Et de cent
Paraît que j'ai le goût du morbide. Paraît aussi que je suis un con. Pour l'un, c'est mon côté artiste génial. Pour l'autre, il faut bien que les gens aient une opinion. Il paraît finalement beaucoup de choses, et probablement pas mal de choses vraies. Mais au fond, est-ce que c'est important ?
Je vais vous faire une confidence : autrefois, j'étais fou. Je me suis laissé convaincre que mes agissements et mes pensées tenaient de la déraison. Maintenant, je me sens en phase avec moi-même. Quelqu'un de normal, en somme. C'est vrai qu'à l'époque, il m'arrivait de menacer les passants avec une hache. Cela m'amusait. Voir ces petites bouilles passer de l'indifférence à l'attention la plus extrême pour moi. Comme quoi il n'en faut pas toujours beaucoup, pour exister. Parfois aussi, je déposais quelques lettres affreusement écrites pour rappeler, à terme, à mes voisins à quel point il est essentiel de savoir pourquoi nous vivons et comment il nous faut vivre. Croyez-le ou non, j'ai un côté pédagogue.
Après ça, je dois l'admettre, il m'est arrivé de faire deux ou trois bêtises. Par exemple, j'avais oublié un des couteaux que je porte constamment sur moi sur un rayon d'un supermarché. Le problème, c'est que je n'avais pas encore nettoyé le sang qui était dessus. Le hasard a souhaité que le même jour, quelqu'un s'en prenne à une des personnes qui y travaillait. J'ai donc été retrouvé et interrogé et, ma foi, dans la mesure où cela était "mon" couteau, nul ne m'avait cru innocent.
Depuis, j'ai compris. Il est mal vu et malvenu de rencontrer du monde en ayant des lames sur soi. Voilà pourquoi je les ai, à contrecœur, abandonnées dans mon sanctuaire. J'invite d'ailleurs des amis dans cet endroit où je me sens parfaitement bien. Je dois dire qu'il me ressemble. Il est un moi extérieur.
Nous avons, pour arriver à un tel résultat, énormément travaillé. Je ne suis pas certain que nous ayons réussi à obtenir ce que nous ambitionnions, mais peut-être étions-nous trop soucieux de bien faire. Mon côté brouillon résout mon problème de perfectionnisme. Par l'absurde, la décadence du sérieux, il m'a été possible de déconstruire ma singularité.
Soit. Qu'en est-il, alors, de ma banalité ? Il m'a fallu y travailler. De nombreuses heures. Des jours entiers. Perdre son être n'a rien d'aisé. Je ne voyais qu'une méthode, à ce moment-là : transformer l'être en avoir. J'ai donc cherché à obtenir, obtenir, obtenir. Et j'ai amassé, amassé, amassé. Des montagnes de biens, de satisfactions éphémères, de douceurs censées caresser mon âme (quand il ne faisait que caresser mon appétit). Tout ceci jusqu'au jour où je compris, d'une part, que ce n'était qu'une apparence de destruction. Je ne faisais que le dénaturer, sans jamais l'annihiler. D'autre part, qu'il existait un autre moyen d'y parvenir : lorsque l'inonder dans l'inutile ne fonctionne pas (et c'est là la méthode des faibles), il ne reste que la violence.
J'ai scrupuleusement, dès lors, déposé un morceau de moi chez chacun de ceux qui m'ont croisé. Je tiens à m'en excuser, ce n'est en rien contre eux.
Le plus ironique dans l'histoire, c'est qu'en cherchant à me défaire de mon âme, j'ai fini par la trouver. J'ai pu la toucher, la sentir, palper son élan. C'était magnifique. Magnifique, et très court. Nous revenons sans cesse de ces instants magiques. Pour retourner à notre état d'homme qui se cherche, qui en cherche, et n'en voit aucun.
5 Commentaires
Commentaires recommandés