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De l'art du renouveau


Jedino

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Il était un temps où l'homme, à l'état de nature, gambadait gaiment dans la prairie. Il se montrait sautillant, souriant, aimable avec tous. Il n'avait de cesse de se faire pardonner, de demander à la bête si elle accepterait de mourir pour le nourrir, et ceci, avec grande tristesse. Bref, il ressemblait à un sage, capable de pleurer avec les arbres et de partager son logis avec les animaux.

Arriva alors en ce paradis le démon. Certains l'appellent femme, d'autres diable. Mais de ces histoires, laquelle croire ? Il existe une histoire qui voudrait qu'à force d'accumuler, que de l'habitude de garder pour plus tard ses quelques noisettes et racines, l'homme en serait venu à vouloir toujours le grossir. Ou plutôt, dans la mesure où il ne cessait de trouver des choses à stocker, il continua, et continua, jusqu'à arriver à un tas plus grand qu'il n'en aurait eu besoin. De là, bon observateur, son ami et voisin eut une semblable idée. Il constitua ainsi son propre trésor. L'histoire ne précise pas quand, elle n'en précise que le pourquoi : alors que notre premier homme constatait, malheureux, que sa réserve diminuait à force de consommer et de ne plus pouvoir rentrer autant qu'il y parvenait auparavant, il comprit. Il comprit, oui, le lien qui se faisait logiquement : si je suppose que la capacité à ramasser est limitée, et que je ne réussis plus à en ramasser comme autrefois, c'est que quelqu'un prend aussi par ailleurs. Difficile de savoir si toutes les autres hypothèses avaient traversé sa réflexion, il n'empêche que la bonne et évidente se présenta à sa conscience : voilà que son semblable lui volait ses biens. De là naquit la jalousie et, finalement, l'état de guerre.

Une bien belle romance, vous en conviendrez. Nous en arriverions presque à excuser cet homme et son raisonnement ô combien logique et innocent. Car, ne l'oublions pas, il n'avait nullement l'intention de nuire à l'autre homme, et ceci, même après son constat. Tout ceci manque néanmoins de nuance. Mais je vous laisse ici à vos opinions, et j'en reviens à mon propos.

De tout ceci nous en sortons un homme qui a ses vices, défauts et qualités. Une bien grosse dinde capable de voler sans plumes et osant toujours, malgré tout, se jeter dans le vide avec l'espoir d'y retomber droit. Et il est vrai qu'à mieux regarder son Histoire, elle ne manque pas une occasion de s'y réessayer. Preuve d'un courage et d'une naïveté dont nul autre animal ne viendra revendiquer le titre. Et quel bel atout ! Que celui de pouvoir se flatter avec joie en inventant et réinventant des qualificatifs pour imaginer et imaginer à nouveau son propre talent. Comme si, dans le fond, la construction la plus haute n'était pas à bâtir en dehors, par des tours imposantes, des ponts gigantesques ou des bateaux monumentaux, mais en-dedans. Est-ce un besoin de se rassurer ? De combler un manque ? Admirons toutefois la magnificence de ce travail tant le degré d'abstraction augmente à chaque époque.

Le plus extraordinaire tient peut-être dans l'intelligence de la démonstration, c'est-à-dire être capable de faire la preuve par une construction intellectuelle quelconque d'une idée par définition abstraite.

Je ne sais pas vraiment ce que vous pensez de tout cela, vous. Il est possible que ce discours vous ait horripilé au point d'en avoir cessé toute la lecture bien avant de tomber sur cette phrase-ci. En ce cas, vous parler alors que vous êtes absent est une aberration. Que voulez-vous, des aberrations naissent la science. Un jour, je le prédis, il fera sens de parler à quelqu'un qui n'est pas là.

