. Je me livre plus qu'à l'accoutumée et d'ailleurs, il y a certaines de mes bafouilles qui finissent par attirer l'attention de Marnie, qui se joint à notre discussion et qui m'offre, ce faisant, la plus grande dose de plaisir que je sois en mesure d'endurer. Pendant prêt d'une heure, il me faut me faire violence pour ne pas exulter face aux mots qu'elle prononce, face aux regards qu'elle me lance. Suerte commence d'ailleurs, fort aimablement, à s'effacer de la discussion, mais il est temps de partir, le bar doit fermer. Alors que nous quittons les lieux, elle me répète à plusieurs reprises que je suis énervant, que je suis chiant. Aussi simple soit-elle, c'est la plus belle déclaration possible.

Personne ne veut laisser la soirée se terminer, et surtout pas moi, alors nous allons en boite. Je consens à m'enfermer dans un de ces lieux qui ne m'inspirent que détresse et désarroi, la compagnie est bien trop agréable pour que j'émette le moindre doute. Cette fois, la crainte du fossé ne se fait pas entendre et ne reste que l'envie de voler.

Une fois arrivée, c'est Réglisse qui me fait poursuivre ma transe. Pour des raisons qui lui appartiennent, il s'avère que c'est la toute première fois qu'il découvre un lieu de ce genre et il resplendit d'un bonheur enfantin terriblement communicatif. Je me surprend à sourire comme jamais je ne l'avais fait jusque là. Moi qui porte aux gémonies l'héautontimoroumenos et ses vers: "je suis de mon cœur le vampire, un de ces grands abandonnés au rire éternel condamné et qui ne peuvent plus sourire." je me change en chat de Cheshire. il me suffit de l'observer pour me retrouver parfaitement béat, au point d'en faire enrager tous les bouddha du monde. Pour parfaire la scène, alors que tous partent danser, Marnie reste avec moi, se rapprochant toujours plus, ravissant mon regard pour qu'il finisse par se figer sur elle. Sachant pertinemment que je l'observe, elle sourit comme si elle était tzarine de toutes les Russies. Elle finit par m'accorder son regard, ses pupilles sont totalement dilatées me laissant ainsi tout l'espace nécessaire pour y plonger... Ses lèvres ont le goût de mes rêves mais ses mots provoquent les mêmes déchirures que ne le ferait l'ingestion de poudre d'émeraude. Elle veut comprendre et là je réalise que je l'ai blessée sans n'avoir aucune explication, aucune justification. Tout aurait dû s'arrêter là, mais l'alcool joue en ma faveur, influant sur la décision qui est sienne. Et pour les 2 heures durant lesquelles nous resteront encore dans la péniche, elle ne quitte plus mes bras, mes mains restent vissées sur sa peau et ses lèvres fusionnent avec les miennes. Lorsque la compagnie vient émettre le souhait de partir, je ne sais plus qui ils sont, où je suis ou même qui je suis. Jamais je n'aurai cru éprouver la moindre once de regret quant au fait de sortir de boîte. Après quelques hésitations, Marnie nous propose d'aller chez elle, Aimile nous abandonne et c'est donc Réglisse, Suerte et sa compagne, Marnie et moi même qui poursuivons. Une fois arrivée, la fatigue reprend ses droits et finalement tout s'accélère. Rapidement Suerte et sa compagne décident de rentrer chez eux. Réglisse ne peut pas rentrer chez lui, Marnie lui propose donc sa chambre, tandis qu'elle reste avec moi dans le salon.


C'était une soirée slam, mais le temps des mots est révolu. Jusque là, je savais que son âme me plaisait, je découvre que son corps est l'incarnation exacte et précise de tout ce que j'aime. Plus que mon sexe ou mon esprit, mes mains sont la première de mes zones érogènes et là il n'est pas une once de peau que j'effleure sans être submergé de plaisir, pas la moindre partie de son corps qui ne provoque l'extase la plus complète et totale. Elle se contorsionne comme dans un rêve, comme si tout ça n'était que folie et mon esprit s'embrase aussi sûrement que la forge de mes entrailles. Mon cœur bat à tout rompre et la température de mon corps s'élève au point de faire fondre la plus éternelle des glaces. Et pourtant, ce qui me saisit plus que sa douceur, c'est sa chaleur qui me brûle les paumes, et le sang, et les os. Je jouis jusqu'aux yeux lorsque la lumière nocturne fait ressortir et la pâleur de sa peau et la flamboyance de sa chevelure et mes oreilles se délectent de la délicatesse des soupirs et des gémissement qu'elle exhale, jusqu'au derniers mots qu'elle susurre et qui forment l'ultime estocade, celle dont je ne peux me protéger. Je meurs tandis qu'elle s'endort. Je n'ai plus de cervelle, mon crâne n'abrite plus qu'une mélasse graisseuse en fusion. Je profite des derniers instants nocturnes pour me reformer. Je ne pense pas, je ne suis pas en état, j'attends, que la marche des lucioles fumantes de mes pensées aboutisse pour que je naisse à nouveau. Et lorsque c'est fait, j'écris. Sur mon téléphone, même si je n'aime pas ça. Ce ne sont pas que les muses mais tout le panthéon antique qui se penche sur mes épaules pour me souffler les vers les plus diablement inspirés que j'ai produit. Au diable la modestie, il s'agit des vers les plus monstrueusement efficaces qu'il m'ait été donné de lire. Cependant, ils ne survivront pas à l'aube, puisqu'elle ne voudra pas les entendre, ils ne méritent pas même d'exister. Non, quand elle se réveillera, le rêve se dissipera. D'abord affublée d'une honte coquette, elle finira pas user du masque de la froideur, de l'indifférence, et ce sera là notre dernier échange. Les dernières flammèches de la passion brûleront en moi comme les feux de la colère puis viendra le temps des cendres, l'extermination de masse, l'ère glaciaire et enfin, je l'espère, même si cette nuit j'ai aimé pour toute une vie, la reverdie.

1 Commentaire


Commentaires recommandés

Jolie nuit :hi:

La Reverdie...

J'ai partagé l'aventure de créer ce disque dans les conditions exactes du 13ème siècle. Je te le dédie. Les chants débutent en 1:25. Ils sont assez sobres et dépouillés. Ils me semblent accompagner parfaitement ta nuit. Et ta renaissance :fleur:

 

Modifié par Persil-Fleur
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