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La fille en boite


Loopy

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On ne reste jamais bien longtemps, et finalement, nous serons pour elle des anonymes et elle pour nous qu’une fille en boite, en boite d’allumette. C’est mieux ainsi. Dans sa boite elle dévalise quelques pièces à ceux qui souhaitent emprunter ses voies. Nous qui voguons d’un départ à une arrivée, on pourrait la plaindre ainsi coincée dans sa boite, entre deux destinations, au passage. Mais elle, elle aime voler de brefs instants de vie à ceux qui ne la voient pas. Elle se demande où iront-ils ? D’où viennent-ils ? Pourquoi sont-ils là ? Elle rêve et s’inspire.

Elle a même espéré une fois qu’un prince l’emmènerait. Mais c’était il y a longtemps, et de prince il n’y eu bien sûr pas. Elle n’est que le passage, payant, sur le bord d’une route qui mène pour tous à une destination. Pour les princes, sa demeure n’est qu’une brève étape vers ailleurs. La fille en boite, en boite d’allumette… Celle que le monde ignore, n’a d’autre choix que de griller sa dernière cigarette sur le bord de cette route. Le monde va trop vite, et ne se préoccupe guère des fleurs qui poussent parfois dans les caniveaux.

Le matin, quand elle termine son office, elle ramasse les deniers, s’étire, et s’en va rendre sa boite pleine à celui qui l’emploie. Ainsi, touchera-t-elle à la maigreur des centimes qui y traînent, et pourra-t-elle s’acheter le croissant dont elle rêve depuis la veille.

Elle quitte la lugubre aire qui accueille le péage de la Barque, sans se retourner vers sa boite qui porte le numéro 8. Pourtant, c’est un joli numéro, le 8. Mais sur le chemin, elle s’attriste déjà de devoir y revenir lever, puis rabaisser la barrière rouge et blanche d’une autoroute dont elle n’a encore jamais vu ni l’une, ni l’autre des extrémités. Elle se dit alors que si le monde devait être une autoroute, elle aimerait bien être le chemin de Terre et de gravier qui la longe. Un chemin qui nous mène très lentement vers la même destination et dont on sent le crépitement sous les pieds à chaque pas. Un chemin où les moucherons ne s’écrasent pas, victime de notre allure, sur les pares brise, et où rien ne pare la brise fraîche. Elle se dit qu’elle ne mettrait pas de péage sur ce chemin, et qu’elle aimerait que beaucoup de promeneurs y viennent. Elle aimerait bien qu’on y joue, qu’on s’en écarte et qu’on y revienne, qu’on construise un refuge en pierres où dormir le soir pour rallonger encore un tout petit peu la route…

Peut-être avait-elle rêvé un peu trop tôt. Sa route pris un étrange virage, une impasse et la fille en boite fut mise dans une autre boite. Elle ne porte pas le numéro 8, mais est près d'un chemin de Terre, quelque part. Sur sa boite, pousse une fleur, de celle qu'on trouve sur les bords de la route. Il y a sur ce chemin quelques promeneurs, des moucherons, de la brise et même parfois des lapins traversant rapidement avant de disparaître dans les lavandes. Il y a plus loin un refuge dans la garrigue qui offre ses pierres dorées au soleil couchant en abris un peu rustique, mais agréable. En levant les yeux, on peut voir le ciel s'enflammer d'un rose oranger qui dessine le contour d'une Provence Cézannienne d'aspect étrangement aride et fertile, parsemée de pins. Comme taillée au couteau, la Sainte Victoire domine le tableau, portant son ombre étalée par le soir aux abords d'un olivier qui depuis cent ans au moins repose contre un muret bien plus vieux que lui. Plus loin, là où le soleil arrose encore un peu les champs, on devine des vignes qui donneront un vin réputé pour son arrière-goût de thym, de soleil, et l'accent chantant que nous force à prendre le nom inscrit sur l'étiquette. On sent en marchant les crépitements de chaque caillou, de chaque grain de sable. Il faut rester une journée entière à transpirer sous la chaleur écrasante de l'été pour apprécier à sa juste valeur le soir, puis la nuit.

Elle doit aimer cette boite là, la fille en boite, car au plus sombre des nuits du mois d’août, quand elle gratte ses allumettes, on peut apercevoir des étincelles qui se promènent dans le ciel de la Provence.

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