Reste que pour le moment, notre homme se cherche. Il se cherche parfois tant qu'il finit par tenter de trouver quelqu'un d'autre. Et en effet, je n'ose m'imaginer un jour me lever et voir dans mon miroir que celui que je suis n'est pas moi. Je ne suis pas convaincu non plus qu'il soit meilleur de se trouver soi un jour. Imaginez un homme gentil et un peu niais qui, à l'occasion d'un petit événement insignifiant, finit par comprendre qui il est, à savoir un monstre. Folie! Crions-nous en coeur, effaçant du même coup l'épine que nous avons sous le pied. Folie ? Ou bien est-ce là plutôt de l'humanité ? Qu'est-ce que l'humanité, finalement ? Sinon ce que nous en faisons, en dessinant, chaque matin, une nouvelle esquisse ?

Je vous le demande une dernière fois : n'est-il pas curieux de parler de liberté et de se défendre par nos contraintes existentielles ? Faisant de l'homme, ce "nous", un bon-homme qui n'attend que le bon moment pour être mauvais. Mais peut-être ne fait-il que tenir à ce qu'il peut avoir, ou rêve d'avoir. Et il est paraît-il humain de défendre ce que nous avons et qui nous a été pris. Ou animal, c'est comme vous le préférez.

Je divague cependant. Vous m'en excuserez. Sauf si vous estimez que je vous ai pris excessivement votre temps. De fait, vous vous en défendrez. Que ce soit par la critique, le silence ou la raillerie.

Et vous, avez-vous déjà été en quête d'un homme durant votre journée ? L'histoire raconte que lui n'en a jamais trouvé. Est-ce qu'une existentielle inconsistance suffit à rendre absente toute présence ? Ola ! Je jongle avec des concepts compliqués. Voilà ! Je me suis perdu dans mon raisonnement. Vous n'en aurez du coup pas la conclusion.

9 Commentaires


Commentaires recommandés

Bien sûr, cela fait sens, de parler à celui qui n'est pas là, c'est même à mon humble avis bien plus intéressant de lui parler pour ce que l'on a à dire, et non pas pour qu'il l'entende, voir pire, pour qu'il réponde...

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À quoi sert donc une réponse, si personne ne connaît plus la question ? Une foi un problème résolu, on a tendance à passer bien vite à la suite, se contentant du résultat.

La réponse seule est vaine, inutile, c'est une impasse dans la réflexion dont on se passe très bien. S'il est vrai que ce sont des réponses que nous cherchons, c'est pour autant la recherche qui nous enrichit le plus. Nous devrions être fiers de ne pas en trouver ... Tu ne trouves pas ?

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Quelqu'un qui cherche sans jamais trouver, comment est-il vu? Sinon comme un raté, quelqu'un qui fait preuve de velléité plus que de volonté ? Si tu as raison, et que le chemin enrichit plus que l'arrivée, pourquoi valorisons-nous le résultat plutôt que le progrès ?

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[...] il fera sens de parler à quelqu'un qui n'est pas là.

Bien sûr. C'est à cela que servent les livres.

Sinon, faudra que je revienne sur ce texte : là je ne suis pas assez réveillé pour tout comprendre. Juste assez pour dire qu'à mon sens, le plus étonnant chez celui qui cherchait un homme durant la journée, était qu'il le faisait avec une lanterne.

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Bah je sais pas, n'ayant pas compris si l'anecdote était ou non un raisonnement par l'absurde censé attaquer Platon. Dans ma petite tête, ne pas trouver d'homme signifierait ne pas trouver l'idée d'homme, et utiliser une lanterne ferait directement référence aux ombres projetées dans la caverne. Je pense que Diogène voulait ainsi montrer que Platon s'emmêlait les pinceaux, que son concept "homme" n'était autre qu'un ombre projetée sur les murs de la réalité, que la philosophie platonicienne représentée par une lanterne empêchait de voir les hommes concrets. Ce que tu traduis par : est-ce qu'une existentielle inconsistance suffit à rendre absente toute présence ?

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Comme je l'ai dit, la réponse importe peu, même et surtout si la question n'est pas posée. À partir de là, qu'a-t-on à faire du jugement extérieur, qui n'est qu'une réponse en soi, valorisant ce dont il se contente, à savoir cette même réponse, sans jamais y regarder plus au raisonnement ?

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