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Il arrive.


Criterium

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Ses yeux brûlent. — La lumière reflétée par la neige est intense, aveuglante; l'œil croit déceler des couleurs douloureuses dans le champ blanc et bleu qui se confond de plus en plus. Alors l'homme baisse la tête et regarde le moins possible autour de lui, juste ce qu'il faut pour vérifier la direction de ses pas. Il sait également que la douleur optique est une illusion créée par le cerveau, lorsque chacun des deux yeux perçoit quelque chose d'éblouissant — fermez un œil, et la douleur disparaît. C'est pourquoi il s'aventurait comme un cyclope, alternant le côté par lequel il abaissait la paupière — un geste qui était devenu un réflexe; ses pensées, elle, sont lentes et faibles; il doit avoir la sensation que son crâne se congèle. — Chaque expir crée un petit nuage. Chaque pas, un crissement sur la neige.

*crrr...* – *crrr...* –

Partout, cette neige: — Les forêts de pins portent le fardeau blanc, disparaissent sous ce drap qui recouvre toute la région; les dunes ne laissent que deviner par leurs vastes courbes les marques du paysage enseveli. Il n'y a que là-bas, au loin vers le nord-ouest, que des falaises grises, trop abruptes pour accumuler les flocons, contrastent avec les alentours, immaculés. C'est le seul point de repère; alors il continue, continue, à traîner ses pas lourdement le long du chemin, la tête encore baissée. Il progresse lentement, la température est glaciale — et pourtant, le jour lui donnait déjà un coup de soleil sur le visage et les mains. C'est le grand contraste de ces déserts froids: le soleil ne réchauffe pas, mais il griffe les chairs... Il fallait faire avec: une fois la nuit tombée, il ne survivrait pas. Quelle heure est-il? Il ne le sait pas — Il ne peut pas s'arrêter maintenant, la seule option est de continuer sans relâche. Le silence est total, que seul les pas lents et réguliers emplissent — et semblent du même coup beaucoup plus bruyants, intenses.

*crrr...* –

Étaient-ce des heures ou des minutes qui se déroulèrent ainsi? Avait-ce été quelques instants? Le temps avait commencé à se confondre, passé, présent, il y a longtemps déjà, ou plutôt: tout à l'heure. Tout ça n'avait plus aucun sens. — Le ciel s'était assombri, et enfin la réverbération de la lumière sur la neige s'amenuisait. L'on discernait maintenant, en haut dans les cieux, le gris cendré duquel tombaient en voletant quelques nouveaux flocons, et, tout autour, les vastes étendues d'albâtre. — C'était simplement le temps d'une journée qui s'était écoulé; aucune autre mesure n'existait dans cette scène. Seule la Nuit s'y était invitée. Elle était venue sonner le glas.

Toutefois... il s'approche enfin des parois sombres et nues. Là — le flanc de la montagne, à l'adret. À la limite de la plaine ensevelie, l'inespéré: un minuscule chalet partiellement enneigé. L'homme se rapproche, hagard et frissonnant. Une réserve d'énergie se réveille, et l'aide à continuer ses pas... malgré l'immense fatigue, et le nuage glaçant ses pensées. Vingt pas tout au plus... dix...; le voilà à la petite maison en bois. Les fenêtres sont en partie recouvertes de givre, tout autour des montants. Ses yeux brûlés discernent mal l'intérieur. Il arrive à la porte, sur une plateforme surélevée par rapport au sol, et alors seulement s'arrête et commence à déblayer la couche de neige qui en bloque encore l'entrée. Ce n'est pas très difficile étant donné qu'il s'agissait de poudreuse légère, mais ces quelques instants si près du but lui paraissent trop longs... Il met sa main sur la poignée... — Elle tourne!

Les crissements ont cessé.

L'homme n'a même pas détaillé du regard les pièces étroites; il a refermé la porte, s'est replié dans un coin du chalet, emmitouflé dans toutes les couvertures qu'il a trouvé sur les étagères disposées en face de l'entrée. Il laisse tomber à ses côtés le sac à dos, et, dans ce cocon agréable, laisse enfin son cerveau se brouiller et s'éteindre. — Il s'endort.

— Allait-il La voir à nouveau dans ses rêves?

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